M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux nous a permis de prolonger le travail du Sénat sur l’évasion fiscale, après une première commission d’enquête, en 2012, qui avait précisé l’ampleur de ce fléau tout en proposant de nombreux outils pour le maîtriser.
Au terme de six mois d’audition d’une cinquantaine de personnalités diverses issues des secteurs de la banque, de la finance, des institutions financières et de régulation, nous avons rendu en octobre dernier un rapport qui recense les opportunités d’évasion des capitaux offertes par le fonctionnement de la finance et formule trente-quatre propositions, une nouvelle fois adoptées à l’unanimité.
Je profite de l’occasion pour remercier M. le président de la commission d’enquête et M. le rapporteur d’avoir su écouter chacun d’entre nous. C’est ce qui a permis cette unanimité.
Ces propositions ont pour but de combler les lacunes dans la gouvernance des systèmes de contrôle existants, de développer la supervision des institutions et d’élargir le champ d’intervention des autorités judiciaires.
Comme l’intitulé de notre rapport le rappelle, notre objectif est de « mieux connaître pour mieux combattre ».
Notre première mission, pour être efficace face à l’opacité de la circulation des richesses, est donc de remporter la bataille de l’information.
La complexité des infrastructures financières et la fragmentation des espaces de souveraineté ne facilitent pas cette tâche, comme nous l’avons tous dit.
Par rapport à nos travaux de 2012, il était donc nécessaire d’affiner notre diagnostic et de porter une attention particulière sur les liens entre la finance, ses acteurs, ses produits et l’évasion des capitaux.
Parmi les trente-quatre propositions que nous formulons, je souhaiterais, comme je l’ai déjà fait lors du débat relatif aux conventions internationales, insister sur la proposition n° 18, celle qui consiste à instaurer en Europe un FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act.
Les mesures prises au niveau national sont indispensables, mais insuffisantes face à un phénomène financier qui dépasse largement les frontières.
Je salue néanmoins le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, que nous avons voté parallèlement à nos travaux. Il va permettre de renforcer l’efficacité de la lutte contre la corruption et la fraude, notamment en donnant des moyens supplémentaires à l’administration fiscale – même si certains, dont je fais partie, pensent qu’ils ne sont pas encore assez importants – et à l’autorité judiciaire, qui seront toutes deux dotées de nouveaux outils juridiques leur permettant de mieux détecter les anomalies et les fraudes potentielles, de surmonter l’hostilité ou l’inertie des acteurs récalcitrants et de sanctionner plus sévèrement.
La décision du Conseil constitutionnel, même si celui-ci a reconnu que le principe d’une amende calculée en pourcentage n’est pas en lui-même inconstitutionnel, affaiblit la lutte contre la fraude des personnes morales.
Cela étant, seule la généralisation à l’échelle européenne d’un dispositif efficace peut permettre de franchir une nouvelle étape décisive. En obligeant les banques ou les États à procéder à un échange automatique et exhaustif d’informations fiscales, sous peine d’une retenue à la source sur leurs flux financiers, nous pourrions réellement faire reculer le secret bancaire, tout en facilitant le travail de l’administration fiscale. En effet, cette dernière est parfois dépourvue devant le manque de collaboration de certains pays qui ne répondent pas à nos demandes de renseignements. À la suite des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons également appris que même certaines banques attendent la généralisation de l’échange automatique d’informations.
L’instauration d’un « FATCA européen » ne doit pas se limiter à la généralisation d’une clause d’échange automatique d’informations par le biais de la révision des directives européennes de 2003 sur l’épargne et de 2011 sur la coopération administrative. Au sein de la commission d’enquête, il est proposé d’aller plus loin et d’étendre la communication des informations bancaires à toutes les banques du monde présentes en Europe, sous peine d’une retenue à la source sur leur bénéfice.
Cet accord devra, cette fois, s’appliquer sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes par tous les États. La force de l’Union européenne à vingt-huit permettrait ensuite de négocier des conventions fiscales, notamment avec la Suisse, à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé, à l’instar des accords Rubik bilatéraux.
L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains d’entre eux, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels mettant en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg, concernant les leaders mondiaux de l’économie numérique, au titre tant de la TVA que de l’impôt sur les sociétés.
Je note néanmoins que, ces derniers mois, de très nombreux signaux encourageants sont apparus en termes d’évolution des mentalités et de coopération internationale. Sous l’effet de la crise financière et bancaire, qui a mis en évidence le caractère plus que jamais inadmissible de l’incivisme fiscal des particuliers et des entreprises, la lutte contre l’évasion fiscale internationale est, depuis plusieurs mois, inscrite à l’ordre du jour des principales instances de décision, aux échelles mondiale et européenne. En particulier, l’échec des accords Rubik montre que le seuil de tolérance aux pratiques d’opacité financière, notamment en Allemagne ou au Royaume-Uni, a largement baissé.
Les pays du G8, en juin dernier, tout comme ceux du G20, lors du sommet de Saint-Pétersbourg, début septembre, ont réaffirmé avec force leur souhait de mettre en place l’échange automatique d’informations fiscales. L’échéance de la fin de l’année 2015 est même régulièrement évoquée. Après les premières petites avancées de pays comme la Suisse, l’Autriche et le Luxembourg concernant le secret bancaire ou la directive européenne sur l’épargne, c’est un nouveau pas en avant vers la transparence et l’équité fiscale qu’il nous faut forcer.
Par ailleurs, je me réjouis que le G20 ait pris en compte les recommandations de l’OCDE relatives à la taxation des multinationales, notamment celles du secteur du numérique, qui pour l’heure peuvent aisément se soustraire à l’impôt.
Enfin, l’Union européenne avance également à petits pas vers la révision de la directive sur l’épargne et a adopté une directive visant à renforcer la coopération administrative entre États, qui entrera bientôt en vigueur.
Confronté, comme la plupart de ses partenaires européens, à l’exigence de redresser ses comptes publics, notre pays a pris toute sa part dans ce mouvement pour faire revenir sur son territoire les ressources qui lui sont dues. Nos représentants ont exprimé, aux échelons européen et mondial, cette ambition de justice et d’équité qui peut permettre, à terme, de faire disparaître le secret bancaire et de faire reculer massivement les pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales.
Au plan interne, si le Gouvernement a mis en place soixante mesures fortes par le biais d’un projet de loi volontariste que nous avons voté, il faut également noter que la circulaire du mois de juin dernier prise par le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, a permis, en quatre mois, une augmentation significative du nombre de dossiers de demande de régularisation. Ce sont ainsi près de 8 500 fraudeurs, d’après les derniers chiffres dont je dispose, qui se sont fait connaître auprès de l’administration fiscale, soit deux fois plus qu’au cours des quatre années précédentes. Cette évolution, conséquence directe de la mise en œuvre des mesures gouvernementales, traduit la peur qu’inspirent les pressions nationales et internationales et le resserrement des mailles du filet. Cela montre que la tendance s’inverse – sur ce point, je suis plus optimiste que les précédents orateurs –, que les efforts engagés insécurisent les fraudeurs et instillent le doute quant à l’intérêt du bénéfice escompté par rapport aux risques encourus.
Chers collègues, l’étau se resserre, mais la bataille est encore loin d’être gagnée. Un certain nombre des soixante et une propositions que nous avions formulées au sein de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale, en 2012, ont été mises en œuvre ; d’autres sont à l’étude. Je souhaite que de nouveau notre voix soit entendue, que nos propositions trouvent une traduction dans la législation et dans nos appareils de contrôle. Le Sénat est pleinement dans son rôle de surveillance, de contrôle et d’évaluation en accomplissant cette mission au service du pays. Chacun de nos concitoyens appelle de ses vœux la justice fiscale et doit contribuer, en fonction de ses moyens, à la solidarité nationale.
En conclusion, je me réjouis de l’émergence d’un consensus national au-delà des sensibilités politiques, comme en témoigne l’adoption à l’unanimité des deux rapports, pour qu’enfin le monde de la finance soit mieux encadré. Nous ne réussirons à redresser nos comptes publics, à lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment et l’opacité du système financier que si nous sommes unis, prêts à soutenir les efforts de ceux qui, aux responsabilités, agissent, prêts à écouter ceux qui font des propositions utiles, notamment au Parlement, pour améliorer l’efficacité de nos dispositifs de lutte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que n'appartenant pas à la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l'évasion fiscale, je m'exprimerai au nom de mon groupe, en l'absence de mon excellent collègue et ami Yvon Collin, sur ce sujet de première importance.
J’ai cru comprendre que l'actualité politico-judiciaire a parfois rattrapé les travaux de la commission d'enquête, qui se sont déroulés dans une atmosphère quelque peu tendue : il est inutile de revenir sur les révélations de ces derniers mois, qui ont bouleversé certaines certitudes quant au caractère inébranlable du secret bancaire et de l'opacité des centres offshore par lesquels transitent la fraude et l'évasion fiscales.
Les conclusions de cette commission d'enquête sénatoriale n’en restent pas moins très intéressantes et méritent toute l’attention du législateur, à l’instar de celles de la commission d’enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France, en 2012.
Les travaux de la commission d’enquête présidée par M. Pillet ont débuté quelques mois seulement après les révélations du dossier Offshore Leaks. Depuis, les dirigeants des plus grandes puissances se mobilisent pour mettre en œuvre l'échange automatique d'informations, considéré désormais comme la solution pour lutter contre ces fléaux.
À la suite de l’adoption en 2010, par les États-Unis, de la loi FATCA obligeant l'ensemble des établissements financiers du monde à fournir les informations qu'ils détiennent sur les comptes et les flux financiers concernant directement ou indirectement des contribuables américains, les déclarations prônant l'échange automatique d'informations se sont multipliées.
Le 9 avril 2013, le ministre français de l'économie et des finances adresse, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, un courrier à la Commission européenne demandant l'instauration d'un « FATCA européen ».
Fin avril 2013, les ministres des finances du G20, réunis à Washington, exhortent la communauté internationale à adopter l'échange automatique d'informations.
Le 12 juin, la Commission européenne publie une proposition tendant à étendre l'échange automatique d'informations entre les administrations fiscales de l’Union européenne.
Le 18 juin, David Cameron, ayant réuni ses homologues du G8 en Irlande du Nord, fait montre d'une grande détermination à lutter contre l'optimisation fiscale et contre les paradis fiscaux, y compris dans les territoires rattachés à la Couronne britannique. En outre, l'ensemble des dirigeants présents à ce sommet appellent à faire de l'échange automatique d'informations le « nouveau standard mondial ».
Le 20 juillet, lors de la réunion des ministres des finances du G20 à Saint-Pétersbourg, l'OCDE présente son plan d'action pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices, le BEPS.
Le 26 juillet, la France promulgue la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui comporte certaines dispositions visant à lutter contre les paradis fiscaux.
En septembre, le parlement suisse entérine l'accord avec les États-Unis relatif à la mise en œuvre du FATCA.
Enfin, le 5 novembre, le Parlement adopte définitivement le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ce texte, dont certaines dispositions viennent d'être censurées par le Conseil constitutionnel, comporte, à n'en pas douter, des avancées qui permettront de pallier certaines carences mises en évidence par le rapport de la commission d'enquête.
Ainsi, la définition d'un délit de fraude fiscale aggravée, commis en bande organisée, permettra de mieux sanctionner les intermédiaires, qui échappent aujourd'hui à toute condamnation, mais sans qui la fraude fiscale serait sans doute, dans la plupart des cas, impossible.
À l'échelle internationale, l'OCDE est en train d'élaborer un « modèle de convention standardisé pour l'échange automatique d'informations », qu'elle devrait présenter dans le cadre de la prochaine réunion des ministres des finances du G20, qui se tiendra à Brisbane, en Australie, en septembre 2014.
Si l'échange automatique d’informations semble aujourd'hui s'imposer, c'est bien parce que les solutions précédemment mises en œuvre ont échoué. Ainsi, les différentes listes de paradis fiscaux ne se sont guère révélées efficaces ; elles sont aujourd'hui presque vides. Quant aux conventions bilatérales d'échange d'informations sur demande, si leur nombre a explosé depuis quelques années, on voit bien que la coopération effective est loin d'être une réalité avec tous les États. De même, les évaluations réalisées dans le cadre de la revue par les pairs ne semblent pas suivies d'effet.
L'échange automatique d’informations devrait permettre de lever un certain nombre d'obstacles qui ont permis jusqu'à présent à une concurrence fiscale dommageable de perdurer, voire de prospérer. Il faut donc se féliciter des prémices de sa mise en œuvre au niveau mondial. Toutefois, permettez-moi de ne pas être aussi enthousiaste que d'autres orateurs, car il me semble que, si l'échange automatique d'informations constitue une avancée indéniable, il ne résout pas un certain nombre de difficultés qu'il faudra nécessairement lever pour lutter efficacement contre la fraude et l'optimisation fiscales.
Ces difficultés se manifestent sur deux plans.
En amont, tout d'abord, les faiblesses du système juridique, institutionnel et fiscal de certains territoires conduisent tout simplement à l'absence d'informations échangeables ou à des informations très lacunaires. Pour ces juridictions totalement opaques, l'échange automatique d'informations ne changera rien. Quelles solutions la communauté internationale envisage-t-elle pour régler ce type de situations ?
En aval, ensuite, se pose la question du traitement et de l'exploitation des informations recueillies. Les moyens financiers et humains des administrations chargées de la lutte contre la fraude et le blanchiment, qui sont très largement insuffisants, comme le souligne le rapport de la commission d'enquête, devront être très significativement renforcés.
Je citerai, à titre d'exemple, une phrase tirée du rapport concernant TRACFIN : « Les efforts de productivité demandés à TRACFIN ne sont pas réalistes. Avec quatre-vingt-dix fonctionnaires pour traiter 30 000 informations par an, le déséquilibre est patent. » Or, avec l'échange automatique d'informations à l'échelle mondiale, ce déséquilibre sera plus manifeste encore.
En outre, au-delà des moyens, les compétences techniques de ceux qui sont chargés de surveiller une innovation financière toujours plus complexe doivent être adaptées. Comme le souligne le rapport, « le contrôle fiscal ainsi que les superviseurs financiers pourraient sans douter réaliser des gains de productivité par une meilleure coordination de leurs actions, […] ou encore par le développement du capital humain, qui appelle une formation permanente ».
Dès lors, les préconisations du rapport de la commission d'enquête visant à allouer des moyens suffisants à la lutte contre la fraude, l'évasion fiscale et le blanchiment, ainsi qu’à renforcer les effectifs et l'éventail de compétences de certaines entités spécialisées, sont plus que jamais d'actualité.
Le chemin à parcourir pour lutter efficacement contre la fraude et l'évasion fiscales reste long, aux plans tant national qu'international. C'est pourquoi, s'il faut soutenir sans hésitation l'échange automatique d'informations, il ne faut pas le considérer comme une solution miraculeuse et universelle. En effet, le meilleur remède reste sans conteste la dissuasion, grâce à la mise en place d’une politique exemplaire et systématique d'une grande fermeté à l'égard des fraudeurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de mes nombreux déplacements à l’étranger, à la rencontre des communautés françaises expatriées, j’observe dans certains pays la réalité de l’évasion fiscale.
Je précise d’emblée que, malheureusement, un amalgame est très souvent pratiqué entre évadés fiscaux et expatriés, dont le départ est motivé par l’exercice ou la recherche d’un emploi à l’étranger. Je peux d’ailleurs témoigner que tous les expatriés ne roulent pas sur l’or, tant s’en faut !
L’évasion fiscale est une notion assez stigmatisante, qui ne reflète qu’une partie de la réalité. Il existe certes des personnes possédant de très gros patrimoines qui choisissent de s’installer dans un paradis fiscal. Si cette attitude est condamnable, elle peut toutefois se comprendre, en raison du matraquage fiscal pratiqué en France aujourd’hui. (M. Michel Berson s’exclame.)
Pour autant, l’érosion de la base fiscale et les témoignages d’avocats fiscalistes, notamment, nous donnent à penser que cet exil fiscal s’est accéléré au cours des dernières années.
À ce sujet, je tiens à saluer la pugnacité du président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, qui, à force d’insistance, est parvenu à obtenir de la Direction générale des finances publiques des données très instructives et édifiantes sur les départs à l’étranger de gros contribuables.
Ces données ne couvrent que la période courant jusqu’en 2011. Les chiffres pour l’année 2012 ne pourront être connus qu’au second semestre de 2014, mais la dynamique est engagée. Espérons que la communication établie entre l’administration et le Parlement perdurera et permettra de mesurer avec plus de précision la tendance actuelle, qui a une incidence importante sur nos recettes publiques.
L’Assemblée des Français de l’étranger, présidée de droit par le ministre des affaires étrangères, a en effet constaté qu’il était le plus souvent impossible de connaître le montant des prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers et les plus-values immobilières de source française des non-résidents fiscaux, de même que la répartition entre non-résidents fiscaux, quelle que soit leur origine.
Pour mémoire, les revenus de location d’immeubles et les plus-values immobilières des non-résidents fiscaux sont désormais soumis aux prélèvements sociaux, en sus des droits d’enregistrement.
Le Sénat, quant à lui, s’intéresse depuis longtemps à l’évasion des capitaux. Le débat d’aujourd’hui s’inscrit donc dans la continuité de celui que nous avions eu en octobre 2012, à la suite de la publication du rapport de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.
Ce rapport fut le fruit d’un travail collectif de près de six mois, réunissant des sénateurs de toutes tendances politiques. Le rapport de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières présente, quant à lui, une analyse effectuée sous un angle différent.
Cette analyse de la complexité des circuits bancaires et de l’opacité des pratiques financières permettra de mieux cerner les limites légales de l’optimisation fiscale. Autrement dit, la question à laquelle ces rapports parlementaires visent à répondre est la suivante : y a-t-il une incitation à la fraude ?
Les grandes banques ont toutes, en effet, des filiales dans les paradis fiscaux. Quel est, par ailleurs, le rôle des multiples intervenants : avocats fiscalistes, assureurs, conseillers, sociétés financières, etc. ?
Par exemple, le shadow banking est un système parallèle qui regroupe des acteurs exemptés des disciplines s’appliquant aux banques. Il peut s’agir, pêle-mêle, de sociétés financières, de véhicules de titrisation, de fonds monétaires, de courtiers en valeurs mobilières, de hedge funds, parmi bien d’autres entités encore. Ce système représenterait près de la moitié du secteur bancaire régulé, soit 51 trillions de dollars en 2011….
Néanmoins, la lutte contre la fraude fiscale doit faire l’objet d’un travail en profondeur, transpartisan et étranger à toute volonté de récupération politique, à l’image de celui du Sénat.
Ainsi, soucieux de limiter l’onde de choc et le discrédit jeté sur la classe politique, le groupe UMP n’a pas approuvé la réaction à chaud du Gouvernement au lendemain de l’affaire Cahuzac et des dégâts qu’elle a occasionnés dans l’opinion. La censure, hier, par le Conseil constitutionnel de plusieurs articles de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale est l’illustration la plus fragrante des travers de la démarche du Gouvernement, monsieur le ministre.
Pour sa part, le rapport de la commission d’enquête est le fruit d’un travail plus réfléchi, qui a abouti à un certain nombre de propositions auxquelles je souscris bien entendu très largement.
Je partage l’idée d’améliorer la prévention par un renforcement de la transparence, mais aussi et surtout par une harmonisation fiscale à l’échelon européen, absolument nécessaire. Il convient également de renforcer la répression.
Au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger, nous avons depuis longtemps reconnu la nécessité d’adopter certaines mesures, parmi lesquelles le renforcement de la coopération et de l’harmonisation fiscale, en particulier en Europe, l’amélioration de la surveillance fiscale des opérations de cession, d’acquisition et de fusion, l’adoption d’une approche pragmatique de la problématique, au spectre très large, des prix de transfert.
À travers l’ensemble des propositions allant dans le sens indiqué, le rapport de la commission d’enquête, adopté à l’unanimité, démontre une fois encore la qualité du travail sénatorial. Je souhaite remercier le président de la commission d’enquête, François Pillet, et le rapporteur, Éric Bocquet, d’avoir su travailler dans un climat constructif, en dépit de la diversité de leurs opinions, pour aboutir à un rapport objectif, dont, je l’espère ardemment, les propositions permettront de faire œuvre utile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe CRC a été particulièrement inspiré de demander la création de cette seconde commission d’enquête sur la fraude et l’évasion fiscales et, en l’espèce, sur le recours aux services des établissements bancaires pour développer ces pratiques illégales ou aux franges de l’illégalité.
Il importait, à notre sens, de donner aux parlementaires, aux militants politiques, syndicaux, associatifs et, de manière plus générale, aux citoyens à réfléchir sur ces questions qui ont particulièrement occupé l’espace du débat depuis 2008.
Notre collègue Éric Bocquet, rapporteur des deux commissions d’enquête, constate d’ailleurs, en chaque occasion, un intérêt particulier pour l’ensemble des questions soulevées, qu’il s’agisse de la structure et de la consistance de la fraude et de l’évasion fiscales ou des acteurs et des auteurs de celles-ci, ainsi que des processus, des rouages et des circuits qui les organisent, les légitiment parfois.
Le monde de la finance n’a peut-être pas qu’un seul visage, pour reprendre une expression utilisée voilà moins de deux ans. Cependant, grâce au travail accompli par les deux commissions d’enquête du Sénat, il commence à être un peu mieux connu qu’il ne l’était jusqu’ici.
Cela n’est pas sans intérêt au moment où nous sommes confrontés au double défi de la nécessaire réforme fiscale et du redressement de notre pays, de son économie, de la reconstruction de la société selon des liens humains, fraternels et ouverts rendant possible le vivre ensemble.
Il ressort du rapport de cette seconde commission d’enquête que nos établissements de crédit ne jouent pas tout à fait le rôle que l’on serait en droit d’attendre d’eux, surtout dans le contexte économique et social actuel.
Pour nous, les établissements de crédit ont une fonction principale : dans le respect des conditions et des critères de solvabilité et de prudence requis, ils doivent faire en sorte que l’argent disponible, déposé par les particuliers, les entreprises, les collectivités locales soit affecté au soutien à l’activité économique. Telle est la dimension nodale de l’intervention bancaire dans notre pays.
Élue d’un département de forte tradition industrielle, mais lourdement frappé au cours des dernières décennies par les plans sociaux et les fermetures ou réductions d’activité et comptant aujourd’hui plus de 37 000 demandeurs d’emploi de catégorie A et près de 58 000 toutes catégories confondues, dont plus de 10 000 ne perçoivent plus désormais que le revenu de solidarité active, je sais les difficultés que rencontrent de nombreuses entreprises pour accéder au crédit bancaire, qu’il s’agisse de disposer d’une ligne de trésorerie pour faire face, notamment, à leurs obligations légales, sociales et fiscales ou de crédits leur permettant d’investir dans de nouveaux matériels ou processus de production, projets susceptibles de déboucher sur la création de nouveaux emplois.
Grosso modo, 10 milliards d’euros de revenus transitent chaque année sur les comptes bancaires des Ligériens. Les chiffres sont d’ailleurs corroborés par la Banque de France, qui indique que, sous une forme ou sous une autre – dépôts à vue, comptes sur livret, etc. –, 16,9 milliards d’euros sont disponibles dans les établissements de crédit du département de la Loire pour financer l’activité économique. À la même date, 16,4 milliards d’euros de crédits sont accordés à l’économie, dont 9,9 milliards sont, par nature, des crédits de long terme, puisqu’il s’agit de prêts immobiliers.
Que l’on ne s’y trompe pas, cette situation n’a rien d’exceptionnel ; elle est la marque d’un pays où l’on ne fait pas confiance aux entreprises quand elles veulent se développer, créer de la richesse et des emplois.
En septembre 2013, malgré la mise en place de la Banque publique d’investissement, la BPI, et la séparation des activités bancaires, la mobilisation des sommes disponibles au service du développement de l’activité économique restait donc faible.
Ainsi, à l’échelle nationale, pour un million de PME, plus de 50 milliards d’euros de ressources de crédit sont inemployées, et il en va de même pour nos 5 000 entreprises de taille intermédiaire.
Pour entrer davantage dans le détail, si le secteur de l’habitat et de l’immobilier bénéficie toujours d’un certain soutien financier, puisqu’il représente près de 328 milliards d’euros d’encours de crédits – il s’agit souvent d’emprunts de long terme –, l’industrie manufacturière est en délicatesse avec les banques, dans la mesure où, à la fin du mois de septembre, son encours de crédits s’élevait à 94,2 milliards d’euros, pour une enveloppe disponible de 184,8 milliards d’euros, soit un taux de mobilisation des capacités de crédit de 51 %, fort éloigné des 77 % communément atteints.
Il est donc temps que les banques changent de pratiques et de priorités, qu’il s’agisse de leurs activités de siège ou de celles de détail. Des choix de gestion bancaire privilégiant les activités pour compte propre, les opérations les plus juteuses et les plus rentables à court terme – collecte de l’épargne salariale à vue, captation de la trésorerie des entreprises, distribution de produits d’épargne défiscalisés – ne doivent plus conduire à brider, voire à anéantir, les potentiels de croissance, de création d’emplois, de réponse aux besoins collectifs. Et je ne parle même pas des opérations d’optimisation fiscale menées de longue main à partir des établissements de détail vers les filiales implantées dans des paradis fiscaux !
À nos yeux, la situation du secteur bancaire de notre pays suffit à prouver que nos difficultés ne tiennent pas à un « coût du travail » – pour reprendre une détestable expression très à la mode – qui serait trop élevé, à un système de prélèvements fiscaux et sociaux qui serait à la fois pesant et incompréhensible, à une absence d’innovation, de recherche et de développement… Pour notre part, nous sommes convaincus que la source de nos maux réside bel et bien dans une dichotomie dramatique entre capacités de financement et besoins de financement.
Alors que notre pays dispose de quelques-unes des grandes banques européennes et mondiales, riches de compétences et de capacités d’expertise, alors que le taux directeur de la Banque centrale européenne – grande caisse de refinancement de tous les acteurs du secteur financier – n’a jamais été aussi faible, il est anormal que nous ne puissions toujours pas envisager plus de neuf dixièmes de point de croissance du PIB pour 2014. Il n’est d’ailleurs même pas certain que cette croissance sera écologiquement responsable et acceptable !
À quelques jours de l’examen d’un collectif budgétaire par lequel la dette de l’État soldera définitivement le coût du désastre du Crédit lyonnais, il est grand temps que la puissance publique prenne l’initiative d’une nouvelle orientation de notre secteur bancaire. Pour reprendre l’image employée par notre collègue Corinne Bouchoux, il s’agira certainement de la « saison 3 » d’une série commencée il y a maintenant un peu plus de deux ans.
Monsieur le ministre, si nous nous félicitons bien sûr de votre présence dans cet hémicycle, nous regrettons cependant qu’aucun des ministres du « pôle de Bercy » n’ait pu vous accompagner.
Mme Nathalie Goulet. Remarque très pertinente !
Mme Cécile Cukierman. La libéralisation et la maîtrise privée du secteur bancaire n’ont pas apporté à l’économie française ce qui avait été annoncé. Les collectivités territoriales ont d’ailleurs payé pour l’apprendre, avec la faillite de Dexia, qui, au cours des dernières années, a distribué des emprunts toxiques pour lesquels aucune solution admissible n’a, de notre point de vue, encore été trouvée.
L’heure est aujourd’hui à la fixation de règles plus strictes en matière d’allocation des ressources des banques –cela peut commencer avec l’épargne défiscalisée – et, en tant que de besoin, au placement sous tutelle publique des établissements dont les pratiques ne seraient pas conformes aux nécessités du temps.
Le Gouvernement peut naturellement compter sur nous pour prendre l’initiative de nombreuses propositions et travailler avec lui à l’élaboration de solutions concrètes. Je le répète, il s’agit là d’un enjeu crucial pour notre économie, et partant pour nos concitoyennes et nos concitoyens. À cet égard, je salue de nouveau le travail accompli par l’ensemble des membres de la commission d’enquête, sous la houlette de son rapporteur, Éric Bocquet, et de son président. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Berson.