M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Madame la sénatrice, dans un État de droit, il n’est pas possible de communiquer la liste des évadés fiscaux.
M. Roger Karoutchi. Heureusement !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le secret fiscal ne permet pas de diffuser de telles informations. En revanche, les rapporteurs généraux et les rapporteurs spéciaux des assemblées peuvent avoir accès à la totalité des éléments dont nous disposons en la matière.
Le secret fiscal n’est pas un outil de dissimulation : c’est l’assurance que, dans le cadre d’une procédure contradictoire, chacun pourra faire valoir ses droits.
Vous insistez sur la nécessité de lutter avec force contre la fraude fiscale. Le Gouvernement a repris, dans les dispositions qu’il fait adopter depuis de nombreux mois, une grande partie des propositions formulées par un sénateur de votre groupe, M. Éric Bocquet.
Ce sont ainsi près de soixante mesures de lutte contre la fraude fiscale des entreprises et l’optimisation fiscale qui ont été arrêtées par le Gouvernement depuis dix-huit mois. Elles visent en particulier à éviter la déduction des intérêts en France et le transfert des bénéfices à l’étranger ou à rendre obligatoire la transmission de la comptabilité analytique. Je citerai également l’inversion de la charge de la preuve en cas de transfert de bénéfices, le dispositif législatif présenté par Christiane Taubira et moi-même tendant à durcir considérablement les sanctions pénales à l’encontre des entreprises qui fraudent. Pour 2014, nous attendons 2 milliards d’euros de recettes au titre de la lutte contre la fraude fiscale. Ce serait un montant très important au regard des chiffres constatés les années précédentes.
Mme Annie David. Pour quel résultat sur l’emploi ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. D’ailleurs, la circulaire prise au moins de juin a conduit plus de 6 000 contribuables français à déposer des dossiers auprès de l’administration fiscale en vue de régulariser leur situation. C’est davantage qu’au cours des trois dernières années réunies, ce qui donne à penser que nous pourrions dépasser notre objectif de recettes au titre de la lutte contre la fraude fiscale.
Nous sommes déterminés à lutter contre les fraudeurs et à compléter notre arsenal législatif et juridique en la matière. Jamais un gouvernement n’a lutté aussi résolument contre la fraude fiscale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
baby-loup et la laïcité
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Hier, la cour d’appel de Paris a confirmé la légalité du licenciement d’une salariée de la crèche associative Baby-Loup, au motif que celle-ci refusait d’ôter son voile islamique sur son lieu de travail, en dépit du règlement intérieur de la crèche et des avertissements de sa direction. L’affaire paraît simple. Pourtant, elle ne l’est pas, à cause de l’imbroglio judiciaire.
Elle a débuté dès 2008 et a donné lieu à plusieurs renversements de jurisprudence. Hier encore, l’avocat de la plaignante a annoncé son intention de poursuivre le parcours judiciaire, y compris devant les juridictions européennes. Ce marathon judiciaire est absurde. Si la réponse juridique est si complexe, c’est parce que la loi n’est pas claire. Et si la loi n’est pas claire, il incombe au législateur de la préciser, dans le respect du principe de laïcité.
Pour des femmes et des hommes attachés à la République et à ses valeurs d’émancipation, comme le sont les radicaux et comme doivent l’être tous les vrais républicains, défendre la laïcité est un devoir ; plus encore, c’est un honneur ! Ne laissons pas des imposteurs s’en emparer et la détourner pour s’attaquer aux fondements de la République.
Avec mes collègues du RDSE, et sur l’initiative de Françoise Laborde, nous avons déposé une proposition de loi, qui a été adoptée en 2012 par le Sénat, avec le soutien notamment du groupe socialiste. Ce texte institue le cadre nécessaire à l’obligation de neutralité religieuse dans les crèches. Comment contester que le principe de laïcité y a, comme dans toutes les écoles et dans toutes les entreprises publiques, toute sa place ?
Monsieur le ministre, il est temps d’agir ! Il faut une loi qui tranche très clairement cette question. Ne laissons plus aux seuls juges le soin d’apporter des réponses variables et circonstancielles. Il faut sortir de ce qui ressemble à une stratégie d’attente et de fuite ! Il ne faut plus sous-estimer les mécanismes de remise en cause de la laïcité dans certains territoires de notre République. Le courage et l’esprit de responsabilité nous commandent d’agir.
Ma question est simple : le Gouvernement va-t-il accepter de confier au Parlement la charge de protéger la laïcité et d’apporter une solution législative à une question qui ne doit plus se poser, ni à Chanteloup-les-Vignes ni ailleurs ? Pourquoi ne pas permettre à notre proposition de loi, déjà adoptée par le Sénat, d’être examinée au plus vite par les députés ? À moins que vous ne préfériez, monsieur le ministre, présenter un projet de loi ? En tout état de cause, il faut élaborer sans tarder une loi de la République sur ce sujet : c’est la seule réponse qui vaille ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt d’hier, a en effet considéré que le licenciement de la salariée de la crèche Baby-Loup était régulier, celle-ci n’ayant pas respecté l’obligation de neutralité imposée par le règlement intérieur de l’entreprise, règlement que la cour d’appel a jugé suffisamment précis et dont les restrictions lui sont apparues justifiées par la nature de la tâche confiée et proportionnées au but recherché, sans porter atteinte à la liberté religieuse et sans être discriminatoires.
La cour d’appel de renvoi a donc pris une décision différente de celle qui avait été rendue par la Cour de cassation le 19 mars 2013. Vous comprendrez qu’il n’appartient pas, à ce stade, au Gouvernement de commenter une décision de justice, d’autant qu’un nouveau pourvoi en cassation est possible et pourrait aboutir à un arrêt d’assemblée plénière.
Cette difficulté d’interprétation du droit est l’un des éléments qui avaient justifié, pour le Gouvernement, la saisine dès le mois d’avril dernier de l’Observatoire de la laïcité par le Président de la République. Au terme d’une réflexion approfondie et après avoir mené une concertation élargie, l’Observatoire de la laïcité a remis un avis très étayé, qui conclut à ce que le droit actuel permet de répondre aux interrogations posées par les acteurs de la petite enfance, qu’ils relèvent du domaine public ou du secteur privé. Selon cet avis, une nouvelle loi n’est pas nécessaire.
MM. René Garrec et Charles Revet. C’est vrai !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il revient maintenant naturellement au Gouvernement d’arrêter sa position. Conformément à sa volonté initiale et conforté par cet avis, le Gouvernement va poursuivre sa réflexion dans un esprit d’apaisement, de responsabilité, avec le souci constant du respect des valeurs de la République.
Il nous revient de retrouver les chemins du rassemblement des énergies et de l’apaisement des tensions. Le Premier ministre indiquera, le moment venu, les initiatives que le Gouvernement entend prendre pour encadrer le fait religieux dans les structures qui assurent une mission d’accueil des enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
situation économique et fiscale
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Roger Karoutchi. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget.
Hier, le Sénat a rejeté le projet de budget. Ce matin, il a confirmé son rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014. Selon nous, il y a trop d’impôts, trop de taxes, pas assez de baisse de la dépense publique. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Entre le « ras-le-bol » fiscal relevé par M. Moscovici et la pause fiscale souhaitée par le Président de la République, vous avez fait trop d’annonces, de promesses, alors que les Français, à la lecture de leur avis d’imposition, ne voient ni pause fiscale ni réduction de l’impôt. Quant à l’engagement du Premier ministre d’engager une réforme fiscale, c’est évidemment un leurre.
M. Roland Courteau. Qu’en savez-vous ?
M. Roger Karoutchi. En réalité, sans baisse massive des dépenses publiques, il ne peut pas y avoir de diminution de l’impôt. On peut ainsi, durant tout le quinquennat, promettre beaucoup et ne pas tenir grand-chose…
Choc du verbe et promesses prévalent également en matière de chômage. Voilà quelques mois, le Président de la République annonçait l’inversion de la courbe du chômage, mais on continue de détruire des emplois, notamment industriels, de manière massive, les plans sociaux se multiplient, les délocalisations se poursuivent,…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela n’a pas commencé il y a deux ans !
M. Roger Karoutchi. … les investisseurs nationaux et étrangers n’y croient pas et n’investissent pas chez nous ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Le Président de la République, ce matin, ne semblait plus tout à fait d’accord avec lui-même, c’est le moins que l’on puisse dire ! Il a affirmé qu’il y aurait une inversion de la courbe du chômage « un jour », le problème étant de savoir quel jour… (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Roland Courteau. Vous ne manquez pas d’air, avec votre bilan !
M. Roger Karoutchi. En réalité, c’est toujours pareil : le choc du verbe d’un côté, la réalité concrète, immédiate, de l’autre.
Monsieur le ministre, manifestement, la boîte à outils a disparu ou elle a été enterrée dans le jardin ; manifestement, il n’y a plus de solution miracle ; manifestement, la situation de la France continue d’être pire que celle de ses voisins. Eux se redressent. Nous, nous sommes en berne, pour l’investissement, pour l’emploi, pour la fiscalité !
Je n’aurai pas la cruauté, monsieur le ministre, de demander, comme certains députés socialistes l’ont fait hier encore, quand nous allons changer de gouvernement. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Pour nous, ce n’est pas une question d’hommes, c’est une question d’orientations, de ligne politique. Monsieur le ministre, quand ce gouvernement va-t-il décider de changer de cap pour redonner confiance aux Français ? Vous devez écouter l’exaspération de nos concitoyens et prendre conscience que la France ne peut pas continuer comme cela ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du budget.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Monsieur le sénateur Karoutchi, je vous remercie de vos propos tout en nuances (Sourires sur les travées du groupe socialiste.), parfaitement équilibrés, absolument pas partisans, frappés au coin de la plus pure bonne foi.
Vous évoquez trois sujets : la fiscalité, la dépense et l’emploi.
En ce qui concerne la dépense, vous considérez qu’elle est insuffisamment maîtrisée aujourd'hui.
M. Roger Karoutchi. C’est la réalité !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous rappellerai quelques chiffres, car eux seuls sont à même de nous mettre d’accord.
Sous le gouvernement auquel vous avez participé,…
M. Alain Gournac. C’est reparti !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … la dépense publique a fortement augmenté. (Protestations sur les travées de l'UMP.) En pourcentage, elle s’est accrue, entre 2002 et 2012, de plus de 2 % par an en moyenne.
M. Alain Gournac. C’est vous qui tenez les manettes, maintenant !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le projet de budget que vous avez rejeté hier prévoit une diminution de 1,5 milliard d’euros des dépenses de l’État, dans le cadre d’un effort d’économie de 15 milliards d’euros.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas assez !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce n’est pas assez, dites-vous, monsieur Karoutchi ? Voilà qui est intéressant à entendre : 15 milliards d’euros en un an, ce n’est pas assez, mais lorsque le gouvernement que vous souteniez proposait 10 milliards d’euros d’économies en trois ans, c’était beaucoup ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) J’ai du mal à comprendre cette logique ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cointat. Vous ne savez pas compter !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En ce qui concerne les impôts, monsieur Karoutchi, ils ont augmenté de 20 milliards en 2011, de 20 milliards en 2012,…
M. Roger Karoutchi. C’était déjà vous !
M. Roger Karoutchi. C’était encore vous !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Quand le gouvernement auquel vous apparteniez a augmenté les impôts, il a pris un certain nombre de mesures, telles que la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu ou la suppression de la demi-part des veuves, qui ont considérablement accru les inégalités.
Pour notre part, nous réindexons le barème de l’impôt sur le revenu, nous augmentons le revenu fiscal de référence, nous mettons en place une décote et nous créons les conditions d’une augmentation de la pression fiscale de 1 milliard d’euros si l’on neutralise l’effet de la lutte contre la fraude fiscale, soit vingt fois moins que le dernier budget préparé par Mme Pécresse ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Voilà la réalité !
En ce qui concerne l’emploi, durant le précédent quinquennat, 750 000 emplois industriels ont été détruits.
M. Francis Delattre. Moins 130 000 depuis le début de l'année !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous confirme que l’objectif d’inverser la courbe du chômage à la fin de l’année est bien maintenu (M. Roger Karoutchi s’exclame.) et que nous faisons de la lutte contre le chômage, pour l’emploi, la croissance et le redressement de notre appareil productif la priorité du quinquennat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
délai de prescription en matière d'agressions sexuelles
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Elle concerne la prescription des violences sexuelles, agressions et viols.
Le 25 novembre dernier, au cours de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le Gouvernement a lancé une campagne pour permettre la libération de la parole des victimes. En revanche, il n’y a aucune avancée pour une autre forme de violence à la fois différente et proche, la violence sexuelle.
Celle-ci, en effet, s’exerce le plus souvent sur des enfants, filles ou garçons, majoritairement dans le cadre familial ou proche, à une période de la vie où la victime est dans l’incapacité presque totale de la dénoncer. Une femme sur quatre, un homme sur six sont victimes de violences sexuelles au cours de leur vie. Cela concerne des milliers d’enfants chaque jour.
Les victimes enfouissent ce souvenir, qui ressort quelquefois de longues années plus tard sous forme de maladies auto-immunes ou de troubles psychologiques très violents. La présidente de l’association Stop aux violences sexuelles, le docteur Violaine Guérin, nous dit que la violence sexuelle réalise le meurtre de l’âme et affecte négativement la vie des êtres humains qui en sont victimes. C’est un véritable crime contre l’humain et l’humanité.
Certaines victimes vont présenter une amnésie traumatique. C’est le cas, par exemple, de Cécile, une femme de 41 ans, violée à l’âge de 5 ans par son cousin. Malgré l’expiration d’un délai légal de prescription, cette victime a tenu à porter plainte. Devant la Cour de cassation, le 6 novembre dernier, son avocat a souligné la différence de traitement entre les victimes de violences sexuelles et les victimes d’abus de biens sociaux, ces dernières bénéficiant d’une prescription courant à partir du moment où les faits sont révélés. Notre législation considère donc que ce meurtre psychologique est moins important que les abus qui portent sur les biens matériels.
Quand allez-vous nous soumettre, madame la ministre, un projet de loi pour que la prescription des violences sexuelles soit traitée a minima comme celle des abus de biens sociaux ? Pourquoi ne pas envisager une imprescriptibilité ? Compte tenu du fait qu’une agression sexuelle ou un viol causent des dégâts psychologiques identiques, peut-on espérer qu’ils ne constituent plus qu’un seul crime, celui de violences sexuelles ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous évoquez un sujet profondément douloureux. Je connais votre implication et celle de nombre de vos collègues dans ce dossier, ainsi que la constance de votre engagement.
Nous devons trouver une solution satisfaisante et durable. La campagne de sensibilisation que le Gouvernement a engagée et les dispositions pratiques que nous avons prises pour faciliter le dépôt des plaintes concernent aussi ces victimes. Il est important que nous créions les conditions pour que la victime parle le plus tôt possible.
Vous évoquez le rapprochement du régime de prescription de celui d’un délit financier, l’abus de biens sociaux. Celui-ci, par nature, repose sur la dissimulation : il est donc logique que le délai de prescription coure à compter de la révélation du délit.
En ce qui concerne les agressions sexuelles, qui relèvent des délits, le délai de prescription est effectivement de trois ans à compter de la date où les faits ont été commis. En ce qui concerne les mineurs, le délai de prescription est de dix ans, et de vingt ans pour les faits plus graves, notamment les viols. Il court à compter du jour où la victime atteint l’âge de la majorité.
Vous proposez d’instaurer une imprescriptibilité. Les faits sont incontestablement graves. Cependant, ils ne peuvent être comparés ni à un génocide ni à un crime contre l’humanité, si dramatiques que soient les traumatismes et les violences subis par les victimes. Nous ne pouvons pas non plus confondre le régime des mineurs et celui des majeurs, les mineurs n’étant pas en état de porter plainte au moment où sont commises ces agressions.
Enfin, vous proposez d’instituer un crime unique. Cela irait à l’encontre du principe de proportionnalité qui sous-tend notre droit.
Néanmoins, je suis d’accord avec vous sur le fait que le régime des prescriptions est complexe, quelque peu touffu, et qu’il peut parfois donner l’apparence de comporter des contradictions. C’est pourquoi le Gouvernement a déjà commencé à travailler sur la modification des règles de prescription. J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet ici même, à propos de trois textes différents. Nous avançons, et je peux vous assurer que nous attachons une attention particulière aux agressions sexuelles, à ces actes absolument intolérables commis contre des enfants, filles ou garçons, contre des femmes. Nous devons aussi faire reculer l’acceptabilité sociale de ces crimes. (Applaudissements.)
plan local d'urbanisme intercommunal
M. Claude Bérit-Débat. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.
Madame la ministre, le Congrès des maires vient de s’achever. Il a permis de mesurer à quel point les maires sont légitimement préoccupés par le transfert des communes aux intercommunalités de la compétence en matière d’urbanisme. Le Premier ministre lui-même mesure toute l’importance de cette question. Il a rappelé aux maires son attachement à la solution de compromis élaborée par le Sénat lors de l’examen en première lecture du projet de loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
L’obligation d’élaborer un plan local d’urbanisme à l’échelon intercommunal était perçue par les élus, notamment ceux des petites communes, comme une forme de dépossession d’une de leurs compétences régaliennes. Conscient de cette situation, le Sénat a pleinement exercé son rôle de représentant des collectivités locales en redonnant le pouvoir de décision aux maires. Il a ainsi adopté à une large majorité une position de compromis visant à permettre à un quart des communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale, représentant au moins 10 % de la population, de s’opposer au transfert de cette compétence à l’échelon intercommunal.
Cette solution est à l’évidence équilibrée. J’irai même plus loin, en disant que ce compromis est finalement une avancée par rapport à l’état du droit existant, comme l’a souligné l’Association des maires ruraux de France. En effet, n’oublions pas que la loi Grenelle adoptée sous la précédente majorité avait autorisé le transfert de la compétence « urbanisme » à l’EPCI par un vote à la majorité qualifiée des communes membres de ce dernier.
La solution d’équilibre adoptée par le Sénat revient sur cette logique, puisqu’elle introduit une minorité de blocage au profit des plus petites communes. Madame la ministre, convaincue vous-même du bien-fondé de ce compromis, vous l’avez soutenu et vous vous êtes engagée en séance publique à ne pas y revenir en deuxième lecture.
M. Philippe Dallier. On verra…
M. Claude Bérit-Débat. Je vous en remercie infiniment.
Les maires attendent des garanties sur ce sujet extrêmement important pour eux. Un compromis existe aujourd’hui : pouvez-vous nous assurer qu’il sera préservé ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Simon Sutour. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Monsieur le sénateur, vous avez rappelé l’un des éléments importants du volet urbanisme du projet de loi ALUR : l’instauration de plans locaux d’urbanisme intercommunaux, les PLUI, qui était envisagée de longue date. C’est un sujet important. Il s’agit de permettre aux élus d’exercer pleinement une compétence que beaucoup d’entre eux n’assurent pas aujourd'hui, puisque près de 40 % des communes relèvent du règlement national d’urbanisme. Le Gouvernement souhaite apporter un appui, y compris financier, aux intercommunalités qui décideront de se doter d’un PLUI.
Monsieur le sénateur, je tiens à saluer le rôle important que vous avez joué en tant que rapporteur du projet de loi. Le sujet a suscité chez les maires des inquiétudes qui, si elles m’ont parfois paru un peu excessives, n’en étaient pas moins parfaitement légitimes. Le Sénat a adopté le dispositif que vous avez rappelé : le PLUI sera la règle, mais les élus ne souhaitant pas, pour des raisons qui leur appartiennent, le transfert à l’échelon intercommunal de la compétence en matière d’urbanisme pourront s’y opposer.
Cela n’enlève rien à la nécessité du travail intercommunal sur ce sujet, dans le respect des élus locaux et de chaque commune dont témoignent tous les PLUI déjà élaborés. Nous avons intégré des dispositions garantissant qu’aucun maire, aucune commune ne pourra être contraint par l’élaboration d’un tel document.
Des engagements ont été pris à l’égard du Sénat. Le Gouvernement a soutenu l’amendement adopté sur votre initiative par la commission des affaires économiques afin de rassurer les maires qui craignent de se voir imposer un document par l’intercommunalité. J’insiste sur la volonté extrêmement constructive qui sous-tend l’instauration du PLUI. Comme je m’y suis déjà engagée à plusieurs reprises devant vous, je défendrai votre solution devant l’Assemblée nationale. J’espère que cette position, qui est partagée par le Premier ministre, sera maintenue. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
découpage cantonal
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Antoine Lefèvre. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Monsieur le ministre, l’édition d’hier du Monde soulignait l’étonnante unité transpartisane contre la mise en application de la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, notamment contre l’institution du curieux tandem paritaire, ce nouvel élu à deux têtes sur un même territoire, mais surtout contre le redécoupage cantonal. En effet, force est de constater qu’un bon tiers des découpages proposés par les préfets recueillent des avis défavorables des assemblées départementales, même lorsqu’elles sont dominées par votre majorité. La Nièvre ne fait pas exception, non plus que mon département, l’Aisne, que je prendrai ici pour exemple.
Dans l’Aisne, seuls les parlementaires ont été informés par le préfet des grands principes de l’élaboration de la carte, le président du conseil général bénéficiant, semble-t-il, d’une écoute différenciée… Le projet de découpage n’a été communiqué à l’ensemble des élus qu’une petite semaine avant l’assemblée plénière. Il laisse pantois tous les maires.
Cette méthode ne peut qu’éveiller la méfiance des élus minoritaires. J’ai réalisé une projection à partir des résultats du dernier scrutin présidentiel dans ce département tenu par votre majorité, qui détient deux tiers des sièges au conseil général : vingt-huit sur quarante-deux. Que voit-on ? Avec le découpage actuel, votre majorité remporterait vingt-trois sièges, contre dix-neuf à l’opposition ; nous ferions donc presque jeu égal. Avec le découpage que vous proposez, il n’y aurait plus que vingt et un cantons, et votre majorité remporterait les trois quarts des sièges : quinze, contre six à l’opposition. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac. Tiens, c’est bizarre !
M. Antoine Lefèvre. Voilà un résultat bien troublant… Vous ne pouvez cacher les conséquences politiques de ce redécoupage, qui vise sans nul doute à vous assurer une majorité de sièges au conseil général et un contrôle sans partage du département.
Par ailleurs, la division par deux du nombre de cantons – leur superficie sera parfois multipliée par quatre – va de facto raréfier l’offre de services publics, en particulier dans les milieux ruraux. Vous annonciez la désertification certaine de nos territoires lorsque l’ancienne majorité proposait la création du conseiller territorial, mais, en divisant par deux le nombre de cantons, vous leur portez le coup de grâce ! Quelle jolie pirouette, monsieur le ministre !
M. David Assouline. Il y aura enfin des femmes élues !
M. Antoine Lefèvre. Les territoires ruraux seront non seulement sous-représentés, mais aussi sous-dotés.
L’ultime conséquence de votre redécoupage sera la disparition de nombreux chefs-lieux. Or le titre de bourg-centre rendait les communes concernées éligibles à la dotation de solidarité rurale, ce qui leur permettait d’assumer une partie des charges de centralité et d’aménagement du territoire, liées au maintien d’une agence postale, d’une perception, d’une caserne de sapeurs-pompiers, de collèges et d’autres équipements jouant un rôle économique et de service aux populations essentiel en zone rurale.
Même si vous avez récemment annoncé le maintien de l’éligibilité à la dotation de solidarité rurale de ces communes jusqu’en 2017, qu’en sera-t-il après cette date ? Monsieur le ministre, ma question est simple : si nous avons bien compris que vous aviez pleine conscience des avantages électoraux que devrait vous apporter le redécoupage cantonal, avez-vous aussi conscience de tous les effets négatifs qu’il aura sur la vie des territoires ? Si oui, quel cynisme ! Nous ne pouvons le croire… (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)