M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une économie de 15 milliards d’euros sur la dépense publique : c’est l’effort sans précédent que prévoit le projet de loi de finances pour 2014 afin d’assurer le redressement de la situation financière de la France.
Quant au montant total des dépenses de l’État pour les outre-mer, il s’élève à 18,3 milliards d’euros. Ces dépenses sont retracées dans un document de politique transversale réservé aux outre-mer, qui sont ainsi les seuls territoires français à faire l’objet d’un document territorialisé.
Ce coût, ainsi rendu public, est vite jugé excessif par certains, qui demandent régulièrement et avec constance que l’on procède à des coupes claires dans le budget des outre-mer.
L’exemple le plus frappant est celui des mécanismes de défiscalisation, qui portent aussi le nom plus évocateur de « niches fiscales outre-mer ». Le précédent gouvernement n’avait pas hésité à répondre favorablement aux chants de ces sirènes, nous infligeant ce que nous qualifions de « double peine » : à la peine résultant de la crise il en a ajouté une autre, liée aux coups de rabot successifs sur ces fameuses niches fiscales.
En raison de la priorité accordée par l’État aux dispositifs fiscaux par rapport aux dotations budgétaires pour favoriser le développement des outre-mer, les collectivités ultramarines subissent plus que les autres territoires les effets de la politique de réduction des dépenses fiscales.
Or les diminutions intervenues en 2011 et en 2012 sont loin d’avoir été toutes compensées par une augmentation correspondante des crédits budgétaires. Au total, les outre-mer ont perdu plus de 400 millions d’euros pendant cette période par rapport aux années précédentes.
Le gouvernement actuel a le mérite de résister à toutes ces pressions cartiéristes et d’intervenir avec une plus grande équité, en prenant mieux en compte la réalité des outre-mer.
C’est ainsi que les autorisations d’engagement prévues pour 2014 s’élèvent à 14,3 milliards d’euros, et les crédits de paiement à 14,2 milliards d’euros ; ces chiffres sont quasiment les mêmes qu’en 2013. En particulier, les crédits de la mission « Outre-mer » croissent de 1 %. Quant aux dépenses fiscales, elles se maintiennent à 3,98 milliards d’euros.
Les financements prévus sont donc équivalents à ceux de cette année, voire en légère hausse. Ils accompagnent une politique qui s’inscrit elle aussi dans la continuité : la priorité accordée au soutien à l’emploi, au logement, aux entreprises et à l’investissement public est en effet réaffirmée.
Est-ce à dire que les outre-mer sont les gâtés de la République ? Comptant près de 3 millions d’habitants, soit 4,7 % de la population française, ils ne reçoivent en dépenses publiques que l’équivalent de leur poids, alors que leurs retards par rapport à la métropole sont considérables dans la plupart des domaines.
C’est ainsi que, du point de vue du niveau de vie, plus du quart de la population des outre-mer vit en dessous du seuil de pauvreté. Dans le domaine de l’éducation, le retard par rapport à la métropole est également très grand.
En matière de santé publique, l’outre-mer se caractérise par une forte mortalité infantile, qui s’élève à 9 ‰ ; certaines pathologies lui sont spécifiques, comme la drépanocytose, ou y sont plus développées qu’en métropole, comme le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardio-vasculaires. La prise en charge de ces pathologies requiert un accompagnement spécifique de l’État. À cet égard, monsieur le ministre, qu’en est-il du financement des CHU de Guadeloupe et de Martinique, et du centre hospitalier de Cayenne ?
Pour ce qui concerne le logement social, les besoins sont importants et les moyens insuffisants. Certes, les crédits de la ligne budgétaire unique augmentent de 8 % ; mais ils ne sont toujours pas à la hauteur des besoins, puisque l’ensemble des territoires ultramarins ont besoin de 70 000 nouveaux logements sociaux.
En matière de finances locales, les collectivités territoriales font face à une situation économique structurellement difficile, qu’il convient d’accompagner. C’est d’autant plus vrai que dans le domaine des recettes fiscales, la mission de l’État consistant à déterminer l’assiette et à liquider l’impôt est peu ou pas assurée. En particulier, le cadastre est souvent incomplet et mal actualisé : en Guyane, 5 % seulement des terres seraient cadastrées !
Enfin, pour ce qui est des missions régaliennes, les outre-mer sont en queue de peloton sur les plans de la sécurité routière, de la lutte contre la délinquance et des conditions de détention.
À ceux qui douteraient encore de leur utilité, ce constat prouve que les crédits alloués aux outre-mer se justifient pleinement.
Si nous continuons de déplorer leur insuffisance, nous comprenons fort bien que le Gouvernement, en cette période de réduction des dépenses publiques, ne puisse pas accéder à toutes nos sollicitations en matière de mesures de rattrapage.
Si les outre-mer ont besoin de ce rattrapage par rapport à la métropole pour satisfaire aux normes européennes, leur développement ne peut pas reposer uniquement sur l’objectif de réduire l’écart entre leurs indicateurs économiques et sociaux et ceux des pays développés, en particulier ceux de la France.
Les outre-mer, qui sont pour la plupart situés au Sud, ont aussi besoin de mesures différenciées pour s’intégrer à leur environnement géographique. Pour bien les comprendre, il faut avoir constamment à l’esprit cette dualité : des critères du Nord, mais des caractéristiques du Sud. Il en résulte de nombreuses conséquences, principalement sur le plan du développement économique.
À cet égard, je vous rappelle que le taux de chômage dans les outre-mer est environ trois fois plus élevé qu’en métropole : il avoisine les 30 %. Quant au taux de chômage des jeunes, il y est encore plus élevé, dépassant en moyenne 50 %.
La démographie de ces territoires est en général très dynamique, mais la production et l’industrialisation y sont faibles. Aussi est-il indispensable que des mesures soient prises pour favoriser l’emploi, lutter contre le chômage et soutenir l’investissement.
C’est la raison pour laquelle je me réjouis tout particulièrement des dispositions du projet de loi de finances en faveur du développement économique des outre-mer. Je pense notamment au maintien de la défiscalisation pour le logement social et pour les PME, au crédit d’impôt mis en place pour les entreprises plus importantes et pour le logement social, au lancement de la Banque publique d’investissement dans les outre-mer, avec des mesures adaptées à ces territoires, et au maintien du Fonds exceptionnel d’investissement.
Ces gestes forts du Gouvernement concrétisent le premier engagement de François Hollande pour les outre-mer : assurer le redressement économique des territoires par la relance de la production et de la croissance. Ils sont la marque d’un changement de politique, je dirai même de mentalité : ils traduisent la prise de conscience qu’au-delà d’une simple politique de rattrapage, il est surtout important de donner à ces territoires les moyens de se développer, les moyens de tirer profit de leurs potentialités et de leurs ressources naturelles. L’assistanat, manifestation de la dépendance totale, avec son corollaire, la menace du « largage », fait place à un nouveau paradigme fondé sur le concept de développement local.
Cette façon d’appréhender les outre-mer nous satisfait pleinement, et c’est pourquoi nous soutenons l’action du Gouvernement dans sa détermination à rétablir l’équilibre financier de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (M. Francis Delattre applaudit.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout va pour le mieux. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Tout va pour le mieux : pour les collectivités locales, moins 1,5 milliard d’euros en 2014, moins 3 milliards en 2015, et il y aurait encore, nous dit-on, une ponction supplémentaire en 2016, qui ne s’élèvera peut-être pas à 1,5 milliard euros, faisons bon poids, il paraît que c’est seulement 1 milliard qui est prévu. Au final, les prélèvements atteindront 3 milliards d’euros en 2015 et 3 milliards à 4 milliards d’euros en 2016.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vous qui avez vidé les caisses !
M. Roger Karoutchi. Chacun se souvient ici effectivement du niveau sonore qu’avait engendré l’annonce par le Gouvernement précédent de 200 millions d’euros de prélèvements,…
M. Francis Delattre. Très bien !
M. Roger Karoutchi. … mais vingt fois plus aujourd’hui, cela ne semble pas troubler beaucoup les élus locaux.
J’assistais d’ailleurs ce matin à une réunion sur les orientations budgétaires de l’Île-de-France, qui, du reste, pardon de vous le dire, sont catastrophiques, parce que nous autres élus locaux sommes maintenant sur le noyau dur, sans marges de fiscalité, sans autonomie, avec des dotations en moins et de la péréquation en plus, sans parler de la réduction de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (Mme Michèle André s’exclame.), et on vient nous dire que tout va bien. C’est parfait !
Les collectivités n’ont pas les moyens. Les ménages sont-ils heureux ? Sûrement, on en a des preuves tous les jours (M. le président de la commission des finances s’exclame.) et n’importe quel sondage vous le dira : 67 % des Français sont prêts à se mobiliser contre la pression fiscale, 80 % d’entre eux pensent que l’excès de fiscalité conduit à un développement du travail au noir, et 50 % se demandent s’ils ne vont pas quitter le pays.
M. Albéric de Montgolfier. Oh là là !
M. Roger Karoutchi. Pour un budget ou pour une politique économique, c’est quand même un joli résultat ! Aujourd’hui même, on apprend que la décollecte sur le Livret A atteint 1,44 milliard d’euros au mois d’octobre. Ainsi, pour les dix premiers mois de 2013, la collecte nette s’élève à 12,5 milliards d’euros, contre 23 milliards d’euros pour les dix premiers mois de 2012. Moitié moins en un an. C’est bon signe, quand même ! Car cette décollecte sur les livrets A traduit le fait que les Français prennent sur leur petit modeste bas de laine et qu’ils n’ont plus les moyens…
M. Francis Delattre. … de payer leurs impôts !
M. Roger Karoutchi. … de continuer à subir la pression fiscale.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Cette décollecte s’explique par le plafonnement du taux de rémunération, soyez objectif !
M. Roger Karoutchi. Oui, monsieur le ministre, il y a une réelle exaspération fiscale, admise d’ailleurs par certains membres du Gouvernement, et, surtout, un fort sentiment d’incompréhension face aux discours qui sont tenus.
En effet, quand on entend le Président de la République dire au mois de juillet qu’on va calmer le jeu, puis le ministre de l’économie parler d’un « ras-le-bol fiscal », puis le Président de la République annoncer une « pause fiscale »,…
M. Albéric de Montgolfier. On a du mal à suivre !
M. Roger Karoutchi. … pour au final avoir les résultats qui sont ceux de ce budget, on se demande si la parole publique garde un quelconque crédit. (M. Francis Delattre s’exclame.)
En 2013, il manque, selon vous, 5,5 milliards d’euros de rentrées fiscales, mais, selon nous, 12 milliards, pour rétablir l’équilibre budgétaire. Le Haut Conseil des finances publiques explique d’ailleurs que la moitié de l’écart du déficit structurel de 2013 est liée au moindre rendement fiscal. Le résultat, c’est que le déficit se réduit nettement moins que prévu.
En septembre 2012, le Président de la République affirmait que le déficit de 2013 serait de 3 %, mais en avril dernier M. Moscovici disait qu’il s’établirait à 3,7 %, puis en août le même Moscovici avançait le chiffre de 4,1 %. En fait, on s’attend au final à 4,2 % ou 4,3 %. Plus personne ne croit que nous atteindrons l’équilibre complet en 2016, et d’ailleurs le Gouvernement prépare les esprits à cette situation, puisqu’il nous dit à présent que l’équilibre budgétaire n’est pas le seul facteur de croissance pour l’avenir.
Et pourtant, en 2013, le taux de prélèvements obligatoires a atteint 46,3 % du PIB. Dans ces conditions, les ménages voient leur pouvoir d’achat baisser et les entreprises, leurs ressources et leurs bénéfices diminuer, et nous assistons à un cortège de faillites. Aujourd’hui même – décidément, ce n’est pas notre faute s’il en est ainsi –, la COFACE annonce une hausse de 7 % des faillites d’entreprises dans le secteur du bâtiment, tandis qu’un quotidien du soir révèle qu’il y a eu 44 000 faillites au cours des douze derniers mois, record absolu.
Alors, bien sûr, on peut s’en tenir à l’aspect technique, on peut rester très Bercy. Mais la réalité, c’est qu’un budget doit faire vivre l’économie, les ménages, les entreprises. Aussi, quand on constate que les ménages ne peuvent plus consommer et en sont réduits à puiser dans leurs économies, et que les entreprises font faillite, on se demande vraiment quelle est la réalité de la politique économique du Gouvernement.
À ce titre, le débat sur le consentement à l’impôt est certes sympathique, mais totalement surréaliste. En effet, le consentement à l’impôt est au niveau de l’équilibre : les gens peuvent-ils continuer à vivre correctement, ou non, après les prélèvements,…
M. Albéric de Montgolfier. Exactement !
M. Roger Karoutchi. … le reste n’ayant pas beaucoup de sens par rapport aux services rendus ?
Tous les experts français – je sais bien que cela n’a pas forcément d’importance –, la Commission européenne, l’OCDE et les agences de notation confirment qu’il n’y a plus de marges budgétaires en France et qu’on est au bout du bout de la pression fiscale.
Et voilà que le Premier ministre annonce la remise à plat de la fiscalité. Mon collègue Philippe Bas, qui est d’une nature généreuse, dit que nous sommes prêts à y travailler. Reste qu’on ne comprend pas très bien ce que signifie une telle annonce, parce que deux semaines auparavant M. Moscovici déclarait que le Gouvernement n’avait pas la volonté aujourd’hui de bouleverser le système ni de le transformer. Là encore, il faudrait que le Premier ministre et son ministre de l’économie et des finances se mettent d’accord.
En 2014, les ménages vont supporter, à hauteur de 12 milliards d’euros, de nouveaux prélèvements, véritable inventaire à la Prévert : TVA au 1er janvier 2014, 6,5 milliards d’euros ; réforme des retraites, 2,5 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter l’augmentation des cotisations retraite et la fiscalisation de la majoration de 10% pour les retraités ayant eu trois enfants ; nouvel abaissement du plafond du quotient familial ; suppression – on le savait déjà – de l’exonération fiscale des complémentaires santé ; suppression de réductions d’impôts pour enfants scolarisés, etc. Et je ne reviens pas sur la suppression de l’exonération des heures supplémentaires.
Certains imputent les difficultés actuelles au précédent gouvernement et nous renvoient à son héritage. Mais quel héritage ? En quoi avez-vous inversé, monsieur le ministre, la politique que vous critiquiez alors en la qualifiant de « politique de dette », puisque la dette, en moins de dix-huit mois, s’est accrue de près de 200 milliards d’euros ?
Mais, au-delà, plus d’envie, plus de volonté, plus de crédit. Les Français n’y croient plus, les entreprises françaises n’y croient plus, les délocalisations se multiplient, les investisseurs ne viennent plus !
Qu’est-ce qu’on va faire ? Par définition, les années 2014 et 2015 seront extraordinairement difficiles. Nous l’avons dit, il faudrait évidemment réduire davantage les dépenses. Or, sincèrement, monsieur le ministre, et vous en conviendrez, votre politique consiste non pas à réduire les dépenses, mais à en réduire seulement la progression…
M. Philippe Bas. Exactement !
M. Roger Karoutchi. … c’est-à-dire qu’au lieu de faire, disons, 1 %, on fait 0,4 %.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Et vous faisiez combien, vous ?
M. Roger Karoutchi. Certes, ce faisant, on passe pour vertueux. Mais le problème n’est pas là !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Vous faisiez combien ?
M. Roger Karoutchi. Je le répète, le problème n’est pas là !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mais si !
M. Roger Karoutchi. Le problème, c’est que, lorsqu’on est confronté à la situation actuelle, qui est bien pire que celle d’il y a deux ans, on prend des mesures plus fortes, on veille à ce qu’il soit possible d’atteindre un relatif équilibre budgétaire pour ne pas avoir à prendre de mesures catastrophiques ; car celles-ci nous menacent. Si on continue à ce rythme-là en 2014 et 2015, qui fera le budget 2016, dans quelles conditions, avec quelles marges de manœuvre ?
On prêtera alors le flanc aux attaques de bien des populistes, qui diront : « Vous voyez ! C’est tous les mêmes, ils n’ont pas fait le job, il faut donc prendre des mesures extrêmes pour sortir de cette situation. »
Le budget est l’expression d’une volonté économique. Or, aujourd’hui, il consiste juste à dire : on n’y arrive plus, donc on crée des taxes et des impôts, et on augmente ceux qui existent.
Quel espoir donne-t-on ainsi aux Français et aux entreprises ? Quel est le grand dessein de ce gouvernement en matière économique, son impératif industriel ? Où est la volonté de faire de la France un grand pays exportateur ? Où est la volonté de soutenir les jeunes qui ont envie de partir afin qu’ils restent ?
En outre, – je terminerai sur ce point puisque le temps de parole qui m’est imparti est bientôt écoulé – dans l’indifférence générale, on prend des mesures fiscales très particulières, je pense notamment au relèvement de 7 % à 10 % de la TVA sur les transports publics. Cela paraît indolore, mais en vérité non seulement on ponctionne davantage les ménages, mais en plus on leur retire du pouvoir d’achat, le coût des transports publics va augmenter. Qui sont les usagers des transports publics ? Tous les salariés, tous les gens. En l’occurrence, il ne s’agit pas de « viser les riches », tout le monde est touché.
Votre politique fiscale ne vise donc pas les « privilégiés », les gens favorisés, elle met tous les Français en difficulté. Tous les Français – pardon de reprendre une expression de M. Moscovici – en ont vraiment « ras-le-bol » de la pression fiscale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Albéric de Montgolfier. Bravo !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vous qui avez voté la TVA fiscale !
M. le président. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me situerai dans la ligne de l’intervention de notre rapporteur général en m’efforçant de conserver une certaine objectivité, et de formuler quelques propositions puisque c’est le rôle du Parlement.
Monsieur le ministre, je tiens d’abord à vous remercier de votre attitude à l’égard du Sénat et de la commission des finances. Cela a été dit, mais mérite d’être répété.
Pour ce qui me concerne, j’arrive à lire votre stratégie budgétaire et donc celle du Gouvernement.
M. Jean Germain. Je lis ainsi que vous avez décidé une amélioration de la gouvernance des finances publiques – décision prise, il est vrai, et je m’adresse ici à notre collègue Éric Bocquet, dans le cadre du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire –, avec notamment le recours au Haut Conseil des finances publiques.
Je lis que vous avez fait figurer dans votre stratégie budgétaire la réforme des retraites, que certains jugent insuffisante, mais qui en tout cas est bien réelle.
Je lis aussi dans votre stratégie que vous avez décidé d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques grâce à un certain nombre de mesures : par la substitution de la MAP, la modernisation de l’action publique, à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, ce qui évidemment peut faire l’objet de critiques, mais existe, par le plafonnement de certaines exonérations fiscales et sociales, et enfin par le lancement d’une nouvelle étape de la décentralisation, même si sur ce dernier sujet le résultat, pour l’instant, n’est peut-être pas celui que l’on pouvait attendre.
Je lis également que vous avez commencé une réforme du système fiscal, en supprimant un certain nombre de dépenses fiscales – qualifiées par certains de « niches » – concernant l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, que vous souhaitez une fiscalité plus juste et plus simple et que vous luttez contre les fraudeurs. Mais, comme certains le disent, il faudrait peut-être plus pénaliser les rentiers et avantager les créateurs, et bien sûr encourager les entrepreneurs à rester dans notre pays.
Selon moi, et vous l’avez dit, on ne peut plus laisser croître les déficits et la dette, car, faute de croissance, le ratio dette/PIB, qui est l’impitoyable juge de paix de la solvabilité d’un pays, augmentera inexorablement. Les mesures que vous nous proposez vont dans ce sens, et je pense qu’une grande partie des Français le reconnaisse.
Bien sûr, à un moment donné, une certaine exaspération peut se manifester un peu partout, mais, au bout du compte, le courage sera reconnu.
Je rappelle qu’à un moment donné Clemenceau était très impopulaire et Poincaré très populaire, mais au bout du compte, à la fin de la guerre, c’est Clemenceau qui a gagné en termes de popularité.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien ! Bel exemple !
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas la guerre !
M. Jean Germain. C’est la guerre économique !
Dans ce projet de budget, vous continuez à favoriser les plus faibles ; vous donnez la priorité aux investissements par le biais du CICE. Toutefois, comme d’autres, je pense qu’il faudrait accorder plus de place aux innovateurs et aux créateurs.
Certains l’ont dit tout à l’heure, nous avons tort de dire que c’est sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy que la dette a augmenté le plus rapidement. C’est faux ! C’est sous le gouvernement de M. Balladur, dont le ministre des finances était M. Sarkozy. En effet, à cette époque, la dette est passée de 47 % à 52 % en deux ans. C’est un record, toutes catégories confondues. Personne ne peut dire le contraire.
M. Francis Delattre. Ils avaient hérité du budget de Bérégovoy, qui a doublé les déficits !
M. Jean Germain. La droite se prétend bonne gestionnaire, mais, lorsqu’elle est au pouvoir, elle est souvent – pas toujours ! – la première à creuser la dette.
Bien évidemment, la population est aujourd'hui dans l’incertitude (Sourires sur les travées de l'UMP.),…
M. Roger Karoutchi. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Jean Germain. …. sans doute parce que, sur un certain nombre de sujets, nous devons le reconnaître, il y a eu trop d’allers et retours.
M. Albéric de Montgolfier. C’est vrai !
M. Jean Germain. Les ménages sont inquiets,…
M. Albéric de Montgolfier. Effectivement !
M. Jean Germain. … ils épargnent et, bien sûr, la demande baisse. Les banques limitent leurs prêts au privé pour assainir leur bilan. Puisqu’il y a moins de disponibilités, la commande publique de l’État diminue, la commande des collectivités locales également. Nous en sommes conscients. La question de la diminution des aides aux collectivités territoriales constitue un vrai sujet. En même temps, personne ne peut s’exonérer des efforts à fournir. Encore faut-il qu’ils soient raisonnables !
Nous avons une croissance faible, mais nous avons une croissance. Nous avons un chômage de masse, mais le chômage des jeunes baisse depuis un certain nombre de mois. Cela étant, on sent bien les tendances centrifuges qui s’exercent à l’égard de l’Europe. Les discours populistes, qui progressent, peuvent être amenés à prendre une grande importance dans le cadre des élections européennes.
Vous avez réussi, monsieur le ministre, avec le Gouvernement, vis-à-vis de l’Europe, à faire mutualiser une partie des dettes. Je tiens à insister sur ce point, car cette évolution n’avait rien d’évident voilà deux ans. Vous avez réussi à relancer la productivité, en commençant un certain nombre de réformes structurelles. Cependant, chacun en convient, les investissements n’ont pas été suffisamment importants.
Que l’on appartienne à la droite ou à la gauche, on se montre désormais prudent pour ce qui concerne les plans de relance. À gauche, on s’est aperçu en 1983 qu’un plan de relance un peu trop ambitieux avait finalement abouti à un freinage. Or il est dangereux de freiner par temps de verglas. C’est ce que disait François Mitterrand, et je pense qu’il avait raison.
Cela étant, nous avons besoin d’investissements massifs pour faire baisser le chômage et connaître une croissance importante. Peut-être, monsieur le ministre chargé du budget, vous qui avez également été ministre délégué aux affaires européennes, le moment est-il venu, à la veille des élections européennes, de demander aux Européens d’avancer dans la construction européenne, par le biais d’un important plan de relance européen ? Vous en aviez parlé au moment de votre arrivée au Gouvernement. Ce plan ne serait pas adossé à une contribution volontaire des États. Sinon, il aurait pour effet d’augmenter leur endettement. Il faut arriver à faire partager aux différents peuples l’idée selon laquelle ce plan de relance doit être adossé à une ressource européenne, osons le mot, à un impôt européen, qui pourrait être soit une fraction de la TVA des différents pays, soit une taxe sur les transactions financières, soit une taxe carbone, puisque, de toute manière, il faudra bien, un jour, en instaurer une. C’est grâce à cela que nous pourrons retrouver, selon moi, le chemin d’une véritable croissance, donner une vision plus motivante de l’Europe, faire disparaître les déséquilibres que nous connaissons actuellement. Un budget européen de croissance nous permettrait également d’avoir une cohésion sociale renforcée.
Cent ans après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, qui nous a coûté beaucoup de vies – nous connaissons tous, dans nos familles, des gens qui en ont pâti –, nos concitoyens, notamment les jeunes, dont vous vous préoccupez beaucoup, attendent de nous un certain nombre de choses. Ils veulent qu’on leur dise que tout n’a pas été tenté ; ils attendent de nous d’autres tentatives. Force est d’ailleurs de constater que nous n’avons pas tout essayé, Mme Merkel venant d’annoncer qu’elle était favorable à un SMIC allemand, ce qui va tout de même changer les choses. Cela nous montre que, en Allemagne, il peut y avoir un accord sur un certain nombre de sujets. Pourquoi ne serait-ce pas le cas en France ?
En matière européenne, nous pouvons certainement avoir davantage confiance en nos compatriotes. Certes, ils ont majoritairement refusé le traité établissant une Constitution pour l’Europe, mais ce n’est pas un refus définitif. Je suis de ceux qui pensent que la France est notre pays, et l’Europe, notre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)