M. Gilbert Barbier. Je ne vais pas reprendre l’ensemble de l’argumentation qui a été développée par mes collègues qui ont également défendu des amendements de suppression de cet article, mais je rappelle que la décision du Conseil constitutionnel ne faisait que conforter le vote émis par la Haute Assemblée lors de la discussion du projet de loi portant transposition de l’ANI : une majorité s’était prononcée, dans cet hémicycle, en faveur de la suppression cette clause.
Le Gouvernement reprend cette question par une voie détournée, recourant au terme « recommandation » : il est clair que l’on cherche ainsi à contourner la décision du Conseil constitutionnel pour, en fait, imposer cette désignation. En effet, cet article instaure une pénalité puisque le forfait social est plus que doublé : il passe de 8 % à 20 %... On voit mal, dans ces conditions, comment les branches pourraient choisir en toute liberté une complémentaire !
La raison essentielle de notre demande de suppression de cet article réside dans les réserves que nous inspire pareille limite apportée à la liberté d’entreprendre, à la liberté contractuelle et à la libre concurrence. Il importe de laisser à chaque entreprise la possibilité choisir son organisme assureur et, réciproquement, de donner à tous les organismes assureurs des chances égales d’emporter chaque contrat. C’est pourquoi il faut supprimer cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Depuis cinquante ans, la grande majorité des branches professionnelles a mis en place des accords de prévoyance couvrant l’ensemble des entreprises et des salariés du secteur concerné.
Afin que chacun mesure bien de quoi il s’agit précisément, je crois utile de citer quelques exemples de prestations ainsi fournies aux salariés : un capital décès pour la personne survivante, une rente d’éducation pour permettre aux enfants de continuer leurs études en cas de décès du salarié, des indemnités journalières ou des pensions venant compléter celles de la sécurité sociale en cas d’incapacité ou d’invalidité, des indemnités de fin de carrière, une assurance lors des déplacements professionnels, etc.
Ce sont donc des risques dits « lourds », qui engagent l’assureur sur plusieurs années et/ou sur des sommes importantes.
À la suite de la décision du Conseil constitutionnel, les branches ne peuvent plus imposer aux entreprises d’adhérer à de tels régimes de prévoyance. Je le regrette, mais c’est ainsi !
Le Gouvernement tente de combler le vide juridique qui résulte de cette décision. J’aimerais bien savoir ce que proposent, de leur côté, les auteurs des amendements de suppression, sinon, me semble-t-il, d’en rester là, de ne rien faire. Que va-t-il alors arriver ?
Les conséquences seront les plus importantes pour les salariés des petites entreprises et pour ceux des secteurs où les risques professionnels sont les plus grands.
MM. Jean-Noël Cardoux et Jean-François Husson. C’est faux !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Les petites entreprises ne signeront pas de contrat de prévoyance, ou bien elles signeront un contrat offrant un niveau de garantie très bas. Le prix à acquitter pour obtenir un meilleur contrat serait, à l’évidence, beaucoup trop élevé pour elles. (Protestations sur les travées du groupe UMP.) C’est le fondement même de l’assurance : plus le risque est réparti, moins il coûte cher à chacun.
M. Jean-Noël Cardoux. Vous n’avez rien compris !
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Quand un assureur proposera un contrat de prévoyance à une entreprise du BTP de dix salariés, quel sera le prix proposé ? Le même que pour une entreprise de 1 000 salariés ? Certainement pas ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées. – M. Jean Desessard s’exclame.)
Mes chers collègues, j’ai écouté vos arguments ; je vous prie de faire de même lorsque j’exprime les miens !
Prenons l’exemple de PRO BTP, déjà cité. Ce régime de prévoyance intégré protège les salariés en calculant leurs droits, même s’ils changent d’entreprise. Comment assurer ainsi les salariés si les entreprises ont une liberté totale de souscrire ou non un contrat de prévoyance ?
En segmentant le marché, nous diminuons la couverture des plus faibles ou des plus petites entreprises. Pensons aux salariés des particuliers employeurs : s’ils n’étaient pas couverts par une prévoyance négociée par la branche, il n’y aurait tout simplement plus de prévoyance !
Franchement, mes chers collègues, nous devons dépassionner ce débat, car cette passion vous aveugle et vous empêche de voir les véritables enjeux, qui concernent les millions de salariés bénéficiant aujourd'hui de garanties de prévoyance.
Je peux tout à fait comprendre que certains ne soient pas satisfaits sur tel ou tel point, mais, de grâce, évitons la catastrophe, gardons-nous de brûler toute la maison !
La commission des affaires sociales émet donc un avis défavorable sur les quatre amendements identiques qui viennent d’être présentés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je reprends entièrement à mon compte les excellentes explications données par M. le rapporteur général et j’émets le même avis défavorable.
De quoi parlons-nous ? Parlons-nous du dispositif qui avait été précédemment introduit dans la loi transposant l'ANI ? Ou bien d'un dispositif entièrement nouveau dans notre système juridique, qui viendrait bouleverser le contexte dans lequel nous évoluons ? Évidemment non !
L'ANI a prévu que tous les salariés – et non plus seulement ceux des grandes entreprises, pour lesquels c'était déjà le cas – pourraient bénéficier d'une couverture complémentaire santé et éventuellement de contrats de prévoyance. Pour que l'ensemble des salariés et des entreprises y accèdent à un coût abordable, il était proposé de mettre en place une clause de désignation, en vertu de laquelle la branche indiquait quel contrat devait être retenu par les entreprises de la branche considérée.
Ce dispositif est-il sorti du chapeau de ceux qui ont préparé l'ANI ou de ceux qui l’ont transposé dans la loi ? Bien sûr que non !
Mme Catherine Procaccia. Ce dispositif n’était pas celui de l'ANI !
Mme Marisol Touraine, ministre. En fait, il s'est simplement agi d'étendre un dispositif législatif codifié depuis vingt-cinq ans, introduit par Mme Simone Veil, alors ministre d'État en charge des affaires sociales.
Le Conseil constitutionnel a non seulement annulé la disposition de la loi de sécurisation de l'emploi qui venait d'être votée, mais aussi la disposition source, c'est-à-dire le premier dispositif prévoyant la mise en place d'une clause de désignation.
Ainsi, les clauses de désignation qui fonctionnaient dans un certain nombre de secteurs, notamment pour la santé et la prévoyance, se sont toutes trouvées annulées.
Ce que nous proposons, ce n’est pas de réintroduire une clause de désignation…
M. Jean-François Husson. Si ! C'est pareil !
Mme Marisol Touraine, ministre. … et de rendre obligatoire le dispositif tel qu’il existait, c'est de retrouver l'esprit qui animait Mme Veil et le législateur en 1994 en favorisant l'accès des salariés à une bonne couverture, aussi bien pour la santé que – j’y insiste – pour la prévoyance, et de permettre ainsi que des entreprises puissent être orientées vers des contrats, informées à leur sujet, afin, le cas échéant, d’en bénéficier.
En effet, une entreprise de dix salariés n’est pas une entreprise du CAC 40 qui, nous le savons bien, couvre toujours de manière satisfaisante l'ensemble de ses salariés, à la fois pour la santé et pour la prévoyance.
L'idée est donc de déboucher, au niveau de la branche, sur la recommandation d'une offre qui, pour être valable, doit comporter des garanties du type de celles qu’a évoquées M. le rapporteur général. Ainsi, il ne suffit pas de dire que l'on prendra en charge des frais dentaires ou des frais d'optique, il faut aussi proposer des mesures de solidarité, un accompagnement en termes de prévoyance : par exemple, dans le cas du décès d'un parent, un soutien pour les études d'un enfant, une meilleure prise en charge sanitaire, etc. Et, pour faciliter la lecture entre les différents contrats, on introduit une variation du forfait social.
Je répondrai maintenant à deux questions qui ont été évoquées, sinon explicitement posées.
Tout d’abord, la disposition en cause a évidemment tout à fait sa place dans un PLFSS et n’est en rien un cavalier social puisqu’elle a vocation à apporter des recettes à la sécurité sociale : il ne s'agit pas simplement de l'équilibre des régimes complémentaires.
Ensuite, monsieur Milon, quel niveau de recettes peut-on en espérer ? Nous ne le saurons véritablement que ex post, mais on peut considérer – c'est du moins notre objectif – qu’elles devraient s'élever à au moins 20 millions d'euros, voire 30 millions d'euros, dans l'hypothèse d'une adhésion satisfaisante, mais loin d'être générale.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous ne faisons pas du tout l'hypothèse d'une adhésion automatique des entreprises...
Je veux également insister sur un point déjà souligné par M. le rapporteur général : l'esprit de l'ANI était de permettre la couverture de tous les salariés de notre pays.
M. Jean-François Husson. Mais pas n’importe comment !
Mme Marisol Touraine, ministre. Les salariés des grandes entreprises étant très correctement couverts aujourd'hui, il s'agissait de permettre aux petites entreprises d'apporter à leurs salariés des garanties identiques à celles dont bénéficient les salariés des grandes entreprises. C'est l’application d’un principe d'égalité et de justice auquel nous sommes attachés.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je vous admire pour la solidarité dont vous faites preuve à l'égard du ministre du travail, qui s’était déjà beaucoup dépensé pour faire passer ce dispositif dans le projet de loi transposant l'ANI.
La clause de désignation n’était absolument pas ce qui avait été négocié entre les partenaires sociaux et le Gouvernement. Heureusement, grâce à notre recours, cette clause a été annulée par le Conseil constitutionnel.
En vérité, les clauses de recommandation impératives que vous nous proposez aujourd'hui dans ce texte sont des clauses de désignation camouflées. Cela étant, elles ne sont pas camouflées pour tout le monde puisque, y compris dans vos rangs, on ne s’y laisse pas tromper : une sénatrice socialiste du Finistère, M. Urvoas, député socialiste du Finistère et président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, ou encore M. Bernard Poignant disent bien que la pertinence du lien entre ce dispositif et le texte qui l'accueille n’est pas immédiate, ce qui est préjudiciable et risque d'entraîner la censure du Conseil constitutionnel. Ce sont donc des gens qui soutiennent le Gouvernement qui l’affirment eux-mêmes !
Les dispositions de cet article 12 ter sont choquantes. Selon moi, elles introduisent une discrimination fiscale et portent atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté des entreprises.
En outre, les remarques que vous formulez, madame la ministre, monsieur le rapporteur général, sur le fonctionnement de l'assurance montrent que vous n’en maîtrisez pas complètement les mécanismes, certes complexes. Vous allez compromettre la concurrence, qui permet justement de faire baisser les prix. Votre collègue M. Hamon, lorsque nous examinons le projet de loi sur la consommation, appelle à toujours plus de concurrence, souhaite que l'on puisse résilier quand on veut tous les contrats d'assurance au bout d'un an sans même envoyer une lettre recommandée, et vous, vous faites l’inverse !
En matière d'assurance, le moins que l'on puisse dire, c'est qu’il n’existe pas au Gouvernement une ligne directrice très nette !
M. Cardoux a rappelé comment fonctionne le paritarisme. Il est clair que 90 % des clauses de recommandation ou de désignation permettront aux mêmes institutions de prévoyance d'obtenir ces contrats, qui seront gérés par les syndicats.
Juste avant le texte que nous annonce le ministre du travail sur la représentation syndicale, le dialogue social et la formation professionnelle, ce dispositif n’est-il pas simplement un moyen de calmer les partenaires sociaux ? C’est une question que, en tout cas à titre personnel, je suis amenée à me poser.
J’ajoute que, comme vous l'avez vu hier, cette disposition mettrait en danger 30 000 à 40 000 emplois. Dans la situation actuelle de la France, peut-on se le permettre ? Certainement pas !
Quant aux clauses qu’évoquait M. le rapporteur général, je peux vous dire qu’un certain nombre de compagnies d'assurance – je ne les citerai pas, mais l'une des plus grandes est concernée – proposent exactement les mêmes garanties que l'organisme désigné par la convention collective nationale des transports routiers et, peut-être, à un tarif moins élevé… Vous allez donc augmenter les prix en donnant un monopole à un certain nombre d'entreprises d'assurance, et vous n’irez absolument pas dans le sens que vous recherchez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Je n’ai pas une virgule à changer à ce qu’a excellemment dit ma collègue Catherine Procaccia !
Pour ma part, j’évoquerai seulement la taxation que vous mettez en place, madame la ministre. Vous nous avez parlé à plusieurs reprises, au cours des semaines passées, d'une taxe incitative qui n’aurait qu’un impact infime sur les comptes de la sécurité sociale. Mais aujourd'hui, vous nous dites que cette taxation apportera de vraies recettes et qu’elle a toute sa place dans ce projet de loi. J’avoue avoir un peu de mal à comprendre !
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ayant effectivement invalidé ce dispositif, je ne vois pas pourquoi l'on essaie de rentrer par la fenêtre après que l'on a dû sortir par la porte !
Enfin, la concurrence a toujours eu, dans notre pays, un impact sur les prix. Votre collègue Benoît Hamon, comme l'a très justement fait remarquer Catherine Procaccia, nous l’a répété à l’envi, et vous venez nous dire le contraire !
Décidément, avec ce gouvernement, l'assurance du respect de la parole n’est pas au rendez-vous !
M. Jean-Claude Lenoir. Ce gouvernement manque d'assurance !
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je voudrais apporter quelques précisions à la suite de votre intervention, madame la ministre.
Lors du débat sur le projet de loi transposant l'ANI, nous, écologistes, n’étions pas opposés à une recommandation de branche, conforme à ce dont les partenaires sociaux avaient débattu. Cela signifiait qu’une discussion s’engagerait entre telle branche et telle mutuelle pour définir un contrat avantageux, qui serait ensuite proposé à tous les salariés concernés.
Pour notre part, donc, si nous étions opposés à toute obligation, nous ne voyions pas d’inconvénient à une recommandation.
Vous nous dites, madame la ministre, que les entreprises sont libres. Il n’empêche que les entreprises qui n’adhéreront pas seront soumises à une taxation importante. Il s'agit donc d'une liberté surveillée, d'une liberté conditionnelle ; ce n’est pas vraiment un libre choix…
Enfin, madame la ministre, vous nous parlez d'une solidarité de branche. Soit, mais il n'y a pas de solidarité entre branches, et j’en reviens à ce que j’ai dit dans mon intervention sur l'article. Dans le cadre d'une mutualisation par branche, les branches où la plupart des salariés sont des cadres, et qui ne présentent donc pas de risques importants, ne seront pas solidaires avec le BTP, par exemple, une branche qui n’a pas du tout les mêmes caractéristiques.
En l'absence de solidarité interbranches et, aussi, de solidarité avec les gens qui ne se trouvent pas couverts par une branche – inactifs, retraités, chômeurs, etc. –, la solidarité dont vous parlez n’est donc que partielle. Elle paraît presque corporatiste…
Dans cette affaire, on peut aussi mettre en avant une valeur de proximité. Imaginons que les services d’une mutuelle ne donnent pas satisfaction. Il se peut alors que, dans un environnement rural, une petite entreprise connaisse bien, dans son village – je ne parlerai pas de village breton, car je ne veux pas en rajouter ! (Sourires.) –, le courtier de telle ou telle compagnie d’assurance ou le représentant de telle ou telle ou telle mutuelle. Eh bien, du fait cette clause de recommandation très contraignante, il ne pourra pas traiter avec ce courtier ou avec cette mutuelle. Il sera obligé, sous peine d'une taxation plus importante, de faire appel à l’organisme recommandé au niveau de la branche. Or on doit, au contraire, pour promouvoir cette valeur de proximité, permettre aux entreprises de choisir un partenaire avec lequel elles ont des relations de proximité, précisément.
Je ne dis pas qu’il faut proscrire les recommandations de branche. Une branche peut négocier un excellent contrat pour le proposer ensuite à la signature. C’est à l’obligation et non à la recommandation que nous nous opposons. Certes, ce que vous nous proposez n’est pas vraiment une obligation, mais il s’agit quand même d’une forte incitation eu égard à cette sorte de pénalité financière qui est prévue. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Si, c’est une vraie obligation !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. D’abord, madame la ministre, je dois dire que je viens d’assister, avec votre intervention, à un grand numéro de rétropédalage, eu égard à la discussion que nous avons eue dans cette enceinte au mois de février. En effet, vous nous expliquiez alors que, avec la clause de désignation, c’était le meilleur des mondes qui était promis à l’ensemble des salariés. Je me souviens surtout que vous étiez restée plutôt évasive devant certaines interrogations, notamment celles qui portaient sur les différences entre la couverture santé et la couverture prévoyance.
Vous en appelez aujourd'hui à Simone Veil, ce qui est assez piquant. Mais quand on ne sait plus à quel saint se vouer, on essaie de trouver une grande personnalité – car Mme Veil en est une – d’une sensibilité différente, ce qui vous permet de dire que, nous aussi, à une époque…
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Vous citez bien Jaurès de temps en temps !
M. Jean-François Husson. Mais oui, car nous sommes fiers de ce qui a été accompli par certaines grandes personnalités. J’ajouterai même, et cela vaut pour vous comme pour nous, que, quand on se trompe, il faut avoir l’humilité de corriger son erreur, ou au moins de la reconnaître.
Quant à vos arguments, monsieur le rapporteur, ils ne tiennent pas davantage.
La complémentaire santé et la couverture prévoyance sont effectivement deux choses différentes.
En matière de santé, la mutualisation est réalisée en fonction d’un certain nombre de paramètres : en général, ce sont les personnes qui composent les collèges de salariés de l’entreprise et la dépense médicale dans le territoire donné.
À cet égard, les coûts, les honoraires pratiqués, etc. diffèrent fortement d’un territoire à l’autre : ceux pratiqués en région parisienne n’ont rien à voir avec ceux, pour prendre un exemple au hasard, qui le sont dans le département de Meurthe-et-Moselle, lesquels n’ont rien à voir avec ceux qui le sont dans le département voisin des Vosges. En effet, il y a un équilibre qui s’instaure entre une consommation médicale ou une population données et les prix pratiqués.
En recentralisant, en quelque sorte sous une forme d’économie nouvellement administrée, autour des institutions de prévoyance, comme cela a été bien souligné, vous provoquez une inflation de la dépense parce que la moyenne n’est plus assurée dans les territoires – moyenne qui équilibre des avantages et parfois des inconvénients.
J’en viens à votre deuxième volet, que vous sortez un peu comme un lapin du chapeau : la prévoyance. Une couverture prévoyance est effectivement indispensable, et c’est pourquoi nous continuons à soutenir la volonté de garantir à la fois la santé et la prévoyance pour tous et toutes, dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille.
D’ailleurs, en vertu de mon expérience, je m’inscris à nouveau en faux contre l’idée que c’est forcément plus cher dans les petites entreprises. Non ! Cela n’a rien de systématique, ni dans un sens ni dans l’autre. Parce que, là aussi, il existe un équilibre entre une population et la survenance ou l’absence d’un certain nombre de sinistres. C’est un peu comme en matière d’accidents du travail : quand une entreprise réalise de bons résultats, qu’elle figure au CAC 40 ou qu’elle ne compte que trois salariés, elle peut arriver à négocier de très bonnes conditions d’assurance.
Au passage, madame la ministre, nous devons nous réjouir d’avoir en France de grandes entreprises telles celles qui composent le CAC 40. Car nous avons besoin de la richesse, de la prospérité et de la croissance que nous apportent ces entreprises. « Entreprendre », ce n’est pas un gros mot ! Ce n’est pas une honte d’avoir aujourd’hui, en France, des entreprises qui rayonnent, se développent, et qui emploient de nombreux salariés ! (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. À condition qu’elles paient des impôts et qu’elles ne soient pas domiciliées dans des paradis fiscaux ! (M. Alain Gournac s’exclame.)
M. Jean-François Husson. Les salariés et les entreprises ne sont pas ennemis. Les salariés, quel que soit leur statut dans l’entreprise, y travaillent parce qu’ils ont besoin de vivre, bien sûr, mais souvent aussi parce qu’ils s’y sentent bien, même si, parfois, comme dans toute société, des litiges apparaissent.
Enfin, monsieur le rapporteur général, vous nous avez mis en garde contre la passion qui, sur les bancs de l’UMP, nous aveuglerait. Eh bien, moi, la passion ne m’aveugle pas ; c’est ma raison qui me guide et qui, jointe à une certaine expérience, me conduit une fois encore à vous dire, avec une grande sérénité, que nous sommes en complet désaccord avec l’article que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. La notion de proximité a été évoquée par Jean Desessard : je crois que c’est en effet un élément très important dans ce débat et qu’il doit être pris en compte.
Plusieurs collègues ont par ailleurs évoqué le nombre d’emplois qui sont en jeu dans cette affaire ; beaucoup sont menacés, en particulier dans les territoires ruraux. À cet égard, on ne saurait ignorer les inquiétudes qui sont exprimées par les courtiers, les compagnies d’assurance et les mutuelles, ainsi, bien sûr, que par leurs salariés. Comment ne pas y être attentif quand l’emploi est la priorité numéro un ?
J’ajoute qu’il ne faut rien négliger pour soutenir les départements ruraux, et ceux d’entre nous qui en représentent ici le savent bien.
Ce sont là autant de raisons d’adopter ces amendements de suppression, qui sont simplement de bon sens. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour explication de vote.
M. Dominique Watrin. Cet article contesté reprend l’article 1er, censuré par le Conseil constitutionnel, de la loi transposant l’ANI de janvier 2013.
Il prévoit en effet d’autoriser les branches à recommander un ou plusieurs organismes d’assurance complémentaire, le ou les organismes assureurs recommandés devant appliquer un tarif unique à toutes les entreprises et offrir des garanties identiques à toutes les entreprises et à tous les salariés, qui ne pourront refuser l’adhésion d’une entreprise de la branche.
Ces précisions posent problème puisque, pour être efficace, par nature, un contrat d’assurance complémentaire doit, selon nous, coller au plus près des besoins des salariés.
En outre, une entreprise qui choisirait de ne pas appliquer la recommandation serait assujettie à un taux de forfait social de 20 % si elle compte au moins dix salariés ou de 8 % si elle en compte moins de dix. Une telle mesure s’apparente, ni plus ni moins, à du chantage…
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Dominique Watrin. … ou y ressemble fort. D’ailleurs, on peut imaginer le cas où une entreprise passerait outre, tout simplement parce que le comité d’entreprise a alerté l’employeur sur le fait que l’organisme recommandé propose un contrat moins protecteur que celui dont elle dispose déjà.
Enfin, les employeurs qui optent pour une entreprise recommandée seront exonérés de cotisations sociales. Nous ne sommes pas d’accord, car on fragilise ainsi la sécurité sociale de base au profit de la protection complémentaire, qui peut être mutualiste comme privée et commerciale.
Le comble est que le projet de loi prévoit de fiscaliser ces contrats, sachant qu’il s’agit pour les salariés d’un avantage en nature qu’il faut réintégrer dans le calcul de l’assiette de l’impôt sur le revenu.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC, qui avait voté contre l’article 1er de la loi transposant l’ANI, adoptera une position cohérente et votera donc les amendements de suppression. (M. Jean Desessard applaudit. – Marques de satisfaction sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Lenoir. C’est décidément mal parti pour l’article 12 ter !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je souhaiterais d’abord procéder à un rappel historique, comme l’a fait Mme la ministre tout à l’heure.
C’est par le biais des conventions collectives nationales que la prévoyance collective s’est développée en France, en particulier à la suite de la convention collective nationale des cadres de 1947, qui a imposé aux entreprises la souscription de contrats couvrant les cadres contre le risque décès à hauteur de 1,5 % de leur rémunération.
Les décennies suivantes ont vu une majorité de conventions collectives nationales imposer des niveaux de couverture de prévoyance – prévoyance décès, incapacité, invalidité – à leurs entreprises adhérentes, et c’est dans les années 1990, avec l’envol des institutions de prévoyance – lois de 1989 et de 1994 – que sont apparues les clauses de désignation, qui obligent les employeurs ne disposant pas déjà d’une couverture à rejoindre un organisme désigné. La désignation concerne ou plutôt concernait généralement un à trois organismes et se fondait sur l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale.
Je tiens maintenant à insister sur le fait que la mutualisation des risques est un outil qu’il faut impérativement mettre à la disposition des partenaires sociaux, car il permet une gestion fine des risques et une baisse des coûts d’assurance. J’ajoute que la présence systématique d’une participation aux bénéfices dans les régimes mutualisés rend inutile une compétition par le prix et que, au final, le prix payé est proche du tarif d’équilibre.
Oui, les accords de branche présentent un certain nombre d’avantages ; je n’en mentionnerai que quelques-uns.
Le regroupement dans un seul cadre de l’ensemble des assurés permet, d’une part, un suivi de cette population et des actions de prévention, d’autre part et surtout, une gestion fine des invalides pour le maintien de leur revalorisation ou de leur garantie décès.
Du côté des entreprises, celles-ci ont la garantie de trouver un assureur quel que soit l’état de santé de leur effectif ; par conséquent, des entreprises dont les salariés sont plus âgés et/ou plus malades que la moyenne paient le même tarif que les autres. Il en résulte finalement des tarifs sensiblement réduits pour les TPE et les PME.
Que dire en conclusion ? Il y a eu le débat sur l’ANI, puis, quelques mois plus tard, le débat sur la loi de sécurisation de l’emploi. Ne refaisons pas le débat sur l’ANI, qui concernait les complémentaires santé ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)