M. le président. La parole est à M. Gérard César. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon intervention par une remarque : ce n’est pas chose aisée que de survivre à l’avalanche d’expressions dignes de M. de La Palice qu’il nous a été donné d’entendre. Si l’on ajoute à cela le traditionnel verbiage autour des nouvelles pratiques solidaires ou d’utilité sociale, je dirai même que cette discussion générale tourne à l’épreuve d’endurance.
Malheureusement, si je me réfère à la rédaction de l’exposé des motifs du projet de loi, cela n’a rien de très surprenant. En effet, les premières lignes ne sont pas sans rappeler ces manuels du type « l’économie expliquée aux enfants ». Plus inquiétants encore sont les postulats idéologiques qui se manifestent à chaque ligne et à chaque disposition. Je ne remets pas en cause le droit du Gouvernement à présenter un projet de loi inspiré par les thèses socialistes…
M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. Heureusement !
M. Jean-Jacques Mirassou. C'est l'économie sociale, solidaire et socialiste !
M. Gérard César. Mes chers collègues, je vous ai écoutés avec beaucoup d’attention sans vous interrompre. Je vous demande de laisser l’opposition s’exprimer !
M. Bruno Sido. Bravo !
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Sido, allons !
M. Gérard César. Vous dénoncez le modèle capitalistique dit « classique », basé sur la maximisation des profits et donc sur la dimension lucrative d’une activité. Vous oubliez trop vite que l’enrichissement est un moteur puissant pour l’homme et pour les peuples, et que les Français ont le droit d’avoir une ambition individuelle, celle d’améliorer leur condition. Cela passe nécessairement par l’argent.
Aussi, pour montrer en quoi votre projet de loi relève d’une idéologie dépassée, même s’il se complaît dans des sophistications du type « nouveaux référentiels économiques », je concentrerai mon intervention sur deux de ses aspects, qu’ont soulignés tous les intervenants : d’une part, les dispositions déterminant le champ de l’économie sociale et solidaire qui serviront de base à l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » ; d’autre part, les fameuses dispositions afférentes au droit d’information des salariés.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. On y vient !
M. Gérard César. En ce qui concerne la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire, le projet de loi s’adresse directement à l’économie des services à la personne. Nous admettons sans réserve que ce secteur d’activité mérite la réflexion que nous allons lui consacrer. Nous connaissons tous les chiffres : 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires, près de deux millions de salariés. Surtout, ce secteur est idéal pour lutter contre le chômage de longue durée en s’adressant aux populations les plus sensibles. En effet, nous le savons, 82 % des employés du secteur n’ont pas le bac et 40 % des salariés déclarent qu’ils n’avaient pas d’emploi auparavant.
Mieux encore, les effectifs salariés ont progressé en 2011 de 16 %. Ce secteur est effectivement un réservoir d’emplois et de croissance. La situation du secteur des services à la personne est donc la suivante : une offre en pleine croissance, mais la croissance de cette offre ne saurait couvrir totalement la croissance de la demande.
Des occasions sans précédent s’offrent à notre économie. Il convient donc de stimuler l’offre en matière de services à la personne. Malheureusement, si l’on regarde dans le détail les dispositions déterminant le champ de l’économie sociale et solidaire, j’en viens à me demander si votre cadeau, monsieur le ministre, n’est pas empoisonné. Pour rappel, ces dispositions qui permettent à une entreprise ou à une association d’intégrer l’économie sociale et solidaire sont primordiales, car elles rendent éligibles aux prêts de la Banque publique d’investissement et détermineront ultérieurement l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », celui-là même qui rend éligible aux dispositifs de soutien fiscal dits « ISF-PME » et « Madelin ».
Si nous ne nous opposons pas, par principe, à votre dispositif de soutien fiscal rendu possible par l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », en revanche, nous nous opposons fermement aux conditions d’obtention de cet agrément ainsi qu’aux conditions d’intégration dans l’économie sociale et solidaire.
Que dit l’article 1er sur ces conditions d’intégration ? Il dispose que les sociétés commerciales souhaitant intégrer l’économie sociale et solidaire doivent prévoir le prélèvement d’une fraction au moins égale à 15 % des bénéfices affecté à la formation d’un fonds de réserve dit « réserve statutaire », le prélèvement d’une fraction au moins égale à 50 % des bénéfices affecté au report bénéficiaire ainsi qu’aux réserves obligatoires et, enfin, l’interdiction du rachat par la société d’actions ou de parts sociales. En plus de ces restrictions propres aux sociétés commerciales, ces dernières devront viser un but « autre que le seul partage des bénéfices », exigence vague et surtout invérifiable.
Quel est le but de ces restrictions ? Sans doute empêcher que les groupes les plus importants entrent dans le champ de l’économie sociale et solidaire et puissent bénéficier du soutien fiscal. Nous comprenons votre inquiétude, mais la rédaction de l’article 1er est comme un filet aux mailles trop étroites qui empêchera l’immense majorité des entreprises commerciales du secteur d’intégrer l’économie sociale et solidaire.
Quelles sont ces entreprises ? C’est très simple : 65 % des entreprises évoluant dans le secteur des services à la personne comptent moins de cinq salariés. Or même ces très petites entreprises seront prises dans les mailles de votre filet. Par exemple, même un auto-entrepreneur, qui n’est pourtant pas un danger pour les acteurs non commerciaux du secteur, ne pourra pas entrer dans l’économie sociale et solidaire du fait de ces exigences irréalistes. Par comparaison, les réserves légales d’une entreprise, seules réserves obligatoires par défaut pour une entreprise, s’élèvent à 5 % du bénéfice de l’exercice, diminué de l’éventuel report à nouveau débiteur. Nous sommes bien loin des exigences gouvernementales pour entrer dans l’économie sociale et solidaire.
Que dit l’article 7 sur l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » ? Il faut pour cela que l’entreprise fasse la preuve que « la charge induite par son objectif d’utilité sociale affecte de manière significative [son] compte de résultat ou [sa] rentabilité financière ».
Cette disposition me paraît pour le moins incertaine. En effet, selon que l’on a une conception étroite ou souple de l’impact financier de ces charges, l’essentiel des sociétés commerciales du secteur pourront être soit exclues du dispositif, soit intégrées.
Aussi, l’addition des dispositions visées à l’article 1er et de celles qui sont visées à l’article 7 conduira à exclure la majorité des entreprises du secteur des services à la personne de l’économie sociale et solidaire et de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale ». Pour remédier à cette lacune, le groupe UMP présentera des amendements qui auront pour objet d’assurer l’intégration des sociétés commerciales du secteur dans ce dispositif, auquel elles peuvent légitimement prétendre.
Pourquoi soutenons-nous cette position ? Tout simplement parce que le projet de loi, s’il venait à être adopté en l’état, créerait une distorsion de concurrence au détriment des sociétés commerciales évoluant dans le secteur des services à la personne. Celles-ci seront privées du soutien fiscal dont leurs principaux concurrents, associations ou organismes d’insertion, pourront bénéficier. Or ces petites sociétés commerciales n’ont pas les moyens d’évoluer sur le même marché que des agents économiques, sans but lucratif certes, mais qui bénéficient d’avantages fiscaux importants.
Autre point de ce projet de loi, qui soulève de vives interrogations : le droit d’information des salariés.
Les articles 11 et 12 créent un droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine. Quelle est la finalité de ces dispositions ? L’exposé des motifs explique qu’il s’agit de « préserver la viabilité de l’entreprise et [d’]assurer la pérennité de l’activité et de l’emploi ». Vous expliquez également que ce nouvel outil doit permettre le recours aux sociétés coopératives et participatives. Cependant, il nous semble que ce dispositif est assis sur un mécanisme dont les contours sont encore très incertains. En effet, l’article 11 dispose que « la cession d’un fonds de commerce par son propriétaire ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de son intention de vendre » – des amendements ont été présentés en commission visant à relever ce délai à trois mois, six mois, un an, etc.
Vous l’aurez compris, nous sommes, dans le meilleur des cas, dubitatifs à l’endroit de cette disposition, notamment en ce qui concerne l’utilisation de l’expression « intention de vendre ». Le terme « intention » nous semble source de profondes confusions. Il n’est pas question ici d’une démarche proactive de recherche de repreneurs qui peut se manifester formellement, mais il est simplement question d’intention. Or je ne vois pas quel acte formel peut être rattaché à l’intention de vendre. Soit il s’agit d’une décision, et dans ce cas l’arsenal législatif existe déjà, soit il s’agit d’une interrogation, et dans ce cas les questionnements des propriétaires n’ont pas vocation à être publics.
Dans un souci de bien faire, le projet de loi prévoit que « les salariés sont tenus à une obligation de discrétion à l’égard des informations communiquées ». Si la précaution me semble bienvenue, je ne vois pas comment elle pourrait s’appliquer concrètement.
Autre source d’inquiétude, la baisse d’attractivité que cette disposition entraînera. Ces petites entreprises, souvent intégrées à un tissu économique complexe, seront exposées à des tentatives de déstabilisation. Mais, au-delà de ce risque direct, le droit d’information rendra la reprise de nos entreprises moins attractive pour les repreneurs étrangers, qui, dans leur grande majorité, soutiennent un vrai projet industriel.
Ensuite vient la question de l’offre de rachat que les salariés peuvent présenter une fois l’intention de vendre communiquée. Nous ne pouvons que regretter que le texte ne prévoie pas de dispositions visant à prévenir tout risque de proposition de rachat qui viserait uniquement à ralentir d’éventuelles cessions.
Aussi, nous estimons que ce droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’une entreprise saine est superflu, dans le meilleur des cas, voire dangereux pour la viabilité d’une activité économique en exacerbant les craintes des salariés, même si celles-ci sont justifiées.
En ce qui concerne le reste du projet de loi, nous admettons que nombre de dispositions que vous introduisez relèvent du bon sens, monsieur le ministre. Vous le voyez, certains de ses aspects peuvent être positifs ! Il y est en effet question de sécuriser juridiquement et de simplifier la vie des acteurs de l’économie sociale et solidaire, entreprises, associations, coopératives, assureurs.
Permettre aux coopératives exploitées sous forme de société anonyme ou de société à responsabilité limitée de bénéficier du statut de société par actions simplifiée, permettre la constitution d’une coopérative sous forme de SARL à capital variable entre au moins quatre associés et assouplir le régime des SCOP : nous souscrivons à la majorité de ces dispositions.
Malheureusement, les griefs que nous formulons quant à la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire, qui servira de base à l’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » et aux dispositions afférentes au droit d’information des salariés, nous semblent insurmontables pour que nous puissions voter favorablement ce projet de loi. Plus inquiétant encore, ce texte témoigne de la défiance du Gouvernement à l’endroit du monde de l’entreprise. Une chose est certaine : on ne peut pas stimuler la croissance d’un secteur d’activité comme celle de l’économie tout entière en ignorant ostensiblement le monde de l’entreprise ou, pis encore, en faisant croire qu’il est le problème et non la solution.
Pour conclure mon intervention, j’ajoute que ce n’est pas en complexifiant les reprises d’entreprises que l’on protégera leurs employés. Nos 3,3 millions de chômeurs attendent autre chose qu’un surplus de pesanteur législative. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise que traverse notre pays depuis l’automne 2008 a accéléré la reconnaissance et le développement du secteur de l’économie sociale et solidaire. Longtemps considéré comme marginal, ce secteur constitue aujourd’hui un renouveau de l’économie fondé sur des principes de solidarité et de proximité auxquels aspirent en particulier les jeunes.
En promouvant des pratiques nouvelles non seulement plus humaines et respectueuses, mais aussi soucieuses de l’environnement, l’ESS est sans aucun doute l’un des outils qui permettra aux nouvelles générations de redonner du sens à l’économie et de la vie à nos territoires, notamment les plus ruraux. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Il existe en effet des liens forts entre les acteurs de cette filière et les responsables des territoires. Pour illustrer cet ancrage territorial, notons que ce mois de novembre est le « mois » de l’ESS : les vingt-six chambres régionales de l’économie sociale et solidaire s’attachent à faire la promotion du secteur, qui regroupe en France plus de 220 000 structures – associations, mutuelles, entreprises coopératives et d’insertion –, et à en fédérer les acteurs.
Faire « changer d’échelle » ce secteur, tel est l’objectif sur lequel vous avez insisté, monsieur le ministre. Nous le partageons. Veillons cependant à ne pas créer de nouvelles barrières ou sortir du sujet en voulant trop bien faire.
J’attaque d’emblée sur les articles 11 et 12.
M. Marc Daunis, rapporteur. Directement ?
M. Henri Tandonnet. Ces articles, s’ils ne constituent pas le cœur du projet de loi, sont ceux qui ont le plus retenu l’attention des commentateurs, ainsi que celle des sénateurs, si j’en juge par le nombre d’amendements déposés.
L’instauration d’un droit d’information préalable des salariés en cas de transmission d’entreprise de moins de 250 salariés a en effet provoqué des réactions négatives gâchant le nouvel élan de cette loi. Cette mesure semble a priori utile pour faciliter la transmission d’entreprise. Ses défenseurs affirment qu’elle crée une opportunité supplémentaire pour les chefs d’entreprise, qui vendent in fine à qui bon leur semble. Pourtant, loin de rassurer, l’information préalable des salariés peut contribuer à générer l’effet inverse de celui qui est recherché, en créant un climat anxiogène tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. En effet, dans les TPE et PME, la notion de dirigeant est très importante. L’information selon laquelle ce dernier quitte la tête de son entreprise peut être, dans certains cas, un facteur de réelle déstabilisation et fragiliser l’entreprise dans ses relations non seulement avec ses partenaires commerciaux et financiers, mais également avec ses concurrents. Plus la période est longue, plus l’instabilité peut gagner parmi les salariés.
Sur le terrain, la transmission d’une entreprise est une opération délicate et la recherche d’un repreneur est souvent longue et difficile, même lorsqu’il existe des repreneurs potentiels. Cela peut prendre des mois, voire des années. La confidentialité du processus est un facteur clé du succès de la transmission. On aurait donc pu concevoir autrement cette mesure, en la ciblant davantage afin d’adresser l’information aux salariés et aux cadres responsables au lieu de la divulguer à tous les salariés.
Pour ces raisons, je pense qu’un délai incompressible de deux mois pour informer les salariés conduit à multiplier très en amont les risques de divulgation de la cession et peut, par conséquent, déstabiliser la structure concernée. Cette obligation, dans certains cas, est nuisible à la santé de l’entreprise. Il faudrait donc laisser à l’appréciation du dirigeant l’initiative de divulguer cette information et le délai qui lui semble le plus adapté. J’ai déposé des amendements en ce sens, en proposant également de préciser le point de départ de l’action en nullité afin de limiter la durée de l’ouverture des recours qui pourraient naître de ce nouveau droit.
Je ne peux m’empêcher de penser qu’un chef d’entreprise de moins de 250 salariés qui souhaite transmettre son entreprise se donnera la possibilité et les moyens d’encourager la reprise par les salariés, si celle-ci est envisageable. L’information circulera donc.
M. Gérard César. Bien sûr !
M. Henri Tandonnet. En revanche, dans des situations plus délicates, le dirigeant doit avoir le choix de protéger la bonne marche de son entreprise.
La réaction des structures patronales contre ces articles est unanime. Je ne crois pas que ce soit simplement une posture politique de la part de leurs dirigeants nationaux.
M. Yannick Vaugrenard. Non ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vraiment ?
M. Henri Tandonnet. Il s’agit bien de la traduction d’une crainte réelle et légitime ressentie sur le terrain.
La situation des entreprises au moment de leur transmission varie beaucoup d’un cas à l’autre. Il me semblerait beaucoup plus utile d’associer davantage les salariés au fonctionnement des entreprises plutôt que d’imposer des règles d’information inopérantes. L’extension de l’ESS recherchée à travers ce droit d’information me semble donc inappropriée. Je crois, monsieur le ministre, que, dans votre trident, il faudrait enlever une dent. (Sourires.)
En revanche, il faut se féliciter des mesures inscrites dans le texte qui permettent de remédier à des rigidités ou à des insuffisances statutaires des acteurs de l’ESS grâce à l’adaptation de certains des statuts en vigueur. Je salue, à ce titre, la création du statut transitoire de SCOP d’amorçage, qui, lui, constituera un outil précieux pour la transmission d’entreprise au sein du personnel. Vous dites, monsieur le ministre, que cette mesure est complémentaire de l’information des salariés en cas de cession. J’estime qu’elle se suffit à elle-même, et nous la soutenons. Preuve que la reprise d’une entreprise par ses salariés n’est pas un problème politique pour nous !
La création du statut de SCOP d’amorçage est une mesure positive qui permet d’apporter de la souplesse. Le statut transitoire de montée en puissance devrait convaincre les porteurs de capitaux non coopérateurs d’investir dans la société durant la période d’amorçage, et donc de maximiser ses chances de pérennisation.
Jusqu’à présent, les salariés qui voulaient fonder une SCOP devaient d’emblée détenir la majorité du capital social, ce qui est parfois compliqué ; il sera désormais possible de dissocier, durant une période transitoire, la majorité en capital de la majorité en voix, ce qui laissera aux salariés le temps de renforcer leur part au capital de la SCOP. Ce dispositif pourra ainsi prospérer, je l’espère, grâce au mouvement positif lié aux moyens qui pourront être mis à leur disposition par les établissements financiers spécialisés dans la constitution de fonds solidaires. L’association de ces deux outils sera, je le crois, très efficace.
Comme je l’ai rappelé au début de mon intervention, le secteur de l’ESS a la particularité, très précieuse à l’époque actuelle, de créer des entreprises ainsi que des emplois non délocalisables et de bénéficier d’un solide ancrage territorial. Pour organiser et promouvoir cet élan, le projet de loi reconnaît plusieurs structures sur le plan législatif, telles que les chambres régionales de l’ESS, en définissant leurs missions et prérogatives, ce qui est bien.
En revanche, les mesures relatives au fonctionnement, à la composition et aux modalités de désignation des pôles territoriaux de coopération économique et du Conseil supérieur de l’ESS ne sont aucunement détaillées. Il semble important de faire figurer dans la composition de ce dernier la notion de territoire afin que leur représentation puisse assurer une certaine diversité des points de vue.
De trop nombreuses mesures, dont les grandes lignes nécessitent d’être affinées, sont actuellement renvoyées à des décrets. On n’en compte pas moins de vingt-deux dans tout le texte, ce qui me paraît beaucoup ! En tant que législateur, le Sénat vous propose, monsieur le ministre, de retravailler certains points d’ici à la deuxième lecture. Cela serait de bon augure et nous permettrait de ne pas voter des mesures sans en connaître précisément la portée.
Mme Nathalie Goulet. Très bonne idée !
M. Henri Tandonnet. J’ai également examiné avec une attention particulière les dispositions relatives au droit des coopératives. En tant qu’acteurs incontournables de l’ESS, elles ont besoin d’un cadre qui puisse s’adapter aux évolutions de leur mode d’activité. C’est pourquoi j’ai souhaité déposer quelques amendements visant à ne pas alourdir les normes qui pèsent déjà sur leur fonctionnement.
Ainsi, laisser la liberté de décision aux coopérateurs quant à l’affectation des résultats de la coopérative permettrait de conserver la philosophie coopérative. Je propose également une mesure, de moindre ampleur, visant à permettre aux coopératives d’utilisation de matériel agricole, ou CUMA, de répondre aux demandes de travaux agricoles ou d’aménagement des EPCI dont au moins un tiers des communes ne dépasse pas 3 500 habitants. Or l’article 31 du texte réserve cette possibilité aux EPCI dont toutes les communes ont moins de 3 500 habitants, ce qui me semble restrictif, voire bloquant et inefficace pour les CUMA elles-mêmes et pour les territoires très ruraux visés par cette opportunité. En effet, des intercommunalités très importantes comprennent des territoires très ruraux.
Les structures de l’ESS et les entreprises classiques sont complémentaires et participent collectivement à l’essor des bassins économiques locaux, aussi convient-il également de rassurer aujourd’hui les petites entreprises en revenant sur les mesures de l’article 49. Certes, l’ESS a une vocation sociale importante ; elle permet notamment de favoriser l’insertion des travailleurs. N’oublions pas pour autant la santé de notre tissu économique !
Cet article favorisera le recours aux entreprises solidaires dans le secteur des éco-organismes et du traitement local des déchets. Voilà encore une mesure difficile pour les TPE et PME du secteur de la gestion des déchets, qui risquent par conséquent, lors des appels d’offres, d’être pris en tenaille entre, d’une part, les entreprises de l’ESS et, d’autre part, les grandes entreprises, qui, elles, auront les moyens de s’organiser en interne afin de ne pas être défavorisées sur les marchés qu’elles souhaiteront obtenir.
Nous devons exercer notre vigilance sur l'article 49 afin de ne pas encourager la tentation d’opposer l’ESS et l’économie dite « classique ». Ce n’est pas le moment, et ce serait très mal compris. Je préférerais qu’il y ait plus de ponts, plus de relations entre ces deux économies. On sait d’ailleurs que les entreprises du recyclage entretiennent des liens étroits avec les entreprises de réinsertion et qu’elles constituent un débouché naturel pour bon nombre de leurs employés.
Avant de conclure, j’aimerais saluer l’ouverture d’esprit et le travail de la commission, qui ont permis d’adopter de nombreux amendements. Je m’exprime ici en mon nom et en celui de ma collègue Valérie Létard, dont un amendement présenté en commun avec Mme Dominique Gillot a été adopté en commission. Cet amendement tendait à corriger une erreur qui s’était glissée dans la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Il s’agit désormais de l’article 40 A, qui nous satisfait en l’état.
En conclusion, force est de constater qu’il est difficile de légiférer dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. En effet, nous ne devons pas opposer une ESS qui serait vertueuse et une autre économie, qui, au contraire, serait spéculative. Le projet de loi permettra à l’économie solidaire de conforter son rôle d’acteur économique et solidaire des territoires. Je regrette cependant que certaines dispositions du texte s’écartent des enjeux essentiels et viennent en perturber la lisibilité. J’ai aussi quelques craintes quant à leur inscription dans la réalité. C’est pourquoi le vote de ce projet de loi par mes collègues centristes et moi-même reste conditionné à son examen, qui permettra – je l’espère vivement – d’apporter au texte certains aménagements essentiels qui nous tiennent à cœur.
Monsieur le ministre, vous savez qu’en novembre tout prend racine. Je souhaite quand même bon vent à votre texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Votre loi, monsieur le ministre, va faire date : elle représente une nouvelle étape et, vous l’avez dit, un changement d’échelle pour l’économie sociale et solidaire. Elle s’inscrit dans la lignée des lois de 1901 sur les associations, de 1947 sur les coopératives ou d’autres encore. Elle présente en effet l’énorme avantage d’être structurante, globale et de porter une vision d’avenir.
Le groupe socialiste attache une grande importance au fait que l’économie sociale et solidaire ne soit pas simplement considérée comme un supplément d’âme, comme une petite économie que l’on cultiverait tranquillement sous cloche. Selon nous, elle fait partie des trois grands piliers de l’économie contemporaine, de l’économie plurielle. À côté de l’économie classique des entreprises capitalistes et du service public – il existe encore –, l’économie solidaire forme ce que Jacques Delors appelait le « tiers secteur », un secteur coopératif, mutualiste, d’économie sociale. C’est pourquoi nous pensons que c’est en articulant ces trois piliers que nous pourrons développer une croissance créatrice d’emplois, répondre aux besoins de nos concitoyens et relever les défis énergétiques et écologiques.
L’économie sociale et solidaire revient souvent à la mode en temps de crise, parce qu’elle a fait la preuve de sa robustesse. À partir du moment où une partie des bénéfices sert d’abord à assurer la pérennité de l’entreprise, celle-ci résiste mieux. On la trouve donc plutôt attractive, mais, une fois que les choses vont mieux, on a tendance à considérer que, finalement, l’économie classique dite de marché doit à nouveau dominer.
Il est donc très important d’installer dans la durée, de manière forte et structurée, de nouveaux moyens juridiques et financiers pour assurer le développement de l’économie sociale et solidaire, tout en affirmant avec exigence les valeurs qui fondent sa légitimité. Deux dérives doivent cependant être évitées : d’un côté, la marginalisation, qui ferait de l’économie sociale et solidaire une économie à part, et, de l’autre, la banalisation, qui consisterait à dire que, face aux contraintes économiques sociales du marché – car on est quand même dans le secteur de la concurrence –, il faut parfois passer légèrement outre l’exigence de gouvernance démocratique ou d’autres éléments importants.
Voilà pourquoi le projet de loi doit réaffirmer l’identité et le contour de l’économie sociale et solidaire, les exigences à son égard et les forces que l’on veut valoriser en son sein. Tel est l’objet de l’article 1er.
Au sein du groupe socialiste, nous sommes très attachés à la réaffirmation de l’importance du statut de l’économie sociale et solidaire, qui ne dit pas tout mais doit être consolidé. De ce point de vue, il convient de rappeler que l’économie sociale est composée de sociétés de personnes et non de sociétés de capitaux. Je ne redirai pas à quel point ce changement structurel est essentiel.
Nous sommes également très attachés à la démocratie : « un homme, une voix », dit-on un peu rapidement. L’économie sociale et solidaire est une économie plutôt pérenne et elle partage des objectifs communs souvent fortement liés à l’intérêt général. C’est en raison de l’existence de cette dynamique que l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » est fondamental.
Monsieur le ministre, vous avez eu raison de déposer ce texte sur le bureau du Sénat pour son examen en première lecture. Le développement de l’économie sociale et solidaire est de plus en plus lié à un ancrage territorial.
À une époque où tout est mondialisé, où nos entreprises se délocalisent si facilement, où notre production industrielle est si vulnérable, il est très important de compter dans notre tissu économique des entreprises qui, parce qu’elles associent les salariés et sont liées à des initiatives locales, auront à cœur de produire dans les territoires, pour eux et en lien avec eux.