Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. L’objet de l’amendement n° 156 est le même que celui de l’amendement n° 155, que nous avons déjà examiné. Il s’agit en effet d’appliquer une pénalité aux entreprises couvertes par un plan d’action unilatéral relatif à la prévention de la pénibilité. Pour les mêmes raisons que précédemment, la commission a émis un avis défavorable.
L’amendement n° 157 vise à réduire de trois à un an la durée de validité des plans d’action relatifs à la prévention de la pénibilité. Or je ne crois pas qu’il faille distinguer, en ce qui concerne leur périodicité, les accords et les plans d’action relatifs à la prévention de la pénibilité. Leur thème et leur contenu sont identiques, et il n’est absolument pas garanti qu’une négociation qui a échoué soit couronnée de succès moins d’un an plus tard.
Pour cette raison, tout en comprenant les remarques faites par les auteurs de l’amendement, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote sur l’amendement n° 156.
M. Philippe Bas. Les points de vue énoncés par Mme le rapporteur, comme par Mme la ministre, sont réalistes. J’admets tout à fait que, face à un certain nombre de surenchères, le Gouvernement puisse signifier à une partie de sa majorité qu’il y a un moment où le principe de réalité doit l’emporter sur les idéaux.
Mme Annie David. Ce ne sont pas des idéaux !
M. Philippe Bas. Ces idéaux, les différents groupes de la majorité actuelle les partagent sans doute, mais ils doivent savoir qu’il faut chercher à les atteindre en prenant la mesure de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas.
En l’occurrence, il me semble que ces deux amendements servent d’accroche à un discours politique plus qu’ils ne sont véritablement destinés à être adoptés. En effet, leurs auteurs doivent se rendre compte eux-mêmes des effets pervers très importants que leur application pourrait comporter.
En fait, il y a trois types de situation et, pour le deuxième type, une variante. Je les reprends un à un.
Quelle est la situation la plus favorable, celle que nous recherchons tous ? C’est l’accord des partenaires sociaux dans l’entreprise, et ce, non parce que nous aurions une vision irénique de la vie des entreprises, laquelle nous ferait préférer systématiquement l’accord à toute décision unilatérale, mais parce que l’accord est plus efficace, permet d’entendre tous les points de vue et de prendre en considération ce qui vient de la base, c’est-à-dire de ceux qui sont exposés à la pénibilité et, éventuellement, aux risques professionnels. Il y a toute chance, par conséquent, qu’un accord conclu avec les représentants des salariés permette de mettre en œuvre des pratiques de prévention des risques et de diminution de la pénibilité bien supérieures à ce que l’on pourrait obtenir par la voie d’une décision unilatérale. Nous sommes d’accord sur ce point.
Il arrive malheureusement, et c’est le deuxième type de situation, que des désaccords de fond subsistent, soit parce que les points de vue sont inconciliables, compte tenu de la conjoncture propre à l’entreprise, soit parce que certaines organisations, pour des raisons de tactique de négociation, refusent par avance la conclusion d’un accord.
Cette situation connaît deux variantes : le désaccord de bonne foi, d’une part, et le désaccord qui ne donne pas lieu à conclusion d’un procès-verbal en raison de la mauvaise foi de l’un des partenaires, d’autre part. Quel que soit le cas, une pénalité sera ou ne sera pas prononcée.
Si nous ne prévoyons pas que le désaccord doit se résoudre par la mise en œuvre d’un plan unilatéral, nous ne pourrons pas progresser dans la lutte contre la pénibilité. Il est en effet hautement préférable d’avoir un plan unilatéral mis en œuvre par l’employeur que pas de plan du tout.
Je ne comprends pas cette politique du pire que reflètent ces amendements et qui consiste à miser tout sur la pénalité et rien sur le plan de prévention des risques unilatéral que mettrait en œuvre l’employeur.
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
M. Philippe Bas. C’est postuler que l’employeur est toujours de mauvaise foi et que son plan sera toujours mauvais.
Ce plan, je vous l’accorde, sera sans doute moins bon qu’un plan qui résulterait d’un accord. Mais pourquoi partir du principe que mieux vaut pas de plan et des pénalités que pas de pénalités et un plan ? Faisons un peu confiance à nos chefs d’entreprise !
Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas la question !
M. Philippe Bas. Pitié pour nos entreprises, qui sont non seulement montrées du doigt, taxées, surtaxées (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),...
M. Roland Courteau. Vous n’avez pas le sentiment d’exagérer ?
Mme Cécile Cukierman. Qu’elles augmentent les salaires !
M. Philippe Bas. ... mais aussi confrontées à la complexité croissante des règles qui leur sont appliquées. Et voilà que vous ajoutez à cette défiance, en affirmant qu’aucune de ces entreprises ne serait capable de concevoir et de mettre en œuvre, de bonne foi, un plan de prévention des risques professionnels digne de ce nom ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. On ne peut pas rester sans réagir après cette intervention. Quelle caricature ! Vous nous faites dire des choses complètement fausses, monsieur Bas.
Bien évidemment que la situation la plus favorable est celle qui résulte d’un accord sur la pénibilité. C’est le seul élément de votre intervention sur lequel je partage votre point de vue. Nous aussi, nous préférons qu’un accord soit recherché et signé par l’employeur et les représentants élus par le personnel, ou bien par des représentants extérieurs mandatés dans le cas où il n’y aurait pas d’organisation syndicale dans l’entreprise.
Vous nous mettez en garde contre l’attitude de certaines organisations de salariés, qui viendraient à la table des négociations avec la volonté préconçue de ne pas signer l’accord.
MM. Philippe Bas et Jean-Marie Vanlerenberghe. Cela peut se produire !
Mme Annie David. Vous nous demandez également de faire confiance aux patrons. J’ai envie de vous répondre : faites confiance aux organisations syndicales de salariés !
M. Philippe Bas. Aux deux !
Mme Annie David. Tout à fait, aux deux !
Pour notre part, nous demandons que, l’année suivant la mise en place d’un plan unilatéral de prévention des risques à la suite d’un constat de désaccord, on enjoigne aux partenaires en présence, c’est-à-dire à l’employeur et aux représentants des salariés, de revenir à la table des négociations pour aboutir enfin à un accord.
Nous en convenons tous, l’accord est la solution la plus favorable pour tout le monde : pour l’employeur, parce qu’il évite ainsi le paiement d’une pénalité ; pour les salariés, qui bénéficieront de meilleures conditions de travail, l’entreprise ayant pris des mesures pour lutter contre la pénibilité. Car le sujet qui nous occupe, monsieur Bas, c’est la pénibilité des conditions de travail des salariés dans l’entreprise !
Pensez-vous vraiment que des organisations syndicales mandatées par les salariés vont venir à la table des négociations en ayant décidé au préalable de ne pas signer l’accord dans le but que l’entreprise paie une pénalité ? Pensez-vous qu’elles se moquent à ce point des conditions de travail des salariés ? Non, cela ne marche pas comme cela dans les organisations syndicales ! Les représentants des personnels consultent les salariés et travaillent en concertation avec eux au sein de l’entreprise. Ils connaissent donc les mêmes conditions de travail que ceux au nom desquels ils négocient ce fameux accord.
Alors oui, faisons confiance au dialogue social dans nos entreprises et aux représentants des salariés pour proposer, lors de ces négociations, de vraies mesures de lutte contre la pénibilité ! Ces délégués sont tout de même les mieux placés pour connaître les conditions de travail auxquelles ils sont soumis au quotidien.
Vous nous faites parfois passer pour des utopistes qui ne connaissent rien à l’entreprise et qui se battent seulement pour des idéaux.
Oui, nous avons des valeurs, des idées, et elles sont tout aussi respectables que les vôtres ! Nos amendements ne sont pas des prétextes pour défendre je ne sais quelles postures idéologiques. Ces amendements, que mon groupe rédige et présente avec conviction, traduisent les propos de ceux qui nous ont fait confiance en nous permettant de les représenter dans cet hémicycle. C’est leur voix, que l’on n’entend jamais ailleurs, que nous avons envie de porter.
Oui, nous sommes favorables à des accords en faveur de la lutte contre la pénibilité des conditions de travail !
Oui, nous voulons que les entreprises qui ne respectent pas ces accords soient sanctionnées et que ces pénalités soient payées en vue d’abonder le fonds de pénibilité qui permettra, par la suite, de mettre en œuvre des mesures pour lutter contre la pénibilité !
Au XXIe siècle, dans la France de 2013, des salariés travaillent encore dans des conditions inacceptables.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Annie David. Nous ne l’acceptons pas ! J’ai déjà évoqué le cas des travailleurs détachés ; je n’y reviens pas.
Ces amendements ont donc pour objet, je le répète, de faire entendre la voix de ces travailleurs qu’on n’entend nulle part ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Michelle Demessine. Excellent !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je suis particulièrement ému par le discours passionné de ma collègue Annie David, animé par son expérience de l’entreprise.
Mme Annie David. Ce n’est pas la même que M. Bas !
M. Jean Desessard. Cette intervention me conduit à poser la question suivante à Mme la ministre : va-t-on créer des postes d’inspecteurs du travail ?
Dans l’opposition, nous déplorions une baisse de leur effectif. S’ajoute désormais à ce problème la nouvelle comptabilité des points de pénibilité, qui va compliquer la tâche, non des entreprises dotées d’un service des ressources humaines, mais des petites entreprises. Le recrutement d’inspecteurs du travail faciliterait cette réforme.
Deuxième réflexion que m’inspirent les propos de Mme David : le monde du travail est constitué non seulement de moyennes et grandes entreprises, au sein desquelles les salariés sont représentés par des délégués syndicaux, mais aussi de petites entreprises de sous-traitance employant des salariés à temps partiel qui font le sale boulot. Il ne s’agit plus là de négociation entre un patron et une organisation syndicale reconnue, mais d’une situation dans laquelle plusieurs petites entreprises, liées par un contrat de sous-traitance à un grand groupe, font travailler des gens dans des conditions très difficiles.
Pour aider les salariés de ces petites entreprises, qui subissent la pénibilité, la précarité et qui ont du mal à faire valoir leurs droits, il est nécessaire qu’existent des organisations syndicales, certes, mais aussi un corps administratif d’inspecteurs du travail qui puisse les épauler, les informer et effectuer des contrôles.
Mme Cécile Cukierman. Nous partageons ce point de vue !
Mme la présidente. L’amendement n° 159, présenté par Mme David, M. Watrin, Mmes Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 13
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le chapitre III du titre VI du livre Ier de la quatrième partie du code du travail, tel qu’il résulte du I est complété par un article ainsi rédigé :
« Art. L. 4163-5. – Trois mois avant l’échéance de l’accord ou du plan d’action mentionné à l’article L. 4163-2, l’entreprise transmet un bilan à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ou aux délégués du personnel. Si les engagements n’ont pas été tenus, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi prononce une pénalité dans les conditions définies à l’article L. 4163-2. »
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Cet amendement vise à instaurer un dispositif d’évaluation des résultats sur les accords ou les plans d’action négociés, afin de prévenir la pénibilité dans les entreprises.
Si l’instauration d’une reconnaissance de la pénibilité au travail ne peut qu’être saluée, il convient toutefois d’en garantir l’application. Ainsi, à l’issue de l’évaluation, si les engagements pris par les entreprises n’ont pas été respectés, il appartiendra à l’autorité administrative compétente de prononcer une pénalité.
Le projet de loi tel que proposé permet aux entreprises d’appliquer ce texte a minima par le biais d’un plan d’action qui pourra être décidé de manière unilatérale, et donc sans concertation, par l’employeur.
En France, aujourd’hui, plus de la moitié des entreprises ne respecteraient pas leurs obligations de prévention. Selon un rapport de 2010 de la sécurité sociale portant sur l’année 2009, près d’un million d’accidents de travail – 3,6 % des salariés – sont enregistrés annuellement et sont cause de plus de 500 décès.
Mme Cécile Cukierman. Écoutez bien, mes chers collègues !
Mme Isabelle Pasquet. Les maladies professionnelles, quant à elles, progressent de 8 % par rapport à l’année précédente, une tendance observée depuis dix ans.
Oui, l’exposition à des facteurs de pénibilité se traduit par des accidents du travail et des maladies professionnelles pour les salariés ! On déplore ainsi chaque jour, dans notre pays, deux morts par accident du travail et plus de dix des suites d’une exposition à l’amiante.
Mme Cécile Cukierman. C’est ça que vous voulez ?
Mme Isabelle Pasquet. Nous sommes face à une situation d’urgence sanitaire, absolument pas prise en compte, qui nécessite une politique volontariste.
Si cet article 8 relatif à l’accord et au plan d’action en faveur de la prévention de la pénibilité devait être adopté, pourquoi ne pas y préciser les modalités d’évaluation de ces actions spécifiques ? On ne peut pas, d’un côté, inciter les entreprises à définir des plans d’action pour lutter contre la pénibilité et, de l’autre, ne pas en évaluer les résultats. Cette situation n’est pas tenable.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Isabelle Pasquet. Par cet amendement, nous proposons donc d’inciter les entreprises à mettre en place une véritable politique de prévention de la pénibilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Par cet amendement, il s’agit de confier à la DIRECCTE le soin de contrôler l’exécution de l’accord ou du plan d’action relatif à la prévention de la pénibilité.
L’accord ou le plan d’action doit comporter des objectifs chiffrés, dont la réalisation est mesurée à leur échéance grâce à des indicateurs, lesquels sont communiqués annuellement au CHSCT. C’est donc aux partenaires sociaux présents au sein de l’entreprise de réagir lors de la renégociation de l’accord – ou, le cas échéant, du débat relatif au plan d’action – si les objectifs initiaux n’ont pas été atteints. Les services de l’État n’ont donc pas à intervenir. Aussi la commission a-t-elle émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. En cas d’accord, celui-ci est intégré dans le contrat de travail. Dès lors, le salarié doit pouvoir employer les recours de droit commun.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Mais ce n’est pas le salarié qui conclut l’accord !
M. Gérard Longuet. Sauf erreur de ma part, le contentieux naturel est celui de l’application des conventions collectives, dans la tradition de la loi du 11 février 1950.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Il ne s’agit pas d’un accord personnel !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Monsieur Longuet, tous les accords conclus au sein de l’entreprise, notamment les plans unilatéraux, ne sont pas intégrés dans le contrat de travail, qui lie simplement un employé à son employeur. Ce sont là deux choses différentes.
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Bien sûr !
Mme Annie David. Je songe par exemple aux dispositions relatives aux 35 heures. Le contrat de travail mentionne certes l’horaire, mais non l’accord en tant que tel. Je le répète, les accords relatifs à la pénibilité ne seront pas déclinés dans ce document.
Pour en revenir à ce que disait M. Bas il y a quelques instants, lorsqu’on se heurte à un désaccord, les organisations syndicales n’apposent pas leur signature au bas du procès-verbal. Dès lors, l’entreprise peut établir comme elle le souhaite le plan unilatéral qu’elle choisira ou non de mettre en œuvre. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement : bon nombre de plans peuvent être décidés unilatéralement par un employeur, mais si rien ne permet de les appliquer un tant soit peu par la suite, rien ne se fera dans l’entreprise.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Une fois n’est pas coutume, je souscris aux propos de Mme le rapporteur : si, lorsqu’un accord ou un plan d’action arrive à échéance, on constate que tous les engagements n’ont pas été tenus ou qu’ils ne l’ont été – plus vraisemblablement – que partiellement, c’est lors de la renégociation qu’il faut agir. Je ne suis donc pas favorable à cet amendement, qui tend à infliger des pénalités en cas de non-respect à l’échéance.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Il s’agit là d’une question délicate : faut-il ériger le juge ou bien l’inspecteur du travail en censeur ou en évaluateur de l’application des accords dont nous débattons ?
S’il s’agit du juge, lequel doit intervenir ? Seule une partie des accords collectifs peut être inscrite dans le contrat de travail, je l’entends bien. Toutefois, s’il s’agit d’un accord collectif portant sur la durée du travail ou sur l’évolution des salaires, certaines dispositions s’y incorporeront.
Mme Annie David. C’est ce que j’ai dit !
M. Philippe Bas. Si les engagements de l’employeur ne sont pas tenus, n’importe quel salarié pourra en revendiquer l’application devant les prud’hommes.
Mme Annie David. Mais il ne s’agira pas d’un contrat de travail !
M. Philippe Bas. Comme Mme David vient de le souligner à juste titre, une partie de l’accord collectif présente, dans ce cas, une dimension individuelle dont le salarié peut se prévaloir.
Parallèlement, en cas de violation de l’accord par le chef d’entreprise, le juge de l’accord de travail peut également être saisi par toute organisation syndicale.
Ainsi, si l’on se place dans la logique de la négociation, qui est justement celle que défendent nos collègues du groupe CRC et que nous défendons également, quoique d’une autre manière, il faut en tirer toutes les conséquences. Il faut considérer que, dans cette partie du droit du travail qui concerne la pénibilité, il n’y a pas lieu d’appliquer des règles différentes du droit commun. Dès lors, on se tourne vers le juge de droit commun.
Cela étant, les auteurs de cet amendement soulèvent la question suivante : ne vaut-il pas mieux se tourner vers l’inspecteur du travail que vers le juge ? C’est un vaste débat, qui a rebondi dans d’autres domaines du droit du travail au cours des vingt-cinq dernières années. Il s’agit, là aussi, d’une question délicate.
Je suis assez convaincu par les arguments donnés par Mme le rapporteur et approuvés par Mme la ministre, auxquelles je présente mes excuses à ce titre, car je ne voudrais pas que mon soutien leur paraisse trop encombrant auprès de leurs partenaires. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Je résumerai ces motifs en quelques mots.
Certes, si les engagements n’ont pas été tenus au terme du plan ou de l’accord, il s’agira là d’un élément majeur de la négociation, qui pourra conduire des organisations syndicales à refuser de conclure un nouvel accord et à exposer ainsi l’employeur à des pénalités. Néanmoins, cela ne prive en aucun cas les organisations syndicales et les représentants du personnel du droit à former un recours devant la juridiction compétente pour violation des engagements pris. Au reste, ce recours peut être formé à tout moment, si les organisations syndicales s’y jugent fondées pour avoir constaté, de leur point de vue, le non-respect de l’un des engagements.
Pour toutes ces raisons, et après avoir discuté de cette question avec mes collègues du groupe UMP – sans a priori négatif de principe concernant cette disposition –, nous ne pouvons que recommander le rejet de cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour explication de vote.
Mme Isabelle Pasquet. Pour la première fois, un projet de loi affiche comme objectif de prendre en compte les conséquences de la pénibilité du travail.
Mme Laurence Rossignol. Pour la première fois !
Mme Isabelle Pasquet. Toutefois, le Gouvernement a choisi de présenter un texte de loi si complexe que son application pose question et qu’il laisse craindre un usage partiel de ces dispositions, notamment dans le cadre des négociations d’entreprise. En effet, si cette réforme des retraites introduit plusieurs dispositions dans les codes du travail et de la sécurité sociale au sujet de la pénibilité au travail, elle ne prévoit pas d’évaluer les résultats des plans d’action mis en place, alors que ceux-ci peuvent être décidés unilatéralement par l’employeur.
Pourtant, la pénibilité au travail est une réalité grandissante pour bon nombre de nos concitoyens. Je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai développés en présentant cet amendement. Je souligne simplement que, dans son étude « Santé et travail des Franciliens » issue de l’exploitation régionale du baromètre santé 2010 de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, près de la moitié des actifs franciliens déclarent travailler dans des postures pénibles ou fatigantes.
L’exposition à des facteurs de risques professionnels engendrant des inégalités d’espérance de vie, elle nécessite la mise en place de dispositifs de prévention de la pénibilité. Évaluer ces actions spécifiques ne pourrait être que bénéfique aux salariés et aux entreprises. Ces dernières disposent notamment des outils de contrôle nécessaires à l’amélioration des dispositifs de prévention.
Il me semble important que les DIRECCTE soient chargées de ce dossier. En effet, elles peuvent jouer un rôle de modérateur et trouver ainsi toute leur place dans la lutte contre la pénibilité. C’est pourquoi, je le répète, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
I. – Après l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 161-17-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 161-17-4. – L’âge prévu à l’article L. 161-17-2 est abaissé, à due concurrence du nombre de trimestres attribués au titre de la majoration de durée d’assurance prévue à l’article L. 351-6-1, dans des conditions et limites fixées par décret. »
II. – La sous-section 1 de la section 2 du chapitre Ier du titre V du livre III du même code est complétée par un article L. 351-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 351-6-1. – I. – Les assurés titulaires d’un compte personnel de prévention de la pénibilité prévu à l’article L. 4162-2 du code du travail bénéficient, dans les conditions prévues à l’article L. 4162-4 du même code, d’une majoration de durée d’assurance.
« Cette majoration est accordée par le régime général de sécurité sociale.
« II. – La majoration prévue au I du présent article est utilisée pour la détermination du taux défini au deuxième alinéa de l’article L. 351-1.
« Les trimestres acquis au titre de cette majoration sont, en outre, réputés avoir donné lieu à cotisation pour le bénéfice des articles L. 351-1-1 et L. 634-3-2 du présent code, du II des articles L. 643-3 et L. 723-10-1 du même code, de l’article L. 732-18-1 du code rural et de la pêche maritime et de l’article L. 25 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l'article.
Mme Isabelle Pasquet. En 2010, Nicolas Sarkozy, qui savait que sa réforme des retraites était contestée dans la rue, a voulu donner l’illusion de prendre en compte les besoins spécifiques des salariés exposés à des facteurs de risques. Ainsi, il a permis à certains d’entre eux, sous certaines conditions, d’obtenir une retraite « anticipée » à sa manière. En effet, cette disposition permettait à de très rares bénéficiaires de partir à la retraite à soixante ans, c’est-à-dire l’âge légal, avant qu’il ne le repousse. En définitive, par l’accumulation des règles et des restrictions, cette demi-mesure n’a totalisé que 5 000 bénéficiaires, quand elle aurait pu, théoriquement, en compter 30 000.
En la matière, le présent texte constitue indéniablement une amélioration. Il va également plus loin que les recommandations formulées au titre du rapport Moreau, qui ne prévoyait que la possibilité d’accorder aux salariés le droit de racheter des trimestres manquants, autrement dit d’éviter des périodes sans cotisations et non de garantir un droit à la retraite anticipée. Désormais, cette possibilité sera ouverte : les assurés pourront utiliser les points qu’ils auront cumulés du fait de leur exposition à des facteurs de risques, à la fois pour avancer leur âge de départ à la retraite à due concurrence du nombre de trimestres attribués grâce au compte et pour bénéficier d’une majoration de trimestres attribués par la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV.
Nous sommes, de prime abord, sensibles à cette approche, qui constitue le second volet du présent projet de loi en matière de pénibilité. Les précédents articles organisaient la prévention. Celui-ci, pour sa part, organise la réparation. Or c’était là la pierre d’achoppement avec le patronat, lequel refusait d’admettre que le travail pouvait être à l’origine d’une dégradation précipitée de l’espérance de vie et de l’espérance de vie en bonne santé. Visiblement, le MEDEF n’a pas pris connaissance des études statistiques démontrant que les conditions de travail des salariés sont en grande partie responsables des écarts observés en la matière : sept ans d’espérance de vie séparent, en moyenne, un cadre et un ouvrier, au détriment du second, bien entendu.
Néanmoins, cette faculté est strictement encadrée. Au mieux – c’est-à-dire en cas d’application complète du dispositif –, un salarié exposé pendant toute sa carrière à deux facteurs de risques ou plus ne pourra prétendre qu’à un départ à la retraite anticipé de deux ans. Ainsi, il pourra prendre sa retraite à soixante ans.
Paradoxe, alors que le Gouvernement souhaitait se démarquer de la réforme de 2010, in fine seuls les salariés qui sont exposés à des travaux pénibles et qui bénéficient du dispositif de carrière longue pourront prétendre à un départ à soixante ans.
Je reconnais que le dispositif proposé s’adresse potentiellement à un plus grand nombre de salariés que le système mis en place par M. Woerth. Certains éléments ne nous laissent pas moins dubitatifs.
Ainsi, pourquoi avoir renoncé à attribuer des points à titre rétroactif ? Il est certes nécessaire d’attendre l’élaboration d’une liste pour certains facteurs nouveaux, mais une fois ce document établi, pourquoi ne pas accorder des points au titre des expositions passées, sur la base même du contrat de travail ?
J’ai bien entendu l’argument selon lequel les fiches prévues à l’article 6 n’existant pas – même si cet article va certainement ressusciter à l’Assemblée nationale – et les fiches prévues par la loi de 2010 n’ayant pas été remplies, il serait difficile d’évaluer le degré ou la réalité de l’exposition du salarié à un ou plusieurs facteurs de risques.
Il est certaines professions où le travail est par essence pénible. Les ouvriers du BTP, qui réalisent des travaux en extérieur, été comme hiver, qui portent de lourdes charges et qui sont appelés à travailler en hauteur sont, personne ne le niera, exposés à des facteurs de risques.
De la même manière, est-il vraiment nécessaire d’attendre les nouvelles fiches pour mesurer l’exposition à des facteurs de risques de salariés au contact de substances chimiques dangereuses qui font l’objet de déclaration depuis des années, alors que, depuis le 7 mars 2008, l’article R. 4412-40 du code du travail dispose que « l’employeur tient une liste actualisée des travailleurs exposés aux agents chimiques dangereux très toxiques, toxiques, nocifs, corrosifs, irritants, sensibilisants, cancérogènes, mutagènes et toxiques de catégorie 3 pour la reproduction ainsi qu’aux agents cancérogènes mutagènes et toxiques pour la reproduction définis à l’article R. 4412-60. Cette liste précise la nature de l’exposition, sa durée ainsi que son degré, tel qu’il est connu par les résultats des contrôles réalisés ».
Pourquoi donc ne pas permettre aux salariés exposés à trois ou quatre facteurs de risques de cumuler plus de points que celles et ceux de leurs collègues qui ne sont exposés qu’à deux de ces facteurs ? Il est pourtant évident que plus les facteurs sont nombreux, plus les sources d’exposition sont diversifiées, plus les salariés sont fragilisés et encourent le risque de contracter de multiples maladies professionnelles, notamment à effets différés. Pourquoi, dès lors, ne pas avoir accordé plus de points aux salariés dont l’exposition a été plus longue ?
À notre grand regret, le départ à la retraite à soixante ans en cas de travaux pénibles, que nous défendions ensemble, n’est toujours pas possible. Tout nous porte à croire que les conditions limitatives que vous avez introduites ont été conçues de telle sorte que le symbole d’un départ à la retraite à taux plein avant soixante ans ne puisse être concrétisé. En raison de quoi, le groupe CRC s’abstiendra sur cet article.