M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, sur l'article.
Mme Corinne Bouchoux. Après un article 1er portant sur les principes, l’article 2 institue la mesure dite « phare » de ce projet de loi : l’augmentation progressive, jusqu’à 43 ans, de la durée minimale de cotisation pour liquider une pension à taux plein.
Notre collègue vient de le démontrer brillamment, ce projet de loi est sexiste ; je ne reviendrai donc pas sur ce point.
L’idée d’augmenter la durée d’assurance n’est pas nouvelle. Nous l’avions combattue lors des précédentes réformes Balladur, Fillon, Sarkozy, Woerth. Aujourd’hui, c’est la première fois, sauf erreur de notre part, qu’une telle mesure est le fait d’un gouvernement de gauche. Néanmoins, c’est toujours le même argument : « Vivre plus pour travailler plus » !
Il faut, selon nous, se méfier de ces formules simples, et même simplistes, qui tordent la réalité avec l’apparente force de l’évidence. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les faits : au cours du siècle dernier, l’espérance de vie a globalement doublé, passant de 45 à 80 ans, pendant que la durée hebdomadaire du travail a été divisée par deux, passant de 70 heures en 1900 à 35 heures aujourd’hui.
De plus, la part de la vie consacrée au travail a également beaucoup diminué : les enfants et les personnes âgées, et c'est heureux, ne travaillent en principe plus. Il en résulte que, pour un individu moyen, le nombre d’heures travaillées rapporté au nombre d’heures de vie est en constante diminution, et ce malgré le doublement de l’espérance de vie. Travailler plus lorsqu’on vit plus n’est donc pas une évidence ! Tout cela demande un peu de réflexion et de recul historique.
Reconnaissons-le, le problème est surtout démographique. Il tient principalement, comme l’ont dit les orateurs précédents, au fait que la classe d’âge du papy-mamy-boom, plus nombreuse que les suivantes, arrive maintenant à la retraite. Toutefois, cela fait quarante ans que ce phénomène est prévisible, et il avait d’ailleurs été anticipé par le gouvernement Jospin, qui avait créé à cet effet le fonds de réserve des retraites.
M. Alain Néri. C'est vrai. Et c’était une bonne réforme !
Mme Corinne Bouchoux. Malheureusement, ce fonds a été insuffisamment abondé par les gouvernements suivants, avant d’être dévoyé par la réforme de 2010.
Quant à l’augmentation de la durée de la vie, elle a bien un impact sur la masse des pensions, mais celui-ci est très faible. Pour les pensions de droit direct, la CNAV a calculé que, entre 2002 et 2017, l’allongement de la durée de vie a accru le montant des pensions à verser de 1,9 milliard d’euros. Par comparaison, ce sont 11,8 milliards d’euros, soit six fois plus, qui sont imputables au papy-mamy-boom, le tout rapporté à un montant total, en 2017, de 95 milliards d’euros. Faire porter le financement sur l’allongement de la durée de cotisation au motif que l’on vit plus longtemps est donc totalement injustifié !
Ce ne serait rien si, en plus d’être inepte, ce raisonnement n’était aussi injuste. En période de chômage, le nombre d’heures travaillées dans la société n’est pas lié à la durée de cotisation – cela se saurait !
Depuis 2008, le nombre de chômeurs de longue durée de plus de 50 ans a augmenté de 150 %. Autrement dit, allonger la durée de cotisation ne leur redonnera pas un emploi. Cette mesure n’aura donc pour effet que de contribuer à transformer des retraités en chômeurs, ou bien, si certains parviennent à se maintenir dans l’emploi, d’accroître encore un chômage des jeunes qui tourne déjà autour du taux alarmant de 24 %.
Ce faisant, en posant cette solution comme un remède miracle, on oublie de se poser la bonne question. Et si, au-delà de la question conjoncturelle du papy-mamy-boom, le véritable problème tenait moins à un surplus de dépenses qu’à un manque de recettes ? En effet, les cotisations pour la retraite sont assises sur les salaires. Or, vous le savez comme moi, mes chers collègues, la part de la valeur ajoutée attribuée aux salaires a tendanciellement baissé de cinq points au cours du demi-siècle dernier. Ce sont autant de cotisations en moins.
Plus récemment, la crise financière a accru de trois points le chômage, qui est passé de 7,5 % en 2008 à 10,5 % aujourd’hui. Même le rapport Moreau ne conteste pas la très grande responsabilité de la crise financière dans les besoins de financement du système de retraites.
Aussi, pourquoi ne pas chercher un remède en adéquation avec le mal ? Pourquoi ne pas soumettre à cotisation les revenus financiers distribués par les entreprises ? Cela permettrait d’offrir à notre système de retraites une source de financement cohérente avec les difficultés dont il souffre et aussi de freiner la financiarisation folle de l’économie, qui nous a menés – nous sommes tous d’accord sur ce point ! – au désastre.
En résumé, non seulement cet article apporte une mauvaise réponse, mais, surtout, il ne pose pas les bonnes questions. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, sur l'article.
Mme Isabelle Pasquet. Je voudrais dire mon opposition tant à la mesure proposée qu’à son postulat économique.
J’aimerais croire que cet article n’est pas la conséquence des exigences européennes. Pourtant, tout nous conduit à penser que cette réforme, lorsqu’on la compare aux attentes de nos concitoyens, constitue la contrepartie promise par la France à la Commission européenne en échange du répit de deux ans accordé sur le déficit de la France.
Madame la ministre, vous contestez cette réalité et justifiez l’allongement de la durée de cotisation par le déséquilibre financier de la CNAV et par l’allongement de l’espérance de vie, un peu comme si, contrairement à ce que nous affirmions ensemble en 2010 aux côtés des salariés, il fallait que toute l’espérance de vie gagnée soit transformée en temps travaillé ; ou un peu comme si, pour combler le déficit des comptes sociaux, il n’y avait d’autre solution que de faire payer les salariés, soit en allongeant leur durée de cotisation, soit en réduisant leurs pensions.
Et pourtant, malgré les sommes a priori colossales dont il est question ici, et qui inquiètent légitiment nos concitoyens, il faut admettre que le déficit de la branche vieillesse, comme celui de la sécurité sociale dans son ensemble, est non pas structurel, mais conjoncturel.
C’est bien la crise et les destructions massives d’emplois qui l’accompagnent qui creusent le déficit de la sécurité sociale. Selon l’économiste Henri Sterdyniak, « sans la crise, le système de prestation retraite et chômage serait excédentaire de 6 milliards ».
Cette crise a, par ailleurs, été aggravée sous le poids terrible des politiques d’austérité qui sont menées en France et en Europe, au point que, entre 2011 et aujourd’hui, notre dette publique, au lieu de baisser, a crû dans des proportions importantes, passant de 85,9 % à 91,7 % du PIB.
Dans le même temps, alors que l’avenir de nos retraites serait remis en cause en raison des déficits de la branche vieillesse, vous continuez à priver cette dernière des quelque 30 milliards d’euros de cotisations sociales qui partent en fumée chaque année, sous la forme d’exonérations de cotisations sociales pour les employeurs.
Comme si, subitement, ces sommes colossales, qui participent à la destruction de l’emploi et à la pression sur les salaires, n’étaient plus indispensables au financement des retraites.
Comme si le retour à la retraite à 60 ans pour toutes et tous ne dépendait ni de ces exonérations ni même de la taxation des revenus financiers que vous ne cessez de repousser.
Comme si, au final, il n’y avait pas d’autre choix que de faire payer les salariés.
Avec mes collègues du groupe CRC, nous refusons cette analyse. En fonction du sort qui sera réservé à cet article après la mise aux voix des amendements de suppression, nous vous ferons peut-être la démonstration que des solutions de substitution solidaires et durables existent, afin de passer d’une réforme injuste, car elle est essentiellement supportée par les salariés, à une réforme qui soit tout à la fois efficace pour réduire les déficits, durable dans le temps et juste dans ses effets. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.
Mme Laurence Cohen. L’allongement de la durée de cotisation que prévoit cet article n’est évidemment pas une mesure neutre. Elle s’inscrit dans la continuité, cela a été dit, de la réforme Woerth-Fillon de 2010 et l’aggrave considérablement.
En effet, non seulement elle ne remet pas en cause le report de l’âge légal à taux plein que nous avions pourtant combattu ensemble, mais elle allonge encore un peu plus la durée de cotisation.
Je déplore très fortement, avec l’ensemble des membres de mon groupe, que vous tentiez de justifier l’allongement de la durée de cotisation, comme en 1993, en 2003 ou en 2010, par l’allongement de l’espérance de vie de nos concitoyens. Vous oubliez, au passage, que si l’on vit plus longtemps, ce n’est pas un hasard : c'est précisément parce que notre régime de protection sociale a permis aux salariés de partir plus tôt à la retraite.
Qui plus est, le raisonnement mathématique, quasiment comptable, qui consiste à accroître systématiquement la durée de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie est partiel. Il élude une réalité : l’espérance de vie en bonne santé.
Vivre plus longtemps est une chose, mais vivre plus longtemps en mauvaise santé, notamment en raison des inégalités en tout genre – territoriales, sociales, économiques, d’accès aux soins… – en est une autre.
Tous les indicateurs, y compris celui qui est baptisé « espérance de vie sans incapacité », l’attestent : nos concitoyens vivent de plus en plus mal, au point que l’espérance de vie en bonne santé d’une femme née aujourd’hui est de 74 ans, alors qu’elle était de 77 ans pour une femme née en 2004.
Deuxième élément qui va contre l’article 2 : l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein est une injonction à travailler plus. Le Gouvernement va donc à l’encontre d’une évolution existant depuis des décennies, à savoir la réduction de la durée de la vie professionnelle, de 37,5 ans pour les hommes de la génération 1950 à 35 ans pour ceux de la génération 1970. Aussi, de plus en plus de salariés ne pourront pas partir à l’âge minimum légal avec une retraite complète.
Cette dégradation littéralement programmée du niveau de pension risque de pousser de plus en plus de retraités à cumuler leur pension avec un emploi. Depuis cinq ans, le nombre de ces retraités travailleurs a plus que doublé, avec, pour conséquence, un nombre moins élevé d’emplois accessibles aux non-retraités et une concurrence accrue entre salariés, ce qui, vous le savez, mes chers collègues, abaisse les normes salariales.
La pension de retraite n’est plus la possibilité d’un temps libre et autonome, délivré des contraintes du travail. Elle devient une forme de substitut au salaire, voire une sorte de complément obligatoire pour pouvoir vivre à peu près correctement. On marche sur la tête ! Je vous rappelle que nous sommes en 2013.
Ce que la gauche a su faire il y a trente ans, en instaurant le droit à la retraite à 60 ans, devrait aujourd'hui être amplifié et amélioré, à l’aune des progrès scientifiques et technologiques, par le gouvernement de gauche au pouvoir. Or l’article 2 du projet de loi va précisément dans le sens contraire.
Tout au long du débat que nous avons eu jusqu’à présent, nous avons essayé de montrer que des propositions de rechange existaient et qu’il était possible de réunir une majorité pour les adopter. Nous déplorons que ce choix ne soit pas retenu.
Vous l’aurez compris, nous sommes totalement opposés à l’article 2.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l'article.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec cet article 2, nous sommes au cœur de la réforme.
Si, depuis hier, nous avons beaucoup parlé des retraites, nous avons finalement assez peu évoqué toutes celles et tous ceux qui, nés après 1972, devront travailler un an de plus, et celles et ceux pour qui l’âge de départ à la retraite ne signifie plus rien, le nombre d’annuités augmentant réforme après réforme.
Que cela soit proportionnel ou pas, le résultat est le même. La réalité, c’est que, pour partir à 62 ans, il faudra avoir commencé à travailler à 19 ans et ne pas avoir connu de rupture dans sa vie professionnelle.
Le rôle des élus est de défendre l’intérêt général. Or force est de constater que, parmi les nombreux élus évoquant la nécessité de cotiser un an de plus, certains osant même dire ici que cette réforme ne changera rien, peu sont nés après 1972 ! Si l’on tirait un film de nos séances, on pourrait l’intituler Jeunes, travaillez plus, c’est pour votre bien !
Mes chers collègues, permettez-moi d’être en colère, non pas pour moi, mais pour toutes celles et tous ceux qui vont être touchés par cette réforme et qui s’y résignent. Madame la ministre, vous avez raison, il n'y a pas eu foule, comme en 2010, pour se mobiliser contre cette réforme. Toutefois, en politique, l’adage « qui ne dit mot consent » ne trouve pas à s’appliquer, et c’est plutôt une résignation qu’une acceptation de cette réforme qui s’exprime aujourd'hui.
La génération touchée est celle que l’on a appelée, pendant des années, la « génération Mitterrand ». Pour cette génération, dont les parents se sont, le plus souvent, réjouis de l’élection de mai 1981, cette élection marquait une rupture, un changement possible. Le départ à la retraire à 60 ans, les 37,5 ans de cotisation, les 39 heures hebdomadaires, la cinquième semaine de congés payés : telles furent les premières mesures qui suivirent l’élection.
Cette génération – la mienne ! – a fait des études. Que d’émotions à l’obtention d’un CAP, d’un BEP, d’un bac, autant de diplômes qui avaient semblé inaccessibles à leurs parents. Le message, alors, était clair : travaillez, faites des études et vous réussirez, en prenant le temps de vivre.
Aux filles, on a dit de poursuivre des études, condition indispensable de l’indépendance, ou bien de s’arrêter de travailler, pour le bien-être de leurs enfants. Qu’elles aient fait le premier ou le second de ces choix, elles le paieront très cher au moment de leur retraite avec votre réforme.
En 1995, nous étions quatre millions d’étudiants – un atout pour la société, disait-on alors. Pourtant, entre les années d’enfance et les « années fac », la situation avait bien changé : désenchantement et désillusion nous avaient minés.
Le retour de la gauche en 1997 a rouvert quelques espoirs. En effet, un gouvernement français osa dire, mais pour la dernière fois, que l’on peut continuer de travailler moins sans gagner moins pour autant.
Depuis lors, les jeunes de cette génération se sont mariés ; ils ont parfois divorcé. Ils sont devenus fonctionnaires, salariés du privé ou chômeurs, et tous se sont alors souciés de leur retraite, qui, telle l’oasis dans le désert, s’éloigne à mesure que l’on s’approche d’elle.
Tout le monde parle du devenir des retraites, en toute occasion de la vie quotidienne : en allant chercher les enfants à l’école ou à leur cours de sport, en les amenant à un goûter d’anniversaire. Et, si personne ne s’attendait à un grand changement, nul ne s’attendait à ce que ce soit pire.
Madame la ministre, vous devez relayer ce ressenti de la population auprès de l’ensemble du Gouvernement. Au demeurant, celui-ci devra assumer la responsabilité d’avoir entériné la casse du droit à la retraite.
Vous nous parlez de l’allongement de l’espérance de vie. Et alors ? Il y a une quinzaine de jours, avec de nombreux collègues enseignants, je me rappelais qu’à notre entrée dans la fonction publique, en 2001, on nous avait promis la retraite à 60 ans, après 37,5 ans de cotisation et avec un an d’abattement par enfant. En 2003, grâce à M. Raffarin, cet abattement était ramené à six mois par enfant. Puis, peu à peu, grâce aux gouvernements de droite, nous sommes arrivés à la retraite à 62 ans, après 42 ans de cotisation. Aujourd'hui, il est question de 43 ans de cotisation.
Une chose est sûre : notre espérance de vie n’a pas augmenté de six ans et demi pendant cette période ! Et je ne parle pas de l’évolution en cours concernant les pensions pour les mères de trois enfants.
Votre argument ne tient donc pas. Il tient encore moins quand on sait que le nombre des plus de 55 ans qui se retrouvent au chômage augmente d’année en année.
Je ne suis pas une utopiste, car l’utopie, c’est ce qui permet au peuple de ne pas réagir et de ne pas se mobiliser. Toutefois, nous le répétons et le répéterons encore : d’autres solutions existent.
Madame la ministre, jusqu’où irons-nous dans la remise en cause de ces acquis sociaux ? L’argument consistant à nous dire que la pénibilité sera mieux prise en compte ne tient pas. Le misérabilisme, ce n’est pas la gauche ! N’opposez pas les salariés entre eux et prenez vos responsabilités, en taxant la spéculation financière et en réduisant les écarts salariaux entre femmes et hommes, de manière à dégager les revenus nécessaires pour maintenir le système par répartition juste et équitable.
Cela, ce n’est pas seulement le groupe CRC qui le dit. C’est un collectif d’associations, de syndicats, d’organisations politiques diverses, car, oui, madame la ministre, c’est cela que nous voulons offrir à nos enfants, nous qui avons contribué à la défaite de la droite en 2012, comme nos parents avaient contribué à celle de la droite en 1981. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 14 rectifié bis est présenté par Mmes Lienemann et Claireaux et M. Rainaud.
L'amendement n° 250 est présenté par MM. Longuet et Cardoux, Mmes Boog, Bruguière, Bouchart, Cayeux, Debré et Deroche, M. Dériot, Mme Giudicelli, MM. Gilles et Husson, Mme Hummel, MM. Fontaine, de Raincourt, Laménie et Milon, Mme Kammermann, M. Pinton, Mme Procaccia, M. Savary et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 321 rectifié est présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 14 rectifié bis.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons déposé, Mme Claireaux, M. Rainaud et moi-même, un amendement visant à la suppression de cet article.
L’affirmation politique est claire. Certes, madame la ministre, la réforme proposée par le Gouvernement comporte des points éminemment positifs. Je pense à la meilleure prise en compte de la pénibilité et des difficultés que rencontrent les travailleurs précaires,…
M. Alain Néri. C’est juste !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … ou encore aux avancées concernant les étudiants.
Néanmoins, nous considérons que cette réforme pose un problème majeur : celui de l’allongement de la durée des cotisations, donc du départ plus tardif à la retraite, avec un niveau de pension plus bas pour un grand nombre de nos concitoyens.
Madame la ministre, nous avions déjà été étonnés qu’il n’y ait pas eu de remise en cause de la loi Fillon, une réforme qui avait tant été combattue par le monde du travail et par les forces politiques de gauche et écologistes et qui pèse aujourd'hui lourdement sur l’avenir de nos retraites, tant sur le plan des départs qu’en terme de niveau des retraites.
Néanmoins, il faut bien le dire, nous ne nous attendions pas à ce qu’une proposition venant d’un gouvernement de gauche amène à un nouvel allongement de la durée de cotisation d’ici à 2020.
Nous affirmons que cet allongement n’est ni nécessaire ni important et qu’il signifiera d’importants reculs pour nos concitoyens.
Tout d’abord, cet allongement n’est pas nécessaire. Je ne reprendrai pas les mots de M. Sterdyniak, économiste à l’OFCE, l’observatoire français des conjonctures économiques, mais, sans la crise et sans les politiques d’austérité, le système de retraite serait bénéficiaire de 6 milliards d’euros en 2020.
La question centrale, qui nous amène, d'ailleurs, à des débats du même ordre s’agissant des politiques européennes et des politiques économiques globales, est la suivante : devons-nous privilégier la recherche d’une croissance durable, qui organise la transition écologique, ou considérons-nous que le cap que nous devons défendre est celui de l’austérité et de la restriction budgétaire ?
Pour notre part, nous considérons que nous ne réduirons pas nos déficits et que nous n’assurerons pas le progrès social si nous ne faisons pas une priorité de la recherche de la croissance. Bien évidemment, nous ne pensons pas pour autant que nous reviendrons à un niveau de croissance comparable à celui des Trente Glorieuses.
Ensuite, cet allongement est-il financièrement nécessaire ? Madame la ministre, mes collègues ont déjà évoqué le problème de la réforme structurelle et celui de la réforme conjoncturelle liée au papy-boom. N’entrons pas dans ces détails, encore qu’ils ne soient pas secondaires.
Cela étant, instaurer des reculs sociaux structurels, alors que la gauche a toujours œuvré dans l’autre sens, au motif que se poserait un problème conjoncturel ne nous paraît pas conforme à notre idéal.
Surtout, attardons-nous sur les chiffres : le Conseil d’orientation des retraites évoque un déficit de 20 milliards d’euros à l’horizon 2020. Dans tous les documents publiés depuis 2010 – les tracts que nous avons distribués, les documents votés par le bureau national de notre parti, en juillet dernier –, les socialistes ont toujours dit qu’il fallait taxer les revenus du capital pour compléter le financement des retraites. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Corinne Bouchoux. Et voilà !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En 2010, nous chiffrions même le déficit à 25 milliards d’euros.
Il faut donc d'abord chercher les recettes légitimes pour notre système de retraite.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En outre, j’observe qu’il n’a pas été difficile de trouver 20 milliards d’euros pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, un sujet qui n’a, d'ailleurs, jamais été abordé pendant la campagne électorale. Ces 20 milliards d’euros, on les a trouvés quasiment tout de suite, en moins de trois semaines. Dès lors, je ne peux pas croire que l’on ne pourrait pas trouver 20 milliards d’euros d’ici à 2020 pour nos retraites.
Va-t-on déstabiliser l’économie française en augmentant les dépenses de retraite et donc les prélèvements ? Non ! De ce point de vue, j’approuve complètement les évolutions contenues dans le projet de loi concernant les cotisations.
En 2060, la part de PIB consacrée aux retraites ne sera que de 0,5 %. Il n’est donc pas opportun…
M. le président. Ma chère collègue, il faut vraiment conclure !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, permettez-moi de terminer sur un point.
Vous nous dites, madame la ministre, que, vivant plus longtemps, on doit travailler plus longtemps. Vous ne tenez donc pas compte de la pénibilité ! Je vais vous citer un seul chiffre.
M. le président. Madame Lienemann, le règlement du Sénat m’oblige à vous couper la parole.
M. Bruno Retailleau. Le capital temps est écoulé ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Monsieur le président, je poursuivrai mon propos lors des explications de vote et en présentant d’autres amendements ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour présenter l’amendement n° 250.
M. René-Paul Savary. Cet amendement est excellent, puisqu’il vise à supprimer l’article 2.
J’ai parfois l’impression que l’on marche sur la tête. Chers collègues, quel spectacle donnez-vous avec ce projet de loi présenté par votre majorité et dénoncé par des membres de cette même majorité, sur la base d’arguments que, du reste, nous ne partageons pas du tout !
Pour notre part, madame la ministre, c’est sur la base d’autres arguments que nous pensons que vous n’allez pas dans la bonne direction.
Ce que nous avions déjà souligné hier soir se vérifie aujourd’hui sur chaque article, et même sur chaque amendement : d’autres choix s’imposaient aux Français, et nos concitoyens méritaient mieux.
L’article 2 fait peser le financement d’une partie de la sécurité sociale sur les générations futures en allongeant leur durée de cotisation. Le seul élément positif est que, pour la première fois, vous présentez une mesure structurelle ; jusqu’à présent, vous vous contentiez de limer la bosse liée au papy-boom. Mais nous ne partageons pas la philosophie qui est la vôtre, d’où notre demande de suppression de l’article.
Car ce dispositif est un leurre ! Dites la vérité aux Français ! Pour notre part, nous sommes clairs : il y a un âge légal de départ en retraite, qu’il faut modifier en fonction de la longévité, des besoins de financement, de l’évolution sociétale et du projet de vie de chacun de nos concitoyens. Or vous faites croire aux Français que, certes, ils devront travailler un peu plus – vous allongez effectivement la durée de cotisation –, mais qu’ils pourront toujours partir en retraite à l’âge de 62 ans au plus tard.
En réalité, une personne ayant commencé à travailler à l’âge de 23 ans devra avoir cotisé pendant quarante-trois ans, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 66 ans, pour pouvoir partir en retraite à taux plein.
M. Bruno Retailleau. Exactement !
M. René-Paul Savary. Autant dire la vérité ! Sinon, la déception risque d’être amère…
Le dispositif que vous proposez, outre qu’il ne permettra de recueillir les sommes escomptées eu égard aux besoins de financement, portera gravement atteinte au pouvoir d’achat des Français.
Vous ne pouvez pas, d’un côté, prétendre défendre le pouvoir d’achat de nos concitoyens et, de l’autre, adopter des textes législatifs qui y portent à l’évidence atteinte.
Nous demandons la suppression de l’article 2, alors que nous avions soutenu l’article 1er, dont les objectifs de réforme étaient intéressants. Vous le voyez, nous faisons preuve de continuité et de cohérence.
Au demeurant, la solidarité intergénérationnelle est absente de l’article, tout comme la solidarité intergénérationnelle, puisque les régimes spéciaux ne sont pas concernés.
M. Claude Domeizel. C’est faux !
M. René-Paul Savary. Vous demandez à certains d’allonger leur durée de cotisation, mais vous ne voulez surtout pas toucher aux régimes spéciaux. Courage, fuyons…
Pour notre part, nous vous proposions des mesures de convergence, en attendant une réforme systémique, à laquelle 73 % des Français sont d’ailleurs favorables.
Nous ne partageons pas la vision qui est la vôtre, si tant est que vous en ayez une, et demandons la suppression de l’article 2.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour présenter l'amendement n° 321 rectifié.