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Nomination d’un membre d’une délégation
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un Mouvement Populaire a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-Pierre Vial, membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en remplacement de M. Pierre Hérisson, démissionnaire.
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Maîtrise publique du système ferroviaire national
Rejet d'une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe CRC, l’examen de la proposition de résolution tendant à la maîtrise publique du système ferroviaire national, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Mireille Schurch et les membres du groupe CRC (proposition n° 752 [2012-2013]).
Dans le débat, la parole est à Mireille Schurch, auteur de la proposition de résolution.
Mme Mireille Schurch, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les échéances à venir seront décisives pour l’avenir du service public ferroviaire national, il nous a paru essentiel de soumettre cette proposition de résolution à la Haute Assemblée.
Pour nous, mais aussi pour l’ensemble de la gauche, ce texte est l’occasion d’envoyer un signal fort aux acteurs du ferroviaire : usagers, cheminots et collectivités territoriales. Cela nous permettra d’asseoir ce que nous avons défendu collectivement pendant des années dans cet hémicycle.
L’approche originale du service public ferroviaire qui a prévalu dans notre pays a permis le maillage de notre territoire et la construction d’un outil industriel performant. Ce service public a répondu au défi sans cesse croissant de la mobilité. Il doit également, désormais, apporter une réponse aux questions de préservation de notre environnement. Nous pouvons donc dire qu’il s’agit d’un modèle économique lié à notre histoire et à notre réalité géographique, mais qui répond aussi aux défis que nous avons à relever.
Au travers de nos différentes propositions de résolution et propositions de loi, nous n’avons cessé de rappeler que le secteur ferroviaire n’était pas un marché comme les autres. Dès le début du siècle dernier, des économistes, y compris parmi les libéraux, considéraient que les chemins de fer étaient plus qu’un service marchand, en ce sens qu’ils constituaient un monopole naturel.
L’État a fait le choix d’offrir à chacun l’accès aux biens essentiels dont le réseau ferroviaire fait partie. L’accès au service public est l’expression d’un lien politique entre l’État et la population.
Il y a un droit politique à être usager, que le marché ne peut pas toujours satisfaire, dans la mesure où il exclut de fait les zones éloignées et donc moins rentables, ainsi que ceux qui n’ont pas les moyens économiques de s’offrir le luxe d’être clients. Parce que chacun doit pouvoir accéder aux biens essentiels, seul un organisme public peut prendre en charge cette mission de service public. En France, la SNCF, entreprise publique, s’est construite sur ces valeurs. Elle n’est donc pas une entreprise comme les autres. Notre réseau ferroviaire cimente le corps social. C’est ce qui fait sa spécificité.
Dès lors qu’il y a monopole naturel, économiquement et politiquement, il n’y a pas de concurrence possible. C’est pourquoi nous nous opposons à la dissolution du service public dans le marché et à sa banalisation.
En effet, notre système de transport concourt à l’aménagement du territoire et au respect du principe d’égalité. À ce titre, il relève de l’intérêt général. Nous réaffirmons donc la nécessité du maintien durable d’une entreprise nationale des chemins de fer à statut intégralement public, intégrée et porteuse de missions affirmées de service public pour les voyageurs.
Dans le même ordre d’idées, le fret ferroviaire, dont nous en avons déjà longuement débattu dans cet hémicycle, est un outil précieux de développement durable, qui nous permet de tendre vers les objectifs du Grenelle de l’environnement tout en soulageant la route de sa saturation croissante par les poids lourds. Du point de vue de l’aménagement du territoire, le fret ferroviaire et surtout l’activité de wagon isolé permettent la desserte des territoires les plus isolés et contribuent au maillage qui a été historiquement un motif de fierté nationale.
L’ouverture à la concurrence n’a pas permis d’enrayer le déclin de l’activité de fret, comme le souligne le rapport de Francis Grignon et, dernièrement, celui de Roland Ries. Ce modèle économique n’est donc pas pertinent. Le fret ferroviaire et l’activité de wagon isolé ne peuvent et ne doivent pas être réduits aux seuls axes de transport rentables.
C’est pourquoi nous demandons que ces activités soient reconnues d’intérêt général, afin de remédier à cette situation et de répondre aux attentes de nombreuses entreprises de nos territoires.
Ne pourrait-on pas envisager, dans une logique de service public, d’étendre au wagon isolé les mêmes mécanismes que ceux qui ont été utilisés pour les trains d’équilibre du territoire ? Ce mécanisme, d’ailleurs systématiquement remis en cause, a pourtant permis de maintenir à ce jour les lignes les plus fragiles.
Concernant l’unicité du réseau, la gouvernance et la maîtrise publique du système ferroviaire, vous avez annoncé, monsieur le ministre, la création d’un Groupe public ferroviaire industriel intégré, un GPFII, dont les contours ont été rendus publics le 29 mai dernier, permettant d’unifier la gouvernance du système ferroviaire. Toutefois, le spectre de la cession d’une partie du capital des entreprises publiques, comme celui de l’adoption d’un quatrième paquet ferroviaire très libéral permettant de parachever la libéralisation de ce secteur, brouille le message envoyé pour accréditer un renforcement de la maîtrise publique dans le domaine ferroviaire.
L’Union européenne exerce également une pression sur nos finances publiques, qui pourrait, in fine, conduire le Gouvernement à s’engager dans la voie de cessions, plus ou moins massives, de son actionnariat au sein des entreprises publiques. D’ailleurs, une déclaration du Premier ministre faite le 5 mai dernier confirme cette tendance, puisque celui-ci a annoncé la volonté de réduire la participation de l’État dans le capital d’un certain nombre d’entreprises publiques.
En effet, il faut savoir que l’État détient aujourd’hui l’équivalent de plus de 65 milliards d’euros de participations dans diverses sociétés. Ces perspectives suscitent de nombreuses interrogations et inquiétudes sur l’avenir de l’entreprise publique SNCF.
À ce stade, il semble donc important de clarifier la position du Gouvernement en la matière. Notre attachement au rôle de l’entreprise publique SNCF, à des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, par conséquent, au renforcement du report modal impose de pouvoir mener sereinement la réforme du système ferroviaire que nous attendons tous depuis des années.
À cet égard, nous souhaitons que le calendrier parlementaire permette l’inscription rapide à l’ordre du jour du projet de loi ferroviaire si nous ne voulons pas que les parlementaires soient pris en otage par manque de temps. Monsieur le ministre, nous attendons votre réponse sur ce point.
Depuis la loi du 13 février 1997 portant création de l’établissement public Réseau ferré de France, RFF, l’instabilité s’est installée et le système ferroviaire français n’a cessé de se complexifier. Nous estimons qu’il nous faut repenser cette organisation sous une forme plus intégrée, résistante et pérenne.
C’est le chemin que vous semblez prendre, monsieur le ministre : nous nous en réjouissons et vous accompagnerons. Toutefois, une réorganisation, aussi pertinente soit-elle, ne pourra être efficace que si la question du désendettement et du financement de notre système ferroviaire trouve une réponse concrète et réaliste.
La création de RFF avait pour but de le charger des dettes accumulées par la SNCF pour créer et entretenir le réseau ferroviaire. Il s’agissait aussi de faire en sorte que cette dette n’apparaisse pas dans les comptes nationaux comme une dette publique au regard des critères européens. Mais cela a créé une incohérence supplémentaire : les recettes de péages perçus par RFF pour l’usage du réseau sont inférieures aux charges de cette dette. D’autres États, comme l’Allemagne, ont accepté plus logiquement de prendre directement ou indirectement en charge les dettes de l’exploitant ferroviaire. De la sorte, la Deutsche Bahn a été financièrement assainie et a donc pu progresser bien mieux que la SNCF.
D’ailleurs, la Cour des comptes le reconnaît : « La réforme de 1997 a désendetté la SNCF sans désendetter le système ferroviaire ». S’y ajoute un désengagement de l’État, qui a diminué sa contribution budgétaire. La dette de RFF s’élève à 30 milliards d’euros. Si rien n’est fait, elle devrait même atteindre 51 milliards d’euros à l’horizon 2025, ce qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, laisse dubitatif.
La Cour estime ainsi qu’« une reprise partielle de la dette de RFF par l’État est souhaitable », et ce quels que soient ses inconvénients au regard des critères européens ou vis-à-vis des agences de notation.
C’est pourquoi nous réitérons dans notre proposition de résolution cette demande, partagée par nombre de nos collègues dans cet hémicycle, pour que l’État s’engage à reprendre la dette du système ferroviaire et à établir un projet pluriannuel de financement des infrastructures ferroviaires dans le cadre d’une politique de transport multimodal.
Si le système ferroviaire est un service public offert à tous, il ne peut s’autofinancer et nécessite donc la recherche de plusieurs pistes de financement : la création d’un livret d’épargne, sur le même principe que le livret A, pour mobiliser l’épargne populaire afin de moderniser et développer les infrastructures ferroviaires ; l’instauration d’un prélèvement sur les bénéfices des sociétés autoroutières, dédié au financement du TER, le transport express régional, et cela sans attendre la reprise de la gestion publique des autoroutes que nous préconisons ; la mise en place d’un réel pôle public bancaire au service d’un système ferroviaire efficace ; la généralisation d’un versement transport régional qui permettrait de mobiliser 800 millions d’euros. La question de la dette du système ne doit pas être un tabou !
Depuis la régionalisation et le conventionnement, le TER est devenu un outil incontournable et performant de l’aménagement du territoire, ce qui s’est d’ailleurs traduit par une augmentation de 40 % du trafic des voyageurs et de 20 % de l’offre.
Comme le souligne le député Gérard Voisin, « il est paradoxal de constater que cette amélioration ne s’est pas faite par l’ouverture à la concurrence, mais par délégation de l’État. » Toutefois, cette régionalisation, si elle a des résultats positifs à nos yeux, marque malgré tout le désengagement de l’État et la rupture d’égalité des citoyens dans l’accès aux transports.
Les principes qui sous-tendent le système des TER, c’est-à-dire une logique de péréquation, d’aménagement du territoire et d’efficacité sociale appellent non pas une libéralisation, mais une meilleure répartition des responsabilités entre l’État et les régions, ainsi que du financement entre contribuable national, contribuable régional et usager.
À cet égard, l’exemple des trains d’équilibre des territoires est particulièrement éclairant. En effet, par convention, l’État, qui devient autorité organisatrice de transport, a pérennisé des lignes existantes, stabilisé leurs dessertes et amélioré la qualité de service au profit de ces 100 000 voyageurs quotidiens.
Ce sont donc cinquante lignes qui permettent le désenclavement des territoires les plus éloignés. Il est impératif que ces lignes, qui irriguent l’ensemble du territoire, continuent d’être considérées comme étant d’intérêt national. L’État doit avoir les moyens de continuer à exercer sa responsabilité. Un transfert de ces lignes aux régions équivaudrait, de fait, vu la situation financière des collectivités locales, à leur disparition progressive, ce qui porterait une atteinte considérable à la cohésion nationale et à l’unicité du réseau ferré.
Enfin, pour toutes les raisons évoquées, nous considérons que l’objectif d’un marché ferroviaire entièrement libéralisé ne permet pas de garantir les missions de service public du système ferroviaire. C’est pourquoi nous demandons que le quatrième paquet ferroviaire soit repoussé par les États membres, afin de permettre au Gouvernement d’engager une réorientation de la politique des transports à l'échelon européen.
Nous souhaitons un moratoire sur les trois paquets ferroviaires, la réalisation d’un bilan contradictoire et indépendant sur l’impact de la libéralisation du transport ferroviaire en termes d’emploi, d’aménagement du territoire et de qualité du service rendu, ainsi que la réalisation d’un bilan carbone de ces politiques.
Nous considérons qu’en établissant de façon dogmatique une obligation de séparer structurellement le gestionnaire d’infrastructure et l’opérateur ferroviaire historique et en obligeant les États à libéraliser les transports de voyageurs nationaux et régionaux à l’horizon de 2019, le quatrième paquet ferroviaire met à mal l’ambition d’un groupe public ferroviaire industriel intégré porteur de missions affirmées de service public.
Pourtant, tout indique aujourd’hui que le modèle économique ultralibéral est en échec. Les conséquences sociales désastreuses du règne de la concurrence libre et non faussée que subissent de plein fouet nos concitoyens méritent non pas une accélération de ces réformes inefficaces, mais une prise de conscience urgente sur les erreurs passées.
À la différence de Roland Ries dans son rapport présenté au mois de juillet dernier, nous ne pensons pas que la concurrence soit inéluctable, que le combat soit perdu d’avance et qu’il faille déjà faire le choix de la concurrence régulée.
Pour nous, l’ouverture à la concurrence, même régulée, ne permettra pas le maintien de l’offre ferroviaire sur l’ensemble du territoire. Dans les secteurs où la concurrence a été engagée, l’offre ne s’est pas améliorée, que ce soit sur le plan qualitatif ou sur le plan quantitatif. Bien au contraire, les conditions de concurrence ont conduit l’ensemble des opérateurs, non seulement à se focaliser sur les axes rentables, comme en témoigne l’abandon du fret ferroviaire de proximité, mais également à exercer une pression inacceptable sur les conditions sociales des cheminots.
En conclusion, nous estimons que la finalité du système ferroviaire est de répondre aux besoins grandissants des usagers d’un transport de qualité, fiable, ponctuel, et ce en toute sécurité. Son objectif est de contribuer, par le rééquilibrage modal, à la nécessaire transition écologique. Il semble donc opportun d’engager en profondeur la refonte du système ferroviaire, de son organisation et de ses financements, afin de répondre à ces besoins dans un climat serein et sans pression.
Les sénateurs du groupe CRC estiment ainsi que seule une politique publique des transports ambitieuse sera susceptible de nous faire relever le défi de la mobilité durable.
Notre proposition de résolution, monsieur le ministre, permettra, si elle est votée, de renforcer la position de la France dans les négociations en cours. Elle empêchera, nous l’espérons, d’enfermer la réforme de la gouvernance ferroviaire que vous envisagez dans le cadre de la libéralisation. À nos yeux, il s’agit non pas de savoir comment il convient de « préparer l’ouverture à la concurrence en Europe sans nuire à la qualité de service et en adoptant un cadre social commun pour toutes les entreprises ferroviaires », mais de porter haut et fort des exigences que nous avons tous défendues collectivement.
C’est pourquoi nous ne comprendrions pas que ce texte ne soit pas voté, alors que les enjeux et les attentes sont si forts. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution que Mireille Schurch a brillamment défendue porte sur une question essentielle : la maîtrise publique du ferroviaire en France.
Il est nécessaire, nous semble-t-il, de clarifier le message gouvernemental. En effet, les divers projets en cours, que ce soit à l'échelon européen, avec le quatrième paquet ferroviaire, ou au niveau national, avec le projet de loi sur le développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale, qui remet en cause l’unicité du réseau, font peser des craintes sur l’avenir du système ferroviaire, alors même que le Gouvernement affiche une volonté forte de créer une entreprise publique nationale intégrée.
Dans ce contexte général, monsieur le ministre, comment porter les principes qui garantiront que votre projet ne déraille pas ?
Les politiques libérales des précédents gouvernements, en particulier sur le fret, ont affaibli l’outil, désorganisé le système commercial, réduit son potentiel économique et fait la part belle au « tout routier ».
Ce seul exemple montre l’inefficacité totale de ces orientations, dès lors que le seul critère retenu est celui de la viabilité économique. La dégradation catastrophique du fret ferroviaire devrait montrer le chemin qu’il ne faut pas suivre.
Le Grenelle de l’environnement avait suscité quelques espoirs, non suivis d’actes politiques, de programmes concrets ni de financements adaptés. Le déclin s’est produit à différents niveaux : les infrastructures ont été abandonnées, des gares de triage ont été supprimées, le wagon isolé, qui remporte un réel succès en Allemagne, a été déclaré, de façon unilatérale et péremptoire, comme n’étant plus rentable en France. Toutes ces décisions ont été prises, au nom de la compétitivité, bien entendu ! J’ai dénoncé cette situation de nombreuses fois, en m’appuyant sur ce que j’ai pu vérifier dans ma ville, Saint-Pierre-des-Corps.
Ce déclin est entériné par l’organisation de la SNCF : des filiales, comme VFLI, ou des services, comme Logistra et Écorail, ont été créés par la SNCF elle-même, entrant en concurrence directe et souvent déloyale avec l’opérateur historique. Une forme de dumping a été instaurée, pendant que des redevances rédhibitoires étaient imposées aux chargeurs.
De nombreuses entreprises ont été ainsi contraintes d’abandonner la SNCF pour se précipiter vers ces filiales ou vers le transport routier. J’en ai eu confirmation, lors d’une réunion avec M. Pepy à Orléans, où une société de dimension nationale, implantée à Châteauroux, se plaignait de la méthode expéditive avec laquelle elle avait été traitée, se voyant imposer de telles augmentations de tarifs qu’elle fut contrainte d’opter pour le transport par camions !
Sur le site de Saint-Pierre-des-Corps, je vous l’ai déjà dit, monsieur le ministre, ce scénario s’est renouvelé de nombreuses fois, y compris avec des entreprises qui ont toujours manifesté leur volonté de respecter le développement durable dans leurs processus de production et de transport. La SNCF a ainsi réussi le tour de force de les convaincre de reprendre la route !
Aujourd’hui, les coûts du transport routier ne sont pas réellement pris en compte, et le déséquilibre est réel. Souhaitons que la taxe poids lourd, qui verra enfin le jour le 1er janvier 2014, apporte une réponse pertinente, même si elle n’est pas suffisante, malheureusement.
Monsieur le ministre, il est déterminant d’établir un bilan contradictoire des conséquences de toutes ces politiques de libéralisation pour enrayer le déclin du rail.
On nous dit et on nous répète que l’Europe serait responsable de tous nos maux. La séparation des activités nous était présentée comme obligatoire et incontournable, mais d’autres pays n’ont pas fait ce choix et ne s’en portent pas plus mal. Le quatrième paquet ferroviaire voudrait réintroduire cette séparation, quoique légèrement aménagée. Il programme également, avec des appels d’offres obligatoires pour les transports ferroviaires régionaux de voyageurs, l’ouverture à la concurrence.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si votre réforme ferroviaire est en rupture avec le quatrième paquet ferroviaire ?
L’intégration annoncée de la SNCF avec un EPIC – un établissement public à caractère industriel et commercial – « mère » et deux EPIC « filles » ne serait-elle pas, en réalité, que la séparation inscrite dans le texte européen de trois entités complètement hermétiques les unes par rapport aux autres ? Ne serait-il pas préférable de prévoir une organisation intégrée de l’entreprise qui renforce le lien et permette les solidarités entre activités ? Pourquoi un conducteur de train de fret ne pourrait-il pas conduire un TER ou un train de grande ligne, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ?
Je ne vous cache pas mon inquiétude, qui est également partagée par nombre de salariés, et je souhaiterais que le Gouvernement fasse preuve de plus de clarté dans ses orientations.
Le troisième projet de loi sur la décentralisation envisage de transférer plus de compétences ferroviaires vers les régions, en matière d’exploitation de lignes par exemple. Il prévoit de transférer la gestion des infrastructures à des personnes « ne fournissant pas de service de transport ferroviaire » et qui pourront percevoir des « redevances d’utilisation » des lignes concernées. Les régions se verraient ainsi confier le statut d’autorité organisatrice pour cette gestion d’infrastructure, et l’article 2 du projet de loi va jusqu’à prévoir le transfert de la propriété du domaine public ferroviaire national d’intérêt régional. Quel cadeau empoisonné pour les régions !
Une fois ces dispositions entrées en vigueur, on peut se demander où en sera l’entreprise intégrée appelée de vos vœux, monsieur le ministre.
Le fret ferroviaire relève de l’intérêt général. C’est un enjeu essentiel d’aménagement du territoire pour notre développement économique. Des efforts sont faits pour la remise en état de certaines lignes, des travaux vont être réalisés sur certains nœuds ferroviaires, comme celui de Saint-Pierre-des-Corps, si j’ai bien lu. Vous disiez en réponse à une question que je vous posais, à propos du fret : « Il faut donc le réorienter, il faut porter une exigence, notamment vis-à-vis de Fret SNCF, de manière que, dans le cadre de rencontres régionales, les demandes, là où elles existent, puissent être analysées, et que l’opérateur de fret soit en mesure de fournir aux entreprises un service de qualité répondant à leurs besoins. »
C’est bien cette question qui est au cœur du débat d’aujourd’hui. Comment la SNCF, « outil public par excellence », pourra-t-elle rendre ce service de qualité tant attendu par nos entreprises, et en particulier par nos PME ? La question de l’aménagement du territoire est primordiale.
Pourtant, vous affirmez que, pour des trajets inférieurs à 500 kilomètres, le transport ferroviaire n’est pas pertinent. Vous venez de décider de l’ouverture d’une autoroute ferroviaire de Dourges dans le Pas-de-Calais à Tarnos dans les Landes, avec ces deux terminaux d’extrémité distants de plus de 1 000 kilomètres. Or le Centre d’étude technique de l’équipement de l’ouest rappelle que, pour être pertinentes, ces lignes doivent prévoir également de construire une offre de services « multi-spots » avec des terminaux intermédiaires et définir leur fréquence de desserte.
C’est d’autant plus important qu’un site reconnu comme nœud ferroviaire, où sont prévus des travaux inscrits dans le plan « mobilité 21 », ne peut être tenu à l’écart d’une telle réalisation. Il est situé à équidistance des deux terminaux d’extrémité, 500 kilomètres, le seuil de rentabilité que vous établissez vous-même, mais qui en l’occurrence ne semble même pas être respecté. On ne peut donc pas se contenter de regarder passer les trains de l’autoroute ferroviaire !
Pour rendre à la SNCF toute sa place, il est donc nécessaire de reprendre la maîtrise publique de ce secteur en lui assurant une viabilité économique, certes, mais aussi en réactivant l’offre « multi-lots multi-clients », essentielle pour la revitalisation d’un tissu économique local dynamique et performant.
Je pense qu’une telle évolution est possible, si nous faisons prévaloir la volonté de rendre dynamique ce secteur, région par région, pour un meilleur aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la création, en 1938, de la SNCF, société anonyme détenue à 51 % par l’État et regroupant les anciennes compagnies de chemin de fer, et sa transformation en établissement public à caractère industriel et commercial, ou EPIC, en décembre 1982, la France s’est dotée d’un grand service public ferroviaire.
Le fait que le réseau soit détenu par l’État et que le service soit assuré par une entreprise publique a permis de conserver un grand réseau et de le développer, avec la réalisation, à ce jour, de 1 884 kilomètres de lignes nouvelles à grande vitesse et la construction en cours de plus de 700 kilomètres supplémentaires.
La cohérence du choix du service public a également permis de faire preuve de créativité, et même d’audace, et de conforter l’industrie ferroviaire française, devenue leader, notamment dans le domaine de la grande vitesse.
Grâce à l’action de l’ensemble des personnels, les prestations fournies sont globalement d’un excellent niveau, ce qui explique que nos concitoyens soient attachés au service public ferroviaire, au-delà des réactions de mécontentement des usagers, lors des inévitables incidents intervenant dans l’exploitation du réseau.
Ce rappel me permet d’affirmer que le service public ferroviaire doit être non seulement préservé, mais aussi conforté, dans un contexte caractérisé par un légitime besoin de mobilité, qui n’avait jamais atteint un tel niveau dans notre nation, ce dont il convient d'ailleurs de se réjouir.
La défense du service public ferroviaire est donc un enjeu majeur pour la France, alors que son organisation est inadaptée et qu’il doit faire face à trois principales menaces.
Les Assises du ferroviaire, organisées en 2012, ont confirmé un constat largement partagé, à savoir l’inadaptation du système d’organisation mis en place en 1997 et reposant sur la séparation entre la gestion des infrastructures et l’exploitation ferroviaire. Certes, tant les personnels de RFF que ceux de la SNCF ont œuvré de leur mieux pour faire fonctionner, malgré tout, un schéma d’organisation séparant artificiellement des fonctions et entraînant des difficultés parfois importantes au quotidien.
Le service public ferroviaire doit en outre faire face à trois grandes menaces.
Les audits réalisés en 2005 et 2012 par l’École polytechnique fédérale de Lausanne ont confirmé que les investissements dans le ferroviaire avaient porté essentiellement sur la construction de lignes à grande vitesse, au détriment du réseau classique, dont le vieillissement entraîne une détérioration de la qualité des transports du quotidien et peut se traduire par une diminution de la sécurité des circulations.
La deuxième menace est le corollaire de la première, à savoir le manque de moyens financiers pour assurer tout à la fois la régénération du réseau à un rythme suffisant et la réalisation d’infrastructures nouvelles. Il manque ainsi 1,5 milliard d’euros chaque année pour assurer l’équilibre économique du système ferroviaire.
La troisième menace tient à la vision de la Commission européenne et du Parlement européen, qui voudraient imposer une stricte séparation entre le gestionnaire d’infrastructures et l’exploitant ferroviaire et qui privilégient une organisation ferroviaire européenne fondée sur l’idéologie de la concurrence « pure et parfaite ».
Face à cette situation, les groupes CRC et socialiste du Sénat ont eu l’occasion, à plusieurs reprises, de formuler un certain nombre de propositions visant à assurer l’avenir du service public ferroviaire. Tel a été notamment le cas, lors de notre débat en séance publique, le 24 janvier dernier.
Il en a été de même au cours de la précédente mandature, au sujet du fret ferroviaire – qui ne relève pas directement du service public –, lors d’une table ronde organisée par la commission des affaires économiques du Sénat et d’un débat en séance publique.
Les régions ont également pris la mesure des enjeux, en investissant massivement dans le renouvellement du matériel roulant et, pour certaines d’entre elles, dans la modernisation des lignes.
Quant au Gouvernement, sur l’initiative de Frédéric Cuvillier, il a parfaitement pris conscience de la nécessité de mettre en place un schéma d’organisation cohérent, « eurocompatible » et renforçant le service public, avec un projet de loi créant un pôle public ferroviaire qui devrait être soumis prochainement au Parlement. La réforme envisagée a également pour objectif d’apporter des réponses à la question du financement du système ferroviaire.
Quant à la qualité du réseau, cette question n’a pas non plus échappé au Gouvernement, qui a demandé à RFF d’accélérer l’action de régénération des infrastructures avec le grand plan de modernisation du réseau doté de 2,5 milliards d’euros par an sur la période 2013-2020, et de consacrer en outre 2,3 milliards d’euros par an à la maintenance, donnant ainsi la priorité aux transports du quotidien.
Toutefois, la différence d’approche entre les libéraux, d’une part, et le gouvernement français et les groupes parlementaires français de gauche, d’autre part, ne repose pas seulement sur une vision différente des priorités, elle est aussi idéologique. Ainsi, le gouvernement Ayrault, comme la gauche parlementaire française, rejette la vision ultra-libérale de la commission européenne qui risque de faire disparaître le service public ferroviaire. C’est dans ce contexte que le groupe CRC a déposé la proposition de résolution tendant à la maîtrise publique du système ferroviaire national que nous examinons ce soir.
Quel est l’avis du groupe socialiste sur cette proposition de résolution ? Nous sommes globalement en phase avec ses orientations. En effet, ce texte contient des dispositions très positives. Toutefois, deux dispositions nous paraissent devoir être formulées différemment.
Je consacrerai tout d’abord quelques mots aux points faisant consensus.
Ainsi, notre groupe est très favorable à l’inscription rapide du projet de loi de réforme ferroviaire à l’ordre du jour du Parlement. C’est d’autant plus nécessaire que la réforme doit impérativement être votée avant l’adoption du quatrième paquet ferroviaire. Après l’adoption de celui-ci, il ne sera plus possible de créer de nouvelles structures ferroviaires intégrées dans les États membres.
Le maintien d’une structure ferroviaire verticalement intégrée et à statut intégralement public, autre demande du groupe CRC, correspond bien à notre attente, mais aussi aux objectifs de la réforme. D’ailleurs, tel est le choix effectué par le Gouvernement avec la création d’un pôle public ferroviaire, constitué de trois EPIC : un gestionnaire d’infrastructures, un exploitant ferroviaire et un EPIC de tête.
Quant à la cession par l’État d’une partie du capital de la SNCF, il n’en a jamais été question, à ma connaissance !
Le groupe CRC demande aussi que le renforcement du rôle des régions ne se traduise pas par un désengagement de l’État et une remise en cause de l’unité du réseau national. Il s’agit d’objectifs partagés et sur lesquels nous devrons être vigilants, non seulement lors de l’examen du projet de loi de réforme ferroviaire, mais aussi, et surtout, lors de la discussion du troisième projet de loi relatif à la modernisation de l’action publique territoriale.
Pour ma part, je suis profondément attaché à l’unité du réseau ferré national. La seule question qui pourrait se poser en la matière concerne quelques lignes à voie métrique.
Le groupe CRC demande également de déclarer le wagon isolé comme une activité d’intérêt général, ce qui permettrait d’attribuer des aides publiques, facilitant ainsi la circulation de trains de fret sur des lignes à faible trafic dans une logique d’aménagement du territoire.
La question de l’euro compatibilité de cette proposition est posée. Toutefois, cette idée n’est pas propre au groupe CRC. À titre personnel, je la défends également depuis de nombreuses années.
La résolution affirme aussi la volonté de doter de recettes supplémentaires l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transports de France. Le groupe socialiste a la même position, afin de permettre à cette agence de disposer de moyens plus importants pour améliorer les réseaux et contribuer à un nécessaire rééquilibrage entre les différents modes de transports.
Voilà pour les principaux points de la proposition faisant consensus.
J’en viens aux deux dispositions qui nous paraissent devoir être rédigées différemment.
Le groupe CRC considère que les États membres doivent repousser le quatrième paquet ferroviaire, dont l’objectif est l’ouverture totale à la concurrence dans le secteur ferroviaire. Pour justifier ce refus, il considère, à juste titre, que là où la concurrence a déjà été engagée, pour le fret ferroviaire, par exemple, ce mode de transport n’a pas connu un véritable essor. En France, le fret de proximité a même été quasiment abandonné.
En outre, aucun bilan précis n’a été réalisé sur les conséquences des trois premiers paquets pour lesquels le groupe CRC demande un moratoire.
Dès lors, l’adoption par le Parlement et la Commission européenne d’un quatrième paquet ferroviaire ouvrant à la concurrence l’ensemble du système ferroviaire, n’est effectivement ni souhaitable ni opportune.
Cela étant, il ne faut pas se faire d’illusions ! Le quatrième paquet ferroviaire sera très vraisemblablement adopté après les élections européennes du printemps prochain.
Dès lors, ne nous voilons pas la face ! Si la Commission européenne et le Parlement européen persistent dans leur volonté d’adopter un quatrième paquet ferroviaire, ouvrant totalement à la concurrence le secteur, se contenter de déclarer que les États membres doivent repousser ces dispositions, n’est-ce pas, en réalité, renoncer à mener le combat de la défense du service public ferroviaire ?
Le groupe socialiste considère donc, dans l’hypothèse, très vraisemblable, de l’ouverture à la concurrence, qu’il convient plutôt d’œuvrer avec détermination pour faire valoir l’absolue nécessité d’encadrer très fortement cette ouverture, de manière que ni l’opérateur historique, ni ses personnels, ni les usagers, ni les contribuables ne soient lésés. Il importe que les opérateurs ferroviaires ne puissent pas pratiquer l’écrémage en se concentrant sur les lignes les plus rentables au détriment des autres, laissant finalement à la puissance publique le financement de ces lignes.