M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Un travail interministériel a bien été engagé sur le sujet des services à la personne. Nous avons notamment décidé de mettre en place des groupes de travail sur les questions fiscales et sociales, ainsi que sur les conditions de travail des salariés du secteur des services à la personne. Nous organisons actuellement une conférence de progrès – c’est le terme que nous avons choisi –, qui réunira, dans les prochaines semaines, non seulement les partenaires sociaux, mais aussi des chercheurs, des professionnels, afin d’identifier les mesures de progrès que nous pourrions mettre en place, y compris dans le cas où l’employeur est un particulier. En effet, c’est alors que des questions telles que celles du délai de prévenance, de la continuité des horaires ou même du droit à la formation se posent avec le plus d’acuité.
Nous allons favoriser le développement d’un certain nombre d’initiatives. Je pense par exemple aux groupements d’employeurs, qui mériteraient d’être davantage soutenus. Le travail est en cours, comme vous l’avait dit Michel Sapin.
M. Jean-Claude Lenoir. Merci !
M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 63, présenté par Mmes Cohen, Cukierman, Gonthier-Maurin, Assassi, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa du IV de l'article 12 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, les mots : « ou, le cas échéant, à l'équivalent mensuel de cette durée ou à l'équivalent calculé sur la période prévue par un accord collectif conclu en application de l’article L. 3122-2 » sont supprimés.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Par cet amendement, nous demandons à ce que l’annualisation possible du temps de travail ne s’applique pas aux contrats de travail à temps partiel de 24 heures par semaine. En effet, cela aggraverait la situation de précarité des salariés concernés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 61, présenté par Mmes Cohen, Cukierman, Gonthier-Maurin, Assassi, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Sont réputés nuls les contrats, avenants, accords ou convention de toute nature qui prévoient que la journée de travail comporte plus d’une coupure ou qui prévoit que cette coupure est supérieure à deux heures.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Les associations et les organisations syndicales qui interviennent aux côtés des salariés à temps partiel font le constat, depuis des années déjà, d’une forme de morcellement du temps de travail dans des secteurs d’activité peu ou pas soumis aux délocalisations, tels que la grande distribution ou les services à la personne. Soulignons que les femmes sont plus souvent recrutées à temps partiel que les hommes et constituent la majeure partie de l’effectif salarié de ces secteurs d’activité.
Madame la ministre, vous connaissez la réalité de cette situation et vous savez qu’il est nécessaire d’agir. J’en veux pour preuve les propos que vous avez tenus à l’occasion de votre déplacement à Ouistreham, d’ailleurs placé sous le thème de la lutte contre le « travail en miettes ».
Cet émiettement du travail a de multiples conséquences, que l’on mesure aisément auprès de nos concitoyens. Outre les incidences sur le sens du travail induites par ce que Georges Friedmann a appelé l’« organisation scientifique du travail », cette forme de gestion des effectifs et d’organisation du travail a, d’abord et avant tout, des effets économiques et sociaux.
En 2005 déjà, l’Observatoire des inégalités abordait cette question au travers d’exemples plus parlants que le plus long des discours. Citons ainsi le cas de Wendy, qui a été animatrice dans une école selon les horaires journaliers suivants : de 8 heures à 9 heures, puis de 12 heures à 14 heures 30, enfin de 17 heures 15 à 18 heures 15, cela pour un salaire variant de 600 à 900 euros selon les mois. Elle a aussi travaillé huit mois pour une chaîne de restauration rapide. Tous les soirs, le contrat changeait. Parfois, elle travaillait de 10 heures à 12 heures, puis de 15 heures à 18 heures et enfin de 20 heures à 22 heures 30. Avec de tels horaires, il est impossible de cumuler cet emploi avec un autre, d’organiser sereinement sa vie personnelle, ou même de se reposer efficacement.
La multiplication des rythmes de travail différents accroît la pénibilité pour les salariés qui la subissent, et nuit à leur santé. Nous proposons donc, avec le soutien de plusieurs organisations syndicales et des organisations féministes que vous connaissez, madame la ministre, que soient réputés nuls les contrats, avenants, accords ou conventions de toute nature prévoyant que la journée de travail comporte plus d’une coupure ou que la durée de la coupure est supérieure à deux heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. En découvrant cet amendement avant la séance, j’ai bondi ! Ses auteurs connaissent-ils vraiment le monde du travail ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) En effet, comme je le disais tout à l’heure, beaucoup de salariés du secteur des services à la personne sont contraints d’observer une coupure d’une durée supérieure à deux heures. Comment en irait-il autrement quand on s’occupe d’une personne âgée, qu’il faut aider le matin, avant de revenir l’après-midi, et éventuellement le soir ? À force de contraintes, vous allez tuer des centaines de milliers d’emplois salariés ! Il faut tenir compte de la réalité !
Cela étant, je n’ai jamais craint qu’un tel amendement puisse être adopté… Permettez-moi néanmoins de vous dire qu’il y a des limites à ne pas dépasser : c’est vraiment faire insulte aux personnes qui se consacrent bénévolement à faire fonctionner des associations employant des centaines de milliers de salariés pour venir en aide à des personnes âgées ou dépendantes et à leurs familles ! De grâce, ne supprimons pas ces tremplins pour l’emploi, qui sont fort utiles !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je pense que la situation est beaucoup plus complexe que ne l’a dit M. Lenoir. À cet égard, je vous remercie, madame la ministre, d’avoir apporté des précisions au sujet de l’emploi à domicile. En effet, nous vivons un peu sur des stéréotypes : au-delà de l’assistance pour les trois repas quotidiens, il importe que l’accompagnement à domicile de la personne âgée ou dépendante soit mis en œuvre avec une grande humanité. Cela permettrait par ailleurs d’améliorer considérablement la situation professionnelle des salariés concernés.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Nos collègues communistes s’obstinent à n’envisager que le travail industriel. Or, dans l’industrie, il est possible de stocker la production et, grâce à une organisation logistique, de la livrer lorsque le client le demande. L’activité de production est donc indépendante des besoins des clients.
Tel n’est pas le cas dans les activités de services, pour l’essentiel ! Les prestataires de services doivent s’adapter aux contraintes de leurs clients et être disponibles quand ceux-ci ont besoin d’eux. Peut-on envisager que des restaurants ou des commerces ne soient ouverts qu’aux seules heures de bureau, ce qui les rendrait inaccessibles aux personnes qui travaillent ? Une certaine souplesse est donc absolument nécessaire dans les activités de services.
Il est évident que cette souplesse doit être régulée par le biais d’accords nationaux professionnels et interprofessionnels conclus, au terme d’une libre négociation, entre les employeurs et les salariés, sauf à tomber dans un rapport de force : je ne citerai pas une nouvelle fois Lacordaire… Il convient en effet que les relations entre les acteurs sociaux soient équilibrées. Cependant, interdire a priori que les prestataires de services puissent adapter leur offre aux besoins de leur clientèle revient à condamner purement et simplement ce secteur d’activité, ce que personne ne souhaite ici.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur Lenoir, monsieur Longuet, je vous donne rendez-vous vendredi matin, à cinq heures, sur l’esplanade de la Défense, où vous pourrez rencontrer des femmes de ménage qui nettoient les bureaux des plus grandes entreprises du CAC 40. Elles vous diront qu’il est peut-être possible de faire le ménage à un autre moment qu’à quatre heures du matin !
J’entends votre argument selon lequel il faut répondre aux besoins du client. Toutefois, la pénibilité qui peut en résulter pour les salariés doit être compensée par un statut protecteur, par un salaire convenable, par la possibilité d’accéder à une formation professionnelle qualifiante. Je vous en prie, pas de mépris envers ces femmes ! Nous les connaissons !
M. Jean-Claude Lenoir. Vous n’avez pas le monopole ! Ne nous méprisez pas non plus, nous savons de quoi nous parlons !
M. le président. L'amendement n° 67, présenté par Mmes Cohen, Cukierman, Gonthier-Maurin, Assassi, David et Pasquet, MM. Watrin, Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 241-13-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 241-13-1. - Toutefois, par dérogation à l’article L. 241-13, les entreprises dont plus de 20 % du total de l’effectif sont à temps partiels ne peuvent plus prétendre aux exonérations visées à cet article et le salaire minimum de croissance pris en compte est celui qui correspond à la rémunération qui serait versée aux salariés concernés, s’ils avaient été recrutés en temps complet. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Il s’agit là encore d’essayer de faire reculer le temps partiel subi, à tout le moins de protéger, en améliorant leur statut, des femmes dont les conditions de travail sont extrêmement précaires et flexibilisées. De nombreuses associations se battent aujourd’hui pour faire reconnaître la spécificité de leur situation. Ne soyez pas caricaturaux ! Ce n’est pas parce que l’on est communiste que l’on a une vision réductrice de l’emploi, lequel serait uniquement industriel. Nous évoluons, nous aussi !
Cet amendement tend à supprimer la réduction de cotisations sociales patronales dite Fillon pour les entreprises dont plus de 20 % de l’effectif salarié total travaille à temps partiel. Le calcul de cette réduction est assis sur la rémunération versée à chaque salarié. Elle porte sur les cotisations patronales aux assurances sociales – maladie, maternité, vieillesse, invalidité, décès –, à la branche accidents de travail et maladies professionnelles – les cotisations supplémentaires au titre des accidents du travail ne sont pas concernées – et à la branche famille.
Cette exonération de cotisations sociales, que la Cour des comptes a longtemps considérée comme une trappe à bas salaires incitant les employeurs à maintenir de faibles rémunérations, repose sur un mécanisme contre-productif d’un point de vue social. En effet, plus le salaire augmente, moins la réduction Fillon est avantageuse pour l’entreprise.
Il ressort de cette situation que les employeurs tirent un avantage certain à employer des salariés à temps partiel. Les mesures d’optimisation sociale rendent parfois même plus intéressant pour l’employeur de recruter deux salariés à temps partiel plutôt qu’un salarié à temps complet.
Aussi, pour remédier à cette situation, proposons-nous que, dans les entreprises où plus de 20 % de l’effectif travaille à temps partiel, le calcul de la part patronale de cotisations sociales se fasse sur la base d’un temps complet, de telle sorte que le coût du travail à temps partiel se trouve renchéri.
Naturellement, nous n’ignorons pas que cet amendement soulèvera des objections, déjà exposées par Mme la ministre, qui nous renverra certainement au débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pourtant, aborder cette question sous le seul angle financier ne nous paraît pas pertinent dans la mesure où la vocation première de cette mesure est non pas d’apporter des ressources nouvelles à la sécurité sociale, mais est bel et bien de supprimer une niche sociale qui ne profite qu’aux employeurs et pèse sur les salariés, leurs conditions de travail et leur rémunération, donc, au final, sur leur pouvoir d’achat et leur retraite.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires sociales ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable.
Cela étant, il est vrai que les grandes entreprises imposent aux femmes de ménage qu’elles emploient des horaires particulièrement indécents : j’ai moi-même parlé de journées de travail « en miettes ».
Le Gouvernement travaille sur le sujet. Ainsi, nous avons organisé à Caen, il y a quelques mois, une conférence sur ce thème, centrée sur les secteurs de la grande distribution et de la propreté, où l’on retrouve souvent ce type de situations. Des engagements ont alors été pris, notamment par l’État et les collectivités locales, qui sont eux-mêmes employeurs ou donneurs d’ordres. L’État, en particulier, a élaboré une circulaire instaurant, en matière de recours aux services de nettoyage, le principe du mieux-disant plutôt que celui du moins-disant : il fait ainsi appel à des sociétés qui garantissent à leurs employés des horaires continus et décents. Nous œuvrons pour que cette démarche exemplaire ne se limite pas aux seules collectivités publiques, mais s’étende aux grandes entreprises.
Nous allons poursuivre dans cette voie en travaillant avec d’autres secteurs que la grande distribution et les services de nettoyage.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 67.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 6
I. – Afin d’améliorer la situation des personnes qui élèvent seules leurs enfants à la suite d’une séparation ou d’un divorce, un mécanisme de renforcement des garanties contre les impayés de pensions alimentaires est expérimenté.
Cette expérimentation s’applique aux bénéficiaires de l'allocation de soutien familial mentionnée au 3° de l'article L. 523-1 du code de la sécurité sociale et aux bénéficiaires de l’aide au recouvrement mentionnée à l’article L. 581-1 du même code, résidant ou ayant élu domicile dans les départements dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé des droits des femmes et du ministre chargé de la sécurité sociale, ainsi qu’aux débiteurs de créances alimentaires à l’égard desdits bénéficiaires, quel que soit leur lieu de résidence.
II. – (Non modifié) Dans le cadre de l’expérimentation mentionnée au I, le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales peut, en vue de faciliter la fixation de l’obligation d’entretien par l’autorité judiciaire, transmettre au parent bénéficiaire de l’allocation de soutien familial les renseignements dont il dispose concernant l'adresse et la solvabilité du débiteur. Toutefois, il peut également, après en avoir informé le bénéficiaire de l’allocation, communiquer directement au juge, le cas échéant sur sa demande, ces renseignements.
III. – (Non modifié) Pour l’expérimentation mentionnée au I, il est dérogé au 3° de l’article L. 523-1 et aux articles L. 581-2 et L. 581-3 du code de la sécurité sociale afin d’ouvrir le droit à l’allocation différentielle de soutien familial au parent dont la créance alimentaire pour enfants est inférieure au montant de l’allocation de soutien familial même lorsque le débiteur s’acquitte intégralement du paiement de ladite créance. Dans ce cas, l’allocation différentielle versée n’est pas recouvrée et reste acquise à l’allocataire.
III bis (nouveau). – Pour l’expérimentation mentionnée au I, les conditions dans lesquelles le parent est considéré comme hors d’état de faire face à son obligation d’entretien tel que mentionné au 3° de l’article L. 523-1 du code de la sécurité sociale sont définies par décret. »
IV. – (Non modifié) Pour l’expérimentation mentionnée au I et afin d’améliorer le recouvrement des pensions alimentaires impayées :
1° La procédure de paiement direct, lorsqu’elle est mise en œuvre par l’organisme débiteur des prestations familiales, est applicable, par dérogation à l’article L. 213-4 du code des procédures civiles d’exécution, aux termes échus de la pension alimentaire pour les vingt-quatre derniers mois avant la notification de la demande de paiement direct. Le règlement de ces sommes est fait par fractions égales sur une période de vingt-quatre mois ;
2° Il est dérogé à l’article L. 3252-5 du code du travail afin d’autoriser l’organisme débiteur des prestations familiales à procéder, dans les conditions définies par cet article, au prélèvement direct du terme mensuel courant et des vingt-quatre derniers mois impayés de la pension alimentaire.
V. – L’expérimentation mentionnée au I est conduite pour une durée de trois ans à compter de la publication de l’arrêté mentionné au second alinéa du I du présent article, qui intervient au plus tard le 1er juillet 2014. Elle donne lieu, au plus tard neuf mois avant son terme, à la transmission au Parlement d’un rapport d'évaluation.
VI. – (Non modifié) L’allocation différentielle versée lorsque le débiteur d’une créance alimentaire s’acquitte du paiement de ladite créance est à la charge de la branche famille de la sécurité sociale et servie selon les mêmes règles que l’allocation de soutien familial mentionnée à l’article L. 523-1 du code de la sécurité sociale en matière d'attribution des prestations, d'organisme débiteur, de financement de la prestation, de prescription, d'indus, d'incessibilité et d'insaisissabilité, de fraude et de sanctions ainsi que de contentieux.
VII. – (Non modifié) Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l'article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Même si la précarité ne se résume pas, hélas ! aux impayés de pensions alimentaires, et même si j’aurais préféré que d’autres mesures soient inscrites dans ce titre II consacré aux dispositions relatives à la lutte contre la précarité, je salue la prise en compte de ce problème dans le projet de loi.
Le phénomène des impayés de pensions alimentaires est extrêmement répandu, puisqu’il se rencontrerait dans 40 % des cas.
Le scandale est évidemment celui des chefs de famille monoparentale – le plus souvent des femmes – confrontés à un manque important et très pénalisant de revenus, mais il est aussi celui d’un manque à gagner pour les finances publiques, estimé à 3 milliards d’euros par an, alors qu’il existe des moyens de remédier à cette situation.
Je ne remets pas en cause le bien-fondé de l’allocation de soutien familial, l’ASF, mais je considère que son versement exonère trop souvent les pouvoirs publics de mener une action résolue pour prévenir les défaillances et punir les mauvais payeurs. En 2009, sur 1,6 million de familles monoparentales, seulement un tiers bénéficiaient d’une pension alimentaire, alors que plus de la moitié percevaient l’ASF. Si le taux de recours n’est que de 6 %, c’est parce que la plupart des parents concernés sont découragés par la complexité des procédures et les maigres chances de succès.
Avant d’augmenter l’ASF, il faudrait la réformer profondément, comme l’avait d’ailleurs réclamé la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de 2010. Pour les familles monoparentales elles-mêmes, il serait bien plus efficace d’obtenir la pension alimentaire à laquelle elles ont droit plutôt que d’attendre le versement d’une allocation dont le montant est, dans 86 % des cas, inférieur à la pension due et cesse dès lors que le parent entame une nouvelle vie de couple.
Moralement, l’ASF place les allocataires dans une position d’« assistés », alors qu’ils ou – le plus souvent, bien sûr – elles sont bel et bien victimes d’un délit d’abandon de famille, puni par le code pénal.
Améliorer l’efficacité des mesures de recouvrement aurait davantage d’incidence pour les familles en situation de précarité qu’opter pour une simple augmentation symbolique du niveau de l’allocation.
Le dispositif expérimental de renforcement du rôle des caisses d’allocations familiales, les CAF, est loin de me convaincre. Il est très limité, puisque proposé dans une petite dizaine de départements seulement. Surtout, il n’apporte pas grand-chose de nouveau, les CAF étant déjà censées pouvoir se pourvoir en justice pour obtenir le paiement d’une pension alimentaire, notamment via une procédure de saisie directe sur le salaire du parent défaillant. Or, actuellement, des procédures de recouvrement sont menées avec succès dans à peine plus de 10 % des cas de pensions mal versées.
Le recouvrement nécessite un important travail de coordination entre divers organismes, notamment une interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux pour identifier les débiteurs de mauvaise foi. Cela ne correspond pas au cœur de métier des CAF, qui n’ont d’ailleurs, en l’état, pas les moyens humains et matériels de mener efficacement à bien cette lourde mission. En outre, il semblerait que le budget des CAF soit encore amené à diminuer.
J’avais déposé, en 2011, une proposition de loi visant à créer une agence pour le recouvrement des pensions alimentaires, sorte de guichet unique facilitant l’accès des familles à l’information et améliorant le suivi des dossiers. L’idée avait d’ailleurs été reprise par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Malheureusement, cette proposition de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour du Parlement.
En Australie, où deux pensions sur trois n’étaient pas correctement versées, la création d’une telle agence a permis d’atteindre un taux de recouvrement de 97 % ! Les États-Unis ou la Norvège ont également très sensiblement amélioré leur taux de recouvrement grâce à la mise en place d’une instance de ce type.
L’instauration d’une agence pour le recouvrement des pensions alimentaires permettrait de faire le lien entre les différentes procédures afin que, en cas d’échec de l’une, les preuves déjà recueillies puissent être directement mobilisées pour une autre.
Cela permettrait de gagner un temps précieux pour les mères concernées, qui, trop souvent, se découragent face à la complexité et à la longueur des multiples procédures de recouvrement.
Cette agence pourrait avoir une mission de coordination à l’échelon international, particulièrement utile dans les cas de plus en plus nombreux de divorces de couples mixtes et facilitée par le développement d’outils informatiques internationalement standardisés. Elle apporterait également une aide juridique, car de trop nombreuses mères isolées renoncent à une action en justice par crainte de son coût lorsqu’elles ne remplissent pas strictement les conditions requises pour bénéficier de l’aide juridictionnelle. Là encore, la baisse annoncée du budget de l’aide juridictionnelle n’est pas une bonne nouvelle pour ces femmes…
La rédaction actuelle de l’article 6 me semble donc très insuffisante pour promouvoir des procédures de recouvrement plus efficaces et réactives.
M. le président. L'amendement n° 96, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
à son obligation d’entretien
insérer les mots :
ou au versement d’une pension alimentaire mise à sa charge par décision de justice
La parole est à Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Il s’agit d’apporter une précision rédactionnelle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, qui vise à apporter une précision tout à fait bienvenue. En effet, l’expression « obligation d’entretien » figurant dans la rédaction initiale du projet de loi pouvait prêter à confusion, puisqu’elle désigne également les obligations des parents à l’égard de leurs enfants.
M. le président. L'amendement n° 186 rectifié bis, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 8
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… - Pour l’expérimentation mentionnée au I, est regardé comme se soustrayant ou se trouvant hors d’état de faire face à l’obligation d’entretien ou au versement de la pension alimentaire mise à sa charge par décision de justice, le défaut de paiement depuis au moins un mois.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. À l’heure actuelle, pour avoir droit à l’allocation de soutien familial, le parent isolé – dans l’immense majorité des cas, on le sait, il s’agit d’une femme – doit faire la preuve que la pension alimentaire n’a pas été versée pendant au moins deux mois consécutifs. Ce délai met en difficulté les parents isolés concernés, car la pension alimentaire constitue souvent une part très importante de leur budget. Je rappelle au passage que 56 % des bénéficiaires de l’allocation de soutien familial vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
Par ailleurs, cette condition de non-versement pendant deux mois consécutifs empêche certains parents isolés de bénéficier de l’allocation de soutien familial quand le paiement de la pension est irrégulier.
Par conséquent, le Gouvernement propose de supprimer cette condition, pour permettre le versement de l’ASF dès le premier mois d’impayé de pension alimentaire. C’est une mesure de justice et d’efficacité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission de la commission des affaires sociales ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Il s’agit effectivement d’une mesure de justice et d’efficacité, qui offre une meilleure protection aux parents créanciers. À titre personnel, j’émets un avis favorable.