compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Conventions internationales
Adoption de trois projets de loi en procédure d'examen simplifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser l’approbation ou la ratification de conventions internationales.
Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord-cadre avec la région wallonne du royaume de belgique sur l’accueil des personnes handicapées
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région wallonne du Royaume de Belgique sur l'accueil des personnes handicapées, signé à Neufvilles le 21 décembre 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’article unique du projet de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La commission des affaires étrangères, après débat et rapport, a approuvé à l’unanimité ce projet d’accord-cadre.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région wallonne du Royaume de Belgique sur l’accueil des personnes handicapées (texte de la commission n° 767, rapport n° 766).
(Le projet de loi est adopté.)
accord-cadre entre l’union européenne et la république de corée
Article unique
Est autorisée la ratification de l’accord-cadre entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (ensemble deux déclarations), signé à Bruxelles, le 10 mai 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (texte de la commission n° 765, rapport n° 763).
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Approbation unanime de la commission !
(Le projet de loi est adopté.)
accord de libre-échange entre l’union européenne et la république de corée
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République de Corée, d'autre part, signé à Bruxelles le 6 octobre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République de Corée, d’autre part (texte de la commission n° 764, rapport n° 763).
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Même approbation unanime de la part de la commission !
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures quarante, est reprise à neuf heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Adaptations dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne
Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France (texte de la commission n° 769, rapport n° 768).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Richard, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, comme vous le savez déjà, a abouti à un accord. Par conséquent, mon intervention ainsi que celles de Mme la ministre et des orateurs inscrits serviront de travaux préparatoires à des sujets législatifs qui ne sont pas secondaires.
Pour résumer, la commission mixte paritaire avait quatre questions à examiner.
Sur deux d’entre elles, les délégués de l’Assemblée nationale et ceux du Sénat ont pu sans difficulté accorder leurs réflexions.
La première question portait sur l’extension des pouvoirs reconnus au membre national d’Eurojust, l’instance de coordination des procédures pénales au sein de l’Union européenne. Finalement, comme le souhaitait d’ailleurs le Gouvernement, il nous a paru à tous préférable de ne pas conférer de pouvoir direct d’engagement de poursuites ou de lancement d’enquête à ce membre national, car cela aurait perturbé la chaîne hiérarchique logique et juridiquement cohérente du ministère public.
Le second point de convergence avait trait aux règles de fond à poser en matière de droits des prévenus. L’insertion dans le code de procédure pénale des nouvelles dispositions sur le droit à la traduction et à l’interprétation des pièces de procédure, recommandée par la délégation du Sénat, a ainsi été retenue d’un commun accord.
Ces deux points importants, qui ne soulevaient aucune difficulté de fond, étant résolus, il nous restait un sujet principal ainsi qu’un sujet dont l’effet politique et symbolique est tout à fait appréciable.
Le sujet principal était le constat, réalisé en cours de réflexion sur ce projet de loi, que notre législation pénale manquait d’une incrimination permettant de poursuivre à un niveau jugé efficace par la Cour européenne des droits de l’homme l’infraction consistant à réduire en esclavage – en fait, en tout cas – une autre personne. Ce sujet n’avait naturellement échappé ni à la Chancellerie ni au législateur, mais on considérait, jusqu’à une époque récente, que les éléments figurant déjà dans le code pénal, notamment les délits de travail dans des conditions indignes et de séquestration, permettaient dans la pratique de poursuivre ces agissements.
L’action des magistrats, comme celle des auxiliaires de justice et des associations qui sont engagées dans ce combat, a démontré de façon de plus en plus pressante que le dispositif pénal français était, à cet égard, incomplet.
Nous avions de surcroît fait l’objet de deux décisions défavorables de la Cour européenne des droits de l’homme, relatives, il est vrai, à des situations d’espèce. Ces décisions ne portaient pas sur une carence textuelle du code pénal ; elles constataient, selon le mode de raisonnement qui est propre à la Cour européenne, que les moyens effectifs de poursuite et de sanction de ces infractions figurant dans la législation française et leur mise en pratique par les tribunaux ne répondaient pas aux exigences inscrites dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment à son article 4 qui énonce que « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ».
L’Assemblée nationale et le Sénat avaient une différence d’appréciation, au milieu de laquelle se trouvait le Gouvernement, en tout cas en l’état de la réflexion qui a été celui de la ministre au cours de nos échanges. L’Assemblée nationale considérait en effet qu’il y avait urgence à se prononcer sur ce sujet législatif important et avait donc formulé voilà deux mois une première proposition, considérant que c’était une esquisse qu’il reviendrait au Sénat de perfectionner.
Nous avons d’abord estimé que le délai et les conditions de réflexion qui nous étaient fixés ne permettaient pas de mener ce travail à bien. C’est pourquoi, sur la proposition de votre rapporteur et avec le consentement de Mme la ministre, nous avions préféré ne pas légiférer sur le sujet et nous donner rendez-vous en une occasion législative ultérieure.
Le Gouvernement a repris sa réflexion et nous a convaincus en disant : « nous ne pouvons être certains de retrouver prochainement une base permettant de statuer sur ce sujet ; nous étions favorables à la mise en place d’un groupe de travail pluraliste afin de parvenir à une définition pénale de la réduction en esclavage et en servitude ; donc, faisons-le dans l’espace de temps, certes quelque peu réduit, qui nous sépare de la commission mixte paritaire ».
C’est ce que nous avons fait, et il me revient, comme l’a fait ma collègue de l’Assemblée nationale, de rendre hommage à tous ceux qui ont contribué à ce travail : les collaborateurs de la ministre et les magistrats de la Chancellerie, ainsi que l’ensemble des magistrats, avocats, associations et professeurs d’université qui ont bien voulu répondre à nos sollicitations.
Les échanges, en particulier sur les deux questions clés – y a-t-il motif à séparer la réduction en esclavage et la réduction en servitude ? Quelles sont les infractions de niveau criminel ? – ont été fructueux. Je crois que chacun de ceux qui ont participé à ces échanges a fait évoluer sa réflexion, en y intégrant des éléments qu’il ou elle n’avait pas encore perçus.
Le résultat est que nous avons maintenant quatre infractions qui s’échelonnent à partir de l’infraction déjà inscrite dans le code pénal relative au travail dans des conditions indignes.
Nous avons donc clarifié le délit de travail forcé et nous avons défini la réduction en servitude comme l’assujettissement d’une personne à un travail forcé de manière habituelle et en abusant de sa vulnérabilité.
Nous avons défini, en nous référant aux instruments internationaux, l’esclavage comme la situation dans laquelle une personne exerce, en fait – et pas forcément, bien entendu, sur la base d’un contrat écrit –, un des attributs du droit de propriété à l’égard d’une autre. Ces attributs sont essentiellement, dans les situations pratiques malheureusement observées, le fait de céder la possession, la maîtrise d’une personne contre une somme d’argent, ou la situation dans laquelle – c’est le fructus dans les attributs du droit de propriété – une personne dominante perçoit des bénéfices matériels du fait de l’exploitation d’une personne placée en esclavage.
L’esclavage diffère de la servitude en ce que celle-ci relève entièrement du domaine du travail. Là aussi, nous avons poursuivi une tâche d’exégèse des motifs pour lesquels les auteurs des engagements internationaux antérieurs avaient différencié les deux infractions. Il nous a semblé, notamment à la lecture attentive de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, que le domaine d’exercice, si j’ose dire, de la servitude se cantonnait à celui du travail – c’est la raison qui explique que nous ayons donc en quelque sorte extrait ou prolongé la définition de la servitude à partir du délit de travail forcé –, alors que l’esclavage implique l’exercice par le dominateur d’une exploitation qui va au-delà du travail, notamment l’exploitation de manière générale de la personne en la privant de toute liberté et en pratiquant des abus sexuels à son encontre.
Telle est, très sommairement résumée, la réflexion qui a conduit à l’élaboration des nouveaux articles qui figureront désormais dans le code pénal puisque nous sommes tous tombés d’accord sur la définition de ces infractions. Il nous a paru judicieux de placer au niveau criminel, d’une part, la réduction en esclavage à cause de son caractère particulièrement violent à l’égard de la liberté de la personne-objet et, d’autre part, les cas de réduction en servitude lorsqu’ils sont assortis de circonstances aggravantes.
Voilà donc le principal apport législatif de la commission mixte paritaire.
Je me dois d’expliquer au Sénat pourquoi des innovations de cette importance entrent dans nos codes sans avoir fait l’objet d’un examen approfondi dans les deux hémicycles. Nous avons élaboré ce travail en vue de la commission mixte paritaire et, à titre d’excuses, je formulerai deux remarques.
D’une part, nous avons essayé de travailler de manière pluraliste, et je tiens à cet égard à saluer la contribution de l’ensemble des parlementaires des deux assemblées ayant participé au groupe de travail, contribution qui nous a permis de trouver un accord pleinement partagé au sein de la commission mixte paritaire. Nous avons donc fait une sorte de débat parlementaire virtuel qui remplace le débat complet dans les deux hémicycles.
D’autre part, du fait que ce projet de loi représentait l’introduction dans notre droit de plusieurs dizaines de normes positives qui étaient requises par des engagements internationaux, dont certains étaient déjà anciens, et d’obligations européennes contractées par nous parfois depuis près d’une décennie, les inconvénients d’un report pour permettre un plein débat l’emportaient, nous a-t-il semblé, sur ceux qu’entraînait ce mode un peu expéditif d’adoption de la loi pénale.
Reste donc la dernière composante de ce texte, qui est l’abrogation, décidée par l’Assemblée nationale et à laquelle le Sénat était réticent, du délit d’offense au chef de l’État. Je n’en refais pas l’historique, qui figure dans le rapport de l’Assemblée nationale et dans celui du Sénat.
L’Assemblée nationale avait considéré, d’une part, que la décision adoptée l’année dernière par la Cour européenne des droits de l’homme, à la suite de la demande formulée par M. Éon, rendait sinon juridiquement du moins pratiquement inutilisable cet article législatif. Nous pouvions être d’un avis différent parce que, expressis verbis, la Cour n’avait pas déclaré contraire à la convention européenne l’existence même de ce délit. Il faut toutefois reconnaître qu’implicitement, du fait du raisonnement qu’elle avait retenu, les cas dans lesquels l’application effective de ce délit serait restée possible devant nos tribunaux devenaient marginaux.
Donc, même si le Sénat avait souhaité en première lecture conserver ce délit tel qu’il figurait dans notre droit depuis 1881, l’échange avec nos collègues députés, le constat que toutes les composantes politiques de l’Assemblée nationale avaient voté cette abrogation à l’unanimité et la difficulté à caractériser ce délit nous ont convaincus d’y renoncer.
Lorsqu’on s’efforçait d’évaluer la « valeur ajoutée » pénale de ce délit par rapport aux infractions d’injure et de diffamation, on se rendait compte que la définition propre de l’offense risquait de se heurter aux mêmes objections qui avaient fait tomber le délit de harcèlement il y a dix-huit mois, c’est-à-dire que les circonstances permettant de caractériser le délit ne résultaient d’aucun texte législatif explicite et qu’on était donc loin de l’obligation de légalité des délits et des peines. Ces différents éléments nous ont persuadés qu’il valait mieux ne pas maintenir cette disposition spécifique de notre code pénal.
S’ajoute à cela – et ce fut une motivation évidente dans le vote de nos collègues de l’Assemblée nationale – que l’esprit du temps, la volonté de s’émanciper de toute une série de règles traditionnelles, avait contribué à créer un état d’esprit peu favorable au maintien de cette infraction.
Il restait à apprécier sous quelle forme pourraient être malgré tout poursuivis des délits patents d’injure ou de diffamation à l’encontre du chef de l’État.
Le déroulement de l’instance postérieure à l’invective de M. Éon vis-à-vis du Président Sarkozy démontrait que ce type de procès peut être en lui-même assez défavorable à la considération qu’on doit au chef de l’État. D’une certaine façon, le déroulement d’une poursuite à l’encontre de celui qui a proféré les injures ou les offenses peut se retourner contre la personne qui a poursuivi.
Cela nous a conduits, après divers échanges et hésitations, à retenir une formule de procédure de poursuite la plus proche possible du droit commun : si le Président de la République fait l’objet d’une atteinte à sa personne, à sa dignité, à sa fonction qui mérite une poursuite pénale, il reviendra au parquet, suivant les règles ordinaires d’engagement des poursuites, de décider de l’opportunité de déclencher ces poursuites, mais à la condition que le chef de l’État – et nous alignons donc sa situation sur celle des membres du Gouvernement et du Parlement – ait décidé de déposer une plainte, de manière qu’il ne puisse pas se trouver entraîné dans un procès qu’il n’aurait pas souhaité et qu’il considérerait comme défavorable à sa dignité.
Tel est donc le compromis que nous avons retenu. Je me réjouis qu’il ait convaincu la majorité de nos collègues de la commission des lois membres de la commission mixte paritaire. Ces derniers ont en effet reconnu qu’il constituait une situation d’équilibre, la mieux adaptée aux exigences à la fois de respect institutionnel dû au chef de l’État et de déroulement de la vie politique et médiatique de nos jours.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà donc les conclusions auxquelles est parvenue la commission mixte paritaire ainsi que les motifs principaux qui ont guidé son appréciation et son choix.
Je suis heureux de constater que la commission mixte paritaire s’est prononcée à l’unanimité. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le rapporteur ayant mis l’accent, dans son exposé, non seulement sur les grands enjeux, les points de divergence – les points de délicatesse également – soulevés par ce texte, mais aussi sur l’aboutissement auquel sont parvenus les rapporteurs des deux assemblées, ainsi que les commissions des lois, je me permettrai pour ma part d’insister sur plusieurs points sur lesquels le Gouvernement souhaite attirer l’attention du Sénat et obtenir son approbation.
Tout d’abord, je tiens à saluer le travail législatif qui a été accompli. C’est de la belle ouvrage législative qui a été réalisée, dans des conditions assez inhabituelles.
En effet, ce texte vise à transposer plusieurs instruments juridiques. Le Gouvernement et les deux chambres du Parlement auraient pu opter pour un examen du texte selon un processus mécanique, pour une transposition en fonction de contraintes de calendrier.
Il en a été tout autrement. Si nous étions certes confrontés à une légère contrainte de calendrier s’agissant d’un instrument devant être transposé depuis février 2012, nous disposions pour les autres de davantage de temps, certains instruments pouvant être transposés jusqu’au mois de décembre 2014.
Ainsi, nous n’avons pas travaillé sous la contrainte, mais guidés par la conviction que les présentes transpositions et adaptations de notre législation pénale contribuent à la construction de cet espace de liberté, de justice et de sécurité que nous élaborons en Europe.
Ce texte contribue à consolider nos capacités à lutter contre des délits et crimes insupportables, qui pénalisent des personnes de grande vulnérabilité. En ces matières, un État de droit – la France en particulier – ne peut tolérer que sa législation ne soit pas la plus élaborée possible afin d’être en mesure d’y faire face efficacement.
Notre approche n’est donc pas contrainte par des impératifs de calendrier ; elle ne résulte pas non plus d’un processus mécanique. Nous nous inscrivons dans une réflexion sur les fondements mêmes de notre droit pénal ainsi que sur la cohérence de notre législation pénale. Nous affirmons également notre volonté politique d’affronter les crimes et délits visés par ce texte de transposition.
Comme l’a rappelé M. le rapporteur, nous transposons une demi-douzaine d’instruments juridiques européens et nous adaptons notre législation à des protocoles et conventions européens et internationaux.
Les matières concernées sont extrêmement importantes : le droit pénal matériel, avec les dispositions concernant la lutte contre la traite des êtres humains et la lutte contre les violences faites aux femmes ; la lutte contre les abus sexuels à l’encontre des enfants et mineurs, de même que les situations de disparitions forcées. A cet égard, nous distinguons désormais les disparitions forcées liées à des événements politiques de celles qui relèvent directement de délits et de crimes commis par des personnes physiques.
En outre, nous adaptons notre procédure pénale en matière d’interprétation et de traduction des principales pièces de procédure. Ce droit nouveau doit contribuer à assurer, vis-à-vis de certains justiciables, la compréhension du droit.
Par ailleurs, nous reconnaissons mutuellement des décisions de justice, y compris prises en l’absence des personnes mises en cause, ou privatives de liberté.
Parmi les avancées importantes apportées par le présent texte, je tiens à souligner l’aboutissement tout à fait satisfaisant auquel vous êtes parvenus concernant les compétences reconnues au membre national d’Eurojust. Nous améliorons ces compétences, nous consolidons les pouvoirs d’Eurojust sans perturber ni désorganiser le ministère public et les conditions d’engagement de l’action publique.
Le Sénat a joué un rôle important sur ce point. En effet, grâce aux débats très nourris qui ont eu lieu ici, les députés ont pu mieux concevoir la nécessité de reconnaître au membre national d’Eurojust un pouvoir d’enquête et de déclenchement de l’action publique, et ce sans mettre en péril la cohérence et la cohésion même de l’action du ministère public par rapport à notre organisation judiciaire.
Ce texte de transposition, qu’aucun d’entre nous n’a envisagé de façon passive, soulevait également des divergences sur des points que je ne qualifierai pas de mineurs : il s’agissait notamment de la définition de la servitude et de l’esclavage, concepts visés par les instruments juridiques transposés.
Or, si l’esclavage est présent dans notre droit pénal, il l’est au sens de crime contre l’humanité et non en tant qu’action détachée de tout un processus global et institutionnel, que nous avons connu historiquement.
La servitude, en tant que telle, n’est pas non plus définie dans notre droit.
L’Assemblée nationale et le Sénat ont ainsi considéré qu’il y avait lieu de travailler à la définition de ces deux concepts que sont la servitude et l’esclavage.
Cependant, nous avons considéré, compte tenu de l’importance de ces incriminations, que ce travail ne pouvait être effectué dans un délai court : nous avons eu à cœur, dès le début, de prendre très au sérieux ces incriminations, leur contenu, la définition pouvant en être donnée, les sanctions pouvant être retenues contre elles. La démarche a donc été très sérieuse.
Parallèlement, nous avons considéré qu’il nous fallait du temps pour rassembler les compétences, interroger le droit, entendre des points de vue différents. C’est ce temps que les deux assemblées se sont donné.
En ce sens, le processus a été inhabituel. Ainsi, lorsque je qualifiais ce travail de « belle ouvrage législative », je faisais référence aussi bien au contenu des dispositions de ce texte qu’à la méthode qui a permis son élaboration.
En effet, l’Assemblée nationale et le Sénat ont accepté de se donner le temps de réfléchir et de voir si nous étions en mesure d’aboutir dans le cadre de la transposition de ces instruments juridiques. C’est bien ce qui a été fait.
Pour ce texte, l’Assemblée nationale et le Sénat ont exceptionnellement mis en place un groupe de travail mobilisant les deux chambres.
Ce groupe a procédé à des auditions. Il s’est également appuyé sur les services de l’administration centrale du ministère de la justice. J’avais annoncé à cette tribune que ces derniers seraient mis à l’entière disposition des rapporteurs des commissions des lois des deux assemblées et du groupe de travail dès la mise en place de ce dernier. Cette possibilité a été utilisée puisque le groupe a souhaité à deux reprises se réunir au ministère de la justice.
Le résultat de ce travail est tout à fait admirable. Malgré des divergences fortes sur des sujets majeurs, le groupe a abouti à la création de quatre niveaux d’incrimination, selon leur gravité.
L’incrimination visant les conditions de travail et d’hébergement indignes contraires à la dignité de la personne est punie de cinq ans d’emprisonnement, avec deux niveaux de circonstances aggravantes aboutissant à sept ans et à dix ans d’emprisonnement.
Le groupe de travail a proposé trois autres niveaux de gravité, avec la création de trois incriminations nouvelles.
L’incrimination de travail forcé est punie de sept d’emprisonnement. Elle comprend également deux niveaux d’aggravation avec des circonstances concernant les mineurs ou un travail forcé imposé à des groupes, les sanctions étant alors de dix ans et de quinze ans de réclusion criminelle.
Comme l’a indiqué M. le rapporteur, la réduction en servitude a été conçue comme un prolongement du travail forcé, suivant la logique de cette incrimination dans le droit européen et dans le droit international.
Ainsi, la réduction en servitude a été définie comme un travail forcé imposé de façon habituelle mais comportant une dimension aggravante par rapport à celui-ci. Alors que le travail forcé évoque une exploitation sous menace ou violence et sous contrainte, la réduction en servitude se distingue par le fait que la victime présente une dépendance ou une vulnérabilité apparente ou connue de l’auteur. Cette incrimination est punie de dix ans avec deux niveaux de circonstances aggravantes.
En outre, vous avez eu le courage de vous attaquer à la définition d’une incrimination difficile et complexe : celle de la réduction en esclavage. La définition à laquelle vous êtes parvenus est cohérente avec celle qui a été retenue dans la convention internationale, élaborée par la Société des Nations à Genève en 1926 et reprise dans la convention internationale de l’ONU en 1956.
La réduction en esclavage se définit ainsi comme le fait d’exercer à l’encontre d’une personne l’un des attributs du droit de propriété. Elle vise le refus de reconnaître cette personne comme étant un sujet de droit, de reconnaître sa liberté, sa dignité.
L’incrimination de réduction en esclavage ainsi définie est désormais punie de vingt ans de réclusion criminelle, la peine pouvant aller jusqu’à trente ans de réclusion criminelle en cas de circonstances aggravantes.
Vous avez retenu une incrimination distincte, à savoir l’exploitation de la personne réduite en esclavage, avec des circonstances aggravantes. Celles-ci sont notamment liées au fait que l’auteur du crime, sachant que la personne est réduite en esclavage, y ajoute l’exploitation sexuelle, la séquestration, la réduction au travail forcé. Une telle aggravation conduit à trente ans de réclusion criminelle.
Le travail effectué ici est de très grande qualité. Il est exceptionnel dans le cadre d’un texte de transposition d’instruments juridiques.
Par loyauté à l’égard du Parlement, M. le rapporteur a indiqué que ce débat a été approfondi en dehors des séances plénières de l’Assemblée nationale et du Sénat. Néanmoins, ce travail est d’une telle qualité qu’il fait honneur aux deux assemblées parlementaires. Il n’y a donc pas à s’interroger sur l’aboutissement auquel est parvenu ce groupe de travail animé par les deux rapporteurs, aboutissement validé par les deux commissions des lois et par l’Assemblée nationale en séance plénière. J’espère que le Sénat fera de même.
Le travail de la commission mixte paritaire a été véritablement inhabituel, et j’irai même jusqu’à dire qu’il a été sans précédent. Je tiens à le saluer, car il nous aidera sans doute à mieux aborder, à l’avenir, les transpositions de textes.
Plusieurs projets de directives et de règlements européens, sur des sujets extrêmement lourds, vont prochainement aboutir. Évidemment, les règlements vont directement s’imposer à nous. Toutefois, l’expérience que nous avons acquise à l’occasion du présent texte nous servira pour travailler en amont à l’élaboration des règlements qui s’imposent automatiquement à notre droit.
Les prochains textes, européens ou internationaux, de transposition de directives dans notre droit interne, notamment ceux qui concernent des sujets complexes, pourront être enrichis par le travail qui a été accompli.
Reste le sujet délicat de l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État, dont M. le rapporteur a parlé admirablement.
Le Sénat avait une position plus conforme à la dimension symbolique et solennelle de nos institutions, qu’il fallait donner à voir.
Certes, il convenait de moderniser et de démocratiser notre droit en le délestant, comme le disait M. le rapporteur, des derniers héritages monarchiques, qui tendaient à placer le Président de la République au-dessus de la société.
Notre chef de l’État n’est pas de droit divin ! Mais, élu au suffrage universel, il endosse une fonction solennelle, lourde et extrêmement responsable, et se trouve excessivement exposé. Il y a donc lieu de faire en sorte que la figure du chef de l’État, quelle que soit la personnalité politique qui l'incarne, ne soit pas indûment abîmée, parce qu’elle contribue au lustre que nous donnons à notre démocratie.
Le Sénat a été très sensible à ce dernier aspect, tout en étant réceptif à la question de la démocratisation de notre droit et à la nécessité de faire en sorte que le chef de l’État n’apparaisse pas, ainsi, comme étant de droit divin, sans pouvoir subir aucune forme d'offense.
Entre le souci, exprimé par l’Assemblée nationale, de faire du chef de l’État presque un citoyen comme un autre et la nécessité de respecter les institutions ainsi que la figure symbolique et solennelle du Président de la République, il fallait trouver la bonne mesure. Le travail effectué en amont de la commission mixte paritaire et par la CMP elle-même a permis d'y parvenir.
On peut sans doute sortir de cette procédure particulière qui consistait, en cas d'offense au chef de l’État, à saisir le procureur de la République par l'intermédiaire du garde des sceaux, étant clairement indiqué que ce dernier n’exerce, en l'espèce, qu’une compétence liée et que le procureur de la République reste libre d'apprécier la recevabilité de la plainte qui lui est ainsi transmise. Il s'agit, certes, d'une procédure qui donne de la solennité, mais c'est aussi une procédure dont nous pouvons nous priver.
Néanmoins, nous ne pouvions pas exposer le chef de l’État à une éventuelle multiplication des injures et des diffamations sans lui donner les moyens de réagir. La solution adoptée me semble déboucher sur un équilibre satisfaisant, puisqu'elle consiste à protéger le Président de la République dans les mêmes conditions que toute personne représentant l'autorité publique ou exerçant un mandat public.
Le délit d'offense au chef de l’État est donc abrogé, mais ce dernier pourra néanmoins se défendre. La personne qui aura tenu des propos injurieux ou diffamatoires pourra elle aussi se défendre en soulevant l'exceptio veritatis, pourvu qu’elle fasse la preuve du bien-fondé de ses propos.
En somme, le chef de l’État n’est plus indûment sacralisé sans qu’il se trouve, pour autant, inconsidérément exposé : il pourra, comme tout ministre, tout parlementaire et tout fonctionnaire, réagir en cas d'injure ou de diffamation.
Il me reste deux autres points à aborder qui ont fait débat ; le premier a déjà été introduit dans le texte issu de la commission mixte paritaire et le second sera traité – je l'espère, avec votre approbation – par le biais d'un amendement.
Vous avez accepté de tirer les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel intervenue le 14 juin 2013 – avec effet immédiat – qui introduit une voie de recours en cassation dans le cas où un mandat d'arrêt européen ferait l'objet d'une extension au-delà des incriminations visées lors de la première demande.
Le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur une question prioritaire de constitutionnalité portant précisément sur un mandat d'arrêt européen ayant fait l'objet d'une extension d'incrimination sans voie de recours. Le Conseil constitutionnel a choisi d'interroger la Cour de justice de l'Union européenne pour savoir si la décision-cadre qui a créé ce mandat européen, compte tenu des délais qu’elle indiquait, interdisait les voies de recours. La Cour de justice de l'Union européenne lui a répondu, le 30 mai 2013, que l'Union européenne n’avait nullement prévu d'interdire une voie de recours : elle demandait simplement que des délais brefs fussent respectés. Or, c'est cette question des délais qui avait été interprétée comme ne permettant pas une voie de recours. Le Conseil constitutionnel a donc décidé qu’une voie de recours pouvait être introduite dans notre droit.
Il est ainsi prévu qu’un pourvoi en cassation pourra avoir lieu dans un délai de quarante jours. Il est heureux que vous ayez choisi d'introduire ce dispositif dans le présent texte, car nous nous trouvons, depuis la décision du Conseil constitutionnel, dans un vide juridique.
Le dernier point concerne un amendement que je vous présenterai tout à l'heure, au nom du Gouvernement. Il tend à introduire dans ce texte de loi une disposition rétablissant le délit de port ou transport d'armes de sixième catégorie. En effet, lors d'une transposition d’instruments juridiques européens – il s'agissait d'introduire un dispositif de contrôle préventif et simplifié des armes modernes –, le 6 mars 2012, ce délit a été malencontreusement supprimé.
Cette transposition entrera en vigueur le 6 septembre 2013 et nous ne disposons pas, d'ici là, d'autres véhicules législatifs pour rétablir ce délit qui a tout de même son importance : il donne en effet lieu à 7 000 procédures, à 4 000 condamnations et à 400 décisions d'emprisonnement par an, et concerne l'ordre public.
Le Gouvernement vous demande donc de consentir à réintroduire ce délit de port ou transport d'armes de sixième catégorie dans le présent texte, ce qui serait pertinent à un double titre. En effet, cette erreur a été commise à l'occasion de la transposition d'une décision-cadre de l'Union européenne dans notre droit pénal, et ce délit, lié aux différents objets de cette transposition, concerne notamment les armes blanches, qui sont utilisées à l'occasion de viols, d'agressions sexuelles et de violences faites aux femmes. Or nous transposons dans ce texte des dispositions concernant précisément la lutte contre les violences faites aux femmes.
Il me reste à citer, enfin, quelques dispositions qui contribuent à améliorer la capacité des associations à ester en justice, à se constituer parties civiles et, en définitive, à défendre les intérêts des victimes de graves crimes et délits. Les dispositions en faveur des victimes alimentent tout l'arsenal que nous modernisons, consolidons et diversifions selon les différents délits et crimes concernés.
Il s'agit au total d'un texte de très grande qualité, et c'est avec un très grand bonheur – à la fois juridique, intellectuel et, pour tout dire, politique – que j'ai travaillé, au nom du Gouvernement, avec les deux chambres du Parlement. C'est donc avec un immense plaisir que je vous verrai adopter, j’espère à l'unanimité, ce texte de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)