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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 juillet 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le troisième alinéa de l’article L. 264–2 du code de l’action sociale et des familles (Élection de domicile) (2013–347 QPC).
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 juillet 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite (Pensions des fonctionnaires civils) (2013–348 QPC).
Le texte de ces deux décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
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Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière – Procureur de la République financier
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi et d’un projet de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. Nous reprenons la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au procureur de la République financier.
Dans la discussion générale commune, nous en sommes parvenus à la réponse du Gouvernement aux orateurs.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Je voudrais, après Mme la garde des sceaux qui s’est exprimée juste avant la suspension de la séance, remercier l’ensemble des orateurs de toutes les sensibilités représentées dans cet hémicycle pour la qualité de leurs interventions dans ce débat, qui témoigne de l’importance du travail qui a été réalisé par votre assemblée.
Monsieur le rapporteur, j’ai apprécié, comme Mme la garde des sceaux, les interrogations que vous avez formulées à cette tribune, dont je comprends qu’elles soient exprimées et qui peuvent être considérées comme légitimes dans leur fondement, même si je n’y apporte pas la même réponse que la vôtre. Je vais vous redire pourquoi en quelques mots.
D’abord, je comprends parfaitement la préoccupation de l’égalité des citoyens face à l’impôt que vous avez exprimée, à l’instar de Virginie Klès et Marie-Noëlle Lienemann.
Ce principe d’égalité devant l’impôt prend un relief très particulier, car finalement l’impôt c’est la contribution aux charges communes, c’est la manifestation que tous les citoyens sont capables, ensemble, et sans que puisse se poser la moindre interrogation sur l’égalité, de contribuer au fonctionnement des grands services publics que sont la justice, l’éducation, la sécurité, l’hôpital.
Par conséquent, il n’est pas possible de déroger à ce principe d’égalité devant l’impôt, qui n’est rien d’autre qu’une manière de réaffirmer le principe d’égalité devant les charges communes. Je veux redire mon très grand attachement à ce principe.
Mesdames les sénatrices, monsieur le rapporteur, le dispositif actuel est-il de nature à remettre en cause le principe d’égalité devant l’impôt ?
Vous semblez considérez que oui, sous prétexte que des transactions pourraient intervenir devant l’administration fiscale, qui remettraient en cause ce principe.
Je veux d’abord rappeler qu’aucune transaction devant l’administration fiscale ne pourrait avoir lieu en dehors du cadre juridique voté par la représentation nationale. C’est cette dernière qui définit les règles de droit qui s’appliquent en matière fiscale et l’administration fiscale comme le juge judiciaire ont à cœur l’une et l’autre de veiller à ce que le droit soit rigoureusement appliqué tel qu’il a été voté par la représentation nationale.
Si j’ai proposé tout à l’heure que nous puissions rendre compte devant les commissions des assemblées, et devant votre assemblée, des conditions dans lesquelles le droit que vous avez voté est appliqué par l’administration lorsqu’il s’agit de matière fiscale, c’est précisément parce que je sais que l’administration dont j’ai la responsabilité est particulièrement soucieuse de faire en sorte que le droit soit appliqué dans toute sa rigueur face à ceux qui s’en sont éloignés et qui se sont livrés à la fraude fiscale.
Les rapports qui seront remis à votre assemblée dans les années qui viennent concernant l’application des critères à partir desquels l’administration procède à des transactions, les sommes qui sont récoltées au terme de ces transactions, globalement et en moyenne par dossier, la mise en évidence de la typologie des dossiers dont l’administration aura à connaître et l’effort de transparence que nous consentirons non seulement sur le fonctionnement de l’administration en amont de l’intervention de la CIF, mais également sur l’activité de cette dernière après que sa composition aura été revue, constituent autant d’éléments qui permettront à votre assemblée de constater que l’administration fiscale, dans toute sa rigueur, applique les règles de droit à l’élaboration desquelles vous concourrez avec l’exigence que l’on a vu à l’œuvre dans cet hémicycle au cours de l’après-midi.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister, après avoir évoqué le principe d’égalité devant le droit et la loi, c’est la question de la capacité de l’administration fiscale à dénoncer des infractions pénales auxquelles elle serait confrontée.
J’ai assez mal vécu quelques propos, dans cet hémicycle ou ailleurs, selon lesquels nous ne pouvons faire confiance à l’administration fiscale, et parfois même encore moins au ministre qui la dirige, pour communiquer au juge des éléments laissant soupçonner une infraction.
Je veux tout de même rappeler ce qu’est le droit en la matière. L’article 40 du code de procédure pénale oblige toute autorité constituée à informer la justice des crimes et délits dont elle aurait été le témoin ou qu’elle aurait pu constater, et les fonctionnaires, plus que tout autre parce qu’ils ont la charge, dans l’exercice de leurs prérogatives administratives, de veiller à l’application du droit, a fortiori lorsqu’ils sont là pour procéder aux contrôles sur des matières propices à prendre connaissance d’infractions, doivent respecter ces dispositions.
Aussi, je ne pense pas que nous ayons intérêt, quel que soit notre niveau de responsabilité, que nous soyons membres d’un gouvernement ou membres de la représentation nationale, à laisser soupçonner les fonctionnaires de ne pas respecter les dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale.
Monsieur le rapporteur, mesdames Klès et Lienemann, les fonctionnaires de Bercy ont une haute idée de leur fonction, de la tâche qui est la leur.
M. Jean-Pierre Michel. La question n’est pas là !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Par conséquent, ils s’emploient, avec beaucoup de méticulosité, à appliquer l’article 40 et à transmettre à la CIF et à la justice tous les crimes et délits qu’ils constatent pour faire en sorte que la justice puisse poursuivre.
M. Jean-Pierre Michel. Le problème, c’est l’opacité !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Le troisième point sur lequel je voudrais insister c’est que nous, nous souhaitons, à Bercy, que la justice puisse disposer de moyens supplémentaires pour poursuivre, et qu’elle poursuive aussi souvent que cela est nécessaire.
L’administration fiscale a non seulement besoin des juges pour poursuivre lorsqu’elle constate des infractions, mais elle a confiance dans la justice pour pouvoir aller au bout des instructions et des sanctions qui doivent être mobilisées pour appliquer le droit car des infractions ont été constatées.
Tout ce que nous avons voulu faire avec Mme la garde des sceaux, ensemble plutôt que d’opposer nos administrations l’une à l’autre, c’est de faire en sorte que, par l’effort de transparence dont je vous ai parlé d’abord, par la recomposition de la Commission des infractions fiscales ensuite, par la mise en place du parquet financier par ailleurs, et par la possibilité que nous donnons au Parlement de contrôler les conditions dans lesquelles tout cela se met en œuvre, il n’y ait plus aucun espace laissé au fraudeur dès lors que celui-ci veut échapper à la justice.
C’est cette articulation, qui est exigeante, nouvelle, que nous voulons mettre en œuvre, plutôt que d’opposer la justice à l’administration fiscale.
Enfin, je veux terminer en revenant sur un argument que j’ai entendu et qui mérite d’être pris en compte et analysé. Je dirai à M. le sénateur Bocquet, qui a également évoqué cet argument, que nous l’avons à l’esprit lorsque nous raisonnons sur de telles questions.
Vous avez indiqué que, dès lors que la justice et l’administration fiscale peuvent poursuivre, aucune opportunité n’est donnée au fraudeur de profiter du temps supplémentaire qui lui est accordé pour s’échapper.
Je veux simplement dire que, à partir du moment où nous opposerions l’administration fiscale à l’administration judiciaire ou à la justice, dès lors que nous donnons la possibilité à la justice et à l’administration fiscale de poursuivre ensemble, l’administration fiscale ne pourrait plus appliquer aucune amende sur des dossiers sur lesquels la justice s’est saisie elle-même.
Entre le moment où l’administration fiscale constate un manquement et le moment où elle applique les sanctions éventuelles, il s’écoule en moyenne six mois. Le temps judiciaire est long, pour des raisons qui tiennent au fait qu’il protège nos libertés, qu’il donne la possibilité à celui qui est mis en cause de se défendre, qu’il existe des procédures permettant l’intervention d’un avocat – nous y tenons, car nous sommes, Mme la garde des sceaux et moi-même, attachés aux libertés publiques –, parce qu’il y a des procédures en appel et en cassation, aux termes desquelles il est possible de percevoir l’amende, mais sans lesquelles il n’est pas possible de la percevoir.
Aussi longtemps que le temps judiciaire court, il n’est pas possible, si l’administration fiscale n’a pas été saisie en premier et si c’est le juge qui a été actionné, de percevoir les amendes dont le contribuable est redevable.
Je ne pense pas, par conséquent, qu’il soit juste de dire qu’il est neutre de mettre en concurrence les deux administrations sur l’efficacité du dispositif et la capacité de l’administration fiscale à percevoir ce qui lui est dû, car le temps de l’administration fiscale et le temps de la justice sont différents. Si nous nous mettons en concurrence, nous perdrons toute l’efficacité de l’articulation entre ces deux administrations. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il faille le faire.
Enfin, pour terminer sur ce point, il est souvent avancé que cela existe dans d’autres pays d’Europe et que nous serions bien inspirés de regarder ce qui se passe ailleurs pour l’importer chez nous.
Monsieur le rapporteur général, vous avez pris l’exemple de l’administration fiscale italienne poursuivant la fraude, la Guardia di Finanza, qui dispose de pouvoirs d’enquête fiscale dont l’administration fiscale française ne dispose pas.
L’administration fiscale italienne dont vous avez parlé et loué l’efficacité est effectivement efficace, parce qu’elle est une espèce de « mix », dans les moyens qu’elle peut mobiliser, entre l’administration fiscale française et la police judiciaire française, mais il s’agit là d’un modèle très différent de celui qui prévaut chez nous et, par conséquent, très difficilement transposable, sauf à revoir complètement l’organisation des choses dans notre pays.
Par ailleurs, dernier point, tout ce qui peut s’exercer en termes de contrôles sur l’administration fiscale ne peut pas s’exercer sur des pouvoirs constitués pour des raisons qui tiennent à la séparation des pouvoirs.
Montesquieu disait : « Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Par conséquent, vous aurez énormément de difficultés à procéder à des contrôles sur le juge, soucieux de son indépendance autant que nous le sommes nous-mêmes, et qui, parce qu’il est dans un système de séparation des pouvoirs renforcé, n’a pas à rendre de comptes devant vos assemblées des conditions dans lesquelles il exerce sa mission.
Il me semble important que, à un moment donné, le Parlement dispose d’une capacité de contrôle sur la manière dont ces affaires sont traitées par l’administration.
Je vous dis tout cela simplement pour rappeler que, sur ces sujets, nous avons intérêt – c’est ce que nous avons voulu avec Mme la garde des sceaux – à reconnaître à la fois le travail des juges et le travail de l’administration fiscale, car nous avons confiance dans les juges et l’administration fiscale pour leur permettre d’avancer de concert. C’est la raison pour laquelle nous voulons articuler leurs interventions, plutôt que de les rendre plus difficiles en opposant l’administration fiscale et l’administration judiciaire.
Je voudrais remercier le rapporteur général M. François Marc, qui rappelait à juste titre l’ampleur des demandes de rectification spontanée.
La fraude fiscale, c’est le fait d’éluder l’impôt au détriment de l’administration. Une réparation pécuniaire de ce préjudice, qui a un caractère pécuniaire, peut, dans bien des cas, constituer une sanction suffisante. C’est d’ailleurs l’analyse des juridictions de jugement, puisque seules 10 % environ des condamnations comprennent des peines d’emprisonnement ferme, souvent parce que l’amende est jugée de nature à permettre la réparation.
Monsieur Bocquet, vous avez exprimé à plusieurs reprises, au cours de votre intervention, la préoccupation de voir le dispositif à l’égard des entreprises renforcé. Le rapport de l’Inspection générale des finances sur les prix de transfert, le travail que vous avez réalisé vous-même au sein de votre commission d’enquête témoignent de la nécessité de renforcer les dispositifs de contrôle à l’égard de l’optimisation fiscale des entreprises, qui, parfois, « tangentent » la fraude fiscale, et parfois même traversent la frontière entre optimisation et fraude.
Nous avons, sur ce plan, la volonté d’inscrire des dispositions en loi de finances plutôt que dans ce projet de loi, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, votre commission d’enquête n’a pas encore remis ses travaux. Or parmi les propositions auxquelles elle aboutira certaines pourront s’inscrire dans un ensemble d’éléments législatifs susceptibles de figurer en loi de finances.
Du reste, pour des raisons de cohérence globale, il est à la fois important et opportun de disposer d’un ensemble de mesures, au terme des travaux de votre commission, des études juridiques qui restent à mener et de la concertation avec les entreprises, avant d’introduire ces éléments dans le prochain projet de loi de finances.
Monsieur Bocquet, je vous le confirme d’ores et déjà, les amendements que vous avez déposés au titre du présent texte sont autant de pistes que nous avons à l’esprit et dont nous étudions la traduction dans le domaine législatif.
J’indique à M. Alfonsi que, sur la question de la licéité des preuves, nous tenons compte des remarques qu’il a formulées, afin de pouvoir utiliser des sources illicites dans le cadre des procédures d’investigation, dès lors que celles-ci ont été transmises de manière licite. Le présent projet de loi prend en compte ce cas de figure. Il était important que vous le rappeliez.
Je remercie Mme Benbassa de la qualité de son intervention, et lui dis à quel point nous sommes déterminés – comme elle en a émis le vœu – à faire en sorte que nous puissions, au cours des années à venir et dans le cadre du présent texte, renforcer la lutte contre les sociétés écrans, les trusts et l’utilisation de comptes non déclarés à l’étranger. Les combats que mène la France au sein de l’Union européenne pour l’échange automatique d’informations comme pour la création d’une liste d’États et de territoires non coopératifs à l’échelon communautaire sont autant d’éléments qui témoignent de notre volonté d’aller plus vite et plus loin, grâce à une ambition plus grande, en matière de lutte contre la fraude fiscale.
M. Pillet a raison de rappeler que la précédente majorité a créé de nouveaux instruments de lutte contre la fraude fiscale, dont la police fiscale. Toutefois, je souligne que ces outils ont été considérablement renforcés depuis un an, dans le cadre des deux projets de loi de finances rectificative pour 2012, de la loi de finances initiale pour 2013 et du texte aujourd’hui débattu. Au reste, pour notre part, nous n’avons jamais souhaité mettre en œuvre des dispositifs de type Rubik. Nous n’envisageons pas non plus de dispositions législatives organisant l’amnistie, mesures que certains parlementaires ont pu proposer au cours des derniers mois, de ceux qui se sont mis en contravention avec le droit.
Je ne m’attarderai pas sur l’ensemble des sujets que M. Rebsamen a détaillés et que je viens d’évoquer : ils sont, par leur contenu, en cohérence avec le présent projet de loi.
Je veux dire à M. Marini que nous avons apprécié ses propos dépourvus d’esprit partisan et la hauteur de vue qui a présidé à un certain nombre de ses prises de position. Concernant l’érosion des bases fiscales, les prix de transfert ou encore la fiscalité du numérique, nous souhaitons naturellement pouvoir travailler dans l’esprit qu’il a indiqué.
Mme Goulet ainsi que MM. Fortassin et Chiron sont intervenus sur un certain nombre de sujets sur lesquels nous menons un combat au sein de l’OCDE et de l’Union européenne. J’ai indiqué à l’instant, en répondant à Mme Benbassa, quel était notre agenda européen et international. Je confirme que nous restons très vigilants face à l’érosion des bases fiscales et à la nécessité de promouvoir l’initiative BEPS, ou base erosion and profit shifting, au sein de l’OCDE.
De même, madame Lienemann, nous veillerons attentivement à ce que l’Europe puisse appliquer en son sein et négocier, avec les pays tiers, des conventions de type FATCA.
Enfin, monsieur Arthuis, vous avez évoqué un certain nombre d’enjeux très importants et très intéressants, dont nous aurons à débattre en examinant des amendements que vous avez déposés. De nombreuses questions que vous soulevez comme celle des redevances sont autant de sujets que nous sommes prêts à étudier, et que nous traiterons lors de la discussion de vos amendements.
M. Jean Arthuis. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Pour ma part, je serai plus brève que M. le ministre du budget. En effet, M. Cazeneuve vient de reprendre assez longuement les observations les plus saillantes des orateurs qui se sont exprimés au cours de la discussion générale.
Je tiens de nouveau à remercier chacune et chacun d’entre eux de la très grande qualité et de la densité de leurs interventions. Le présent texte appelle précisément une réflexion de cette qualité et de cette densité. Nous traitons en effet de questions ardues.
Certes, il n’est pas difficile de nous entendre sur les principes – à savoir lutter résolument contre la fraude fiscale, être en mesure d’en saisir la complexité et combiner les instruments, les moyens et les intervenants nécessaires pour garantir la meilleure efficacité de cette lutte. Nous voulons non seulement sanctionner et punir mais aussi dissuader : à défaut d’éradiquer la fraude fiscale, rendons au moins cette pratique, qui est une infraction pénale, plus risquée, plus difficile et plus stigmatisante socialement, autant que faire se peut !
Reste cependant la question suivante : quel type de réponse construire pour traduire dans les faits ces principes et cette exigence ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous l’avons bien compris à travers vos interventions successives, des interrogations subsistent et des divergences demeurent quant à la manière de procéder. Vos propos n’en laissent pas moins entendre ou disent clairement que le texte présenté par le Gouvernement répond de manière efficace au but visé.
J’ai entendu des interrogations sur deux sujets majeurs, au-delà des autres questions qui seront débattues dans la suite de nos débats dans la mesure où elles font l’objet de divers amendements : il s’agit, d’une part, de la création du procureur financier à compétence nationale et, d’autre part, de la préséance de la procédure fiscale dans le traitement de certaines affaires.
Tout d’abord, j’évoquerai la création du procureur financier à compétence nationale. Je remercie les sénatrices et sénateurs qui soutiennent cette initiative, et qui en ont souligné à la fois l’importance et la pertinence. À cet égard, je sais gré à M. le rapporteur Alain Anziani de ses interrogations quant à la confiance que j’accorde aux magistrats. Cette confiance se fonde, dans notre pays, sur des pratiques, sur des comportements et sur une longue histoire. Les procureurs des diverses juridictions et des divers parquets ont prouvé leur capacité à partager et à transférer des procédures vers le lieu garantissant la plus grande efficacité, selon la complexité du cas traité.
Certes, des mésententes peuvent se faire jour ponctuellement, et notre droit contient un certain nombre de dispositions applicables en pareil cas. C’est vrai qu’en créant un procureur financier à compétence nationale dans le ressort de la cour d’appel de Paris, on institue un dispositif particulier. En l’occurrence, vous pouvez vous interroger sur un conflit de compétences entre le procureur de Paris et le procureur financier à compétence nationale, voire entre le parquet de Paris et un autre parquet, notamment une juridiction interrégionale spécialisée, ou JIRS.
Lorsqu’il s’agit d’une information judiciaire, la procédure est très simple et claire. Par ailleurs, dans le cas d’une enquête préliminaire, et lorsque le ministère public est concerné, diverses pratiques existent. Je songe bien sûr à l’arbitrage du procureur général dans le cas d’une question interne. S’y ajoutent les arbitrages opérés entre procureurs généraux : ces derniers ont eux-mêmes présenté plusieurs exemples de contentieux très précis sur lesquels ils se sont entendus, soit pour confirmer l’attribution d’une procédure, soit pour transférer cette dernière.
Dans tous les cas, se pose la question suivante, qui ne peut être asséchée : à quel moment le niveau de complexité perçu atteint-il un degré tel qu’un transfert de procédure apparaît nécessaire ?
C’est pour prévenir tout risque d’un transfert à un mauvais moment que nous avons choisi de retenir une compétence concurrente pour le procureur financier à compétence nationale. Si une procédure doit être transférée d’une JIRS au procureur financier à compétence nationale, sa transmission peut avoir lieu à n’importe quel moment, car la compétence concurrente a pour effet d’éviter l’annulation des actes pris par la première juridiction.
Ainsi, en résolvant par avance cette difficulté, nous évitons de perdre du temps au titre de ces procédures, du seul fait de cette compétence concurrente.
À ce propos, je rappelle simplement qu’un schéma analogue existe pour les actes terroristes. La section antiterroriste de Paris, qui, en réalité, traite de manière exclusive et exhaustive des affaires de terrorisme, dispose en effet d’une compétence concurrente. Dans l’ensemble des parquets de France, aucun problème ne se fait jour pour transférer une affaire à cette section dès lors que certains éléments de l’enquête laissent à penser qu’il s’agit d’une affaire terroriste. Si un parquet d’un autre ressort a déjà entamé l’instruction de ce dossier, ses actes ne sont pas annulés. Je le répète, cette méthode ne pose aucun problème. Un tel exemple illustre la capacité de nos magistrats à s’entendre, conformément à l’intérêt général, pour confier une affaire à la juridiction la plus pertinente et la plus judicieuse.
La création du procureur financier à compétence nationale a reçu l’adhésion des orateurs du groupe socialiste et apparentés. Il a également emporté l’approbation des sénateurs du groupe CRC, et je leur en sais gré. J’ai entendu les questions posées par M. Bocquet. Malgré ces interrogations, qui, à ses yeux, appellent un travail supplémentaire, je crois avoir compris qu’il apportait son soutien à ce dispositif.
De la part des sénateurs de l’opposition, j’ai parfois perçu un rejet complet de cette mesure. J’en prends acte. Certaines oppositions sont définitives, sans argumentation. D’autres soulèvent certaines questions, fondées sur les arguments exposés par M. le procureur de Paris. Je ne m’appesantirai pas sur l’autorité que présentent ces motifs. Toutefois, il me semble bon que le législateur prenne les distances nécessaires pour se pencher sur l’institution judiciaire en tant que telle et sur la volonté résolue que nous exprimons : nous doter des moyens de lutter contre la fraude fiscale, contre toutes les atteintes à la probité et contre la corruption. Il est nécessaire de confier à l’institution judiciaire des armes spécifiques et identifiées pour agir efficacement contre ces fléaux.
En d’autres termes, le procureur financier à compétence nationale disposera de moyens dédiés, que j’ai détaillés à la tribune et que je rappellerai très rapidement : ce nouveau parquet bénéficiera d’une centaine de créations d’emplois, soit une cinquantaine de postes réservés à des magistrats – dont vingt-deux magistrats du parquet, dix juges d’instruction, des juges du siège en première instance et des conseillers à la cour d’appel, au terme, naturellement, d’une montée en puissance – et une cinquantaine de greffiers.
Spécialisé dans ce domaine, ce procureur financier disposera d’attributions concurrentes concernant les atteintes à toutes les formes de probité, qu’il s’agisse de corruption, de conflits d’intérêts, de favoritisme ou de détournement de biens publics. S’y adjoint une compétence en matière de fraude fiscale complexe, dont la dimension internationale englobe les techniques particulières de dissimulation et les ramifications transfrontalières. Toutes ces fraudes seront soumises au procureur financier à compétence nationale, qui disposera également d’une compétence exclusive en matière de délits boursiers.
Il s’agit donc bien d’une compétence à part entière, déclinée en diverses spécialisations et assortie de moyens dédiés.
Parallèlement, j’ai entendu des interrogations concernant les juges du siège. Certains ont notamment évoqué l’Audiencia Nacional espagnole. Je souligne néanmoins que ce pays présente une organisation judiciaire absolument différente de la nôtre. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)
N’ayant pas souhaité créer une entité de ce genre, nous sommes restés dans l’architecture de l’institution judiciaire en nous interrogeant sur la spécialisation des magistrats du siège, notamment des juges d’instruction. Nous nous sommes demandé comment faire pour éviter que les moyens et les effectifs supplémentaires que nous envisageons ne se diluent dans l’ensemble du ministère public.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs souhaité introduire dans le projet de loi organique une disposition visant à spécialiser les juges du siège et à procéder à leur nomination dans les conditions que vous savez.
Nous avons fait valoir le défaut essentiel dont souffrait ce dispositif : une rigidité qui tend à cloisonner les contentieux. Nous savons pourtant qu’un certain nombre d’affaires peuvent articuler de la fraude fiscale, de la matière économique et financière, mais également de la criminalité organisée.
Dans ces cas-là, il est bon qu’un magistrat saisi puisse poursuivre l’instruction de l’affaire. Nous estimons donc que le dispositif prévu par l’Assemblée nationale ne convient pas, et nous nous en sommes expliqués. Votre commission des lois a fait sien l’avis du Gouvernement, considérant que ce dispositif n’était pas souhaitable.
Nous vous proposons par conséquent un mécanisme autorisant le premier président, sur avis du président du tribunal de grande instance, à habiliter les magistrats. Il ne s’agit pas d’une innovation, un tel dispositif existe déjà dans les juridictions interrégionales spécialisées, et fonctionne bien jusqu’à maintenant. (M. Michel Mercier s’exclame.)
Votre commission des lois a également choisi d’introduire une obligation de consultation de la commission restreinte de l’assemblée générale des magistrats. Le Gouvernement y voit une garantie supplémentaire de spécialisation et de compétence, et considère donc cette idée recevable. Plus encore, elle est bienvenue !
Nous créons donc un parquet financier à compétence nationale spécialisé, bénéficiant de moyens dédiés et de magistrats au profil déterminé, se préoccupant exclusivement des matières suivantes : atteintes à la probité, fraude fiscale complexe à dimension internationale, délits boursiers, sans oublier les infractions à la taxe sur la valeur ajoutée. S’y ajouteront des juges du siège, également spécialisés, habilités par le premier président, sur avis du président et de cette commission restreinte. Nous attribuerons à ce dispositif des moyens dédiés en effectifs, en lieux et en logistique.
On peut effectivement considérer qu’il n’y a pas lieu de changer le dispositif actuel. Mais en quoi cela viendrait à l’appui de nos efforts particuliers pour lutter contre les atteintes à la probité, contre la corruption et contre les fraudes ? Le Gouvernement vous assure qu’il se donne, par ces moyens-là, la capacité de permettre à l’institution judiciaire d’y concourir.
S’ajoute à cela la question de l’amont, c'est-à-dire la détection des infractions. Nous voulons que l’institution judicaire soit active pour repérer les infractions relevant de ces contentieux. À cette fin, la création de l’Office central de lutte contre les atteintes à la probité est importante.
Cet Office central aura une compétence très large et très profonde. Il sera composé d’officiers de police judiciaire issus de différents corps : policiers, gendarmes, mais aussi douaniers et fonctionnaires de l’administration fiscale. Vous l’avez bien noté, bénéficiant d’attributions élargies, il pourra être saisi directement par le parquet financier à compétence nationale.
La prévalence de la procédure fiscale, en termes de transactions, demeure, avec le dispositif qui vous a été présenté par le ministre du budget. Cependant, le parquet financier à compétence nationale, dans la mesure où il peut dorénavant mobiliser l’Office central sur les procédures, notamment en matière de fraude fiscale complexe, gagne de réelles compétences d’investigation au regard de la situation actuelle.
Aujourd’hui, en effet, lorsqu’un procureur identifie une fraude fiscale à l’occasion d’une procédure sur un autre contentieux, il la qualifie de blanchiment de fraude fiscale et saisit la brigade de répression, les officiers de police judiciaire qui sont à sa disposition. Avec l’Office central, nous disposerons d’officiers de police judiciaire spécialisés dans ce type d’investigations. Le parquet aura donc ainsi une capacité plus grande à enquêter sur les fraudes fiscales complexes.
Avec le ministre du budget, comme celui-ci l’a dit à plusieurs reprises, nous avons beaucoup travaillé. Nos responsabilités diffèrent par leurs natures.
La pression la plus forte repose sur le ministre du budget, qui a l’obligation de faire en sorte que celles et ceux qui cherchent à échapper à l’impôt échouent. Ceux-là ne s’acquittent pas de leurs obligations et ne contribuent pas aux charges communes, ils ne participent pas au financement de l’appareil d’État, des services publics. Ils portent atteinte à tout ce qui fait de la citoyenneté une réalité pratique, c'est-à-dire à la possibilité pour tous les citoyens d’accéder à certains services relevant de la sphère publique : l’éducation, la santé, les services sociaux, les infrastructures, le transport. Tous ces services sont indispensables et concourent à l’égalité dans la société. Le ministre du budget porte donc la responsabilité de faire en sorte que l’État récupère effectivement les sommes qui lui sont dues et qui lui échappent.
Ma responsabilité consiste à m’assurer que toute infraction à la loi reçoit la punition prévue, à un moment ou à un autre, par la représentation nationale et qui est inscrite dans le code pénal.
Nous avons donc beaucoup travaillé. J’ai d’abord affirmé, par réflexe, que, quelle que soit la situation du fraudeur, quand une transaction, quelle qu’elle soit, aura été conclue, elle ne pourra pas empêcher le déclenchement de l’action publique.
Nous avons cherché des solutions à partir de cette exigence. Nous avons aussi étudié les chiffres des dernières années. Ils confirment, malheureusement, ce que vous avez été plusieurs à exprimer à la tribune : assez peu de procédures aboutissent, les délais ne révèlent pas une diligence extraordinaire, les sanctions ne sont pas particulièrement dissuasives. En tout état de cause, le juge judiciaire ne peut prononcer que des amendes, et non le recouvrement de l’impôt, rôle qui revient au juge administratif
Vous l’avez remarqué, notre souci a été d’aggraver considérablement les amendes, afin que le juge puisse sanctionner sérieusement. Nous nous sommes engagés, le ministre du budget et moi-même, en respectant la cohérence de nos politiques respectives, pénale et fiscale, dans une meilleure articulation entre ces politiques. Nous avons donc pris un certain nombre de dispositions pratiques, très précises, visant à faciliter l’échange d’informations et la transparence dans le travail des uns et des autres.
Des juges de l’ordre judiciaire seront intégrés à la commission des infractions fiscales, la CIF, aux côtés des juges de l’ordre administratif et de l’ordre financier qui la composent actuellement.
L’obligation de présenter au Parlement chaque année un compte rendu de l’activité de la CIF nous permettra d’éclairer un certain nombre de points essentiels sur lesquels nous ne disposons pas d’éléments tangibles aujourd’hui. Il est incontestablement nécessaire d’évaluer les procédures traitées par cette commission. Aucun d’entre nous n’est indifférent au fait que celle-ci examine depuis sa création à peu près un millier d’affaires par an. Cette stabilité est dénuée d’explication logique et évoque une contingence arithmétique, une sorte de quota, liée à sa capacité maximale de traitement.
Ce rapport annuel, présenté par le ministre du budget à la représentation nationale, éclairera le profil de ces affaires et les causes de cette stabilité statistique. Il nous permettra également d’étudier la typologie des affaires transmises au parquet. L’institution judiciaire confirme, en effet, le faible nombre de condamnations, et leur faible ampleur, mais fait valoir que les affaires qui lui parviennent n’encourent que des sanctions relativement modestes.
Ce rapport permettra donc d’y voir plus clair et de connaître la typologie des affaires transmises par la CIF à l’institution judiciaire. Il permettra sans doute aussi d’élaborer plus précisément les critères de saisine de cette commission et les conditions de poursuites.
L’engagement du ministre du budget de rendre compte au Parlement chaque année constitue donc un effort de transparence susceptible de nous permettre de mieux apprécier la situation afin de déterminer s’il est éventuellement possible de concilier l’efficacité et le déclenchement automatique, ou au moins plus fréquent, de l’action publique.
Pour ma part, je ne renonce pas – et ce souci est partagé, à mon sens, par tous les parlementaires – à veiller à ce que l’État rentre dans ses fonds. Les sommes éludées par la dissimulation, la fraude fiscale et l’évasion fiscale doivent rentrer dans les caisses de l’État. En effet, nous ne pouvons pas continuer à exiger des efforts de ceux qui disposent de revenus de personnes physiques et à permettre que ceux qui ont dissimulé les leurs paient l’impôt et les pénalités sans être sanctionnés plus avant.
Nous avons donc le souci de faire prévaloir le droit. Les dispositions que nous avons mises en place nous permettront, à mon sens, d’avancer significativement dans cette direction.
Nous avons vraiment travaillé en bonne intelligence, en nous préoccupant de l’efficacité comme de la lisibilité. Nous le savons bien, en effet, autant les citoyens qui connaissent la difficulté et y sont confrontés à titre individuel comprendront qu’il est important de réintégrer l’argent évadé dans les caisses de l’État, autant ils ne comprendraient pas que ces comportements ne fassent pas l’objet de sanctions lorsqu’elles sont méritées.
Nous allons donc travailler ensemble afin de faire en sorte qu’aucune affaire méritant d’être transmise à la justice ne lui échappe. C’est là un engagement fort et formel pris par le ministre du budget (M. le ministre délégué acquiesce.) et par moi-même. Grâce à ce rendez-vous annuel, vous allez considérablement nous y aider.
Il y a d’autres sujets, sur lesquels nous reviendrons probablement à la faveur de l’examen des amendements. Je vous remercie, une fois encore, d’avoir apporté autant d’éclairage, d’exigence et d’intelligence dans la réflexion sur ce projet de loi. Le sujet n’était pas facile à traiter, et les réponses étaient difficiles à ajuster, mais il me semble que nous nous approchons du meilleur possible. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)