M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Nous considérons que les principes fondamentaux énoncés par cet article 1er guident tout dépositaire de l’autorité publique ou toute personne chargée d’une mission de service public et font autorité.

Ils sont d’ailleurs largement inspirés des conclusions de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique, présidée par Jean-Marc Sauvé, reprises quasiment à l’identique par le projet de loi Sauvadet relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique qui avait été déposé par le gouvernement Fillon en juillet 2011. Je constate donc une grande continuité dans l’approche de ce qui doit être le rôle des élus et des détenteurs d’une mission de service public.

C’est la raison pour laquelle nous estimons qu’il n’y a pas lieu de s’opposer à ce que l’on affiche l’intégrité, plutôt que l’impartialité, et la probité comme des principes guidant l’action des élus et des personnes chargées d’une mission de service public.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 31 rectifié.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Christian Cambon. Vous pourriez assurer la présence nécessaire !

M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 314 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Pour l’adoption 169
Contre 177

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 165, présenté par M. Longuet, est ainsi libellé :

Supprimer le mot :

dignité,

La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Je souscris à l’analyse de Jean-Jacques Hyest sur la nécessité, pour la loi, d’être normative, de ne pas se contenter d’être déclarative, déclamatoire, esthétique ou poétique.

Je retirerais volontiers cet amendement si j’avais la certitude que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique crée une sous-commission pour expliquer aux personnes chargées d’une mission de service public, aux élus locaux et aux ministres ce que doit être la dignité dans le comportement. S’agit-il d’une marche sobre et tranquille, d’un pas calme et résolu, d’une tenue vestimentaire traditionnelle, d’un français châtié, d’une sérénité à toute épreuve ? (Sourires sur les travées de l'UMP.) Dans ce dernier cas, je serai exclu par définition !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Ne vous sous-estimez pas !

M. Gérard Longuet. Il faut fixer des normes et cet appel à la dignité me va droit au cœur : je suggère donc que M. le ministre nous rassure sur le rôle de Haute Autorité, auquel cas je retirerai volontiers cet amendement.

Autant les mots « intégrité » et « probité » ont un sens, autant le mot « dignité », dans une société où le relativisme des comportements est accepté par tous, me donne le sentiment qu’une sorte de père Fouettard va être chargé de surveiller le comportement de chacun. Comme je n’imagine pas un seul instant que telle soit votre intention, monsieur le ministre, je voudrais savoir quel contenu vous entendez donner à la police de la dignité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je lis cet amendement : « Supprimer le mot : dignité ». Monsieur Longuet, il fera bel effet dans vos œuvres complètes ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) On pourra dire que M. Longuet s’est mobilisé pour supprimer le mot « dignité »…

M. Pierre-Yves Collombat. Pour le remplacer par « majesté » ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur Longuet, vous avez bien sûr à l’esprit l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958,…

M. Gérard Longuet. Je la connais par cœur !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. … qui instaure le statut des magistrats et qui comporte ce beau mot de la langue française : dignité.

M. Gérard Longuet. La dignité, c’est le « mur des cons », les magistrats sans cravate qui mettent les pieds sur la table, qui livrent des informations aux journalistes ? Trahir la déontologie, est-ce digne ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Vous savez l’attention que nous portons à votre réputation, monsieur Longuet, et nous pensons qu’il vaudrait mieux que les dispositions de cet amendement ne prospèrent pas, car elles ne seraient pas les meilleures de toutes celles que vous avez déposées ou que vous allez rédiger. Nous sollicitons donc le retrait de cet amendement.

M. Gérard Longuet. Je le retirerai volontiers, mais je voudrais que l’on sache qui va définir la dignité !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je vous remercie, cher collègue, et je suis très sensible à votre attitude.

M. Henri de Raincourt. M. Longuet est très digne !

M. le président. Monsieur Longuet, l’amendement n° 165 est-il maintenu ?

M. Gérard Longuet. Apaisé par la certitude de M. Sueur, je le retire dignement, monsieur le président. (Sourires.)

M. le président. L’amendement n° 165 est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(L’article 1er est adopté.)

Section 1

Obligations d’abstention

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la transparence de la vie publique
Article 2 bis

Article 2

Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et un intérêt privé qui est de nature à compromettre l’exercice de fonctions dans les conditions fixées à l’article 1er.

Lorsqu’ils estiment se trouver dans une telle situation :

1° (Supprimé)

2° Les membres des collèges d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante s’abstiennent de siéger. Les personnes qui exercent des compétences propres au sein de ces autorités sont suppléées suivant les règles de fonctionnement applicables à ces autorités ;

3° Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l’article 432-12 du code pénal, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s’abstiennent d’adresser des instructions ;

4° Les personnes chargées d’une mission de service public qui ont reçu délégation de signature s’abstiennent d’en user ;

5° Les personnes chargées d’une mission de service public placées sous l’autorité d’un supérieur hiérarchique le saisissent ; ce dernier, à la suite de la saisine ou d’initiative, confie, le cas échéant, la préparation ou l’élaboration de la décision à une autre personne placée sous son autorité hiérarchique.

Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article.

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 81 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Constitue au sens de la présente loi un conflit d’intérêt la situation dans laquelle un membre du Gouvernement détient des intérêts privés qui peuvent indûment influer sur la façon dont il s’acquitte des missions liées à sa fonction, et le conduire ainsi à privilégier son intérêt particulier face à l’intérêt général. Ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits d’intérêts, les intérêts en cause dans les décisions de portée générale ainsi que les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes.

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement reprend , sous une forme adaptée, le texte d’un amendement qui a été adopté lors de la discussion du projet de loi organique et qui propose une définition du conflit d’intérêts.

En effet, cette notion se greffe assez difficilement sur notre système juridique, qui évoque plutôt le manquement au devoir de probité. Le conflit d’intérêts est un quasi-délit, qui n’est pas assorti d’une peine. Cette définition devrait nous éviter de rencontrer trop de complications par la suite.

M. le président. L’amendement n° 32 rectifié, présenté par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et un intérêt privé pouvant indûment influer sur la façon dont les personnes visées à l'article 1er s'acquittent des missions liées à leur mandat ou fonction, pouvant les conduire ainsi à privilégier leur intérêt particulier face à l’intérêt général et compromettre l'exercice de leurs fonctions.

La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement procède de la même inspiration que celui qui vient d’être présenté et avec lequel il n’est nullement contradictoire.

La définition du conflit d’intérêts proposée ici est celle qu’a élaborée, après mûre réflexion, le groupe de travail de la commission des lois. Certes, elle diffère beaucoup de celle de la commission Sauvé, que l’on nous soumettra dans quelques instants et que nous avions jugée un peu alambiquée : dix lignes pour définir le conflit d’intérêts, cela nous paraît trop ! Plus une définition est simple, plus elle est compréhensible. C’est dans cet esprit qu’a travaillé la commission des lois.

M. le président. L’amendement n° 150, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :

Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêt toute situation d’interférence entre une mission de service public et l’intérêt privé d’une personne qui concourt à l’exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.

Au sens et pour l’application du précédent alinéa, l’intérêt privé d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public s’entend d’un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d’affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles.

Ne peuvent être regardés comme de nature à susciter des conflits d’intérêts, les intérêts en cause dans les décisions de portée générale, les intérêts qui se rattachent à une vaste catégorie de personnes, ainsi que ceux qui touchent à la rémunération ou aux avantages sociaux d’une personne concourant à l’exercice d’une mission de service public.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Nous avons décidé, pour notre part, de reprendre la définition proposée dans le rapport Sauvé, et non celle qui a été élaborée par la commission Jospin et a été retenue dans le présent projet de loi.

Cet amendement, avant tout d’appel, est surtout un outil permettant d’ouvrir le débat sur la notion de conflit d’intérêts, qui n’était jusqu’à présent pas encore codifiée.

M. Hyest vient de nous soumettre la définition élaborée avec plusieurs de nos collègues de la commission des lois ; le projet de loi reprend la définition de la commission Jospin ; pour notre part, nous proposons celle de la commission Sauvé : on le voit, pour aboutir à la juste définition du conflit d’intérêts, il nous faut pousser le débat plus loin.

M. le président. L’amendement n° 189, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Remplacer les mots :

un intérêt privé

par les mots :

des intérêts publics ou privés

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Cet amendement propose de rétablir la notion de conflit entre des intérêts publics, à laquelle, je le sais, la commission est défavorable.

Sans vouloir administrer de grandes leçons d’histoire, je citerai l’évangile selon saint Matthieu : « Nul ne peut servir deux maîtres ». Or, même lorsqu’on travaille au service du public, il arrive que l’on serve deux maîtres à la fois. Le cas se rencontre lorsqu’un ministre, soumis à la pression des élus de sa circonscription, se trouve en situation de devoir soupeser des intérêts de divers ordres.

Je précise que cette question est tout à fait indépendante de celle du cumul des mandats : on peut cumuler des mandats sans être pour autant en situation de conflit d’intérêts. Il s’agit, en l’occurrence, de savoir si un ministre peut se trouver en situation de conflit d’intérêts lorsqu’il est également élu d’une circonscription ou d’une commune. En tant que dépositaire de l’autorité publique, il détient en effet des pouvoirs considérables et peut être conduit à prendre des décisions contraires à l’intérêt général.

C’est la raison pour laquelle nous voulons réintroduire cette notion de « conflit d’intérêts public-public ».

M. le président. L’amendement n° 164, présenté par M. Longuet, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Remplacer les mots :

intérêt privé

par les mots :

intérêt strictement personnel

La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Je retire cet amendement. En effet, après le débat sur le projet de loi organique, le retour à la rédaction du rapport n° 518, préconisé à la fois par M. Hyest et par M. Collombat, me satisfait pleinement.

M. le président. L’amendement n° 164 est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur les quatre autres amendements ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission a retenu trois éléments.

Premièrement, nous avons pris en compte le seul conflit entre intérêt privé et intérêt public, et non entre deux intérêts publics.

M. Gérard Longuet. C’est un progrès !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Suivant la logique retenue par la commission, je ne peux donc, monsieur le ministre, qu’émettre un avis défavorable sur votre amendement.

Deuxièmement, nous avons refusé la théorie dite « des apparences ».

M. Gérard Longuet. C’est bien aussi !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Je sais qu’il existe de nombreux débats sur ce sujet. Ma position à cet égard est assez simple – peut-être trop ! –, mais elle a été approuvée par la commission : finalement, mieux vaut s’en tenir aux réalités.

Troisièmement, nous sommes tombés d’accord pour substituer à la notion d’impartialité celle d’intégrité. Je pense qu’il est utile, sur cette base, de reprendre une définition ramassée, issue du rapport de Jean-Jacques Hyest, rédigé avec des représentants de tous les groupes lorsqu’il était président de la commission des lois.

La rédaction proposée par M. Hyest avec l’amendement n° 32 rectifié est celle qui me paraît convenir le mieux. Je demanderai donc à M. Collombat de bien vouloir retirer l’amendement n° 81 rectifié et à Mme Assassi de faire de même avec son amendement n° 150. Dès lors que l’on retient les trois principes que je viens de rappeler, la définition de M. Hyest est en effet celle qui concentre nos préoccupations de la manière la plus claire possible.

Enfin, je remercie M. Longuet d’avoir retiré son amendement n° 164.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement est défavorable aux amendements nos 32 rectifié, 150 et 164, pour la bonne et simple raison que nous préférerions voir adopter notre propre définition du conflit d’intérêts. Je dirai cependant un mot de l’amendement n° 32 rectifié de M. Hyest, qui représente, selon le rapporteur, une manière de synthèse.

Si le Gouvernement y est défavorable, c’est parce qu’il lui semble important de ne pas limiter la définition du conflit d’intérêts à l’hypothèse où l’intérêt particulier l’emporte sur l’intérêt général, mais bien de l’élargir à la situation, moins nette, dans laquelle existe une interférence entre différents intérêts.

Par ailleurs, la notion d’intérêt général est à nos yeux trop imprécise, ce qui justifie notre préférence pour la rédaction proposée dans l’amendement n° 189.

M. le président. Monsieur Collombat, l’amendement n° 81 rectifié est-il maintenu ?

M. Pierre-Yves Collombat. N’ayant aucune vanité d’auteur, je veux bien le retirer. J’ai cependant la faiblesse de penser qu’il est meilleur que celui du président Hyest, et ce pour une raison simple : si la première phrase dit à peu près la même chose, la seconde précise que des décisions de portée générale ne sauraient susciter des situations de conflit d’intérêts. Cette précision me paraît tout à fait utile ; mais je ne m’acharnerai pas, et je retire cet amendement.

Pour ce qui concerne l’amendement du Gouvernement, je ne m’étonne pas que le ministre ait cité saint Matthieu ; celui-ci dit en effet : à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ! (Sourires.) Avec cet amendement, on prétend ôter au Parlement, qui est d’ores et déjà privé de pouvoirs, la possibilité de légiférer et d’intervenir, au motif qu’il y a un risque de conflit entre différents intérêts publics ! Si le sujet n’était pas aussi sérieux, il y aurait de quoi rire...

M. le président. L’amendement n° 81 rectifié est retiré.

La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote sur l’amendement n° 32 rectifié.

M. Gérard Longuet. Ce débat est intéressant parce qu’il montre que l’architecture du projet gouvernemental n’est pas pertinente. En plaçant sur un même pied les élus locaux et les agents chargés d’une mission de service public, le législateur se retrouve face à un paradoxe à peu près insurmontable. Heureusement, le texte de la commission permet de le surmonter partiellement.

Un élu local est nécessairement appelé à connaître des conflits d’intérêts publics : par exemple, entre un intérêt public général intercommunal et un intérêt public communal. Mais l’élu local a précisément vocation à assumer ce choc entre deux intérêts publics !

Par ailleurs, la grande différence entre un élu local et un agent chargé d’une mission de service public réside dans le fait que ce dernier est placé sous une autorité, qu’il s’agisse d’un ministre ou d’un directeur général, régional ou départemental. Si cette autorité, éventuellement alertée par l’agent, considère que celui-ci se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, elle peut décider que la mesure concernée sera prise par un autre fonctionnaire, non susceptible d’être perçu comme opposant un intérêt personnel à un intérêt collectif.

L’élu, quant à lui, n’est pas dans la même situation : il représente sa collectivité. Du reste, s’il s’efface au profit d’un de ses adjoints, on pourra, avec raison, soupçonner celui-ci de soutenir exactement le même projet.

Nous avons tous présidé des commissions permanentes au cours desquelles on demandait à un élu de quitter la salle, car il fallait examiner la situation du territoire qu’il représentait. On notait alors religieusement au procès-verbal : « M. Untel quitte la salle ». En général, il restait à sa place, mais les apparences étaient sauves ! Quand bien même serait-il sorti que cela n’aurait rien changé puisqu’une action politique est une action collective : ce qu’il n’aurait pas défendu personnellement, je suis persuadé qu’un autre élu de son département l’aurait fait avec la même conviction.

Je le répète, ce dispositif, en incluant dans le même ensemble les élus locaux et les agents chargés d’une mission de service public, crée un déséquilibre juridique dont nous aurons inévitablement à connaître lors de l’application de cette loi.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 32 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements nos 150 et 189 n’ont plus d’objet.

L’amendement n° 151, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :

1° Les membres du Gouvernement se déportent, dans des conditions fixées par décret ;

L’amendement n° 152, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 7

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

... ° Les députés s’abstiennent de présider une commission ou un groupe de travail et ne peuvent être désignés comme rapporteur.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter ces deux amendements.

Mme Éliane Assassi. L’amendement n° 151 vise à rétablir l’obligation de déport s’appliquant aux ministres. En effet, pourquoi remplir des déclarations d’intérêts si elles ne servent pas à mettre en place de réelles mesures de prévention des conflits d’intérêts ? Il s’agit, me semble-t-il, d’une question élémentaire de déontologie.

Je peux comprendre les inquiétudes exprimées par la commission des lois concernant la potentielle inconstitutionnalité d’une telle mesure au vu de la jurisprudence la plus récente du Conseil constitutionnel. Certes, si une telle disposition devait être censurée, cela équivaudrait en pratique à son rejet. Il n’en reste pas moins que son adoption par le Parlement constituerait un signal fort au Gouvernement. Ainsi, celui-ci ne pourrait pas ignorer ce que l’on attend de lui : l’élaboration de dispositions réglementaires allant dans ce sens.

L’amendement n° 152, lui, ne peut être frappé d’inconstitutionnalité puisqu’il vise à étendre cette obligation de déport aux parlementaires.

Bien entendu, il serait périlleux pour la représentation nationale et la démocratie d’empêcher des parlementaires de voter ou de s’exprimer. Il paraît cependant normal, pour des raisons déontologiques, qu’un parlementaire en situation de conflit d’intérêts s’abstienne de présider une commission ou d’en être le rapporteur, ne serait-ce que pour ne pas retirer de sa force au texte considéré. L’adoption de cette mesure affirmerait ainsi la valeur du travail parlementaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Madame Assassi, la commission des lois est au regret de ne pas pouvoir émettre un avis favorable sur vos amendements.

L’amendement n° 151 pose un problème de constitutionnalité. En effet, en vertu de l’article 19 de la Constitution, le Premier ministre doit contresigner la plupart des actes du chef de l’État ; en ces circonstances, il ne peut pas se déporter. De même, l’article 22 de la Constitution prévoit que les ministres doivent contresigner les actes du Gouvernement, signés par le Premier ministre, dont l’exécution leur incombe ; dans ces cas aussi, le déport est absolument impossible.

En ce qui concerne l’amendement n° 152, j’observe d’abord que ses auteurs visent seulement les députés ; comme il n’y a pas de renvoi automatique en l’espèce, les sénateurs seraient exonérés. Ensuite, cet amendement instaure une obligation de déport en vertu de laquelle des parlementaires devraient quitter la séance, ou la commission, pour certains débats ou pour certains votes.

Mme Nathalie Goulet. Il n’y a déjà pas grand monde ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet. Il ne resterait plus personne ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Un tel système est difficile à imaginer : je vois mal comment, matériellement, une obligation de déport pour les parlementaires pourrait être mise en œuvre.

Par ailleurs, s’agissant de la désignation des rapporteurs, je pense que nous pouvons faire preuve de sagacité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. S’agissant de l’obligation faite aux membres du Gouvernement de s’abstenir de participer à des délibérations et à des prises de décision susceptibles d’entraîner pour eux des conflits d’intérêts, le Gouvernement a déposé son propre amendement. Monsieur le président, me permettez-vous de le présenter maintenant ?

M. le président. Bien sûr ! Je vais donc l’appeler dès à présent.

L'amendement n° 187, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Rédiger ainsi cet alinéa :

Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article ainsi que les conditions dans lesquelles il s’applique aux membres du Gouvernement.

Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Dans la mesure où, comme M. le rapporteur l’a signalé, l’instauration d’un déport obligatoire affecte le fonctionnement du Gouvernement, il convient de préférer la formulation retenue lors de l’examen du projet de loi Sauvadet ; l’amendement n° 187 reprend cette formulation.

Cette solution aurait pour effet d’élargir la marge de manœuvre du pouvoir réglementaire, qui disposerait de la faculté d’adapter l’obligation de déport, voire dans certains cas de la neutraliser, sans heurter le principe de séparation des pouvoirs, auquel M. le rapporteur a réaffirmé son attachement.

Madame Assassi, je vous demande donc de bien vouloir retirer l’amendement n° 151 au profit de l’amendement n° 187.

En ce qui concerne l’amendement n° 152, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

M. le président. Madame Assassi, l’amendement n° 151 est-il maintenu ?

Mme Éliane Assassi. Les arguments de M. le ministre étant tout à fait convaincants, je le retire au profit du sien.

M. le président. L’amendement n° 151 est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 187 ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Monsieur le ministre, le meilleur décret du monde, fût-il pris en Conseil d’État, ne peut vaincre des obstacles constitutionnels !

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission des lois est donc défavorable à l’amendement n° 187.