M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse très complète, qui sera utile aux victimes. En effet, la possibilité d’obtenir une réimmatriculation doit être mieux connue.
Cela étant, s’il est bon de s’attacher à résoudre les problèmes des victimes, je note que le Gouvernement ne s’attaque nullement à la fraude. Or, en l’espèce, n’importe qui peut se procurer une plaque d’immatriculation sans conditions particulières. Moi-même, il y a quelques années, j’ai fait fabriquer une plaque d’immatriculation portant la date de naissance d’un ami en guise de cadeau d’anniversaire : on ne m’a pas demandé le moindre justificatif ! C’est cette situation qui pose problème.
Aujourd’hui, selon vous, les victimes seraient protégées. Je doute cependant que le trésor public renonce si facilement à envoyer des rappels tant que la procédure est en cours : j’ai cité le cas de personnes qui ont subi de graves désagréments. Si le dispositif que vous avez mentionné et qui, du reste, ne date que de 2011, offre un peu plus d’efficacité, aucune réglementation n’encadre la délivrance des plaques, et je persiste à ne pas comprendre pourquoi. Vous dites que cela constituerait une charge de travail supplémentaire pour les préfectures. Or, avec le nouveau système d’immatriculation, où le numéro du département ne figure plus qu’à titre indicatif, je ne vois pas en quoi les préfectures seraient concernées.
Je le répète, les mesures que vous avez citées sont très positives, et il faudra développer l’information en la matière. Toutefois, je regrette que les revendeurs de plaques d’immatriculation – pour qui, au demeurant, cette vente ne représente qu’une part marginale de leur chiffre d’affaires – ne fassent pas l’objet du moindre contrôle, notamment lorsque la vente se fait sur internet.
incohérences préoccupantes en matière de sécurité
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, auteur de la question n° 467, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Alain Gournac. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris la peine de venir au Sénat remplacer M. le ministre de l’intérieur, dont je regrette qu’il ne puisse être présent pour répondre personnellement à ma question, car celle-ci fait suite à une conversation que nous avions eue précédemment. Je comprends cependant qu’il soit occupé.
Madame la ministre, les faits sont aujourd’hui un peu anciens, mais le principe qui semble les sous-tendre est toujours d’actualité, et c’est ce qui m’a conduit à interroger M. Valls sur ce que j’appelle le « deux poids, deux mesures » en matière de sécurité. Ce phénomène commence à créer un réel malaise dans notre pays !
Rappelons quelques faits. En décembre 2012, les pickpockets étant toujours plus nombreux – une armée ! – et toujours plus agressifs au Louvre, la direction du musée avait déposé plainte auprès du parquet de Paris. Elle avait également demandé des renforts policiers.
Au 10 avril 2013, aucune mesure sérieuse n’ayant été mise en place pour remédier à ces agissements qui portent préjudice aux visiteurs – des étrangers pour la plupart, ce qui donne à penser que les actes en question ternissent en outre gravement la réputation de notre pays –, deux cents agents du musée ont fini par exercer leur droit de retrait ; en d’autres termes, ils se sont mis en grève.
Quelques semaines plutôt, le 20 mars 2013, l’agression d’un groupe de touristes chinois rançonnés devant un restaurant au Bourget avait fait réagir Pékin : cela confirme le caractère grave de ces agissements et l’image déplorable qu’ils donnent de notre pays.
Cette grève des agents du Louvre a eu lieu après la « manif pour tous » du 24 mars 2013, au cours de laquelle des jets de gaz lacrymogène furent dirigés contre des familles défilant pacifiquement. J’y étais, cela s’est passé derrière moi !
Donc, quand le ministre de l’intérieur en a eu besoin, il a su trouver des forces de l’ordre pour faire taire les opposants au mariage pour tous, alors même que ce n’était pas leur rôle : c’est au maintien de l’ordre républicain, et non de l’ordre socialiste, qu’elles doivent être employées.
En évoquant ce dévoiement préoccupant, qui inquiète les Français, je ne peux m’empêcher de penser à ce jeune opposant au mariage pour tous qui a été interpellé et incarcéré à Fleury-Mérogis. Son cas étant examiné aujourd’hui par la cour d’appel de Paris, je n’en dirai pas plus.
Le 13 mai, au Trocadéro, la police, insuffisante en nombre, n’a pu empêcher qu’éclatent de violents affrontements entre supporteurs de clubs de football et que le quartier soit mis à sac. Depuis, elle a remonté les pistes de jeunes casseurs connus de ses services et procédé à des arrestations. Trop tard ! Les violences avaient eu lieu, provoquant des dégâts estimés à un million d’euros.
Ma question est double. Comment les forces de police sont-elles utilisées ? Quelles mesures le ministre entend-il prendre pour que les situations, en matière de sécurité, soient mieux appréhendées, c’est-à-dire avec bon sens et sans esprit partisan ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, ma réponse ne sera pas partisane : ce sera simplement celle du ministre de l’intérieur, qui vous prie d’excuser son absence ce matin.
La lutte contre la délinquance, en particulier contre les pickpockets aux abords du Louvre, constitue l’une des priorités des effectifs de la préfecture de police.
Autour du secteur touristique Louvre–Palais-Royal, plus de 10 000 personnes ont fait l’objet d’un contrôle depuis juin 2012 et plus de 2 000 individus ont été interpellés pour vol simple, vol à l’étalage, vente à la sauvette ou escroquerie à la suite des 140 opérations réalisées. Depuis le début de l’année 2013, ces contrôles, réalisés sur la base de réquisitions du procureur de la République, ont été maintenus et récemment renforcés dans le cadre du plan mis en place depuis le 7 juin pour accroître la sécurité des zones touristiques.
La présence policière aux abords des principaux sites parisiens a fait l’objet d’un renforcement depuis le mois d’avril dernier. Ainsi, chaque jour, plus de deux cents policiers sont mobilisés dans toute la capitale et dans les réseaux de transport pour lutter notamment contre les faits de délinquance commis à l’encontre des touristes.
Au-delà du renforcement de la présence policière, une série de mesures de nature à renforcer la sécurité des touristes fréquentant la capitale a été présentée par le préfet de police. Ce plan, fondé sur vingt-six mesures, a été défini en partenariat avec la Ville de Paris, les professionnels du tourisme, dont l’office du tourisme et des congrès de Paris et les responsables des sites touristiques, les hôteliers, les transporteurs ainsi que différents ministères. Il s’articule autour de quatre axes.
Premièrement, il vise au renforcement de la présence policière sur les sites touristiques les plus visités et les hôtels qui accueillent des touristes étrangers.
Deuxièmement, il prévoit la mise en place d’un partenariat actif avec les ambassades, les gestionnaires des activités liées au tourisme, les hôteliers de Paris et de la périphérie, ainsi que la RATP et la SNCF, pour identifier ensemble les secteurs d’action prioritaires, organiser les dispositifs de sécurité appropriés, veiller à une meilleure information et à une sensibilisation plus grande des étrangers concernant les bonnes pratiques en matière de sécurité.
Troisièmement, ce plan comprend l’amélioration de l’accueil des victimes étrangères, en facilitant le dépôt de plainte dans sa langue d’origine, l’accès aux services de police à proximité des sites touristiques et la prise de contact avec des interprètes.
Quatrièmement, enfin, il tend à une meilleure diffusion de l’information sur la sécurité à travers une nouvelle édition d’un guide pratique, Paris en toute sécurité, qui sera traduit en six langues.
Ces actions ont d’ores et déjà permis d’enregistrer des résultats significatifs. Le nombre de violences volontaires dans les secteurs touristiques a diminué de 12 % par rapport au mois d’avril 2012 et le nombre de plaintes pour vol dans l’enceinte du musée du Louvre est passé de cent vingt, en moyenne, par mois à une trentaine en mai, soit une baisse de 75 %. La direction de l’établissement a d’ailleurs exprimé publiquement sa satisfaction et salué le travail accompli par les services de police à l’occasion d’une visite sur site du préfet de police, le 6 juin dernier.
Les résultats obtenus démontrent, pour répondre directement à votre question, que les forces de police sont déployées comme il le faut, là où il le faut, dans le souci constant d’assurer à nos concitoyens comme à tous ceux qui visitent la capitale un cadre de vie sûr et respectueux des droits de chacun.
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse, mais je tiens à vous raconter une anecdote : sortant un jour de l’Assemblée nationale, je me suis rendu à la Madeleine à pied, en traversant donc la place de la Concorde. Sur tout le trajet, je n’ai pas vu un seul policier et le touriste originaire d’Extrême-Orient qui marchait devant moi aurait très bien pu se faire dévaliser sans que son voleur soit autrement inquiété ! Vous me parlez de deux cents policiers, mais je ne les ai pas vus ! De toute façon, ce nombre est insuffisant !
Comment voulez-vous qu’aujourd’hui, avec deux cents policiers, on protège tous ceux qui visitent la capitale, les étrangers et les provinciaux, qui sont aussi des cibles, car les uns et les autres ne sont pas toujours vigilants, laissant leur portefeuille dans la poche arrière de leur pantalon ou leur sac ouvert ?
Dans votre réponse, j’ai été intéressé par l’idée de protéger certaines sorties d’hôtel. Car ces délinquants commencent à s’attaquer aux touristes devant leur hôtel, pendant qu’ils attendent leur autocar ou un taxi !
Je voudrais également saluer la sortie du guide pratique à destination des visiteurs. C’est une très bonne chose : on peut le distribuer aux touristes dès leur arrivée, en prenant garde toutefois à ne pas leur faire peur !
Madame la ministre, vous affirmez que la police est bien utilisée. Mais voici un article d’un journal du soir dans lequel un syndicat de CRS dit tout le contraire ! (L’orateur montre une coupure de journal.) Dans cet article, plutôt bien fait, les CRS avouent avoir honte de la manière dont ils sont employés.
Je vais même parler pour les gendarmes, qui n’ont pas de syndicats et qui n’ont pas le droit de s’exprimer. Je suis officier de gendarmerie : je connais donc un peu ces questions. J’étais à une manifestation durant laquelle les gendarmes qui étaient devant moi m’ont confié leur honte quant à l’utilisation que l’on fait d’eux dans les manifestations contre le mariage pour tous.
Moi, j’étais derrière la banderole des élus. C’était d’un calme absolu, il y avait des femmes et des enfants, beaucoup de petits enfants – je n’aurais d’ailleurs pas emmené manifester de si jeunes enfants ! –, mais le déploiement de police était absolument incroyable, madame la ministre, je vous l’assure. J’ai rarement vu cela pour une manifestation !
Mme Catherine Procaccia. C’est vrai !
M. Alain Gournac. Je sais bien, madame la ministre, que ce n’est pas facile pour vous, mais quand on voit, juste après, les évènements du Trocadéro… Moi, qui ne suis rien, qui ne dispose pas d’un service de renseignement, mais je savais qu’il allait y avoir des incidents ! Il suffit d’écouter et de regarder autour de soi : les voyous échangent des messages sur Twitter. Ils avaient effectivement prévu de tout casser ! J’ai même vu des policiers s’écarter pour laisser passer des voyous qui s’en prenaient aux vitres d’un café !
Alors, madame la ministre, je vous demande de transmettre à M. Valls qu’il lui faut bien mesurer l’utilisation des forces de police afin de ne pas prêter le flanc à de telles critiques dans la presse. Je ne suis pas intéressé par les polémiques, je suis fier de mon pays et je voudrais que les touristes y soient bien accueillis !
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de Jean-Louis Lorrain, décédé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
9
Transparence de la vie publique
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence de la vie publique (projet n° 688, texte de la commission n° 723, rapport n° 722) et du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transparence de la vie publique (projet n° 689, texte de la commission n° 724, rapport n° 722).
La conférence des présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, « rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques ». Ces mots de Jean-Jacques Rousseau, tirés du Contrat social, sont l’esprit des projets de loi qui vous sont aujourd’hui proposés.
Je sais que beaucoup d’entre vous – j’allais dire « d’entre nous » – s’insurgent contre les sondages qui révèlent une défiance grandissante et inquiétante des Français à l’égard de leurs représentants.
Je sais aussi que la faute de quelques-uns ne peut justifier l’opprobre que l’on jette sur tous les autres, qui exercent leurs mandats dans le respect des principes qui fondent leurs engagements.
J’ai la conviction que ces réactions légitimes ne répondent pas à l’attente d’une opinion publique nourrie par le doute à l’égard de ses représentants, alors que, comme toujours en période de crise, l’antiparlementarisme et, au-delà, la remise en cause des responsables publics constituent le fonds de commerce de l’extrême droite.
L’enjeu de ces textes est simple : retrouver le chemin de la confiance de nos concitoyens et rétablir une capacité d’écoute de la parole politique.
Combattre le poison du soupçon permanent par l’exemplarité républicaine : telle est la démarche que vous propose le Gouvernement.
J’ai, au fil des dernières semaines, acquis une conviction sur le mot « transparence », qui a tant cristallisé les interrogations, parfois les critiques. Cette notion de transparence n’est au fond que l’une des modalités d’exercice de la souveraineté du peuple : la démocratie, c’est précisément la délibération publique des représentants élus comme le pari de l’intelligence de nos concitoyens.
Il ne s’agit pas là d’une concession passagère à la mode ou aux nouvelles technologies, qui modifient d’ailleurs, dans un sens souvent heureux, l’information de nos concitoyens. Pour se convaincre de l’ancienneté de cette notion dans le débat public, il suffit de relire les échanges qui ont eu lieu ici même en février et en mars 1988, lors de l’examen de la loi relative à la transparence financière de la vie politique, présentée par le gouvernement de Jacques Chirac.
Jacques Larché était le rapporteur de la commission des lois, et le compte rendu intégral des débats publié au Journal officiel témoigne de débats de haute tenue. Je citerai, par exemple, les brillantes interventions de Michel Dreyfus-Schmidt et, pour le groupe communiste, de Charles Lederman.
En outre, la lecture de ces débats m’a conduit à considérer que nul ne pourra s’exonérer d’un constat gravé dans l’histoire des trois dernières républiques : chaque majorité, chaque gouvernement souhaite légiférer dans la sérénité. Pourtant, il convient d’observer que les grands scandales politico-financiers ont tous abouti à des modifications législatives.
Sans remonter aux affaires des républiques passées ni des temps antiques, il suffit de se rappeler le scandale de la Garantie foncière, en 1971, qui rendit nécessaire la mise en place du système des déclarations d’activité.
Faut-il également rappeler les circonstances qui conduisirent le président Nicolas Sarkozy à commander un rapport à la commission Sauvé sur la transparence de la vie publique, rapport qui demeura sans suite législative ?
Parlant de la peste, ce fameux mal répandant la terreur et envoyé par le ciel pour punir les hommes, La Fontaine écrivait : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. »
Convenons que ce mal qui touche régulièrement la vie de nos républiques est sans doute assez indissociable de la condition humaine et du fonctionnement des corps sociaux.
Convenons aussi qu’il nous appartient collectivement de lui administrer le meilleur des remèdes démocratiques : l’adoption de bonnes lois, qui seront bien appliquées.
Le Président de la République a demandé au Gouvernement de préparer quatre projets de loi, et d’en saisir sans délai le Parlement, lorsque les événements récents que vous connaissez, impliquant un ancien ministre du budget, ont profondément altéré la confiance des Français en leurs représentants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la démocratie représentative ne peut se comprendre et être acceptée si ceux qui détiennent un mandat du peuple l’exercent à leur profit et non pour le bien des citoyens qui leur ont accordé leur confiance.
Nous le savons, les responsables publics de notre pays ne manquent ni d’honneur ni de vertu au sens où l’entendait Montesquieu. Mais je me suis forgé une solide conviction à cet égard au fil des mandats parlementaires que j’ai eu l’honneur de remplir. Les Français ne pourront nous écouter – si ce n’est nous entendre ! – que si la parole publique retrouve son prestige.
Il n’est pas là question d’affaires de parti, de droite ou de gauche. La démocratie est toujours une quête permanente. Elle doit se conforter par des pratiques et des mœurs faisant davantage place à la responsabilité de nos concitoyens.
Ces projets de loi font le pari de restaurer la confiance dans les institutions comme dans leurs serviteurs, en misant précisément sur la confiance en nos concitoyens.
Depuis le conseil des ministres du 13 mars dernier, je travaille à l’élaboration d’un projet de loi sur les conflits d’intérêts sur la base des recommandations du rapport de la commission Jospin mais, surtout, dans le prolongement des engagements pris par le Président de la République en faveur d’une République exemplaire.
Pour ce faire, j’ai pris connaissance, dès le début de mes travaux, de ceux de la commission des lois du Sénat et du groupe de travail pluraliste institué en novembre 2010, sous la présidence de Jean-Jacques Hyest.
Ce rapport, le premier du genre, est toujours une base de réflexion indispensable pour envisager le sujet qui nous occupe aujourd’hui.
Sur ce socle, votre commission des lois s’est attachée à concilier plusieurs exigences d’égale importance, que ce soit la publicité des informations et le droit à la vie privée, le contrôle par un organe extérieur et la séparation des pouvoirs, ou l’indépendance de l’élu et la liberté de mener une activité de son choix. Elle a adopté 109 amendements, signe de sa contribution importante à l’amélioration de la qualité de la loi, dont le président Jean-Pierre Sueur, on le sait, a le souci permanent.
Ces projets de loi s’organisent autour de trois objectifs : de nouvelles déclarations pour favoriser la transparence démocratique, de nouveaux contrôles autour d’une autorité administrative d’un nouveau genre et des dispositifs répressifs ou contraignants modernisés.
Le contrôle des électeurs sur ceux à qui ils ont confié le soin de les représenter est une exigence démocratique ancienne. Ce regard citoyen est l’essence même de la démocratie représentative.
À cet égard, je vous rappelle qu’une telle préoccupation apparaît dès l’aube du régime parlementaire avec la première assemblée élue au suffrage universel que la France ait connue : la Convention nationale.
C’est en effet le 14 mai 1793 que la Convention nationale décrétait que les représentants du peuple sont à chaque instant comptables à la nation de l’état de leur propre fortune. Je cite la résolution révolutionnaire : « On nous parle souvent de corruption et de fortune scandaleuses. Pour connaître de quel côté a été la corruption, il est demandé que chaque député soit tenu de donner l’état détaillé de sa fortune, que cet état soit imprimé et que celui qui aurait fait un faux bilan soit déclaré infâme ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette exigence demeure d’une grande actualité.
S’agissant de la déclaration de situation patrimoniale, notre dispositif d’origine, ambitieux, a été remanié.
Concernant la question de la publication des déclarations, qui a fait l’objet d’un débat au cours des dernières semaines, je rappelle qu’il ne s’agit pourtant pas d’une question récente. Souvenons-nous, parmi les 110 propositions de François Mitterrand, de l’engagement n° 49 : …
M. Gérard Longuet. Il a mis huit ans pour s’y atteler !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. … « La vie publique sera moralisée : déclarations des revenus et du patrimoine des candidats aux fonctions de Président de la République, de député et de sénateur ainsi que des ministres en exercice, avant et après expiration de leurs mandats. »
M. Henri de Raincourt. Quel exemple !
M. Jean-Claude Lenoir. Mitterrand en autorité morale, on aura tout entendu !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ici même au Sénat, on relève, dès 1979, une proposition de loi de M. Mercier et des sénateurs radicaux de gauche pour organiser une telle publicité.
Les propositions de loi ou amendements relatifs à ce sujet émanant des groupes communistes, socialistes ou autres, furent également très nombreux au cours des trente dernières années. Nous y reviendrons au cours du débat.
Tout en maintenant la publicité de l’ensemble des déclarations d’intérêts, la commission des lois a modifié le dispositif sur la publicité des déclarations de situation patrimoniale des élus et supprimé l’infraction sanctionnant la divulgation de leur contenu, se limitant à pénaliser une divulgation mensongère ou délibérément inexacte. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements qui ont été déposés sur ce sujet.
La solution de compromis élaborée par l’Assemblée nationale permettait, nous semble-t-il, d’offrir de nouveaux droits à nos concitoyens, tout en garantissant aux élus, sur le plan local, la protection de leur vie familiale.
M. Bruno Sido. Cela ne sert à rien !
M. Henri de Raincourt. Délation !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. … qui est maintenu, mais sans la disposition relative à la protection des lanceurs d’alerte, qui peuvent jouer un rôle utile, comme on l’a vu à l’occasion d’affaires récentes ; je pense au Mediator, par exemple.
La notion de lanceur d’alerte est une idée relativement récente en France.
M. Gérard Longuet. Ça existait sous l’Occupation !
M. Jean-Jacques Hyest. Des délateurs !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. J’ai bien noté que la commission des lois du Sénat a supprimé cette disposition, à laquelle le Gouvernement est attaché, mais nous y reviendrons ultérieurement.
La commission des lois a, en outre, prévu le dépôt par le Gouvernement d’un document budgétaire retraçant l’utilisation faite de la « réserve parlementaire » l’année précédente, et a adopté, sur l’initiative de Gaétan Gorce, des mesures visant à renforcer l’encadrement du financement de la vie politique et les moyens de contrôle. Ces évolutions ont le soutien du Gouvernement.
M. Éric Doligé. Il faut supprimer la réserve !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Concernant la prévention des conflits d’intérêts, nous vous proposons également une avancée démocratique qui fera date.
Pour la première fois dans notre histoire, un texte législatif va définir la notion de conflit d’intérêts et mettre en place des outils de nature à prévenir de telles situations.
Notre ambition est bel et bien de placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en la matière. Comme je l’ai souligné devant la commission des lois, la question des conflits d’intérêts se pose dans l’ensemble des sociétés démocratiques avancées.
Je sais que, derrière les appréhensions qui peuvent exister autour du mot « transparence », s’exprime en fait une réserve à l’égard de la notion de conflit d’intérêts. Pourtant, dans une société démocratique avancée, c’est cette marge grise de non-droit qu’il faut faire régresser afin que, au lieu d’être ignorées, certaines situations soient organisées et contrôlées par le droit.
C’est pourquoi le Gouvernement propose de rendre obligatoires des déclarations d’intérêts pour les personnes visées par le projet de loi organique et le projet de loi ; ces déclarations seront rendues publiques par la Haute Autorité de la transparence de la vie publique. Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’on ne mesure pas les bouleversements qui résulteront de cette mesure !
La commission des lois a remanié les dispositions fixant le contenu des différentes déclarations, d’une façon qui me paraît tout à fait utile ; nous en débattrons dans la discussion des articles.
Au surplus, le projet de loi organique et le projet de loi organisent pour la première fois un système de déport, en vertu duquel, par exemple, les membres des autorités administratives indépendantes – ne réduisons pas le champ du débat aux seuls parlementaires – qui se trouveront dans une situation de conflit d’intérêts auront l’obligation de s’abstenir de prendre part à l’affaire ou à la décision en cause. Il s’agit d’une traduction moderne de la maxime de droit latin selon laquelle on ne peut être à la fois juge et partie.
M. Henri de Raincourt. C’est beau !
M. Alain Vidalies, ministre délégué. Cette nouvelle obligation, elle aussi, est la matrice d’un profond renouvellement des pratiques. J’y reviendrai car le Gouvernement, même s’il a pris bonne note des interrogations de la commission des lois sur la situation des ministres, souhaite qu’une référence explicite à la situation de ces derniers figure dans la loi.
Le projet de loi prévoit également d’instituer un mécanisme nouveau de mandat de gestion pour les intérêts financiers détenus par les membres du Gouvernement et les membres des autorités administratives indépendantes intervenant dans le domaine économique. Quelle meilleure prévention des délits d’initié que des mandats de ce type, sans droit de regard des intéressés pendant toute la durée de leurs fonctions ?