M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ajoutant ceci : « Il nous paraît préférable de ne pas y toucher sans un enjeu important. Là, il n'y a rien de considérable. » Cela veut dire que l'indépendance de la justice n'est pas quelque chose de considérable.
MM. Christian Cointat et Henri de Raincourt. Elle est déjà une réalité !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez parfaitement à l’esprit, monsieur de Raincourt, l’ensemble des arrêts qui ont été cités précédemment. Même si les gardes des sceaux précédents, et M. Mercier est présent dans l’hémicycle,…
M. Jean-Michel Baylet. Collusion ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ont suivi les recommandations du Conseil supérieur de la magistrature, le fait même qu’il puisse juridiquement en être autrement entache le statut du parquet. C’est ce que l’on ne cesse de nous répéter.
Je tiens à saluer les efforts de M. le rapporteur, qui a proposé d'en revenir à la nomination des personnalités extérieures, désormais à parité avec les magistrats, par le Président de la République, par le président du Sénat et par le président de l'Assemblée nationale. Par ailleurs, il s’est montré favorable à ce que soient prises en compte plusieurs des propositions formulées tant par l'UMP que par l’UDI.
M. Christian Cointat. Ce matin !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce matin, en effet, grâce à un effort de compréhension, de compromis – non de compromission – et d'équilibre, un accord est intervenu entre la commission et le Gouvernement, afin que l'on prenne en compte à la fois votre proposition, madame la garde des sceaux, et celle de M. Michel. Nous avons tout fait pour lever les doutes et pour favoriser le vote en faveur de ce projet de loi constitutionnelle. C'est une question de responsabilité.
Ensuite, libre à chacun de dire non pour dire non, pour le seul motif – soyons clairs – de ne pas offrir à François Hollande, Président de la République, la chance d’engager une réforme constitutionnelle visant à garantir l'indépendance du parquet et de la justice de notre pays. (M. Philippe Bas s’exclame.)
Monsieur Bas, votre manière de réagir montre bien que votre seul argument politique, c’est de ne pas « offrir » un Congrès du Parlement au Président de la République.
M. Christian Cointat. Ce n’est pas cela qui m’a guidé !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur Cointat, vous n’êtes pas obligé de vous défendre.
M. Christian Cointat. Je ne me défends pas ; j’attaque ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet ! (Nouveaux sourires.)
En tout cas, monsieur Cointat, monsieur Bas, monsieur de Raincourt, je sais bien que vous percevez combien le recours à ce seul argument est inadapté, pour parler poliment.
M. Philippe Bas. Vous parlez à notre place ! Nous nous exprimerons tout à l'heure.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous vous exprimerez et je vous écouterai avec plaisir, comme toujours.
Je conclurai mon intervention en citant les propos tenus par des magistrats de toutes opinions, de toutes tendances, de toutes appartenances : « Il ne serait pas compréhensible que la réforme se trouve empêchée par des considérations étrangères à l’intérêt général, qui est en premier lieu celui des citoyens. La volonté de garantir l’indépendance de la justice n'est le monopole de personne, et l'adoption du projet de révision – notez bien, monsieur Bas – serait à mettre au seul crédit de notre République. Son rejet, en revanche, en ternirait l'image, avec le risque qu'un échec du processus engagé nourrisse le sentiment chez les magistrats, en particulier ceux du parquet, d'une défiance de la représentation nationale à leur égard. »
Nous avons encore, tous ensemble, la chance de pouvoir faire cette réforme constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai soutenu la réforme constitutionnelle de 2008. Je ne le regrette pas, car c’était une réforme importante de notre loi fondamentale.
M. Christian Cointat. Absolument !
M. François Zocchetto. Chacun ici en convient, le Conseil supérieur de la magistrature est sorti grandi de cette évolution.
L’histoire et l’évolution du CSM, depuis sa création, sont indissociables de la construction progressive de l’indépendance de la magistrature. En supprimant la présidence du Conseil par le Président de la République et en révisant sa composition, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 avait également pour objet de renforcer son autonomie. Notre groupe s’interroge donc aujourd’hui sur l’opportunité de remettre si vite l’ouvrage sur le métier.
Quelle est la nécessité de changer des dispositions constitutionnelles concernant une institution qui est effectivement en place depuis seulement deux ans, qui n’a pas connu de dysfonctionnements et qui, au contraire, fonctionne dans des conditions plus satisfaisantes qu’auparavant, et même dans des conditions satisfaisantes tout court ?
En réalité, nous savons tous pourquoi cette réforme est devenue si urgente, si indispensable. La raison première, malheureusement, c’est le mensonge d’un homme, Jérôme Cahuzac.
M. Philippe Bas. Hélas !
M. François Zocchetto. Je suis obligé de faire ce rappel. Personne n’a oublié l’annonce solennelle du Président de la République après que l’ancien ministre du budget eut avoué avoir menti.
Voici ce que disait François Hollande le 3 avril dernier : « Il faut d’abord renforcer l’indépendance de la justice. C’est le sens de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. » Tout est dit. Après cette affaire qui, par ricochet, a jeté l’opprobre sur toute la classe politique, la première chose à changer, pour le Président de la République, c’était le CSM.
Les déclarations du chef de l’État donnaient donc à penser que cette affaire révélait une insuffisante indépendance de la justice dans notre pays, dont le Conseil supérieur de la magistrature serait responsable, au moins en partie. Il fallait donc le réformer.
Le caractère parfaitement injustifié de cette affirmation n’a d’ailleurs pas échappé aux membres du CSM, qui se sont sentis mis en cause par les propos du Président de la République, au point que celui-ci a cru utile, certainement à juste titre, de les rassurer et de leur dire, dans un courrier, me semble-t-il, que « les membres du CSM avaient sa totale confiance ».
Avouez que c’est à n’y rien comprendre : le Président a totalement confiance dans le CSM, donc dans son indépendance, mais il faut d’urgence le réformer pour améliorer son indépendance ! Comprenne qui pourra. En tout cas, vous comprendrez nos hésitations.
Sur le fond, de quoi s’agit-il ? À part quelques mesures d’une portée fort limitée, il s’agissait initialement d’inverser la majorité du CSM, qui serait passée des membres nommés, nécessairement dispersés, vers les magistrats, naturellement unis.
En la matière, nous ne nourrissons aucun dogmatisme et il est exact que, à certains moments, nous nous sommes prononcés en faveur de la parité. Toutefois, à qui fera-t-on croire qu’en plaçant le CSM sous le contrôle d’une famille professionnelle unique, particulièrement cohérente – c’est à son honneur – et syndicalement organisée, on renforcera la liberté de décision de cette instance ?
En réalité, la vraie réforme, la réforme la plus décisive, celle dont on ne parle pas et celle dont le Gouvernement – avec d’autres – ne veut pas, ce serait de faire passer le droit de proposition à l’ensemble des postes des magistrats de la Chancellerie vers le CSM.
M. François Zocchetto. Car c’est ce pouvoir de proposition qui est essentiel, puisqu’il permet de contrôler la carrière de la plupart des magistrats.
Madame la garde des sceaux, c’est donc dans cette voie qu’il faudrait vous engager si vous vouliez effectivement mieux garantir l’indépendance des juges, à condition évidemment que le CSM ne soit pas lui-même contrôlé par une majorité « organisée ». C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’on pourrait parler d’une véritable « séparation des pouvoirs ». Toutefois, nous en sommes loin.
Ce texte présente une avancée ; c’est clair, comme l’est notre position. Il inscrit dans notre Constitution une décision qui n’est pas propre à François Hollande, puisque Nicolas Sarkozy l’avait déjà mise en œuvre, à savoir le respect des avis du CSM pour les nominations des magistrats du parquet. De ce point de vue, la réforme n’est pas contestable et se situe dans la lignée de celle de 2008, qui, en fait, aurait déjà dû introduire cette règle. Nous l’avions dit à l’époque.
Partant de ce constat simple, notre groupe a déposé un amendement visant à ne retenir que cet aspect de la réforme. Si cette proposition devait être adoptée par le Sénat, soyez assurée, madame la garde des sceaux, que cela aurait naturellement une influence forte sur notre vote final.
Pour autant, je ne peux passer ce point sous silence, cela nous conduirait à réunir le Parlement en Congrès pour inscrire dans la Constitution une règle qui est déjà respectée en pratique. Est-ce vraiment indispensable ? Je pense que nos concitoyens n’en seraient pas convaincus, et à juste titre !
Cinq ans après la réforme de 2008, nous avons une proposition à faire qui serait de nature à améliorer l’indépendance du CSM : l’incompatibilité entre la fonction de membre du Conseil supérieur de la magistrature et l’exercice d’une activité professionnelle.
En effet, une question se pose : est-il acceptable qu’un organe de nomination et de discipline des magistrats de l’ordre judiciaire qui, comme tel, gère leur avancement et leur carrière soit composé de magistrats partageant leur quotidien avec leurs collègues ? Nous ne le pensons pas.
C’est la raison pour laquelle nous considérons que seuls les anciens magistrats ou des magistrats ayant quitté temporairement leurs fonctions pendant la durée de leur mandat devraient être autorisés à faire partie du Conseil supérieur de la magistrature. Un tel mécanisme est indispensable pour prévenir tout conflit d’intérêts.
Une autre question fondamentale reste en suspens à ce stade : celle du mode d’élection des magistrats siégeant au CSM.
On peut craindre, en effet, qu’une volonté de rééquilibrage entre les deux principaux syndicats ne conduise à adopter des modifications du collège électoral. Or l’absence de représentation spécifique des chefs de juridiction serait particulièrement dommageable à la qualité du recrutement. On peut d’ailleurs invoquer, à l’encontre d’une telle perspective, la recommandation du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe, qui précise que des juges choisis doivent être « issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire ». Nous vous proposerons donc un amendement important sur ce point.
Je dirai quelques mots sur les travaux, considérables, menés par la commission des lois. À cet égard, je tiens à saluer les propositions de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel. Si celles-ci étaient adoptées, mais il n’est pas dit que nous les votions, nous éviterions le pire. Elles tournent autour du fameux « collège de personnalités indépendantes », qui, faut-il le souligner, dans sa configuration initiale, et peut-être encore, malheureusement, dans la configuration proposée au Sénat, ne contient que des personnes nommées par décret du Président de la République. Sur ce point, des explications paraissent nécessaires.
Un autre point sur lequel le rapporteur a mené une réflexion très intéressante est la présidence du CSM et de ses sections.
M. le rapporteur a souligné dans la discussion que la présidence du CSM par le Premier président de la Cour de cassation et par le procureur général près cette cour constituait l’un des apports les plus importants de la réforme de 2008. L’expérience récente confirme que l’autorité morale des intéressés et leur connaissance remarquable de la justice sont autant d’atouts pour le Conseil supérieur de la magistrature.
L’ensemble des éléments que je viens d’évoquer et qui seront également développés par Michel Mercier nous amènent à un double constat et à une conclusion.
Premier constat, le projet dont nous parlons ce soir est très éloigné de ce qui avait été annoncé par le Président de la République, au moins sur un point majeur, à savoir le rétablissement d’une majorité de magistrats au CSM, qui devait constituer une mesure phare de la réforme.
Second constat, le texte qui sera soumis au vote du Sénat n’aura probablement pas grand-chose à voir avec celui qui a été adopté à l’Assemblée nationale le 4 juin dernier.
Que va-t-il se passer ? L’hypothèse d’un texte voté dans les mêmes termes par les deux assemblées s’éloigne. Par conséquent, la réforme constitutionnelle elle-même nous paraît, sinon mort-née, du moins pas très viable.
Notre groupe formule une proposition très claire : oui à la réforme du mode de nomination des procureurs, qui consistera donc à mettre le texte en accord avec la pratique ; non à tout ce qui concerne la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il suffit donc au Sénat de voter notre amendement n° 17 à l’article 2 pour débloquer la situation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner deux projets de loi visant un objectif commun, celui de renforcer l’indépendance de la justice.
Permettez-moi, mes chers collègues, de rendre ici hommage à Guy Carcassonne, brillant constitutionnaliste et professeur de droit public, fervent défenseur du droit et des droits, qui nous a quittés récemment.
Il avait bien entendu considéré et travaillé cette notion d’indépendance de la justice et avait eu cette phrase que je veux vous livrer : « La justice, écrivait Portalis, est la première dette de la souveraineté. La proposition appelle son corollaire : L’indépendance est la première dette de la justice. »
Ces quelques mots sont éclairants et mettent en évidence toute l’importance des projets de loi qui nous sont soumis aujourd’hui. Si l’indépendance est la première dette de la justice, elle doit être recherchée sans relâche et par tout moyen.
La meilleure manière de réaliser cette indépendance est de garantir la séparation des pouvoirs, mais celle-ci, si elle fait consensus depuis de nombreuses années, appelle, pour être garantie, la réunion de deux exigences mises en évidence par Guy Carcassonne :
« La première, la plus évidente, est que le pouvoir politique, que ce soit dans sa composante exécutive ou législative, ne puisse intervenir autrement que par la fixation des normes au respect desquelles le juge aura ensuite la charge de veiller. »
La seconde exigence est que le juge lui-même évite de franchir la frontière entre légalité et opportunité. Il ne lui revient pas d’apprécier ce qu’est la bonne utilisation du pouvoir législatif ou du pouvoir réglementaire. En effet, cela remettrait en cause les conditions de l’exercice pourtant légal de ces pouvoirs, alors que le juge serait le premier à s’indigner, à juste titre, si le Gouvernement ou le Parlement prétendait substituer ses décisions aux siennes.
Il me semble que ces deux textes concourent à la réunion de ces deux exigences, toutes deux fondamentales pour le groupe écologiste.
Commençons par le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique.
L’objectif est clair : il s’agit ici, pour garantir l’indépendance de la justice, d’empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales. La mesure est nécessaire.
Balzac écrivait : « Se méfier de la magistrature et mépriser les juges, c’est le commencement de la dissolution sociale ». C’est ce que nous observons depuis plusieurs années : les « affaires » qui font chaque jour la une des journaux ont entamé la confiance de nos concitoyens dans leurs magistrats et leur justice. Les déclarations de certains membres du précédent gouvernement n’ont fait qu’aggraver ce sentiment de méfiance.
La justice de notre pays doit retrouver un peu de sérénité. À ce titre, la généralisation de la publicité des instructions générales de politique pénale nous semble capitale.
Dans le même sens, l’interdiction des instructions individuelles établie par l’article 1er du projet de loi est fondamentale. Le groupe écologiste soutient sans réserve ce texte, qui met fin à des pratiques pour le moins contestables et dangereuses pour notre démocratie.
Cependant, il nous semble important de rappeler, et nous avons déposé un amendement en ce sens, que toutes les instructions individuelles doivent être prohibées, et ce quelle que soit la forme qu’elles prennent, même si c’est évidemment utopique.
En effet, si les instructions individuelles ont été peu utilisées ces dernières années, voire jamais pour cette dernière année, il n’est pas interdit de penser que, dans des temps relativement récents, des instructions orales ont été données et parfois suivies, sans avoir été versées au dossier.
Nous nous félicitons également que le présent projet de loi prévoie la publication annuelle d’un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, qui précise les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales, adressées par la garde des sceaux aux magistrats du ministère public. En effet, cela montre votre engagement sans faille, madame la garde des sceaux, pour une confiance retrouvée dans l’action publique et le fonctionnement de la justice dans notre pays.
Néanmoins, ces propos appellent également un regret, celui du refus de l’opposition de soutenir ces textes. Il nous semble en effet que l’indépendance de la justice, en tant que clef de voûte de notre démocratie, aurait mérité un consensus transpartisan.
Le second texte qui nous occupe est le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Le législateur n’a cessé, ces vingt dernières années, de chercher à réformer le Conseil supérieur de la magistrature. Le retrait de la nomination du président du CSM au Président de la République a d’ailleurs constitué une avancée notable de la révision constitutionnelle de 2008.
Ce texte constitue l’aboutissement de ces réformes, comme en témoigne un exposé des motifs pour le moins ambitieux, qui affirme apporter « les garanties les plus fortes, de manière à assurer à nos concitoyens un service public de la justice insoupçonnable, inspirant à chacun la conviction que les décisions prises ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des justiciables ».
Pour atteindre cet objectif, le texte se fonde sur plusieurs éléments.
Tout d’abord, il consacre la place institutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature, qui veille, aux côtés du Président de la République, à l’indépendance de la justice.
Ensuite, les compétences et l’organisation du CSM sont réformées, pour lui permettre, notamment, de se saisir d’office de toute question relative à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats.
Les magistrats, eux aussi, pourront saisir le Conseil, et le groupe écologiste votera avec enthousiasme l’amendement du rapporteur visant à élargir les possibilités de saisine aux questions d’indépendance de la justice.
Enfin, la composition du CSM est revue. Je tiens, à ce propos, à rappeler l’attachement des écologistes à la parité entre magistrats et non-magistrats au sein du Conseil supérieur de la magistrature.
Je veux également saluer le travail de nos collègues de l’Assemblée nationale, qui a permis que la parité entre hommes et femmes soit instituée au sein du collège des personnalités qualifiées. Comme vous le savez, la parité est une préoccupation capitale pour les écologistes ; j’espère qu’il en est de même pour les autres.
Finalement, les deux projets de loi qui nous sont soumis aujourd’hui s’inscrivent effectivement dans l’engagement n° 53 du candidat François Hollande, qui affirmait : « Je garantirai l’indépendance de la justice et de tous les magistrats : les règles de nomination et de déroulement de carrière seront revues à cet effet ; je réformerai le Conseil supérieur de la magistrature. J’interdirai les interventions du Gouvernement dans les dossiers individuels. »
Ces deux textes rejoignent également les convictions et les préoccupations des écologistes depuis bien longtemps, et nous sommes heureux d’y apporter notre soutien et notre concours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’avais cru comprendre que, depuis un an, la justice fonctionnait en toute indépendance.
Est-il une fonction plus redoutable que celle de rendre justice, est-il un métier qui exige autant de conscience, de responsabilités, de sagesse que celui de magistrat ? Montaigne nous rappelait que « l’éducation nous fait savants mais non sages ».
Rendre la justice au nom du peuple français, appliquer la loi de notre République en rendant des décisions qui, par nature, nous le savons tous, influeront sur la vie de ceux qui en sont destinataires, c’est disposer d’un pouvoir exceptionnel sur ses concitoyens, d’un pouvoir qui ne devrait supporter ni la médiocrité ni la routine et devrait imposer beaucoup d’humilité, d’un pouvoir qui exige l’indépendance et la solitude dans la décision, et ce d’autant plus que l’on pourrait ajouter comme le philosophe Alain – il nous est cher, à nous, radicaux – : « La liberté intellectuelle, ou sagesse, c’est le doute ».
La justice ne peut être parfaite, ne l’a jamais été et ne le sera jamais, mais nos concitoyens aspirent tous légitimement à pouvoir lui faire confiance, aspirent à être jugés par des magistrats compétents, indépendants de toute pression et intègres.
La suspicion à l’encontre de la justice est aussi vieille que l’exercice de cette dernière – il ne faut pas considérer qu’elle est le résultat du climat actuel. Elle fut le lot de toutes les civilisations au fil de l’histoire, de l’Antiquité à ce jour, en passant par le célèbre « Selon que vous serez puissant ou misérable… »
La justice, parce qu’elle est humaine, ne sera jamais parfaite, mais le devoir du législateur que nous sommes est de fixer le cadre permettant au magistrat de l’exercer en « honnête homme », au sens ancien du terme.
Pour notre part, nous avons ici constamment exprimé notre attachement à la séparation des pouvoirs, au respect de l’indépendance des magistrats, ainsi, madame la garde des sceaux, qu’à la nécessité de donner à la justice les moyens, y compris financiers, de remplir ses missions.
Indépendance des magistrats, oui, irresponsabilité, non. Notre sensibilité, notre groupe rejetteront toujours ce qui pourrait s’apparenter à un gouvernement des juges.
Lorsque l’on relit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, on est toujours frappé par la justesse de chaque mot, par sa modernité. C’est un texte au-dessus du temps qui passe. Le problème de tous les régimes est de le décliner dans la législation, nous en avons la preuve avec les multiples réformes qui ne sont pas toujours une amélioration du texte précédent et qui font souvent aujourd’hui de nos lois et décrets des instruments d’instabilité juridique.
Madame la garde des sceaux, votre projet de loi participe-t-il de ce constat ? Tout d’abord, permettez-moi de souligner que ce texte n’est pas le fruit d’une véritable concertation avec les différentes sensibilités politiques représentées au Parlement,…
M. Michel Mercier. Très bien !
M. Jacques Mézard. … ce qui est dommageable lorsqu’on vise à réunir les trois cinquièmes des suffrages des parlementaires. Ce texte, c’est le vôtre.
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Je ne lancerai pas un nouveau débat sur la nécessité ou l’opportunité de cette réforme.
Le parcours du Conseil supérieur de la magistrature fut long et chaotique, de sa création par la loi du 30 août 1883 à la Constitution de 1946, puis à celle de 1958 et à la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, jusqu’à la révision constitutionnelle de 2008. Cinq ans après cette réforme, on reprend ce dossier sans disposer d’un texte suffisamment clair et synthétique, de nature à figer – dans le bon sens du terme – ce qui devrait et doit être un élément fort de notre architecture institutionnelle, non seulement limpide, pour éviter toute dérive d’interprétation, mais aussi équilibré, pour éviter toute nullité dans les réformes d’alternance.
Madame la garde des sceaux, au sein de votre projet de loi, deux propositions importantes emportent notre approbation.
En premier lieu, la parité garantit un équilibre entre la représentation des magistrats et celle des personnalités extérieures. C’est une bonne mesure, de même que le choix de confier la présidence à une personnalité qualifiée.
En second lieu, la nomination des magistrats du parquet par un avis conforme de la formation du CSM compétente constitue une évolution positive et indispensable, tant sur le fond que sur la forme.
En revanche, pour ce qui concerne les personnalités qualifiées destinées à siéger au CSM et leur désignation, nous exprimons des réserves, qui ont déjà été évoquées dans cet hémicycle, concernant la présence d’un avocat en exercice – j’insiste sur ce dernier point. Nous nous opposons au système de désignation proposé par le Gouvernement, y compris dans la dernière rédaction de son amendement de ce jour.
Considérer que le Conseil économique, social et environnemental est l’expression démocratique ultime de ce que vous appelez la « société civile », quand on connaît le mode de désignation des membres de cette instance, voilà qui relève d’un profond sens de l’humour ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai.
M. Alain Fouché. Effectivement, ça fait bien rire !
M. Jacques Mézard. Le système proposé par la commission des lois nous paraît beaucoup plus sage.
Reste la question cardinale de l’autosaisine du CSM, prévue au titre de l’article 2. Si cette procédure peut se justifier pour les questions de déontologie, il ne nous semble pas bon d’institutionnaliser une autosaisine générale pour toutes les questions « relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
Ne nous voilons pas la face : il est clair que, avec une telle formulation, ce sont en fait toutes les questions relatives à la justice, à son organisation et à son fonctionnement, tous les enjeux relatifs aux pouvoirs législatif, règlementaire, voire budgétaire, qui pourront être soumis à l’examen du CSM, et ce par ses membres eux-mêmes.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Croyez-moi, cette méthode ne sera pas de nature à garantir la séparation des pouvoirs, quel que soit le gouvernement en place et la sensibilité de ce dernier.
Dans la mesure où le présent projet de loi impose des garanties quant à la nomination des magistrats du parquet, eu égard à l’obligation de suivre l’avis conforme, et quant au système disciplinaire confié au CSM, cette autosaisine de portée générale ne se justifie nullement. Elle ne présentera qu’un seul intérêt : faire plaisir à une corporation.
Par ailleurs, madame la garde des sceaux, je vous trouve peu prolixe au sujet de la saisine directe du CSM par les justiciables, alors que les enseignements de l’expérience sont clairs. J’ai repris les chiffres du rapport qui, apparemment, ne sont pas les mêmes que les vôtres : au cours de la période récente, 14 plaintes ont été déclarées recevables pour 611 dépôts. Cette situation traduit tout simplement l’extrême difficulté à faire évoluer la question de la responsabilité, un mot qu’il suffit de prononcer pour mobiliser, dans un même élan d’indignation, la magistrature tout entière.