M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.
Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaitais qu’avant toute chose nous puissions nous féliciter de la décision du Conseil constitutionnel du 6 juin dernier, lequel a déclaré conforme à la Constitution la loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger.
Ce texte, que nous avions adopté au Sénat le 18 mars dernier, était en effet le préalable nécessaire à une réforme de fond, celle qui nous est soumise en nouvelle lecture.
L’échec de la commission mixte paritaire, le 22 mai, a effectivement mis en exergue la vision différente de nos deux assemblées sur le projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France.
Toutefois, comme en témoigne le texte adopté vendredi dernier par l’Assemblée nationale, certains points qui nous sont chers ont trouvé un écho auprès des députés lors de la nouvelle lecture. Il semblerait donc, mes chers collègues, que certaines des demandes légitimes de l’actuelle AFE, que nous avons souhaité relayer au Sénat, aient été entendues au Palais-Bourbon…
Je commencerai par évoquer les avancées qu’il me semble essentiel de saluer, avant d’aborder les points qui, malheureusement, ne me paraissent toujours pas pleinement satisfaisants, mais auxquels les mesures réglementaires ou la pratique pourront, je l’espère, tenter de remédier.
Le texte issu de la nouvelle lecture du projet de loi par l’Assemblée nationale permet tout d’abord à l’AFE de conserver son nom. L’Assemblée des Français de l’étranger ne s’éteindra donc pas pour laisser place à un Haut Conseil, victoire symbolique et, au-delà, comme le rappelait notre rapporteur, mesure utile dans le cadre du parrainage des candidats à l’élection présidentielle. Vous savez combien cette dénomination est chère aux Français résidant hors de France !
Je tiens également à relever que les députés ont finalement limité dans le temps le nombre des mandats des conseillers consulaires. Je regrette évidemment que l’amendement que, avec les membres du groupe écologiste, j’avais déposé ici en ce sens, n’ait pu être adopté par notre assemblée, tout comme celui de mes collègues Claudine Lepage et Richard Yung.
Le mérite en reviendra donc à l’Assemblée nationale d’avoir consacré ce que je considère comme une avancée démocratique permettant le renouvellement des conseillers consulaires, via l’accès à ces mandats électifs des femmes, des jeunes et de la diversité dans son ensemble.
Mme Claudine Lepage. Très bien !
Mme Kalliopi Ango Ela. Je réaffirme donc que le renouvellement de nos élus à l’étranger évitera tout risque de clientélisme et permettra une représentation à l’image de la nouvelle sociologie des Français établis hors de France.
Au-delà, les Français de l’étranger sont une fois de plus précurseurs : tout comme nous l’avons été en matière de vote électronique, en dépit des difficultés, nous le serons également désormais s’agissant du non-cumul des mandats dans le temps.
Malheureusement, des impératifs « d’ordre constitutionnel » – c’est ce qui nous a été indiqué – n’ont pas permis de conserver l’élection de nos désormais 90 conseillers à l’AFE au suffrage universel direct, je ne peux que le regretter. Chacun sait à quel point je suis, avec les membres du groupe écologiste, attachée au suffrage universel direct. Nous sommes pourtant contraints d’y renoncer, au risque de voir la loi ultérieurement invalidée,…
M. Christian Cointat. Mais pourquoi donc ?
M. Christophe-André Frassa. C’est faux !
Mme Kalliopi Ango Ela. … ce qui serait évidemment dramatique et ne permettrait pas les élections de nos conseillers en mai prochain.
Bien évidemment, je déplore aussi le défaut de compétences régionales des futurs conseillers à l’AFE, ceux d’aujourd’hui disposant pourtant d’une réelle expertise de terrain. J’espère que, demain, cette AFE réformée saura faire entendre les avis qu’elle formulera et que le Gouvernement, pour sa part, saura porter une attention particulière aux études dont l’Assemblée des Français de l’étranger prendra l’initiative. Peut-être pourriez-vous de nouveau vous y engager, madame la ministre, au cours de la présente discussion ?
Nos deux chambres devront également user de la possibilité offerte au président de l’Assemblée nationale et au président du Sénat de consulter l’AFE sur les sujets relatifs aux Français de l’étranger. Notre rôle de parlementaires sera de le rappeler et d’amplifier ainsi l’impact du travail mené par les conseillers à l’AFE.
Enfin, je souhaite que le rôle des associations représentatives au niveau national des Français établis hors de France, même s’il doit être revisité, ne soit pas minimisé. J’aspire à ce que nos associations - pour ce qui me concerne, Français du Monde -, puissent en pratique concourir de façon effective à « l’exercice des droits civiques et […] à la vie démocratique de la Nation des Français établis hors de France », comme le prévoit désormais, dans une rédaction sans doute perfectible, l’article 1er bis du projet de loi.
M. Richard Yung. Très bien !
Mme Kalliopi Ango Ela. Cela devra s’accompagner d’une implication citoyenne de proximité, guidée par la mise en place de nouvelles pratiques.
Enfin, nos conseillers à l’AFE attendent également d’être rassurés par le contenu des mesures réglementaires qui seront prises dès l’entrée en vigueur de la réforme, comme son bureau a d’ailleurs pu l’exprimer lors de sa dernière réunion, le 24 mai dernier. Il me semblait important de le rappeler dans notre hémicycle.
Sous les réserves précédemment évoquées, nous attendons beaucoup de cette réforme : des nouveaux conseils consulaires, l’augmentation du corps électoral de nos sénateurs, ainsi que la nouvelle coordination des niveaux de compétence entre les conseillers consulaires, ceux qui seront membres de l’AFE, les récents députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Parce qu’il veut avoir confiance dans la mise en œuvre de ce projet de loi, le groupe écologiste votera pour ce texte, un texte dont il souhaite l’adoption conforme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Madame le ministre, jusqu’à présent, je ne me suis pas exprimée dans cet hémicycle sur le sujet extrêmement important que constitue votre réforme. Elle porte sur cette magnifique institution qu’est l’Assemblée des Français de l’étranger, précédemment dénommée « Conseil supérieur des Français de l’étranger ».
Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Tout simplement parce que j’ai été abasourdie, stupéfaite, choquée. Les bras m’en sont tombés, comme ce fut également le cas de tous ceux, qui, à travers le monde, portent inlassablement et courageusement la bonne parole.
Le plus choquant et le plus déconcertant fut votre empressement à agir : vous nous avez tous mis devant le fait accompli. Votre gouvernement a décidé d’un coup d’un seul, sans aucune concertation, de balayer une institution rodée, utile, étudiée, qui fonctionnait, ma foi, fort bien.
Bien entendu, au fil des ans, nous avons, à l’aide de vœux, d’amendements, de questions, modifié ou arrangé tel ou tel aspect, afin de toujours améliorer notre institution, et de la moderniser, aussi. En somme, il s’agissait pour nous d’aller avec notre temps !
Franchement, à travers ce projet de loi, je n’ai pas compris votre attitude, madame le ministre - d’autant que vous sortiez de nos rangs -, pas plus, d’ailleurs, que je n’ai compris celle du Gouvernement.
On ne peut claquer la porte de la sorte et tirer un trait sur ce qui a existé, sur tout ce qui a été fait avec intelligence et courage durant soixante années de construction minutieuse.
Madame le ministre, s’il y avait eu concertation, nous aurions été les premiers à vous écouter. Nous ne sommes pas hermétiques ! Nous partageons avec vous l’idée d’une meilleure représentation de nos compatriotes établis à l’étranger, grâce à toujours plus de proximité et de transparence.
Avec votre réforme, nos conseillers à l’AFE, dont certains verront d’ailleurs leur mandat amputé de deux ans, auront un mandat électif singulièrement affaibli et des moyens diminués, alors qu’ils représentent la France souvent avec brio et qu’ils sont notre fierté. N’oublions pas qu’ils mettent parfois leurs vies en péril en bravant guerres et dangers de toutes sortes. En un mot, ils portent très haut les couleurs de la France.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est vrai !
Mme Christiane Kammermann. J’en parle en connaissance de cause, ayant été moi-même pendant vingt ans déléguée au CSFE pour la zone Irak, Jordanie, Liban et Syrie, et ayant vécu toute la guerre du Liban.
Je m’interroge, madame le ministre : quel sera le véritable rôle des conseillers consulaires et de l’AFE nouvelle mouture ? Et je m’interroge d’autant plus que, malgré la multitude d’amendements que nous avons déposés et les longs débats qui se sont tenus sur ces questions, nous, les parlementaires, ne participerons pas aux travaux de l’AFE, sauf si nous y sommes invités. Vraiment, j’ai du mal à y croire !
Il en est de même pour les grandes associations représentatives des Français de l’étranger, l’Union des Français de l’étranger, c’est-à-dire la droite, et l’Association démocratique des Français de l’étranger, c’est-à-dire la gauche. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) J’ai pris soin de la nommer, chers collègues !
Madame le ministre, qui portera la voix des élus des Français de l’étranger, sinon les parlementaires, et comment le feront-ils s’ils ne sont pas associés aux travaux de l’AFE ?
Votre façon d’agir nous a donné l’impression que nous ne représentions rien, peanuts, pour le dire dans un langage commun et peu académique.
Nos Français de l’étranger ne doivent pas être oubliés. Il est de notre devoir de resserrer encore et toujours les liens avec eux. C’est pourquoi on ne peut que regretter que ce projet de loi, qui aurait pu être l’occasion de moderniser l’AFE, de l’ancrer dans notre époque, celle de la mondialisation, soit au contraire une manœuvre politique, avec, en ligne de mire, les élections sénatoriales de 2014. (M. Richard Yung proteste.)
Vous pouvez encore revenir sur vos positions, madame le ministre. Montrez-vous ouverte et attentive à nos messages. Si tel n’était pas le cas, avant de fermer le ban, pensez à accrocher sur la poitrine de chacun des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger une médaille de France tenant compte de leurs multiples mérites, avec la reconnaissance et les remerciements de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais en premier lieu déplorer l’échec de la commission mixte paritaire entre nos deux assemblées sur un texte qui a, certes, des limites, mais qui traite tout de même, me semble-t-il, d’un sujet important : le mode de représentation de certains de nos concitoyens dans une grande démocratie comme la nôtre.
Bien que le phénomène soit habituel dans ce type d’élections, les récentes législatives partielles de deux députés représentant nos compatriotes résidant à l’étranger ont une nouvelle fois démontré que le système fonctionnait mal. En effet, au second tour, le taux d’abstention a été considérable, atteignant 86,11 % dans la circonscription d’Amérique du Nord et près de 91 % dans celle qui va de l’Italie à Israël.
À mon sens, l’explication ne réside pas simplement dans la volonté de sanctionner une option politique par rapport à une autre. La cause est plus profonde. Il y a incontestablement une désaffection et une défiance généralisées de nos concitoyens envers ceux qui les représentent pour gérer les affaires publiques, ici comme ailleurs. Nous en connaissons tous les raisons, qui excèdent le cadre de notre débat.
Néanmoins, il est évident qu’un mode de représentation juste dans lequel les électeurs ont confiance peut être un important élément pour revivifier la démocratie dans notre pays. Telle était l’ambition initiale de ce texte, auquel le travail parlementaire a permis d’apporter d’utiles modifications. En effet, tout le monde, en particulier les associations représentant nos compatriotes expatriés, s’accordait sur la nécessité de modifier rapidement et en profondeur le système.
Pourtant, la réforme reste marquée par son manque d’ambition et de clarté, notamment dans le redécoupage des circonscriptions. Ce sont, me semble-t-il, ces raisons qui peuvent expliquer la situation de blocage dans laquelle nous nous sommes trouvés.
Promouvoir une démocratie de proximité, rapprocher les élus de leurs électeurs, conforter leur légitimité en renforçant leur représentativité par l’élargissement du collège électoral des sénateurs, établir des liens plus étroits entre les Français de l’étranger et la communauté nationale… autant d’objectifs auxquels le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale répond pour l’essentiel. Il en va de même pour la réelle transformation de l’Assemblée des Français de l’étranger, dont l’indépendance à l’égard des pouvoirs publics a été renforcée et dont les compétences d’expertise ont été reconnues et clarifiées.
Cependant, je regrette toujours que la réforme ne soit pas tout à fait à la hauteur des problèmes à résoudre.
Au préalable, je voudrais redire que la disposition de la révision constitutionnelle du mois de juin 2008 créant de nouveaux députés chargés de représenter spécifiquement nos compatriotes expatriés modifiait l’équilibre et la cohérence du système, en superposant différents niveaux de représentation.
Au nom de quel principe républicain était-il justifié d’accorder ainsi une représentation supplémentaire à une catégorie spécifique de citoyens en leur réservant des députés ? La question reste posée.
En outre, le nombre de députés n’ayant pas augmenté, la mesure a eu pour conséquence d’affaiblir la représentation des Français sur le territoire national.
Pourquoi avoir voulu à ce prix créer un nouveau niveau de représentation ? À la lumière des résultats électoraux récents, je reste convaincue que la vie démocratique n’en a aucunement été améliorée…
C’est en grande partie ce déséquilibre néfaste qui a accentué la nécessité de modifier le mode de représentation dont nous discutons.
Mais j’en viens au texte à proprement parler.
La création des conseils consulaires et l’élection de leurs membres au suffrage universel direct à la proportionnelle vont naturellement dans le bon sens ; vous connaissez notre attachement à ce mode de scrutin. Les pouvoirs de ces conseils devraient être plus étendus. Et, pour assurer un meilleur contrôle démocratique et faire en sorte que les électeurs puissent se sentir concernés, l’avis des conseillers dans la procédure d’élaboration des budgets aurait gagné à ne pas être simplement consultatif.
Il faut souligner tous les inconvénients de ce qui prévalait en matière de mode de scrutin et de périmètre des circonscriptions. Le collège électoral était réduit à la portion congrue et les écarts démographiques étaient intolérables, comme l’avait relevé avec force la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique.
Mais la réforme proposée est très limitée sur ce point, donnant l’impression d’être encore inachevée. Pour véritablement rapprocher les électeurs de leurs élus, il aurait été nécessaire d’en augmenter le nombre dans des proportions beaucoup plus importantes.
Je regrette également que la réforme soit incomplète sur l’élargissement du collège électoral des sénateurs.
De son côté, l’opposition sénatoriale a voulu y voir une manœuvre politicienne pour conserver, paraît-il, le Sénat à gauche… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Nos 12 collègues ont été élus par moins de 200 grands électeurs ; 26 ont suffi à élire une sénatrice ou un sénateur. Dans ces conditions, on comprend mieux les raisons d’une telle polémique, qui masque mal la volonté de ne pas toucher à un système dans lequel 8 des 12 sénateurs représentant les Français de l’étranger sont… UMP ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Christophe-André Frassa. C’est faux !
M. Christian Cointat. Nous réclamons un changement du système électoral depuis longtemps ! Mais vous n’avez rien fait !
Mme Éliane Assassi. Tout le monde s’accordait pour reconnaître qu’une telle situation était anormale.
M. Christian Cointat. Nous aussi !
M. Christophe-André Frassa. Nous le disions avant vous !
M. Christian Cointat. Depuis l’époque Jospin !
Mme Catherine Tasca. Et vous n’avez rien fait pendant les dix années qui ont suivi !
Mme Éliane Assassi. Tout le monde s’accordait pour reconnaître que se posait un problème non de légitimité des élus, monsieur Cointat, mais d’équité et d’exigence démocratique à l’égard de nos concitoyens.
Le projet de loi y a en partie remédié en élargissant le collège à 509 grands électeurs. Je ne sous-estime pas cette mesure, mais elle est, somme toute, assez timide. Là aussi, il aurait été nécessaire d’augmenter significativement le nombre de conseillers consulaires, en multipliant ce chiffre au moins par deux.
Aux yeux de nos compatriotes, cela serait certainement apparu comme l’expression d’une réelle volonté de rapprocher concrètement les électeurs de leurs élus.
Enfin, la réforme s’effectue à moyens constants, dans le cadre de l’absurde politique d’austérité qui n’ose pas dire son nom et qui contraint drastiquement la dépense publique. Voilà qui se traduira par la poursuite des restructurations de nos réseaux diplomatique et consulaire, avec des conséquences inévitables sur les moyens de nos ambassades et de nos institutions culturelles à l’étranger !
Les représentants des Français de l’étranger devraient pouvoir s’exprimer pour résister à la perte d’influence de notre pays dans le monde et au rétrécissement des services publics qui sont à leur disposition.
Au total, malgré les réserves que j’ai exprimées et les grandes insuffisances de ce texte, qui comprend tout de même des dispositions importantes allant réellement dans le sens d’une représentation améliorée et plus démocratique de nos compatriotes expatriés, le groupe communiste, républicain et citoyen votera cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis en nouvelle lecture du projet de loi portant réforme de la représentation des Français établis hors de France.
Je tiens à le souligner, ce texte a nécessité un dialogue constructif entre la Haute Assemblée et l’Assemblée nationale. Si la commission mixte paritaire du 22 mai dernier ne s’est pas révélée conclusive, force est de constater le travail accompli depuis lors. Il en résulte un texte clair et cohérent, issu d’un compromis qui préserve le double objectif de proximité et de démocratisation des institutions visé par le texte initial du Gouvernement.
Les deux grandes avancées de la réforme n’ont jamais été mises en cause au cours des débats. La création de conseils consulaires élus au suffrage direct au plus près de nos concitoyens est le gage de la proximité, et l’élargissement du collège électoral des 12 sénateurs représentants les Français établis hors de France, désormais élus par 520 grands électeurs contre 155 actuellement, renforce la représentation démocratique.
Sur les trois principaux points de désaccord, un compromis a été trouvé. Cela témoigne de la volonté de chacun de faire adopter dans les meilleurs délais un texte conforme à l’intérêt général et allant dans le sens d’une meilleure représentation des Français de l’étranger. Je tiens à saluer ici l’action de notre rapporteur, M. Jean-Yves Leconte, et du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Hugues Fourage, qui ont tous deux fourni un travail considérable pour rapprocher les points de vue.
La principale divergence portait sur le mode d’élection des conseillers amenés à siéger à l’Assemblée des Français de l’étranger.
En première lecture, le Sénat avait opté pour une élection au suffrage universel direct. Néanmoins, le mode de scrutin retenu, qui était matérialisé par un bulletin unique à la fois pour l’élection des conseillers consulaires et des conseillers à l’AFE, présentait de sérieux risques d’inconstitutionnalité au regard des principes d’intelligibilité du scrutin, de pluralisme et de liberté de candidature.
L’Assemblée nationale est donc revenue sur cette disposition en première lecture, rétablissant le mode de scrutin indirect que prévoyait le projet de loi initial. Aucune solution de remplacement n’a pu être trouvée au cours des discussions.
Le scrutin indirect est donc la meilleure solution qui a été trouvée pour faire aboutir cette réforme, tout en garantissant une représentation démocratique cohérente. Il faut en effet se détacher du système de représentation actuel. Les conseillers amenés à siéger à l’AFE seront d’abord des conseillers consulaires élus par leurs pairs pour les représenter au sein d’une instance consultative aux attributions renforcées, dont, je l’espère, elle saura se saisir. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, il n’y a pas deux catégories d’élus.
Quant à l’Assemblée des Français de l’étranger, elle avait été renommée « Haut Conseil des Français de l’étranger » par l’Assemblée nationale en première lecture. Mais, au vu notamment de la rupture que représente ce nouveau système de représentation par rapport à l’actuel, les députés ont accepté de faire un pas vers le Sénat. La dimension symbolique qu’elle revêt, tant pour les élus que pour les associations représentatives des Français de l’étranger, justifiait le maintien de l’appellation actuelle.
Enfin, restait en suspens la question des circonscriptions d’élection des conseillers à l’AFE. Le Sénat avait porté les 16 circonscriptions du projet initial du Gouvernement au nombre de 20, dans un souci de proximité démocratique, tandis que l’Assemblée nationale les a réduites au nombre de 5 circonscriptions continentales. Une solution médiane portant sur 15 circonscriptions a été trouvée, puis validée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Le compromis s’imposait en raison de l’extrême diversité, au moins en nombre, des communautés françaises selon les circonscriptions.
Ce seront donc 444 conseillers, élus au suffrage universel direct au sein de 130 circonscriptions, qui éliront 90 de leurs pairs dans ces 15 circonscriptions, afin de les représenter et d’aller porter leur voix à Paris. Ces 444 conseillers consulaires éliront, avec les députés des Français de l’étranger et des délégués consulaires supplémentaires, les 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France.
C’est donc le choix de la démocratisation de nos institutions et de la cohérence qui a été fait.
Il est aujourd’hui important d’adopter ce texte, qui permettra de revitaliser la représentation démocratique de nos concitoyens expatriés, au moment où – les élections législatives partielles qui viennent d’avoir lieu l’ont, hélas ! confirmé – la participation de ce corps électoral à la vie politique nationale est trop limitée.
Les nouveaux élus devront travailler à une meilleure mobilisation. Cette réforme est donc bienvenue, puisqu’elle met l’accent sur la proximité et sur la démocratie locale.
Enfin, ce texte est à l’honneur du travail parlementaire, qui aura su se dérouler en bonne intelligence tout au long de la procédure législative. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera conforme le texte adopté par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre à nouveau de cette réforme de la représentation des Français de l’étranger, du fait de l’échec de la commission mixte paritaire.
L’engagement de la procédure accélérée – alors même que la discussion du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, puis l’échec de la commission mixte paritaire ont largement retardé nos travaux – était injustifié et n’a servi qu’à museler le débat.
Nous étions nombreux à souhaiter une réforme, ne serait-ce que pour élargir le collège électoral des sénateurs, et là nous étions même unanimes. Mais cette réforme est mauvaise, et, en tant qu’ancienne élue de l’Assemblée des Français de l’étranger, madame la ministre, vous ne pouvez pas ne pas le savoir, vous ne pouvez pas ne pas être consciente des énormes faiblesses de ce qui est proposé ici.
L’aggravation continue de l’abstention, encore vérifiée lors des deux récentes législatives partielles, prouve que les Français de l’étranger ne comprennent pas et rejettent ce millefeuille institutionnel. Au lieu d’en prendre acte, vous avez fait le contraire de ce qu’il fallait faire. Au lieu d’alléger, de clarifier la structure institutionnelle, vous l’alourdissez encore ; au lieu de travailler à donner de vrais moyens aux Français de l’étranger, vous les leur retirez.
Aux deux niveaux actuels de représentation – AFE et parlementaires – s’ajouteront désormais deux nouvelles catégories d’élus : les conseillers consulaires et les délégués consulaires. Entre le niveau consulaire et l’échelon parlementaire, l’AFE se perdra forcément dans les limbes d’un no man’s land institutionnel... jusqu’à disparaître entièrement, si vous continuez sur cette même voie.
Face au défi démocratique majeur que constitue une abstention qui atteint désormais des sommets, il aurait été pertinent de prendre le temps de poser un véritable diagnostic de l’ensemble des causes.
Au lieu de cela, la réforme fait porter indirectement à la seule AFE la responsabilité de l’abstention et s’exonère ainsi de toute réflexion approfondie sur les véritables ressorts du phénomène. C’est pourquoi nous avons été sept sénateurs à écrire à Laurent Fabius, toujours président de l’AFE, pour lui demander de suspendre la réforme, le temps d’organiser des états généraux de la citoyenneté à l’étranger.
Cette solution, que vous avez immédiatement écartée, aurait pourtant permis de sortir par le haut de l’imbroglio institutionnel dans lequel nous sommes désormais plongés et dont vous savez qu’il est rejeté par une très grande majorité de nos compatriotes de l’étranger, y compris dans vos propres rangs, même s’ils ne sont pas présents aujourd’hui dans cet hémicycle.
Vous prétendez que la concertation a déjà eu lieu. Mais la manière dont l’avis de l’AFE, adopté à l’unanimité en septembre 2012 – vous étiez présente, madame la ministre – a été ignoré et méprisé, illustre cette manie de la consultation en trompe-l’œil : le Gouvernement dicte les réponses en même temps qu’il pose les questions. Il légitime des décisions opposées à celles qui sont votées par une assemblée d’élus au suffrage universel par le fait que quelques termes ont été repris... C’est là un signal très inquiétant de la manière dont les futurs « avis » de l’AFE pourront être pris en compte par le Gouvernement !
Dans ce contexte, les points de discussion légués par l’échec de la CMP sont finalement secondaires. Certes, une désignation de l’AFE au scrutin universel direct est indispensable, et j’ai d’ailleurs bien évidemment cosigné les amendements de Christian Cointat en ce sens. Mais le cœur du problème n’est pas là. Il est dans le rôle, ou plutôt l’absence de rôle, qui sera assigné à l’AFE et aux conseillers consulaires.
La création d’élus à l’échelon consulaire est a priori un progrès. Mes collègues de l’UMP et moi-même avions d’ailleurs demandé une telle densification. Mais ce ne sera que poudre aux yeux si les élus sont réduits à un rôle de figuration, sans attributions ni moyens.
Car l’impact de cette réforme ne dépend finalement qu’assez peu du Parlement. C’est le pouvoir réglementaire, donc votre cabinet, madame la ministre, qui décidera d’octroyer ou non une marge de manœuvre à ces nouveaux élus, marge de manœuvre sans laquelle ils ne seront que des voix isolées, sans influence à l’échelon consulaire et, a fortiori, sans possibilité de faire remonter des débats à l’échelle régionale ou transnationale.
Les conseillers consulaires d’un même pays mais de circonscriptions distinctes n’auront même pas de mandat pour entreprendre ensemble des actions vis-à-vis de leur ambassade commune ! Est-ce là votre réforme ?
Je regrette que les vrais enjeux de la réforme, ceux qui alimentent l’abstention – et continueront à l’alimenter, faute d’avoir trouvé de réponse adéquate – n’aient pas fait l’objet d’une véritable consultation. Je pense tout particulièrement à la suppression du vote par correspondance – j’y reviendrai dans la présentation de mon amendement.
L’élargissement du collège électoral des sénateurs, que nous réclamons de longue date, est certes une nécessité, mais la solution préconisée de longue date également par l’AFE, qui permettait un élargissement au moins équivalent, aurait mérité d’être réellement étudiée.
L’impression qui domine est celle d’une fausse bonne idée, d’une réforme bâclée, qui peine à masquer sa visée principale, et nous ne pouvons malheureusement pas en voir d’autre, étant donné les faits : le remodelage politicien du corps électoral avant les sénatoriales de 2014.
À défaut d’avoir été organisés en amont du projet de loi, j’espère au moins que ces états généraux de la citoyenneté à l’étranger – nous les avons réclamés – pourront avoir lieu avant la publication des décrets d’application. Cela permettrait enfin une réelle prise en compte des besoins de terrain, car ce sont les mille détails techniques et organisationnels qui feront le destin de cette réforme.
Les Français de l’étranger méritaient vraiment mieux qu’une réforme qui allie le paradoxe d’être bâclée et de consommer beaucoup de temps parlementaire, alors que nous aurions pu travailler sur tant d’autres sujets majeurs au cœur de la présence française à l’étranger, au cœur de notre politique de rayonnement et d’influence. Cela aurait été tellement important…
Je regrette profondément cette attitude, et cette réforme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)