M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. François Trucy. Ah !
M. Pierre Hérisson. Enfin !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contrôle de l’application des lois est bien entendu une tradition de notre assemblée, et la commission des finances s’efforce d’y participer.
Nous assurons, comme vous le savez, le suivi d’un grand nombre de textes réglementaires, parallèlement à notre activité de contrôle budgétaire.
Au cours de la période sous revue, soit de juillet 2011 à septembre 2012, la commission des finances a été concernée par 9 lois nouvelles, qui, cette fois-ci, ont toutes été des lois de finances et auxquelles correspondaient 118 mesures d’application. En ajoutant les textes prescrits par des lois antérieures, et non encore publiés, on constate que notre contrôle a porté sur 197 mesures attendues, issues de 21 lois.
Il convient de mettre en avant, à partir de ces premiers éléments, quelques données quantitatives, qui rejoignent les constats globaux formulés par le président de la commission pour le contrôle de l’application des lois.
En premier lieu, le taux de publication des mesures prévues par les textes examinés au fond par notre commission s’améliore : il s’établit à 76 % pour les lois nouvelles et à 68 % pour l’ensemble des textes dont nous assurons le suivi.
En second lieu, il semble que les textes « sortent » plus vite que ce n’était le cas auparavant. Concernant les lois adoptées pendant la période sous revue, 2011-2012, 62 % des textes réglementaires ont été pris dans le délai de six mois prévu par la circulaire du Premier ministre du 1er juillet 2004.
Néanmoins, ces chiffres doivent être interprétés avec quelques précautions car, bien sûr, toutes les mesures ne se valent pas en importance et tous les retards ne présentent pas les mêmes inconvénients.
Certaines lois peuvent aussi être considérées comme étant en attente de mesures d’application alors que les textes non pris sont simplement devenus sans objet. La question qui se pose est donc celle du délai dans lequel les mesures sans objet devraient être abrogées.
En outre, certains décrets peuvent ne pas sortir parce que le législateur, lui-même, tergiverse. Il en est allé ainsi des décrets devant préciser les modalités de mise en œuvre des fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. Prévus par la loi de finances pour 2011, ces décrets ont été publiés seulement deux ans et demi plus tard, en avril 2013 ! Entre-temps, le Parlement avait décidé de repousser la création de ces fonds.
Dans d’autres cas, le législateur peut avoir exprimé une volonté claire, mais les mesures ne sont pas mises en œuvre. Il convient bien évidemment de s’interroger sur ce type de situations.
Je relève par exemple l’absence d’application de l’article 242 septies du code général des impôts, issu de l’article 101 de la loi de finances pour 2011 et de l’article 85 de la loi de finances pour 2012, dont l’objet était de renforcer la transparence de la défiscalisation des investissements réalisés outre-mer en prévoyant de réglementer les cabinets de défiscalisation.
L’exercice de cette profession devait être soumis à la signature d’une charte de déontologie. De plus, l’article de la loi disposait que les cabinets déclarent annuellement à l’administration fiscale les opérations réalisées, de façon à améliorer le suivi de cette dépense fiscale, notamment s’agissant des investissements hors agrément. Enfin, l’article prévoyait une mise en concurrence des cabinets de défiscalisation dans le cas de certains investissements exploités par des sociétés majoritairement détenues par une personne publique.
Il y a unanimité, mes chers collègues, sur la nécessité de mieux encadrer et de rendre transparente l’activité de ces cabinets de défiscalisation. Pourtant, deux ans et demi plus tard, l’exigence de signer une charte de déontologie comme la mise en concurrence de ces cabinets pour certains investissements ne sont toujours pas appliquées. Certains interlocuteurs me disent que le décret n’est plus nécessaire, d’autres le réclament. Quoi qu’il en soit, il faut que ces mesures s’appliquent ! C’est pourquoi, monsieur le ministre, je me permets de vous signaler tout particulièrement ce cas de figure.
Inversement, nous pouvons parfois nous réjouir de constater que les textes les plus politiques reçoivent une mise en œuvre rapide. Ainsi, les deux premiers collectifs budgétaires de 2012, adoptés juste avant et juste après les élections présidentielle et législatives, ont tous deux reçu une application rapide et pratiquement intégrale.
Au-delà de ces aspects quantitatifs, je me réjouis que le contrôle de l’application des lois devienne aussi plus qualitatif.
À cet égard, j’ai le souvenir d’avoir élaboré, en 2004, un rapport intitulé La loi de sécurité financière : un an après, rapport dans lequel je me livrais à un bilan de l’application de cette loi. C’était une initiative quelque peu isolée, du fait du temps disponible au sein de la commission, mais, aujourd’hui, cette démarche se développe, voire se généralise et c’est une excellente chose.
C’est pourquoi il est utile, chacun s’en rend compte, de disposer d’une commission chargée du contrôle de l’application des lois et, me rapprochant de ma conclusion, je me permettrai de m’arrêter un instant sur le caractère exemplaire, à mes yeux, des suites données au rapport que cette commission a réalisé sur la suggestion de notre commission des finances : il s’agit du rapport de Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier sur la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde », qui comprenait notamment vingt propositions pour approfondir la réforme de 2010.
Dix de ces propositions concernaient les procédures de surendettement et, pour la plupart, elles ont été traduites dans des amendements adoptés, à l’Assemblée et au Sénat, dans le cadre de l’examen du projet de loi bancaire.
Dix autres propositions étaient relatives au secteur du crédit à la consommation. Plusieurs ont déjà été intégrées dans le projet de loi relatif à la consommation actuellement en débat à l’Assemblée nationale, notamment concernant la déliaison des cartes de fidélité et des cartes de crédit, la rémunération des vendeurs, ou encore la poursuite des travaux du Comité de suivi de la réforme de l’usure.
J’espère donc que le deuxième rapport suggéré par notre commission des finances, consacré au régime de l’auto-entrepreneur, connaîtra le même succès…
Pour conclure, je mentionnerai le fait que les rapports demandés au Gouvernement dans les différentes lois ne sont pas toujours rendus dans les temps, voire pas rendus du tout.
Il faut convenir qu’il est souvent pratique, pour trouver une issue à une discussion, de prescrire un rapport. Mais c’est une potion, si j’ose ainsi m’exprimer, monsieur le ministre, dont il ne faut certainement pas abuser. Il faut tâcher de résister à la tentation de demander l’établissement de rapports pour des effets de séance, lorsqu’on recherche une sortie qui contente tout le monde au détour d’un débat difficile. Mais les rapports sont plus légitimes lorsque notre assemblée, par exemple, pense qu’ils permettront de faire progresser la réflexion sur un sujet et d’initier de nouvelles mesures.
Plusieurs rapports significatifs sont actuellement en souffrance.
L’exemple de l’article 79 de la loi de finances pour 2013 est assez caricatural. Cet article dispose que « Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er mai 2013, le rapport mentionné à l’article 110 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 étudiant l’opportunité et la possibilité de transformer en dotations budgétaires tout ou partie des dépenses fiscales rattachées à titre principal à la mission " Outre-mer " ». C’est une idée ancienne des commissions des finances des deux assemblées et il est regrettable que nous n’ayons pas de données pour entrer véritablement dans ce débat.
Il y a aussi le sujet difficile du Crédit immobilier de France, l’article 108 de la loi de finances pour 2013 demandant la remise, avant le 30 mars 2013, d’un rapport sur les résultats de l’examen de la situation de cet établissement.
Je compte donc sur vous, monsieur le ministre, pour relayer ces attentes. Je remercie vivement la commission compétente pour l’organisation de ce débat et, surtout, je vous remercie, mes chers collègues, de votre patience et votre indulgence à l’égard de propos qui, j’en ai conscience, sont quelque peu arides. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, je vais à mon tour vous servir quelques statistiques. (Sourires.)
Mme Isabelle Debré. Oh là ! Pas trop ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans la période de référence, dont chacun sait maintenant qu’elle va de juillet 2011 à septembre 2012, notre commission des lois a eu le bonheur de participer à l’examen de 12 projets de loi, tous en procédure accélérée, monsieur le ministre. Il y a là une déviance, qui concerne d’ailleurs plusieurs gouvernements, surtout l’un plutôt que les autres, mais qui est fâcheuse, et cela a eu tendance à se répéter. Vous le savez, la procédure dite accélérée doit être l’exception (M. Jean-Claude Lenoir s’entretient avec plusieurs de ses collègues de l'UMP.), et la procédure normale, monsieur Lenoir, la norme.
Par ailleurs, dans la même période, beaucoup de lois ont été votées, mais seulement 36 % des textes d’application sont parus à ce jour, ce qui est un peu décevant. Une fois de plus, je veux donc m’élever contre ce droit, absurde, dont disposent tous les ministres de tous les gouvernements de ne pas appliquer la loi. (M. François Trucy sourit.) Il leur suffit simplement de ne pas publier les décrets. Cela valait hier ; cela vaut aujourd’hui, mais j’espère que cela vaudra moins demain. C’est pourquoi nous avons un devoir de vigilance, que j’illustrerai par trois exemples.
Premier exemple, en 2008 – cela date un peu –, nous avons, ici, adopté une loi portant sur diverses dispositions ayant trait au droit funéraire, notamment sur les contrats obsèques.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il s’agit d’un sujet sérieux,…
M. Jean-Claude Lenoir. Que vous connaissez bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … mes chers collègues, chaque année, des millions de Français étant floués, parce que les sommes versées au titre des contrats obsèques ne sont pas revalorisées.
En 2008, le Parlement, à l’unanimité, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, madame Debré,…
Mme Isabelle Debré. Je n’ai rien dit ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … a adopté des dispositions tendant à imposer la revalorisation au taux légal des sommes versées au titre de ces contrats.
Mme Cécile Cukierman. Sans intérêt !
M. Jean-Claude Lenoir. Autrement dit, on a enterré la loi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ces dispositions ayant été votées par le Parlement, elles devraient normalement s’appliquer. Mais la loi était à peine promulguée qu’à la direction de Bercy qui s’occupe des assurances on s’avisa qu’il n’était vraiment pas raisonnable de la mettre en œuvre. On nous expliqua longuement qu’elle était contraire à des règles européennes. Nous avons discuté, négocié, fait d’innombrables réunions pour réécrire le texte, de manière qu’il soit compatible avec lesdites règles. Pourtant, la discussion législative s’était déroulée normalement, en présence du Gouvernement, et la volonté était unanime.
Mes chers collègues, sachez que ces dispositions ne sont toujours pas applicables. En effet, je les ai reprises par amendements au projet de loi Lefebvre, lequel n’a pas prospéré, pour les raisons que chacun sait. Je les représente de nouveau dans la loi bancaire et j’espère qu’elles seront adoptées demain. Elles l’ont déjà été en première lecture par le Sénat, mais elles n’ont pas eu de succès à l’Assemblée nationale. Monsieur le ministre, soyez assuré que je me battrai toujours : si elles ne passent pas dans la loi bancaire, ce que je n’ose croire, ce sera pour le projet de loi sur la consommation. (Sourires sur plusieurs travées.) Voyez, monsieur le ministre, la ténacité qu’il faut pour simplement obtenir l’application d’un article de loi et mettre fin à une disposition qui porte préjudice à des millions de Français.
Deuxième exemple, il existe une loi de programmation relative à l’exécution des peines, sur laquelle notre commission des lois a beaucoup travaillé. Ce texte prévoit qu’un décret fixera les conditions dans lesquelles les personnels hospitaliers peuvent consacrer une partie de leur temps de service à la réalisation d’expertises ordonnées par l’autorité judiciaire. Cela n’est pas appliqué.
Les administrateurs de la commission des lois, que je salue, se sont tournés vers le ministère de la santé pour avoir des explications. Il leur a été répondu que cette mesure soulevait des réserves de la part des intersyndicales de praticiens hospitaliers. Mais c’est la loi ! Je le dis clairement : le ministère de la santé ne doit pas s’interroger pour savoir si la loi soulève des réticences de telle ou telle organisation professionnelle, par ailleurs hautement estimable. Elle doit simplement affirmer : nous devons appliquer la loi.
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Ou l’abroger !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très souvent, on ne considère pas comme naturel d’appliquer la loi. C’est tout de même étrange.
Troisième exemple, dont je dirai quelques mots puisqu’il me reste un peu de temps et qui va vous intéresser, monsieur le président du Sénat, les célèbres lois dites « Warsmann ». Notre collègue député des Ardennes s’était spécialisé dans les lois de simplification, qui, en général, démarraient avec une bonne centaine d’articles pour terminer à 250 articles au terme du parcours législatif.
Monsieur le ministre, vous avez été, comme moi-même, sensible au discours de M. le Président de la République sur le « choc de simplification ». Ces textes de simplification du droit, notamment la loi du 22 mars 2012, sont donc dans notre cœur de cible. Néanmoins, il faut savoir que la loi précitée prévoit 34 mesures d’application, dont 17 ne sont toujours pas parues.
Donc, simplifions, simplifions, mais publions les décrets !
D’ailleurs, j’attire votre attention sur une étrangeté que l’on peut relever sur le site internet Legifrance : il est fait état d’une publication des mesures d’application prévues aux articles L. 232-21, L. 232-22 et L. 232-23 du code de commerce envisagée pour le mois de juin… de l’année dernière ! (Sourires.) Vous pouvez vérifier, c’est toujours sur le site !
Mes chers collègues, la conclusion de mon propos est simple et va dans le sens des conclusions de tous les collègues qui m’ont précédé à cette tribune : il faut naturellement appliquer les lois. Je ne suis pas sans savoir que cela demande beaucoup de travail au Gouvernement, mais il s’agit d’un travail nécessaire eu égard au respect que nous devons tous à notre loi commune, qui nous permet de vivre ensemble. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mmes Corinne Bouchoux, Mme la présidente de la commission des affaires sociales ainsi que M. Pierre Hérisson applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, le 6 décembre 2011, notre commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois se constituait.
Contrairement au travail que nous faisons aujourd’hui, son rôle ne se limite pas à lister les textes d’application publiés pour chaque loi promulguée. Il consiste également à contrôler, avec les acteurs de terrain, l’application concrète d’une loi, d’en apprécier les avancées mais aussi d’identifier ses dysfonctionnements et ses limites.
En tout cas, telle fut la démarche qu’Anne-Marie Escoffier et moi-même avons adoptée dans le cadre de notre rapport d’information sur la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde ». Avec un taux de plus de 90 %, la mise en application de cette loi a été bien maîtrisée par le Gouvernement.
Lors de nos auditions et déplacements, nous avons constaté les avancées importantes permises par la loi en matière de crédit à la consommation et de traitement du surendettement des particuliers. Malgré tout, nous avons relevé quelques insuffisances, d’où nos 20 recommandations visant à compléter et améliorer la loi Lagarde.
J’ai eu le plaisir de voir plusieurs d’entre elles intégrées au titre VI du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, par le Gouvernement et par voie d’amendement, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. D’autres de ces recommandations pourront améliorer – je travaille en ce sens – le projet de loi relatif à la consommation. Nous avons donc le sentiment d’avoir été utiles dans notre contrôle.
Je souhaite souligner un autre exemple positif en matière d’application des lois, même s’il a été long à se mettre en place : je veux parler du dépistage précoce des troubles de l’audition.
Cette disposition a été adoptée, après de longs et vifs débats, dans le cadre du PLFSS pour 2012. Il convient de noter qu’elle n’est pas soumise à la publication d’un texte réglementaire. En effet, conformément aux termes du texte de loi, chaque agence régionale de santé, ARS, doit élaborer, en concertation avec les associations et les professionnels de santé concernés par les troubles de l’audition, un programme de dépistage. Après des débuts très laborieux, voire anarchiques, ce travail de concertation est lancé. Il porte sur l’élaboration d’un cahier des charges national, qui comportera des informations méthodologiques, et sur les dispositifs d’appareillage.
Les ARS auront, elles, le choix entre deux tests.
Quant au financement, il a été affecté dans le cadre du forfait périnatalité, dont un peu plus de 18 euros par naissance, qui permettront aux maternités d’acquérir le matériel nécessaire au dépistage.
Les professionnels de santé concernés estiment que, dans trois ans, ce dépistage sera effectif sur tout le territoire. Il aura quand même fallu quatre ans pour l’application totale de cette loi.
Je poursuivrai mon propos par deux exemples négatifs, dont l’un a été évoqué par Mme Annie David, présidente de notre commission des affaires sociales.
Le premier a trait aux lois votées qui restent inappliquées faute de textes d’application publiés par le Gouvernement. C’est le cas de loi du 5 mars 2012 relative au suivi des enfants en danger par la transmission des informations.
Ce texte est venu corriger une insuffisance de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, qui consacre le rôle de chef de file du président du conseil général. La cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, placée sous son autorité, analyse les informations qui lui parviennent et diligente les enquêtes sociales afin de déterminer si les enfants sont en danger ou risquent de l’être.
Or cette cellule se heurte à des difficultés lorsqu’une famille titulaire d’une prestation d’aide sociale à l’enfance déménage dans un autre département. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune coordination interdépartementale n’a été prévue, d’où des ruptures, soit dans la prise en charge de l’enfant, soit dans l’évaluation des informations préoccupantes.
La loi du 5 mars 2012 comble ce vide juridique et organise la transmission des informations entre départements. Un décret en Conseil d’État doit définir les modalités de cette transmission interdépartementale, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Cette loi, adoptée à l’unanimité dans les deux assemblées parlementaires, comporte un article unique, mais, bien que parue au Journal officiel du 6 mars 2012, elle reste à ce jour lettre morte !
Nous sommes plusieurs parlementaires à avoir interpellé sur ce point, au travers de questions écrites, Mme la ministre chargée de la famille. En réponse, le 17 janvier 2013, voilà donc bientôt six mois, elle a indiqué que « le projet de décret d’application de cette loi [était] actuellement soumis à la procédure consultative ».
Dois-je rappeler que la loi du 5 mars 2007 prévoyait déjà un tel texte, mais que celui-ci n’a jamais vu le jour ? La protection de l’enfance a-t-elle si peu d’importance ? Au moment où de nombreux cas de dysfonctionnement sont évoqués dans la presse, ne pourrait-on pas, au moins, apporter une réponse à celui-là ?
Le second exemple de dysfonctionnement dans l’application des lois que je souhaite pointer du doigt est celui d’une application qui ne correspond pas à la volonté du législateur, en particulier lorsque le texte résulte d’une proposition de loi.
L’application de la loi du 9 juin 2010 relative à la création des maisons d’assistantes maternelles, ou MAM, en est une parfaite illustration. Dans l’esprit de la loi, les MAM sont le prolongement du domicile des assistantes maternelles. Toutefois, cette volonté se trouve bafouée par une administration tatillonne, éloignée des réalités que vivent nos concitoyens.
Dans un premier temps, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’intérieur a classé les MAM en « établissements recevant du public de quatrième catégorie ». Jean Arthuis et moi-même avons vivement réagi à cette décision, qui condamnait les MAM existantes à fermer et interdisait l’ouverture de toute nouvelle structure. Nous avons ainsi obtenu que les MAM bénéficient d’un cadre plus souple grâce à un classement en cinquième catégorie.
Si les normes de protection contre l’incendie doivent impérativement être appliquées, il en va autrement des normes d’accessibilité aux personnes handicapées. En effet, aux termes de l’article R. 111–19–1 du code de la construction et de l’habitation, les MAM doivent être accessibles aux personnes handicapées, « quel que soit leur handicap ». Or, je le rappelle, les MAM accueillent des assistantes maternelles et des enfants !
Là encore, une telle exigence réglementaire est inapplicable à l’aménagement intérieur des MAM et ignore totalement la réalité de l’activité d’une assistante maternelle. Il est aberrant d’imposer que l’aménagement intérieur des MAM soit accessible aux adultes handicapés : en effet, c’est inutile pour les assistantes maternelles, car aucune personne en fauteuil roulant ne recevra jamais l’agrément de services chargés de la protection maternelle et infantile, la PMI, pour garder des enfants ; s’il s’agit des parents, il suffit simplement d’aménager le lieu d’accueil de la MAM, pour qu’un parent handicapé puisse y amener son enfant.
Les MAM sont un dispositif de garde des jeunes enfants innovant et souple. Leur coût est raisonnable pour les parents et nul pour les collectivités locales, mais les mesures d’application de cette loi freinent le développement de ces structures, au moment même où le Gouvernement dit vouloir créer de nouvelles places d’accueil.
En conclusion, mes chers collègues, je dresserai un bilan en demi-teinte : je reconnais des progrès dans le cadre de l’application des lois que nous votons, mais beaucoup reste à faire pour que ces mesures deviennent des réalités dans la vie de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme Corinne Bouchoux et M. le président de la commission sénatoriale applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Rome.
M. Yves Rome. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’étendue des compétences de notre commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, chargée de veiller à la bonne application des textes votés par le Parlement dans leur mise en œuvre concrète sur le terrain, nous appelle à une grande responsabilité et à beaucoup de minutie pour mener à bien cette mission.
C’est dans cet esprit que j’ai souhaité, en tant que membre de cette nouvelle commission sénatoriale présidée par notre excellent collègue David Assouline, établir un état des lieux de la législation en matière d’aménagement numérique du territoire, en dressant un bilan de l’application des dispositions organisant l’action des collectivités territoriales dans les domaines du haut et du très haut débit. Mon collègue Pierre Hérisson et moi-même avons auditionné les principaux acteurs de la filière et rendu en mars dernier notre rapport intitulé État, opérateurs, collectivités territoriales : le triple play gagnant du très haut débit.
Ce contrôle, à mon sens, ne doit pas se cantonner à considérer les effets de la législation existante, mais doit nous amener, lorsque cela est nécessaire, à proposer des cadres législatifs plus adaptés. Telle est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus dans notre rapport : l’impérieuse nécessité de redéfinir le paradigme normatif pour la couverture du territoire français en très haut débit.
Plus largement, ce rapport témoigne de l’importance pour le Parlement – et, partant, pour le Sénat – de veiller de manière soutenue à l’application de la législation, mais aussi de porter un œil attentif à la régulation du secteur des communications électroniques. Tout le monde comprendra que je veux évoquer ici l’importance du rôle joué par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP.
En effet, l’évaluation de la loi de 2004, de la loi de modernisation de l’économie puis de la loi Pintat, nous amène à constater un décalage entre le modèle économique du déploiement du très haut débit et les objectifs visés par lesdites dispositions. Le programme national en faveur du très haut débit de l’ancien gouvernement, reprenant des décisions antérieures de l’ARCEP et de l’Autorité de la concurrence, a provoqué une importante fracture territoriale, en laissant aux opérateurs le soin d’équiper en fibre optique les zones les plus denses et les plus attractives commercialement et en renvoyant 80 % du territoire au financement des collectivités territoriales.
Les évolutions récentes vont dans le sens des préconisations de notre rapport, qui appelait au retour de l’État stratège. Des signaux positifs ont depuis été envoyés, sans pour autant bouleverser le dispositif antérieur afin de ne pas retarder l’atteinte de l’objectif. Le rôle majeur des collectivités locales a été confirmé et mieux pris en compte dans le nouveau dispositif mis en place par le Gouvernement. Je tiens, en particulier, à me féliciter du choix d’avenir clairement exprimé par le Président de la République, le Premier ministre et la ministre déléguée à l’économie numérique, celui de la fibre optique.
La mission sur le très haut débit, confiée à Antoine Darodes, préfigurant la création d’un futur établissement public pour répondre plus efficacement aux engagements du Président de la République, à savoir l’équipement de tout le territoire en fibre optique en dix ans, témoigne encore de cette mobilisation de la puissance publique.
De plus, le choix technologique de la fibre a été conforté par l’installation de la mission présidée par M. Champsaur, ancien président de l’ARCEP, reconnu pour son expertise en la matière, réunissant parlementaires, dont Pierre Hérisson, et spécialistes sur le sujet déterminant pour l’avenir du dispositif : l’extinction du fil de cuivre de France Télécom.
Pour autant, un long chemin reste à parcourir pour que l’État retrouve toute sa place dans le nouveau dispositif : quelques dizaines de spécialistes seulement peuplent à ce jour l’administration centrale, alors que, au même moment, en vertu de je ne sais quelle indépendance, plusieurs agences ou autorités captent l’essentiel des moyens et de l’expertise : 168 agents à l’ARCEP, plus de 300 à l’Agence nationale des fréquences et autant au CSA ! Aussi, le risque est que l’État, dépourvu de moyens, confie indirectement le pilotage du déploiement du très haut débit à ces autorités qui n’obéissent à personne, sinon à elles-mêmes.
Les moyens existent : ne serait-il donc pas judicieux de les regrouper dans un établissement public pour le déploiement de la fibre ? Sur une matière aussi déterminante pour l’avenir de notre société, j’en appelle au renforcement de l’État stratège et je réclame que, dans l’esprit qui a présidé à la création de notre commission, ces sujets fassent l’objet d’une évaluation permanente par le Parlement.
Alors même que le numérique envahit tous les moments de la vie par l’augmentation exponentielle de ses usages, il est grand temps que la représentation nationale redonne de la cohérence à tous ces savoir-faire que je viens de rappeler.
C’est pour toutes ces raisons que je souhaite ardemment qu’une grande loi sur le numérique voie le jour le plus rapidement possible, pour traiter des infrastructures, de la fiscalité et, bien sûr, des usages numériques. Leur inscription dans le marbre de la loi confortera ainsi les dispositifs destinés à accompagner l’effort des collectivités territoriales, sécurisées qu’elles seront grâce aux possibilités d’emprunt à long terme à des conditions avantageuses.
Fort de ces avancées et clarifications, le conseil général de l’Oise, que je préside, a fait sien, avec l’esprit pionnier qui le caractérise, les objectifs du législateur en termes d’accès au très haut débit pour tous, afin de renforcer l’attractivité du territoire et lutter contre les fractures territoriales. Nous avons fait le choix de la clarté technologique, celui de la fibre optique. Notre schéma directeur territorial d’aménagement numérique, ou SDTAN, a été adopté à l’unanimité et le syndicat mixte « Oise très haut débit », créé dernièrement, a reçu la même approbation unanime.
Notre ambition pour la France doit s’insérer dans un cadre beaucoup plus large, celui de l’Europe, comme l’ont exprimé avec force Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin, pas plus tard qu’hier, dans une tribune des Échos, intitulée « Pour une Europe des télécoms tournée vers l’investissement ». Cela me laisse penser que le travail que nous avons mené au Sénat n’a pas été inutile ! Je cite nos ministres : « nouveau souffle », « changement de paradigme », « créer les conditions favorables à l’investissement en privilégiant le co-investissement », « nouvelles règles […] simples, stables et visibles » pour « investir dans les réseaux de nouvelle génération à très haut débit » parce que, je cite une fois encore, « le numérique constitue l’un des principaux leviers pour le retour à la croissance de l’Europe ».
Je crois avoir prononcé ces mêmes mots à plusieurs reprises, dans cet hémicycle, devant vous, mes chers collègues ! Je me réjouis de constater que nous nourrissons tous la même ambition d’une économie numérique innovante, porteuse de croissance, d’emplois, et donc d’un avenir meilleur.
Si le numérique est la marque de l’esprit pionnier qui anime les territoires, il en va de même de bien d’autres sujets, sur lesquels les collectivités expérimentent et se rassemblent pour rendre le meilleur service au public. Dans l’Oise, c’est sur ce modèle que fonctionnent le huitième aéroport de France, celui de Beauvais-Tillé, qui voit passer près de 4 millions de voyageurs par an, ou l’établissement public foncier local pour le logement, et je pourrais citer bien d’autres exemples de partenariats fructueux entre les divers échelons territoriaux qui rassemblent leurs moyens financiers, leurs expertises et leurs forces vives au service d’un territoire et de ses habitants.
Comment, dans ces circonstances peut-on encore stigmatiser un prétendu « millefeuille » territorial et appeler à une répartition plus stricte des compétences ? Où est le manque de clarté lorsque les projets avancent grâce aux partenariats féconds que les collectivités savent nouer entre elles ? La clause de compétence générale a fort heureusement été préservée pour les collectivités et je m’en félicite, car c’est bien cette clause qui nous permet d’agir, de corriger des défauts de la législation ou de la réglementation existantes et de pallier également les défaillances de l’État qui n’a plus aujourd’hui les moyens d’embrasser tous les champs de l’action publique.
Enfin, l’application de la loi portant création des emplois d’avenir votée en octobre 2012, engagement fort du Président de la République, doit fournir l’occasion, une fois de plus, de prouver l’inventivité et l’utilité des collectivités locales. Le département de l’Oise s’est engagé avec détermination dans la mise en œuvre de ce dispositif, convaincu qu’il constituait une piste d’avenir. À nos côtés, les communes et le tissu associatif se mobilisent, mais également la région, que nous allons par ailleurs accompagner dans la mise en place du volet « formation » de la loi.
Ce que j’avais appelé il y a quelques mois « le sel des territoires » est plus que jamais d’actualité : les collectivités locales sont des atouts majeurs pour notre pays, nos investissements et notre croissance, dans le cadre de la mise en œuvre du très haut débit, de la mobilité, mais aussi de la lutte pour l’emploi.
C’est la raison pour laquelle, cher président Assouline, j’appelle de mes vœux la constitution, au sein de la commission pour le contrôle de l’application des lois, d’une mission d’évaluation des nombreuses innovations soutenues par les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Pierre Hérisson applaudit également.)