M. Patrice Gélard. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je croyais que les travaux du Sénat se déroulaient normalement les mardi, mercredi et jeudi et, seulement à titre exceptionnel, le lundi et, éventuellement, le vendredi.
Avec cette session extraordinaire, nous atteignons l'insupportable : des réunions sont prévues le lundi, et pratiquement tous les soirs. Nous dépassons – et de beaucoup – les trente-cinq heures hebdomadaires que d’aucuns nous avaient imposées un certain temps ! (M. Bruno Sido applaudit.)
M. David Assouline. Il faut réformer, et vite ! Les Français attendent !
M. Patrice Gélard. On ne peut pas continuer ainsi. Selon moi, l'ordre du jour de la session extraordinaire est extravagant et l'on ne devrait pas s'engager dans une telle voie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Cher collègue, je vous donne acte de votre déclaration.
Y a-t-il d’autres observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
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Enseignement supérieur et recherche
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche (projet n° 614, texte de la commission n° 660, rapport n° 659, avis n° 663, rapport d’information n° 655).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur de la commission de la culture, madame la rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, mesdames les sénatrices – bien présentes ! –, messieurs les sénateurs, le prestige d’une nation, son rayonnement, sa place dans le monde, sa capacité à répondre aux grands défis du présent et à se projeter dans l’avenir se mesurent à la performance de son enseignement supérieur et de sa recherche. (M. Jean-Pierre Chevènement fait son entrée dans l’hémicycle.) Je salue à cet égard celui qui fut l’un de mes prédécesseurs à la tête du ministère de la recherche.
C’est cette conviction qui anime le Gouvernement et qui porte le texte qui vous est présenté. Investir dans la connaissance et pour la jeunesse, c’est faire le pari de l’avenir. C’est faire le pari de la réussite des étudiants, dans un pays où l’ascenseur social est non seulement en panne, mais où il redescend. C’est faire le pari de la compétitivité, dans un monde en pleine mutation économique, sociétale, environnementale.
Dynamiser l'enseignement supérieur et la recherche, c’est anticiper les changements pour en être des acteurs. C’est aider à construire le nouveau « modèle français » porté par le Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement. C’est aussi répondre aux défis du présent.
L’enseignement supérieur est la meilleure arme anti-crise. En mettant tout en œuvre pour élever dès maintenant le niveau de qualification de nos futurs salariés, en préparant dans nos formations les activités et les métiers de demain, en innovant dans les filières d’avenir, en donnant aux jeunes des bases pour mieux comprendre les évolutions du monde et sa complexité, nous participons au redressement national et nous préparons l’« après crise ».
Cette loi a donc pour objectif d’inscrire la France dans le vaste mouvement de renforcement des capacités de formation et de recherche que nous observons à l’échelle internationale.
C’est la stratégie des pays développés et c’est aussi, désormais, la stratégie des pays émergents. L’enseignement supérieur et la recherche y sont élevés au rang de priorités nationales parce qu’ils sont devenus des avantages compétitifs déterminants dans un monde où la connaissance est mondialisée.
Dans ce monde qui bouge vite, nous devons nous adapter et, parfois, savoir nous remettre en cause pour ne pas rester à l’écart.
Je ne vous citerai que quelques chiffres. La stratégie de Lisbonne avait fixé, il y a plus de dix ans, l’objectif de consacrer 3 % du PIB à la recherche et au développement et d’atteindre 50 % de jeunes diplômés du supérieur.
Or, concernant la recherche, nous plafonnons à 2,2 % du PIB depuis dix ans – avec une faiblesse particulière de la part de la recherche relevant du privé – quand l’Allemagne frôle les 3 % et que les pays scandinaves, les États-Unis et le Japon les ont largement atteints. La Corée, pour sa part, dépasse 4,3 % et vise maintenant un objectif de 7 % du PIB consacrés à la recherche, avec une très forte part de recherche privée. Dans le même temps, la Chine et l’Inde rattrapent leur retard à marche forcée…
Quant au nombre de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, l’objectif de 50 % est loin d’être atteint dans notre pays – contrairement à ce que l’on observe dans les pays développés que je viens de citer – tandis que l'Inde veut doubler son nombre d’étudiants d’ici à 2020 et que la Chine est passée en dix ans de un million à 30 millions d’étudiants, et vise les 50 millions d’étudiants d’ici à 2020.
Dans un contexte international à l’évolution aussi rapide, il était urgent de réformer et de moderniser des dispositifs devenus parfois des freins, afin que l’université redevienne notre meilleur atout pour l’avenir. Car, peu à peu, la France s’est laissé distancer. Elle ne peut plus aujourd’hui s’appuyer autant qu’il le faudrait sur son enseignement supérieur et sa recherche pour atteindre ses objectifs de redressement.
Si nous pouvions partager certains objectifs du Pacte pour la recherche de 2006 et de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « LRU », six ans de recul ont révélé des dysfonctionnements graves, dont les causes ont été clairement identifiées au cours des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, puis confirmées par différents rapports, dont celui qu’a remis en janvier dernier Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, missionné par le Premier ministre, ainsi que par le bilan de la loi LRU débattu voilà quelques jours, ici même.
Je ne rappellerai ici que quelques-uns de ces dysfonctionnements, sur lesquels je crois que nous pouvons converger.
Tout d'abord, le taux d’échec en licence est très élevé et la sous-représentation des étudiants issus de milieu modeste est croissante. Ensuite, une frénésie d’appels d’offres s’est abattue sur nos chercheurs et enseignants, avec tous les effets pervers qu’elle comporte : notre recul dans les projets européens, la bureaucratisation de nos chercheurs, la fragilisation de notre recherche fondamentale, une compétition exacerbée qui a laissé de côté des territoires entiers – le Nord, l’Ouest – et sacrifié la coopération, bénéfique à l’échelle de notre pays. J’ajoute la complexité croissante de notre système – un « mikado » selon Vincent Berger, rapporteur des Assises, un « millefeuille », selon le récent rapport de la Cour des comptes –, ce millefeuille auquel la loi LRU et la première vague des investissements d’avenir n’ont pas manqué d’ajouter leur marque sous la forme de quelques strates supplémentaires.
On constate en outre l’affaiblissement de la collégialité, consubstantielle à la culture universitaire, au profit d’une gouvernance trop centralisée, ainsi qu’un transfert incomplet de la masse salariale au passage en RCE - Responsabilités et compétences élargies -, qui s’est finalement transformé en lendemains douloureux pour les universités.
De surcroît, le choix presque idéologique du « tout PPP », le dispositif juridique du partenariat public-privé, a tétanisé les plans campus : à mon arrivée au ministère, cinq ans après leur sélection, aucun des treize projets sélectionnés n’avait été signé, aucun permis de construire déposé, aucun chantier engagé, aucune pierre posée, et seuls 153 millions d’euros de crédits d’études avaient été engagés sur les 5 milliards d’euros annoncés. (Mme Colette Mélot s’exclame.)
Enfin, des impasses budgétaires ont été signalées par la Cour des comptes dans le budget de 2012, à hauteur de 400 millions d’euros, dont le dixième mois de bourse, qui n’a jamais été budgétisé avec sincérité.
Il fallait donc agir. C’est pourquoi le texte dont nous allons débattre n’est pas une loi de plus, ni une loi de trop, encore moins une loi pour rien.
C’est une loi d’orientation, qui fixe un cap ambitieux : élever le niveau de qualification de notre pays en parvenant à diplômer 50 % d’une génération. Pour nous, je le dis, l’autonomie n’a de sens qu’au service de l’accès et de la réussite dans l’enseignement supérieur. Nous définissons donc un objectif quantitatif, associé à la qualité.
C’est une loi qui marque aussi un changement de méthode, avec le retour au dialogue et à la confiance. Elle s’appuie sur des Assises territoriales et nationales, ouvertes à l’ensemble des forces vives, avec six mois de concertation, 20 000 participants sur les territoires, 1 300 contributions écrites, 200 auditions, vingt-six heures de commissions et trente heures de débat à l’Assemblée nationale, plusieurs présentations au Sénat.
On ne réforme pas sans un état des lieux et des orientations partagées, encore moins en tenant, à l’encontre du service public de la recherche, un discours comme celui qui a profondément choqué toute la communauté académique en janvier 2009.
M. Philippe Bas. Madame la ministre, je vous en prie…
Mme Geneviève Fioraso, ministre. C’est une loi qui vise à décloisonner notre système et qui s’attaque aux divisions historiques qui le traversent, en traitant ensemble, pour la première fois, l’enseignement supérieur et la recherche, porteurs des mêmes enjeux pour notre avenir.
C’est enfin une loi d’ouverture de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la société, sur les écosystèmes économiques, sociaux, culturels, institutionnels. Elle n’enferme pas l’enseignement supérieur sur lui-même. Ce qui compte, c’est bien l’avenir des jeunes, la formation tout au long de la vie des salariés, la qualité de toute la recherche. Nous avons besoin, pour eux, de toutes les compétences disponibles, et elles sont là.
Cette loi, en résumé, s’appuie sur les continuités indispensables à la sérénité, organise les rééquilibrages nécessaires et introduit des changements porteurs d’avenir.
Continuité d’abord, dans la priorité que nous accordons à l’université et à sa place au sein de l’enseignement supérieur. Continuité aussi à l’égard de l’autonomie, qu’Edgar Faure avait fait adopter il y a plus de cinquante ans, qu’Alain Savary a amplifiée en 1984 et qui n’a jamais été remise en cause depuis. C’est un acquis précieux, mais il implique une double responsabilité, celle d’un État stratège et celle des établissements eux-mêmes. Pour réussir l’autonomie, il faut l’accompagner.
Rééquilibrage ensuite, car la gouvernance hypercentralisée issue de la LRU rendait indispensable le retour à une collégialité et à une démocratie qui n’empêchent pas la performance. Les personnalités extérieures, désignées par la loi de façon incontestable, deviennent des administrateurs à part entière en participant pour la première fois à l’élection du président.
Rééquilibrage, aussi, avec des regroupements d’universités. C’est ici la volonté de travailler ensemble qui nous importe, pas le modèle, qui sera librement choisi par les sites, en fonction de leur maturité et de leurs spécificités – fusion, fédération, confédération, association – mais avec un dénominateur commun, une stratégie coordonnée de toutes les composantes d’une académie, sans laissé-pour-compte.
Rupture, enfin, d’avec la faiblesse d’un État démissionnaire. La loi combine la dynamique des écosystèmes territoriaux et celle d’un État stratège, un État qui ne se contente pas de réguler et qui affirme la politique universitaire et scientifique de la France et la valorise à l’international.
Rupture encore avec l’opposition stérile trop longtemps opérée entre la recherche fondamentale et l’innovation. La recherche fondamentale de long terme, qui a son rythme, est un fleuron, au cœur de notre stratégie scientifique nationale. Cependant, notre point faible reste la transformation de l’invention de laboratoire en innovation créatrice de savoirs et d’emplois.
M. Bruno Sido. Absolument !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. C’est pourquoi la loi reconnaît désormais le transfert, dans une acception large, comme une mission de service public. J’y reviendrai.
Finalement, et peut-être avant tout, il fallait que cette loi se concentre sur les priorités, celles qui peuvent aider notre pays à se remettre en mouvement et à se maintenir dans le peloton de tête des grandes nations. Elles sont simples, mais elles sont essentielles : la réussite des étudiants et une nouvelle ambition pour notre recherche.
La majorité précédente s’était contentée de faire de la réussite étudiante un slogan, et les 730 millions d’euros du plan « Réussite en licence » ont eu pour seul résultat un recul de 5 % du taux d’obtention de la licence en trois ans, qui est passé de 37,5 % à 33 %. À titre comparatif, l’Allemagne obtient un taux de réussite de 60 % dans les filières non sélectives.
Selon la Cour des comptes, le manque de pilotage et de suivi sont à l’origine de cet échec. Il y a donc un problème. Voilà pourquoi le Gouvernement a voulu consacrer les 5 000 postes qui seront créés en cinq ans prioritairement à la réussite en premier cycle. La création de mille postes par an représente un effort considérable dans un contexte budgétaire que tout le monde connaît, mais nous considérons que l’amélioration de l’encadrement et le suivi plus personnalisé sont des priorités pour lutter contre l’échec.
Le taux d’encadrement en France est en moyenne de un enseignant pour seize étudiants, alors qu’il est de un enseignant pour onze étudiants en Allemagne, un pays comparable au nôtre, et nous sommes en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE en la matière, qui est de un enseignant pour près de quinze étudiants. Cette moyenne masque mal des disparités criantes entre universités, en fonction de leur ancienneté ou de leur dominante disciplinaire : le taux d’encadrement varie de un à cinq selon les situations – de un enseignant pour dix étudiants jusqu’à un enseignant pour cinquante-sept étudiants –, notamment du fait du sous-encadrement des premiers cycles.
Au moment où leur taux de chômage atteint 25 %, nous devons plus que jamais donner aux jeunes de meilleures chances de s’insérer professionnellement grâce à des études réussies, avec une formation adaptée à l’évolution des métiers. Je rappelle que 680 000 postes par an ne sont pas pourvus, faute des qualifications correspondantes.
Nous avons décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps, d’autant que ce sont les jeunes issus des milieux les plus défavorisés, les plus modestes, de moins en moins nombreux à poursuivre des études longues, qui peinent le plus à trouver un emploi. Notre objectif, c’est d’amener 50 % d’une classe d’âge à un diplôme du supérieur, alors que nous n’en sommes aujourd’hui, je l’ai dit, qu’à un petit 37 % pour les bac+3.
Favoriser la réussite des parcours étudiants, ce n’est pas un supplément d’âme, c’est le cœur de la politique universitaire, mais c’est un défi considérable pour quel la loi actionne tous les leviers de la réussite.
La priorité, c’est d’aider les parcours de ceux qui souffrent le plus des conséquences d’une orientation par défaut : 3,5 % de réussite en licence pour les baccalauréats professionnels et 9,5 % pour les baccalauréats technologiques, qui se retrouvent la plupart du temps à l’université, faute d’être acceptés en section de technicien supérieur, STS, ou en institut universitaire de technologie, IUT, leur premier souhait en majorité. C’est d’autant plus intolérable que ces jeunes sont souvent issus de familles modestes auxquelles l’investissement dans les études, en dépit des bourses, demande beaucoup d’efforts.
La clé de la réussite, c’est bien une orientation choisie, et non une orientation subie.
Tel est le sens de la mesure d’orientation prioritaire des baccalauréats professionnels en STS et des baccalauréats technologiques en IUT. Il ne s’agit pas, comme je l’ai entendu, de mettre en péril des filières dont chacun reconnaît les mérites et la réussite.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. J’ajoute que les IUT peuvent être rassurés par les excellents résultats des baccalauréats technologiques qu’ils accueillent : 68 % de réussite en moyenne au diplôme universitaire de technologie, DUT, la moyenne générale se situant autour de 70 %. Nous avons choisi, par un dispositif de quotas négocié par académie, par établissement et par domaine, de prendre en compte les spécificités des différents établissements.
Au contraire, en redonnant aux STS et aux IUT leur vocation initiale de filière professionnelle et technologique, nous préparons les techniciens et ingénieurs de la réindustrialisation de notre pays, grâce aux passerelles qui permettent, après l’obtention d’un DUT, de poursuivre des études.
Au Salon du Bourget, où je me trouvais lundi dernier, en raison de ma compétence en matière de politique de l’espace, la filière aéronautique et spatiale témoignait de sa difficulté à trouver du personnel technique qualifié. Il est plus que temps d’accorder toute notre considération à ces emplois, ce qui demande un changement de culture,…
M. Bruno Sido. C’est vrai !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. … en assurant un parcours de réussite aux baccalauréats professionnels et technologiques, et en accordant toute leur valeur aux filières professionnelles et technologiques – et je m’exprime devant un ancien ministre qui, en son temps, l’avait fait.
Ensuite, pour préparer les lycéens à la réussite en licence, le projet de loi prévoit de mieux les informer, dès le lycée, sur ce qu’ils découvriront à l’université et de les accompagner dans cette transition souvent délicate. C’est le dispositif bac-3/ bac+3 dans lequel mon ministère s’est déjà engagé avec le ministère de l’éducation nationale.
Le service public est en effet le réseau de ceux qui n’en ont pas ; il doit être là pour accompagner et aider à construire un projet d’orientation.
Il faut adapter notre système aux jeunes, alors que c’est l’inverse aujourd’hui. Savez-vous qu’un jeune qui fait son premier clic sur le système « Admission Post Bac » est confronté à 11 000 formations et qu’un nouveau métier s’est créé, celui de coach privé pour accompagner les familles dans ce maquis ?
Mme Maryvonne Blondin. C’est vrai !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. J’ai l’ambition, avec le ministère dont j’ai la charge, de créer des emplois, mais sûrement pas de ce type ! (Mme Colette Mélot s’exclame.)
Mme Sophie Primas. Parce que ce n’est pas moral ?...
Mme Geneviève Fioraso, ministre. Autre point, la loi encourage une orientation progressive, parce que l’échec est souvent dû à une spécialisation précoce. Beaucoup de jeunes savent ce qu’ils ne veulent pas faire mais n’ont pas encore défini leur avenir professionnel.
La réforme du premier cycle de licence prévue à l’article 17, qui introduit la spécialisation progressive, comme cela se fait déjà dans de nombreux pays, aidera l’étudiant à préciser son projet professionnel. Elle facilitera les réorientations sans redoublement et donnera aux jeunes un socle de connaissances plus large, pour mieux les armer face aux mutations de plus en plus rapides de la vie professionnelle.
Dans ce même esprit, l’article 22 propose une expérimentation qui réduira le taux d’échec en PACES, la première année commune aux études de santé, en améliorant le dispositif de réorientation précoce, là aussi pour éviter des échecs, bien souvent traumatisants parce qu’ils correspondaient à une vocation. Les expérimentations permettront en outre de diversifier le recrutement des futurs professionnels via des filières entrantes depuis certaines licences. Nous sommes, là encore, les seuls au monde à sélectionner de façon aussi rigide nos futurs médecins, qui plus est sur le fondement de questionnaires à choix multiples, y compris pour les sciences humaines et sociales.
Le quatrième axe de la réussite étudiante, ce sont la simplification et la lisibilité de l’offre de formation. Cette lisibilité renforcera aussi notre attractivité à l’international. Reconnaissons ensemble que les progrès de la réforme LMD, ou licence-master-doctorat, de 2002 n’ont pas permis d’éviter l’éparpillement de l’offre de formation, soit 2 400 licences professionnelles, 1 300 licences générales, 7 700 masters, si l’on additionne les mentions et les spécialités, et plus de 10 000 si l’on ajoute ceux qui sont habilités par les écoles.
Plus personne ne se retrouve dans un tel maquis et, une fois encore, ceux qui ne disposent pas des réseaux de décryptage en sont les premières victimes.
La simplification, qui passe par une accréditation et une nomenclature simplifiée, est déjà bien engagée par le ministère, en dialogue avec les acteurs concernés, en responsabilisant les sites et, ce faisant, en amplifiant l’autonomie au sein d’une nomenclature régulée par l’État. Elle ne se fera pas au détriment des matières rares, qui seront préservées.
La loi favorisera les innovations pédagogiques, qui seront intégrées aux contrats avec les établissements. Cela commence avec la formation des enseignants eux-mêmes. Enseigner est un métier qui s’apprend, dans le secondaire comme dans le supérieur. Nous avions semblé l’oublier, au mépris de l’évidence, et la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, va y remédier.
M. Jacques-Bernard Magner. Très bien !
Mme Geneviève Fioraso, ministre. L’innovation pédagogique, c’est aussi le suivi individualisé, ce sont les projets professionnels personnalisés, la généralisation du tutorat, l’interaction entre enseignants et étudiants. À cet égard, nous connaissons tous les réussites du Québec où sont présents l’ensemble de ces éléments d’innovation pédagogique.
C’est enfin le numérique.
La France est très en retard dans l’introduction du numérique à l’université. Le Royaume-Uni, par exemple, a développé depuis quinze ans une université virtuelle qui figure parmi les cinq premières du pays en termes de qualité.
Nous devons progresser. Les articles 6 et 16 de ce texte introduisent l’obligation de rendre disponibles, sous forme numérique, la plupart des enseignements auxquels ce format est adapté.
Par ailleurs, un plan numérique ambitieux, France Université numérique, est en cours d’élaboration en partenariat avec des programmes européens et en cohérence avec le plan préparé par l’éducation nationale. Là encore, nous instaurons un continuum entre le secondaire et l’université.
J’ai aussi voulu que l’insertion professionnelle des étudiants, déjà inscrite dans la loi, soit traitée avec le même soin que les autres missions de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est la raison pour laquelle je souhaite doubler l’alternance.
Aujourd’hui, notre enseignement supérieur pratique 8 % d’alternance en moyenne et 4 % seulement à l’université, contre plus de 20 % en Allemagne.
Il est possible de multiplier ce chiffre par deux d’ici à 2020, puisque certaines universités françaises, beaucoup trop rares malheureusement, dépassent déjà les 20 % dès le premier cycle. Je pense, par exemple, à Marne-la-Vallée.
L’insertion professionnelle est également favorisée par les stages, que le projet de loi veut à la fois encourager et encadrer. Plutôt que de les concentrer en fin d’études, c’est-à-dire à un moment où ils retardent souvent l’embauche, je souhaite les développer en premier cycle, quand ils peuvent venir confirmer ou réorienter le projet de formation des étudiants.
Les dispositifs d’encadrement, qui en sont la contrepartie indispensable, ont été renforcés au cours des débats à l’Assemblée nationale : afin d’éviter les effets d’aubaine, les stages seront obligatoirement intégrés à une formation, limités à six mois. De plus, les étudiants devront être accompagnés dans leurs démarches de recherche par les universités. Cela permettra en outre de renforcer le lien entre universités et écosystèmes.
Enfin, chacun sait à quel point les conditions de vie des étudiants impactent leur parcours universitaire et leur réussite. Nous avons agi dès notre arrivée en augmentant de 7,7 % le budget 2013 de la vie étudiante, en finançant durablement le dixième mois des bourses, dont le montant a été actualisé au niveau de l’inflation en 2012 et en 2013, et en lançant une étude sur l’impact des aides afin d’améliorer le dispositif global.
Pour augmenter l’offre de logement étudiant, tout à fait déficitaire, j’ai débloqué les plans campus et leur potentiel de 13 000 logements en diversifiant les procédures et j’ai engagé une programmation pour tenir l’engagement présidentiel de 40 000 logements étudiants supplémentaires en cinq ans, soit 8 000 par an - 20 000 sont déjà programmés.
Par ailleurs, le plan national pour la vie étudiante, actuellement en préparation, prévoit l’ouverture d’ici à la fin de l’année 2014 d’une trentaine de centres de santé universitaires et une réforme des aides directes aux étudiants.
Je viens d’évoquer notre première priorité, la réussite étudiante. Je voudrais maintenant vous parler de la seconde : notre ambition pour la recherche.
La recherche est au cœur du redressement de la France. Il ne s’agit pas d’une incantation : à chaque fois que je visite une entreprise dynamique - quelle que soit sa taille ou son ancienneté - ou que je rencontre une filière qui embauche, je constate que leur marche en avant est liée à l’innovation, laquelle provient la plupart du temps de notre recherche publique.
De même, quand je me rends dans les pays émergents ou en Europe, aux États-Unis ou au Japon, je vois à quel point la qualité de notre recherche fondamentale est reconnue et enviée et je comprends pourquoi des pays comme la Corée, Singapour, l’Inde, le Brésil font tant de propositions à nos chercheurs en recherche fondamentale. Nous devons donc protéger notre recherche, dans toute sa diversité.
Pour commencer, dès 2013, dans un contexte particulièrement contraint, l’enseignement supérieur et la recherche ont été préservés, avec une hausse globale de leur budget de 2,2 % ; le rapport Gallois préconise de poursuivre ces efforts.
Il est donc de notre responsabilité d’entretenir ce patrimoine collectif précieux et c’est pour cela que l’État doit reprendre, avec les acteurs de la recherche, la maîtrise de son orientation et de sa programmation, qui ne doit pas être dévolue par défaut à une agence.
Notre objectif est d’assurer à notre pays sa place dans l’espace européen de la recherche. Nous pouvons être fiers de nos prix Nobel, de nos médailles Fields, fiers de nos contrats européens ERC – pour European Research Council ou Conseil européen de la recherche - pour les jeunes chercheurs, fiers de nos partenariats scientifiques internationaux dans tous les domaines.
Toutefois, si nous nous classons au sixième rang mondial pour la recherche scientifique, nous ne figurons, selon les critères, qu’entre le quinzième et le vingt-deuxième rang en matière d’innovation.
Ce fossé, que certains appellent « la vallée de la mort », illustre bien la tâche qu’il reste à accomplir pour traduire en emplois les formidables travaux et inventions de nos laboratoires.
Les supports de cette nouvelle ambition sont triples – et vous le constaterez au travers des articles 9, 10, 11, 12, 13 et 53 : définir un agenda stratégique de la recherche France Europe 2020, préserver la recherche fondamentale et développer le passage de l’invention à l’innovation, créatrice d’emplois, en reconnaissant le transfert.
Pour suppléer l’État, l’Agence nationale de la recherche - l’ANR - avait dû s’improviser depuis quelques années programmateur de la recherche en France. Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni définissait son programme Eight Great Technologies, l’Allemagne, pourtant État fédéral, sa High Technology Strategy, le Japon son programme Rebirth Japan – une « renaissance » post-Fukushima - et les États-Unis leurs initiatives d’Advanced manufacturing, c’est-à-dire de réindustrialisation avancée et innovante.
Nous avons vu les premiers résultats de ces démarches extrêmement volontaristes de pays qui résistent mieux que nous à la crise. En anticipant sur le projet de loi, j’ai donc mandaté les cinq grandes Alliances - une bonne mesure qui fut instituée par mes prédécesseurs, je tiens à le souligner - pour la santé, l’environnement, l’énergie, le numérique et les sciences humaines et sociales. Je leur ai demandé, pour la première fois, de formuler d’ici à la fin de l’année les axes de recherche jusqu’en 2020 afin de répondre aux grands défis de notre pays en matière de santé, de sécurité alimentaire, de gestion sobre des ressources, d’adaptation au changement climatique, de transition énergétique, de mobilité et de villes durables, de développement de l’économie numérique et des technologies spatiales et enfin de réindustrialisation des territoires.
Ils formeront l’agenda stratégique de notre recherche France-Europe 2020, harmonisé avec le programme européen Horizon 2020. Le Conseil stratégique de la recherche coordonnera cet agenda, en lien avec le Premier Ministre et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ; il se substituera à deux conseils existants qui n’ont pas été sollicités et sera évalué et réorienté régulièrement, avec l’appui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, afin de mieux partager ces enjeux décisifs.
Il ne s’agit pas pour autant, comme je l’ai entendu, de se fonder sur une conception utilitariste de la recherche. La recherche fondamentale, de long terme, risquée et exploratoire, produit un développement du savoir souvent imprévisible, voire imprédictible, mais qui a été à l’origine de toutes les ruptures majeures de nos sociétés. Je l’ai dit, elle reste l’un de nos points forts.
Je veux simplement rappeler que le CNRS est, de loin, le premier publiant au monde, avec plus de 120 000 publications par an, et des publications de grande qualité. Nous devons absolument préserver notre recherche fondamentale. Dès 2012, j’ai mis en place des programmes pluriannuels au sein de l’ANR et réorienté 60 millions d’euros d’appels à projets vers des crédits récurrents. De même, en amont, les recherches disciplinaires dans lesquelles nous excellons, par exemple la physique, les mathématiques ou les sciences humaines et sociales, seront protégées.
Notre faiblesse reste cependant le transfert, c’est-à-dire le passage de l’invention à l’innovation créatrice d’emplois. La part de notre recherche technologique, outil privilégié du transfert de la recherche vers l’industrie, est inférieure à 10 % de la dépense intérieure de recherche et développement, alors qu’en Allemagne, au Japon, aux États-Unis, en Corée, en Israël, elle dépasse 20 %.
L’innovation est à l’origine de 80 % des emplois créés aujourd’hui en Europe. Nous devons absolument l’encourager en France, et dans tous les secteurs. Cela va du milieu associatif à l’économie sociale et solidaire, mais aussi des milieux de la haute technologie à l’industrie, et ce quelle que soit la taille des entreprises dans lesquelles cette innovation est diffusée.
La loi sur l’innovation de 1999 avait inscrit, avec un vote unanime, la valorisation de la recherche, les brevets, le statut du chercheur créateur d’entreprise innovante dans notre droit positif. Je propose, en continuité et en complément, d’inscrire le transfert dans les missions du service public de la recherche, chaque fois que cela est possible.
De même, la formation à l’entreprenariat et, surtout, l’incitation à travailler en équipe vont être introduits dans le contenu des enseignements à l’université. Nous savons qu’il s’agit du point faible de notre système éducatif en général. Cette notion de transfert pourra d’ailleurs, au cours du débat, être élargie et précisée, j’y suis tout à fait ouverte.
L’article 55 du texte améliore l’accès aux brevets issus de recherches conduites sur fonds publics, avec une priorité donnée aux PME et à la diffusion en Europe. J’ai lancé, en parallèle, une action « LabCom » dont le but est de financer les projets partenariaux entre la recherche publique et cent PME à fort potentiel de croissance. Un plan Transfert, présenté en conseil des ministres en décembre dernier, complète la loi sur ce point.
Enfin, pour valoriser la recherche et susciter des vocations aujourd’hui trop rares – sait-on que 41 % de nos docteurs sont étrangers ? - le doctorat doit être reconnu à sa juste valeur.
Je souhaite que les entreprises s’appuient davantage sur les compétences de la recherche publique et accordent la place qu’ils méritent aux docteurs – des négociations sont en cours avec les branches professionnelles à ce sujet – et qu’ils accordent aussi à ces derniers le bénéfice de qualités assez rares - créativité, compétence de haut niveau, travail en profondeur, sens critique, autonomie dans le travail - en reconnaissant leur diplôme dans les grilles de compétences et de salaires.
L’État, de son côté, doit donner l’exemple. Ce projet de loi prévoit la reconnaissance du doctorat dans toute la grille de la fonction publique, qu’elle soit d’État, territoriale ou hospitalière, et facilite l’accès des docteurs aux corps de la haute fonction publique. Il y a des résistances, c’est indéniable, mais je crois qu’il faut savoir faire évoluer les choses au nom de l’intérêt général.
Une politique offensive de l’emploi scientifique vient en appui des ambitions de ce texte. Il ne s’agit pas d’une loi de programmation, certains le regrettent. Toutefois, notre politique ne fait pas l’impasse sur la question des moyens que nous mettons au service de nos priorités : la réussite des étudiants et la résorption de la précarité dans la recherche.
L’engagement présidentiel de 5 000 créations de postes dédiés à la réussite en premier cycle au cours du quinquennat est inscrit dans le projet de loi pluriannuel de décembre 2012, ainsi que dans le projet de loi sur la refondation de l’école de la République.
Un plan de résorption de la précarité, très volontariste, est engagé : 2 100 personnels des universités seront titularisés chaque année pendant quatre ans, de façon à résorber l’ensemble des postes précaires, 8 400 ; le recours de l’ANR aux contrats à durée déterminée a été plafonné pour éviter de reconstituer mécaniquement le flux des emplois précaires ; un agenda social a été mis en place avec les organismes, à qui nous avons demandé de maintenir un équilibre entre l’ouverture de postes pour les jeunes chercheurs, notamment pour insérer plus rapidement les « post-doc », et la titularisation de ceux qui enchaînent aujourd’hui CDD sur CDD.
Au service de la réussite étudiante et de la recherche, la loi veut enfin développer l’ouverture à l’international.
Afin de faire rayonner notre recherche et notre enseignement supérieur au niveau international, nous devons d’abord agir auprès de ces millions de jeunes qui seront demain des décideurs dans leur pays. C’est pour cela que la loi facilite l’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités.
Cette mesure a fait couler beaucoup d’encre mais le débat parlementaire a permis de prendre en compte et de lever bon nombre d’inquiétudes qui s’étaient exprimées.
Ce que nous voulons, c’est accueillir des jeunes qui ont une envie de France, des francophiles, pour qu’ils deviennent, in fine, des francophones. Nous ne devons pas faire de la maîtrise de notre langue un a priori ou une barrière. Il s’agira, en revanche, d’une condition pour l’obtention du diplôme, tandis que certains enseignements seront délivrés en partie en anglais pendant le premier temps des études.
Les grandes écoles l’ont bien compris : sur les 790 formations en anglais recensées, seules 190 sont dispensées à l’université. C’est pourtant là que les jeunes en auraient le plus besoin, car ils disposent de moins de réseaux et d’une moindre maîtrise des codes internationaux que leurs homologues inscrits dans les écoles.
La loi permettra ainsi de régulariser et d’équilibrer les dérogations à la loi Toubon, mais en aucun cas ne remettra en cause la primauté de l’enseignement en français, ni même la francophonie. Il s’agit, au contraire, d’élargir le socle de la francophonie auprès de jeunes, notamment des pays émergents, qui ne viennent pas aujourd’hui dans notre pays en raison de l’obstacle de la langue. Je pense en particulier à ceux qui veulent se diriger vers les formations scientifiques ; les littéraires, eux, font bien entendu l’effort d’apprendre notre langue.
C’est ainsi que nous soutiendrons le rayonnement de notre culture et que nous en multiplierons les ambassadeurs. Dans le même temps, j’ai engagé des partenariats plus équilibrés que par le passé avec les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne pour consolider nos liens et, par là même, la base de la francophonie.
En conclusion – toute provisoire (Sourires.) -, ce projet de loi fixe un cap et veut redonner du souffle, de l’élan à l’enseignement supérieur et à la recherche dans notre pays.
Notre potentiel est immense dans nos territoires, nos établissements, nos laboratoires, parmi nos enseignants, nos chercheurs, mais aussi nos agents administratifs et techniques qui font vivre notre service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Oui, le monde que nous connaissons est en pleine mutation. Oui, la France doit faire face à des changements rapides et profonds, dictés par des équilibres internationaux nouveaux et qui nous lancent des défis sociaux, environnementaux et économiques tout à fait inédits. Oui, le Gouvernement a engagé un redressement national, porteur de solutions à tous ces défis.
Nous pouvons y parvenir : cela suppose de renforcer nos capacités de formation, de recherche et d’innovation en ayant pour principale préoccupation la préparation de l’avenir de notre jeunesse, celle d’aujourd’hui et de demain.
Ce projet de loi veut contribuer à construire une société de progrès, fondée sur la formation, la recherche et les valeurs d’universalité et d’humanisme qui les animent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bruno Sido applaudit également.)