M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Madame la ministre, le système de retraite est l'un des indicateurs d'un modèle social. Celui que nous avons mis en place voilà déjà quelque temps dans notre pays est fondé sur la solidarité entre générations. Il connaît des difficultés, et cela depuis un certain nombre d’années.
Celles et ceux qui l'ont préservé et défendu se sont trouvés dans les gouvernements d'Édouard Balladur, de Jacques Chirac, de Jean-Pierre Raffarin puis, en 2003, sous l'autorité de Nicolas Sarkozy, de François Fillon.
Beaucoup a été fait, mais une certaine réalité, liée à notre taux d'activité, notre démographie et notre situation économique et sociale, nous oblige à poursuivre et à approfondir encore les réformes engagées.
Au fond, il faut inverser ce qui a été décidé sans étude prospective, en vertu d'un choix purement politique : la mise en œuvre de la proposition n° 82 de François Mitterrand, en 1981, c'est-à-dire la retraite à 60 ans. C'était sympathique et, pourtant, des élus aussi peu réactionnaires que Philippe Seguin et Jacques Chaban-Delmas avaient prévenu. Je cite ce dernier : « Par les coûts supplémentaires qui pèseront sur les régimes de retraite déjà en difficulté, le Gouvernement prend le risque de compromettre l'avenir. »
Il est aujourd'hui nécessaire, à contre-pied d'une attitude constante de la gauche depuis vingt ans, d'étudier l'augmentation de la durée de cotisation et de tendre à la contribution de tous…
Mme Annie David. Oui, parlons-en !
M. Gérard Larcher. … avec la convergence progressive des trente-cinq systèmes.
Pour être attaché à l'équité, j’aurai le courage de parler du report de l'âge – mais en prenant en compte la pénibilité et le taux d'activité des seniors, qui sont de vrais sujets –, de la convergence progressive des régimes publics, privés et spéciaux de retraite, sans oublier que certains fonctionnaires, notamment territoriaux, ont des retraites modestes.
Pour ma part, je refuse de considérer la désindexation comme un paramètre. Or nous voyons bien que ce sujet est entré subrepticement dans le cadre de la négociation AGIRC-ARRCO. Cela étant, sans doute une indexation sur la croissance s’imposera-t-elle.
Vous-même l'avez dit, madame la ministre : quand on vit plus longtemps, on peut travailler plus longtemps. Dès lors, ma question est double.
Appliquerez-vous le dispositif de la loi de 2010 – introduit ici – sur la réforme systémique, qui impose que nous mettions en place des groupes de travail cette année ? Certes, il faudra du temps pour y parvenir, mais je crois, comme la CFDT, qu’il y a là une voie qui répond à un souci à la fois de pérennité et d'équité.
Éviterez-vous de paupériser les retraités ?
Vous êtes au pied du mur, madame la ministre, et ce que vous n’avez pas fait en nous accompagnant depuis vingt ans, il va falloir, aujourd'hui, le faire sans faux-fuyants ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le sénateur, le Gouvernement n’a pas l'intention de prendre quelque chemin de traverse que ce soit. Il n’a pas, non plus, l’intention de se laisser dicter une réforme par ceux-là mêmes qui, il y a deux ans, prétendaient relever l'ensemble des défis rencontrés par nos régimes de retraite alors que nous nous trouvons aujourd'hui face au constat implacable d’un déficit qui s’accroît et d'une justice sociale battue en brèche !
Mme Catherine Procaccia. Ç’aurait été pire sans notre réforme !
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement mettra en place la concertation nécessaire pour proposer une réforme globale qui ne soit pas qu’une réforme comptable – car une telle réforme ne permet pas de répondre aux grands enjeux liés à la question de la retraite –, mais qui inscrive dans la durée à la fois nos régimes de retraite par répartition et la solidarité entre les générations.
M. Vincent Eblé. Très bien !
M. Philippe Bas. Chacun doit faire sa part du chemin !
Mme Marisol Touraine, ministre. À l'occasion de la réforme qui s’engage, le Gouvernement veut que soit garanti le financement de l'ensemble des régimes de retraite d'ici à 2020 et que la confiance dans l'avenir de nos systèmes de retraite soit donnée – ou rendue – aux jeunes générations en introduisant des mécanismes de financement des différents régimes à un horizon plus lointain et en envisageant des dispositifs qui permettent un examen régulier de leur situation financière.
Enfin, cette réforme doit intégrer des mesures de justice, car nous sommes aujourd'hui confrontés à des personnes qui ont de toutes petites retraites ; je pense en particulier à certains agriculteurs, ainsi qu’à ceux et surtout à celles qui ont eu des carrières hachées.
C'est cette vision globale que nous voulons porter pour le système de retraite par répartition. La réforme que nous engageons, monsieur le sénateur, entraîne évidemment une remise à plat des systèmes existants et de la réforme de 2010.
Voilà le travail que, avec les partenaires sociaux, nous avons lancé, afin que l'ensemble de nos concitoyens, en particulier celles et ceux qui s’interrogent aujourd'hui sur l'avenir de leur retraite, puissent compter sur des pensions d'un niveau satisfaisant, leur permettant d'envisager le futur avec sérénité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, pour la réplique.
M. Gérard Larcher. Madame la ministre, au-delà des mots, la nécessité de prendre des décisions va se faire jour. Et, pardonnez-moi, ces décisions ne pourront se réduire à un ensemble de paroles sympathiques et chaleureuses. Des réalités s’imposeront, parmi lesquelles se trouvera la convergence nécessaire des systèmes de retraite, de même que s’imposera la réflexion sur la contribution des uns et des autres.
La réalité, c’est aussi le fait que, à partir du moment où la compétitivité et l'emploi sont en jeu, on ne peut peser davantage ni sur les entreprises ni sur les salariés, et cette réalité-là, nous ne pourrons pas la contourner.
Aussi attaché que je sois au système de retraite par répartition, je pense que nous devons refonder progressivement le système. Cela ne se fera pas en un tour de main, mais si nous ne le faisons pas – alors que nous en avons collectivement décidé le principe en 2010 –, nous aurons manqué ce rendez-vous.
Quoi qu'il en soit, vous êtes au pied du mur : si vous prenez les bonnes décisions, nous les soutiendrons, mais si vous prenez des chemins de traverse, vous nous trouverez en travers de ces chemins-là !
M. Jacky Le Menn. Heureusement que vous êtes là pour nous rappeler les réalités ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la ministre, selon le Conseil d'orientation des retraites, le besoin de financement des retraites se creusera régulièrement jusqu’en 2020, pour atteindre 20 milliards d’euros.
Ce déséquilibre est lié au vieillissement de la population, au chômage, mais aussi à l’iniquité persistante du système – des trente-cinq systèmes différents, devrais-je dire.
Avec des différences de taux de cotisation, d’âge d’ouverture des droits, de durée de cotisation ou de salaire de référence, le calcul des pensions demeure très variable, ce qui engendre, bien sûr, un profond sentiment d’injustice.
C’est particulièrement vrai lorsque l’on compare le régime général aux régimes de la fonction publique et aux régimes spéciaux, qui coûtent plusieurs milliards d’euros – de 6 à 9 milliards, selon les évaluations – par an aux contribuables et aux autres assurés sociaux.
M. Jean-Louis Carrère. Vous n'avez pas eu le courage d'y toucher !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. C’est pourquoi les membres du groupe centriste demandent depuis plus de dix ans la réforme structurelle consistant à remplacer l’annuité par le point, seul moyen de rendre le système par répartition équitable, universel et juste. Par exemple, il permet de prendre en compte la pénibilité du travail et, pour les femmes, les congés de maternité.
Il en est résulté une certaine évolution dont, sous notre impulsion, il a été pris acte dans la loi de 2010 – M. Gérard Larcher vient de la rappeler –, dont l'article 16 dispose que, « à compter du premier semestre 2013, le Comité de pilotage des régimes de retraite organise une réflexion nationale » sur ce thème. Madame la ministre, qu’en est-il ?
La réforme qui se profile sera celle de l’équité et de la justice, annoncez-vous. Au vu des indiscrétions sur le contenu du rapport Moreau et des réactions qu’il a déjà suscitées, il vous faudra du courage, madame, pour affronter vos propres alliés sur ce point…
M. Jean-Louis Carrère. Il y a aussi ceux qui souhaitent que la réforme échoue !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Dans ces conditions, madame la ministre, allez-vous suivre la voie tracée par vos prédécesseurs – celle des ajustements paramétriques qu’il faut revoir tous les cinq ou six ans – ou allez-vous écouter les réformistes de tous bords, de plus en plus nombreux, qui, à l'instar de la CFDT, demandent une réforme systémique profonde, seule capable d'assurer la pérennité financière du système par répartition et de répondre aux critères de justice et d’équité qui sont les vôtres, mais aussi les nôtres ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le sénateur, je reconnais que le groupe UDI-UC et vous-même défendez avec constance l'idée d'un système par points, ce qui n’est pas le cas de tous ceux qui, aujourd'hui, se saisissent de cette possibilité pour inventer une opposition au Gouvernement.
M. Gérard Larcher. Pas du tout ! Nous l'avons voté !
Mme Marisol Touraine, ministre. Non ! Ce qui a été voté, ce n’est qu’une étude ! Je me souviens d’ailleurs des débats de 2010 : le groupe UMP avait marqué son opposition résolue à cette perspective. Sans quoi, d'ailleurs, la réforme de 2010 aurait pu s’engager tout simplement dans cette voie… (Protestations sur les travées de l'UMP et exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le sénateur, je vous reconnais donc une grande constance et je suis en mesure de vous assurer qu’à l'occasion de la réforme, pour laquelle le Gouvernement engage des concertations, toutes les options que les partenaires sociaux souhaiteront présenter pourront faire l'objet de discussions.
Il reste que le système par points est parfois présenté – pas par vous, certes – comme une solution miracle, qui permettrait de dépasser les difficultés auxquelles nous sommes confrontés en matière de financement. Or l'exemple suédois, fréquemment cité, montre que les enjeux de financement ne se trouvent pas résolus par un simple changement d'organisation des systèmes de retraite…
M. Jean Desessard. Si !
Mme Marisol Touraine, ministre. … et qu’il a fallu mettre en place certains dispositifs pour éviter la baisse drastique des pensions versées aux Suédois qu’allait engendrer la mise en place de ce système par points.
Un système par points présente éventuellement l'intérêt de la simplification, et il est certain que nous devons rechercher une simplification. Cependant, le Gouvernement veut proposer une réforme globale, alors que le simple passage à la retraite par points ne permet pas de résoudre les problèmes de financement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Si !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour la réplique.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Madame la ministre, il faudra donc nous présenter une réforme globale qui assure effectivement la pérennité des financements.
Je crois justement que le système par points le permet, car l'équilibre comptable est absolument nécessaire,…
M. Gérard Larcher. Avec le système par points, il est automatique !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … ce qui n’exclut pas de prendre en compte tous les cas particuliers, avec des bonifications, des décotes, des surcotes… Il me semble que la simplification que le Président de la République et le Gouvernement nous ont promise passe par là.
Cela intéresse une très grande majorité de Français, et je crois qu’une telle réforme ne pénaliserait pas les régimes des fonctionnaires. Naturellement, je le comprends, vous les défendez, mais nous ne les attaquons pas ! Nous souhaitons simplement qu’ils entrent dans un système universel où chacun trouverait son compte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus d’un demi-siècle, le secteur agricole a connu de nombreuses mutations. L’agriculture traditionnelle et familiale, plus que séculaire en France, a été bouleversée par la mécanisation et la modernisation, qui ont engendré une diminution du besoin de main-d’œuvre.
Alors qu’auparavant les exploitants agricoles étaient certains de pouvoir compter sur leur patrimoine et leur descendance afin d’assurer leur subsistance quand les blessures du corps se rappelaient à leur bon souvenir, les exploitants retraités vivent aujourd’hui souvent seuls avec leur conjoint, leur pension constituant leur unique pécule.
Aussi, il n’est guère étonnant d’assister à une forme de paupérisation des retraités agricoles, entraînant une angoisse, un sentiment de déclassement et un mécontentement de plus en plus manifeste, comme en témoigne la récente manifestation organisée par l’association départementale des retraités agricoles du Lot-et-Garonne.
Pour mémoire, il convient de souligner que la retraite moyenne d’un agriculteur est de 800 euros, tandis que celle de sa conjointe est de 500 euros. Dans les deux cas, les pensions se situent sous le seuil de pauvreté, fixé à 964 euros.
Pour pallier cette situation affligeante, le candidat François Hollande, fidèle à son principe ordonnateur de justice sociale, avait présenté, pendant la campagne présidentielle, un plan quinquennal évalué à 650 millions d’euros.
Parmi les idées avancées, figurait tout d’abord la mise à niveau à 75 % du SMIC des retraites des carrières complètes des chefs d’exploitation prévue par la loi Peiro de 2002, que les gouvernements précédents n’ont pas su mettre en œuvre, serait de nature à améliorer les conditions de vie de plus de 1,5 million de non-salariés agricoles retraités.
Il faudrait également envisager la suppression de la condition de durée d’activité minimale, soit 17,5 années, pour bénéficier de la majoration de pension.
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Teulade.
M. Jean-Louis Carrère. Il peut bien bénéficier du même traitement que M. Gérard Larcher !
M. René Teulade. Enfin, il convient de prévoir l’extension de la retraite complémentaire obligatoire aux conjoints et aux aides familiaux pour les retraités actuels. Dans la mesure où 98 % des conjoints des exploitants agricoles sont des femmes, l’introduction d’une telle disposition dans la loi serait à la fois une mesure salvatrice et une mesure de justice, qui profiterait à environ 450 000 personnes.
Par conséquent, nous aimerions connaître, madame la ministre, les éventuelles retombées de ce plan dédié aux exploitants agricoles, qui participent à hauteur de 3,5 % à notre richesse nationale.
Dans le cadre de la future réforme des retraites, d’autres pistes de réflexion sont-elles explorées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur Teulade, il est vrai que la situation des exploitants agricoles et de leur conjoint doit être posée à l’occasion de cette réforme des retraites, les retraités agricoles ayant été, depuis dix ans, les grands oubliés des politiques sociales. Nous devons donc renouer aujourd’hui avec ce qui avait été la ligne de conduite du gouvernement de Lionel Jospin, qui avait fait de la justice et de la dignité des retraités agricoles un des axes forts de sa politique.
Nous devons en particulier, et je vous remercie de l’avoir souligné, être attentifs à la situation des femmes d’exploitants agricoles, qui ont souvent beaucoup travaillé sans contrepartie financière…
M. Jean-Louis Carrère. Très juste !
Mme Marisol Touraine, ministre. … et sans reconnaissance de la part des institutions et des organismes de la sécurité sociale.
Après avoir reçu différentes organisations représentant les exploitants et anciens exploitants agricoles, Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, et moi-même avons engagé dès l’été dernier la mise en œuvre d’engagements pris par le Président de la République, François Hollande.
C’est ainsi qu’a été mise en œuvre, dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, une mesure permettant aux exploitants agricoles ayant cessé leur activité en raison d’une maladie ou d’une infirmité grave de bénéficier d’une validation au titre de la retraite proportionnelle des agriculteurs, ainsi que de l’attribution d’un nombre minimal de points gratuits. Cette mesure s’applique depuis le 1er janvier dernier.
D’autres mesures devront être prises dans le cadre de la réforme globale qui s’engage, notamment en direction des femmes et des pensionnés les plus modestes. Là encore, nous devons faire en sorte qu’aucune catégorie sociale ne soit oubliée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. René Teulade, pour la réplique.
M. René Teulade. Compte tenu de votre réponse, madame la ministre, je ne peux qu’approuver les décisions qui pourraient être prises. J’ai participé ce matin à une conférence parlementaire sur la réforme des retraites et les mesures qui se dessinent vont dans le sens de l’équité promise par le Président de la République à ceux qui n’avaient pu en bénéficier jusqu’alors. Il ne nous reste plus qu’à attendre que la réforme des retraites puisse effectivement se concrétiser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, malgré les réformes courageuses menées par les précédents gouvernements, réformes constamment critiquées par la gauche, notre système de retraite fera rapidement face à des déséquilibres financiers très importants, en partie dus à la dégradation considérable de la conjoncture économique.
Les besoins de financement de l’assurance vieillesse, qui s’élevaient à 14 milliards d’euros en 2011, seront de 20 milliards d’euros en 2020, selon le Conseil d’orientation des retraites.
L’heure n’est plus, mes chers collègues, aux tergiversations : il s’agit maintenant de réfléchir ensemble à un système juste et efficace, et en même temps moins complexe. Nous savons combien ce sujet est difficile ; il nécessite courage, concertation et détermination.
Vous avez combattu toutes les réformes des retraites que les précédents gouvernements ont voulu élaborer, alors que la question était posée depuis le gouvernement de Michel Rocard, au début des années quatre-vingt-dix, sans que la gauche, lorsqu’elle était au pouvoir, ait pris la moindre initiative en ce domaine.
Il n’est pas dans nos intentions de nous opposer systématiquement aux propositions qui seront débattues, car ce sujet est majeur pour notre pays, pour l’avenir de nos enfants.
À la lumière des nombreux rapports établis par des experts, auxquels s’ajoutera celui de la commission présidée par Mme Moreau, et dans le contexte actuel, marqué par un taux de chômage jamais atteint, un coût du travail trop élevé et une pression fiscale difficilement supportable, pouvez-vous, madame le ministre, nous exposer clairement les axes de réforme retenus par le Gouvernement ?
Pouvez-vous nous indiquer, en particulier, si vous envisagez l’unification des régimes de retraite du secteur public et du secteur privé – vous n’avez pas répondu tout à l’heure sur ce point –, l’intégration des régimes spéciaux dans le régime général – question qu’a soulevée notre collègue Gilbert Barbier –, la transition vers un système de retraite universel par points et, bien sûr, le report de l’âge légal de la retraite ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame Debré, si j’entends bien ce que vous me dites, au fond, l’opposition d’aujourd’hui – majorité d’hier – serait prête à soutenir le Gouvernement dès lors qu’il s’engagerait dans une réforme que l’UMP jugerait courageuse. Et ce que l’UMP juge courageux, c’est ce que l’UMP n’a pas réalisé hier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Isabelle Debré. Je vous ai posé quatre questions !
Mme Marisol Touraine, ministre. Pour apprécier si notre réforme est adaptée, vous souhaitez savoir, premièrement, si nous comptons mettre en place un système par points. Or, en 2010, la question du système par points n’a pas été posée...
M. Gérard Larcher. Si, elle a été posée !
Mme Marisol Touraine, ministre. En tout cas, elle a été écartée. C’est pourquoi un rendez-vous avait été fixé, de manière qu’il soit procédé, en 2013, à une évaluation de la situation, préalablement à la rédaction d’un simple rapport, monsieur Larcher.
Deuxièmement, madame Debré, vous m’expliquez qu’une réforme des retraites se limite à la question, somme toute assez sommaire, du secteur public, comme si le seul problème auquel nous étions confrontés était de savoir si les règles qui s’appliquent à la fonction publique doivent être ou non de même nature que celles qui s’appliquent au secteur privé !
Nous avons la volonté, madame la sénatrice, de prendre à bras-le-corps la situation que vous nous avez laissée. La réforme qui s’engage ne doit pas être purement comptable, car à vouloir simplement mettre en place des mesures de rééquilibrage financier à court terme, l’exemple de 2010 le prouve, on s’expose à de tristes déconvenues : nous nous retrouvons déjà, en 2013, avec un déficit des régimes de retraite de l’ordre de 14 milliards d’euros, alors que nous étions censés trouver des comptes à l’équilibre.
Nous voulons par conséquent engager une réforme qui s’inscrive dans la durée et qui permette de concilier exigence sociale et responsabilité financière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Larcher. C’est une caricature de dialogue !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour la réplique.
Mme Isabelle Debré. Madame le ministre, je suis quelque peu surprise de cette caricature. Surtout, je vous ai posé quatre questions extrêmement précises auxquelles vous n’avez malheureusement par répondu.
Vous dites vouloir écouter, madame le ministre : écouterez-vous les Français qui sont 52 %, d’après un sondage paru ce matin, à préférer l’allongement de la durée de travail à l’augmentation des cotisations ? Écouterez-vous le Président de la République, qui a déclaré : « Dès lors que l’on vit plus longtemps, on devra travailler aussi un peu plus longtemps » ?
Mme Catherine Procaccia. Et Mme Touraine l’a dit aussi !
Mme Isabelle Debré. Enfin, madame le ministre, je trouve que cette réforme commence assez mal. Vous nous dites que vous voulez aider les personnes qui touchent de très petites retraites. Or a été adoptée au Sénat une proposition de loi permettant le cumul de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, anciennement minimum vieillesse, avec un revenu d’activité, et vous avez fait en sorte qu’elle ne le soit pas à l’Assemblée nationale. Nous sommes désolés et même un peu choqués que vous n’ayez pas agi pour que soit adoptée une proposition de loi simple, humaine, efficace, de bon sens et fondée sur la solidarité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme des retraites de 2010, voulue par la droite, était brutale, injuste et inefficace.
M. Gérard Larcher. On va voir la vôtre !
Mme Gisèle Printz. La droite nous annonçait un rendez-vous pour 2013 et un retour à l’équilibre pour 2020. Or nous savons aujourd’hui que le déficit atteindra 20 milliards d’euros en 2020 et c’est pourquoi le rendez-vous de 2013 doit être l’occasion d’une nouvelle réforme.
Cette réforme indispensable, le Président de la République la veut guidée par des principes de justice, de responsabilité et de concertation. Madame la ministre, vous avez, quant à vous, précisé qu’elle viserait trois objectifs : l’équilibre financier à court terme, la pérennité du modèle par répartition à moyen terme et des mesures de justice.
Nous savons que la concertation fait partie intégrante de la méthodologie du Gouvernement. La conférence sociale du mois de juillet dernier, les accords nationaux interprofessionnels en sont des exemples. Sur les retraites, nous savons que le Gouvernement a appelé les partenaires sociaux à la table des négociations et que le Premier ministre les a tous reçus dès lundi dernier.
Nous savons aussi que les conclusions du rapport de Mme Moreau, qui sera remis demain au Premier ministre, ne sont que des « pistes » et qu’en aucun cas elles ne constituent le socle de la concertation à venir. A fortiori, elles ne sont « en aucun cas la préfiguration d’une réforme bouclée », comme vous l’avez précisé.
Madame la ministre, Pierre Mauroy disait que la retraite était une ligne de vie, une espérance de vie. Avec le décret du 2 juillet dernier, conformément à l’engagement du Président de la République, le Gouvernement a su redonner corps à cette ligne de vie pour des dizaines de milliers de nos concitoyens ayant commencé à travailler tôt, et je ne peux que m’en féliciter.
Compte tenu de la complexité que revêt le dossier des retraites, les sujets d’importance sont nombreux. Pour autant, je souhaiterais que, sans empiéter sur les conclusions du rapport de Mme Moreau ni sur les travaux à venir des partenaires sociaux, vous puissiez nous éclairer sur le degré de priorité qu’occupent des thèmes tels que la pénibilité, que la droite et le patronat ont toujours refusé de traiter,…
Mme Annie David. C’est vrai !
Mme Gisèle Printz. … sauf sous l’angle de l’invalidité, les inégalités entre hommes et femmes qui, selon la CNAV, génèrent une différence moyenne de montant de pensions de 42 % et la prise en compte des carrières hachées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame Printz, vous avez parfaitement raison de rappeler qu’une réforme, quelle qu’elle soit, notamment une réforme sociale – et en particulier une réforme des retraites –, ne peut se concevoir que dans la concertation.
Aussi, lorsque l’opposition demande que l’on apporte immédiatement des réponses précises, alors même que la concertation n’est pas engagée, on perçoit bien la différence de méthode entre ceux qui choisissent la précipitation et les réformes votées au milieu de l’été (Protestations sur les travées de l'UMP.) et ceux qui s’engagent dans le dialogue et l’élaboration concertée de propositions pour l’avenir.