M. Roland Courteau, rapporteur. Très bien !
Mme Isabelle Pasquet. Il faut revoir également les conditions du transport maritime, pour faire cesser le dumping social, environnemental et fiscal qui sévit aujourd’hui, en harmonisant les statuts et les conditions sociales par le haut.
Il est en outre urgent de penser la complémentarité des modes de transport, notamment en matière de transport de marchandises. La vocation de maillon essentiel de l’intermodalité, de porte d’entrée méditerranéenne sur l’Europe du Nord du port de Marseille doit être confirmée pour limiter les trafics inutiles. À cet égard, la politique qui a conduit à dévitaliser le centre de tri par gravité de Miramas était contre-productive. Il est temps d’inverser la logique.
Réfléchir sur la transition énergétique devrait également nous conduire à favoriser l’implantation d’éoliennes en pleine mer, dans les zones propices. Une autre politique agricole doit être mise en œuvre, fondée sur la proximité et les agricultures vivrières, excluant ainsi l’utilisation massive des pesticides.
Nos sociétés dites développées sont également fortement émettrices de déchets. Là encore, cette situation est liée au modèle économique dominant, qui favorise les produits à durée courte, dans une logique de marché.
Parallèlement, un effort important doit être fait pour le renouvellement de la flotte océanographique. Monsieur le ministre, qu’en est-il à ce jour ?
Pour faire simple, la construction d’une coopération euro-méditerranéenne permettant réellement de relever les défis environnementaux passe prioritairement par l’émancipation de l’Union européenne et des États des marchés financiers et des politiques libérales.
Nous partageons par ailleurs l’idée, formulée par Roland Courteau, de promouvoir un renforcement des coopérations et du co-développement.
Pour autant, monsieur le rapporteur, vous préconisez en quelque sorte de créer une UPM à deux vitesses, en la dotant d’une agence dédiée à la lutte contre la pollution. Cette agence, qui regrouperait les moyens du plan d’action pour la Méditerranée, fonctionnerait sur la base du volontariat en matière d’adhésion et prendrait ses décisions à la majorité qualifiée, et non à l’unanimité, ce qui permettrait, selon vous, d’avancer enfin.
Cette idée est intéressante, mais non suffisante. Ce n’est pas la création d’une énième agence qui changera réellement la donne. Ce qu’il faut, c’est un changement politique dans la stratégie européenne pour qu’enfin la priorité soit accordée au co-développement et à la coopération, au bénéfice des populations et avec elles.
En effet, nous ne pouvons nous contenter, sur ce sujet, de désigner la rive sud comme la source principale des problèmes, car ce sont bien les politiques de libre-échange qui ont conduit ces pays à faire l’impasse sur les questions environnementales.
Enfin, le berceau méditerranéen joue un rôle géopolitique majeur.
À ce titre, il n’est pas anodin que, lors du sommet qui s’est tenu le 7 avril dernier à Marseille, les présidents des parlements des pays membres de l’Union pour la Méditerranée aient conclu leur déclaration en ces termes :
« L’Union européenne et la Ligue des États arabes sont appelées à prendre leurs responsabilités pour impulser une reprise des négociations au Proche-Orient, en considérant qu’un règlement juste et définitif de ce conflit, sur la base des résolutions pertinentes des Nations unies, et donc la reconnaissance de l’État palestinien dans ses frontières de 1957, permettra l’instauration d’une paix et d’une stabilité durables dans la région. »
L’attitude européenne sur cette question sera peut-être le facteur décisif du succès ou de l’échec de toute tentative de relance du partenariat euro-méditerranéen, et donc de la mise en œuvre de mécanismes efficaces pour endiguer la pollution en Méditerranée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la pollution de la Méditerranée et ses perspectives à l’horizon 2030 n’est pas le premier du genre, et je crains qu’il ne soit pas non plus le dernier.
Je me félicite toutefois que nous puissions débattre de ce sujet ce soir, car l’excellent rapport de M. Courteau constitue un véritable cri d’alarme. Il me semble qu’il a été entendu dans cet hémicycle.
Ce rapport montre en quoi la Méditerranée pourrait être considérée, si cette catégorie existait, comme un bien public mondial,…
M. Roland Courteau, rapporteur. Absolument !
Mme Chantal Jouanno. … eu égard à l’immense richesse de sa biodiversité : alors qu’elle ne représente que 0,5 % du volume des eaux océaniques, elle abrite 8 % des espèces marines connues, dont un quart d’espèces endémiques.
M. Roland Courteau, rapporteur. C’est vrai !
Mme Chantal Jouanno. Ce souci de la biodiversité n’est pas une lubie de Parisienne ou l’apanage des chercheurs. Il s’agit vraiment d’une préoccupation fondamentale, car on sait que les plus grandes découvertes sont aujourd’hui fondées sur le bio-mimétisme. Je rappelle que plus de 5 000 molécules utilisées dans la pharmacopée ou en cosmétologie sont issues du milieu marin.
La Méditerranée présente aussi un intérêt stratégique en termes de transport, de ressources halieutiques ou énergétiques. C’est en outre un espace géopolitique stratégique : la Méditerranée, c’est la rencontre entre l’Europe et la jeunesse du monde. Contrairement au National Intelligence Council américain, qui décrit cet espace comme un arc de fragilité démographique, je pense qu’il constitue une chance immense.
Pourtant, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur Courteau, on constate une profonde méconnaissance du milieu marin et une forme d’indifférence générale d’autant plus préoccupante que la Méditerranée, ce bien public mondial, est une mer fragile, du fait qu’elle ne se renouvelle qu’une fois par siècle.
Jean-Louis Borloo avait tiré la sonnette d’alarme à l’occasion du Grenelle de la mer. Malheureusement, la disparition de la Comex n’a fait que confirmer les craintes qu’il avait exprimées : c’est une perte pour la France et pour l’Europe.
Je ne parle pas là des recherches sur le calamar géant, qui sont au demeurant très intéressantes, mais de recherches sur des réalités qui concernent les élus. Je n’en prendrai que deux exemples.
J’évoquerai en premier lieu les pollutions émergentes, notamment l’exposition aux produits chimiques, tels les PCB, les hydrocarbures, les perturbateurs endocriniens. Ce sujet est tout particulièrement suivi par la Surfrider Foundation. Où en sont les programmes de recherche sur ce thème ? Des recherches sur les rejets médicamenteux dans l’eau avaient été lancées : quel est l’état des connaissances sur l’exposition aux substances médicamenteuses ?
Je parlerai en second lieu des espèces invasives, qui constituent une forme de pollution. Ainsi, la prolifération des méduses préoccupe les élus des communes touristiques. Vous avez évoqué la surpêche dans votre rapport, monsieur Courteau, notamment celle du thon. Un phénomène très intéressant s’observe actuellement sur les côtes de la Namibie, envahies par 12 millions de tonnes de méduses. Il existe un lien direct entre cette invasion et la surpêche des espèces pélagiques, tout particulièrement des anchois et des sardines.
M. Bruno Sido, président de l’OPECST. Exact ! Même chose en Bretagne !
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur le chalutage et la surpêche ?
C’est à juste titre que vous dénoncez une indifférence à l’égard des enjeux du futur, monsieur Courteau.
La France est plutôt bonne élève, voire leader, en ce qui concerne la protection de la Méditerranée. En matière d’assainissement, de grands progrès ont été faits. Sur la question de la prévention de la production de déchets, un pas supplémentaire sera franchi quand on interdira les sacs de caisse à usage unique. S’agissant des sanctions en cas de rejets volontaires d’hydrocarbures, notre pays est plutôt bien placé également. Enfin, nous avons progressé dans la protection de la biodiversité, en particulier avec la création du parc national des Calanques, qui, si elle n’a pas été simple, constitue incontestablement une avancée.
Il convient aujourd’hui d’envisager ces différents sujets à une échelle plus large. Certes, l’Union pour la Méditerranée connaît des difficultés politiques, mais il ne faut pas pour autant abandonner ce beau projet. Votre idée de créer en son sein une agence de l’environnement me semble excellente, monsieur Courteau. Lors du dernier Forum mondial de l’eau, les négociations, qui étaient sur le point d’aboutir, ont achoppé à cause d’un désaccord sur un seul mot.
Sur les sujets que nous évoquons, une planification stratégique de l’espace de la Méditerranée élaborée par l’ensemble des pays riverains est nécessaire. Elle devra notamment prendre en compte les problématiques du transport, des énergies marines propres du futur, de la biodiversité.
Monsieur le ministre, le rapport souligne la forte progression du transport en Méditerranée et la course au gigantisme, dont l’inauguration récente du Jules-Verne a fourni une illustration. Nous avons besoin aujourd’hui d’une législation sur la traçabilité des conteneurs, afin de pouvoir établir les responsabilités en cas de perte et de savoir s’ils contiennent des produits chimiques, par exemple.
Le défi de l’urbanisation du littoral a également été très justement mis en exergue par M. Courteau. Il n’existe pas d’harmonisation des lois littorales autour de la Méditerranée, ni même entre pays européens. Or l’urbanisation du littoral est extrêmement préoccupante au regard de la montée des eaux attendue en raison du changement climatique. On sait aujourd’hui que, malheureusement – tous les rapports le confirment –, l’objectif de limiter l’augmentation de la température à deux degrés Celsius ne sera en aucun cas respecté. Or, autour de la Méditerranée, les populations sont concentrées sur les rivages. Que se passera-t-il au Caire, par exemple, quand les eaux monteront ? Comment allons-nous gérer les migrations de populations ? Quid des innombrables décharges situées en bord de mer ?
M. Roland Courteau, rapporteur. Bonne question !
Mme Chantal Jouanno. Je terminerai en évoquant le défi de la course aux énergies. Le rapport souligne la vétusté d’une soixantaine de plateformes pétrolières. Le moindre accident serait bien évidemment une catastrophe pour l’ensemble des pays riverains. Êtes-vous disposé, monsieur le ministre, à défendre l’instauration d’un moratoire sur l’installation de nouvelles plateformes en Méditerranée ? Quelle position prendrez-vous sur le projet de plateforme au large de la Catalogne ?
Telles sont quelques-unes des réflexions que m’inspire ce rapport très riche. La biologie marine me passionne, et il suffit de plonger en Méditerranée pour mesurer les effets des politiques de protection de l’environnement : près des parcs naturels, on peut observer une flore et une faune d’une immense richesse ; en revanche, au large de Malte, pays où la surpêche est une pratique quotidienne et où l’on trouve des filets à quinze mètres du rivage, on ne voit plus aucune espèce de poisson.
La Méditerranée est un espace stratégique pour l’avenir. Je me félicite donc de l’organisation de ce débat, qui ne concerne pas, loin de là, que les Méditerranéens ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un élu des terres, des causses du Lot, du Quercy en particulier, qui s’adresse à vous ce soir, au nom du groupe RDSE : la Méditerranée, mare nostrum des Romains, appartient à notre patrimoine commun.
Or la Méditerranée est malade. Sa biodiversité, riche de 12 000 espèces, soit de 7 % à 8 % des espèces marines connues dans le monde, mérite d’être préservée. Écologistes ou pas, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes unanimes à vouloir protéger la Méditerranée, mère de la civilisation européenne et mer de tous les échanges…
Comment lutter efficacement contre toutes les formes de pollution ? En effet, mes chers collègues, l’ensemble des pollutions demeurent difficiles à appréhender et les pollutions émergentes complexifient leur identification, ainsi qu’une analyse de leurs effets futurs. Métaux lourds, PCB, nitrates, phosphates, produits pharmaceutiques, hydrocarbures, etc. : ces pollutions sont la mémoire vivante de nos activités passées, présentes et futures.
Force est de constater que si la description des pollutions permet de prendre conscience de l’ampleur des dégâts, elle a également pour conséquence de ternir l’image de la Méditerranée, en omettant de valoriser les bonnes pratiques et les innovations. Pour les résidents des rivages, l’enjeu est non pas de constater les pollutions, mais de créer les conditions pour changer la donne.
L’excellent rapport de notre collègue Roland Courteau le souligne : 80 % de la pollution maritime est d’origine tellurique. La Méditerranée est caractérisée par une communication permanente entre la mer et de nombreuses lagunes, d’importants apports fluviaux, la diversité des courants et la force des vents, résultant des reliefs du Nord et de l’Est. Ces facteurs naturels, combinés aux facteurs anthropiques, favorisent la diffusion des pollutions.
Par exemple, en Languedoc-Roussillon, région chère à notre collègue Christian Bourquin, peu industrialisée aux XIXe et XXe siècles, une série d’aménagements est venue modifier durablement la physionomie du littoral, à la suite de la mission confiée au préfet Racine par le général de Gaulle. Ce fut l’une des premières opérations de la DATAR, qui visait à concurrencer l’Espagne dans le domaine du tourisme. Dès lors, le développement du tourisme et la pression démographique ont fait apparaître de nouvelles menaces pour un écosystème méditerranéen fragile.
Nos activités ont une incidence négative sur les ressources halieutiques et les paysages. Les plages disparaissent à vue d’œil, mais des projets porteurs d’espoir se développent, auxquels les collectivités territoriales apportent un soutien financier.
Les acteurs économiques s’adaptent et sont à la recherche de pratiques innovantes.
Je tiens à souligner que, en matière de pollutions agricoles, des progrès ont été réalisés grâce à un travail mené en coopération et à la prise de conscience des effets néfastes de certaines pratiques sur la santé et l’environnement. Citons à cet égard les méthodes alternatives au désherbage chimique employées dans les vignes qui dominent la Méditerranée, sur la Côte Vermeille en particulier.
Ainsi, pour éviter que les résidus des traitements phytosanitaires utilisés en viticulture ne se diffusent dans l’eau, de nouvelles pratiques d’enherbement sont mises en œuvre, qui donnent d’ores et déjà des résultats significatifs. D’importantes avancées ont été effectuées par les communes, avec l’aide des conseils généraux, pour améliorer le traitement des eaux usées et se donner ainsi toutes les chances d’obtenir le désormais incontournable « pavillon bleu ».
Si la pression sur les ressources halieutiques, notamment sur le thon, demeure, la pêche n’est pourtant pas condamnée. À Sète, au Grau-du-Roi, à Port-la-Nouvelle ou à Port-Vendres, les pêcheurs s’efforcent d’optimiser chaque sortie en mer. Le temps du gazole bon marché étant révolu et la performance énergétique devenant indispensable, les navires, les débarquements et les circuits de vente évoluent.
Les professionnels de la pêche peuvent s’adapter à la nouvelle donne écologique et économique ; ils disposent des capacités et de la volonté nécessaires pour rendre leur activité plus durable. Les pouvoirs publics, l’État comme les collectivités, doivent accompagner leurs efforts.
Par ailleurs, comme le rappelle la Commission européenne dans ses orientations stratégiques en faveur de l’aquaculture, cette dernière possède un potentiel de croissance important et peut contribuer à épargner des ressources marines surexploitées.
Mes chers collègues, la mer est plus que jamais un gisement d’emplois. De nouvelles activités se développent avec l’émergence des loisirs de pleine nature. En quinze ans, nos plages ont vu apparaître des voiles d’un genre nouveau avec le kitesurf ou « planche volante ». Aujourd’hui, ce sont des centaines d’emplois qui sont créés pour fabriquer localement des équipements de pointe, les exporter en Europe et dans le monde et former les pratiquants. En outre, les centres de plongée écoresponsables se développent.
Enfin, la Méditerranée recèle un potentiel de découvertes. Le projet Biodiversarium, en cours de développement à Banyuls-sur-Mer, rassemble les collectivités territoriales, les chercheurs et les acteurs du secteur privé autour d’une ambition : identifier de nouvelles substances naturelles susceptibles d’être valorisées dans le domaine de la pharmacologie. À Mèze et à Gruissan, le projet Greenstars laisse entrevoir d’extraordinaires possibilités pour créer les biocarburants du futur à partir des algues.
Cependant, des progrès restent à réaliser dans la gestion de la mer. Jusqu’à présent, seul l’État exerçait son autorité en mer. La triple crise écologique, économique et sociale, conjuguée au besoin d’une plus grande proximité entre le centre de décision et le terrain, engendre une nouvelle gouvernance de la Méditerranée, qui a vocation à rassembler pour décider collectivement.
Tel est le sens des nouveaux outils créés, dont le Conseil maritime de façade de Méditerranée mis en place par l’État et rassemblant des représentants des régions Corse, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon. L’action réglementaire de cette instance permettra de mettre en conformité les politiques publiques avec les exigences environnementales européennes.
Le parc naturel marin du golfe du Lion, créé en 2011, couvre une superficie marine de 4 000 kilomètres carrés ; il s’étend sur cent kilomètres de côte, de Cerbère à Leucate. Son pilotage est assuré par un conseil de gestion de soixante membres. Pour la première fois, les acteurs locaux contribueront à écrire l’avenir de leur parc en rédigeant collectivement un plan de gestion pour les quinze années à venir. La création de ce parc constitue un pari sur la réalisation d’un travail en commun associant toutes les familles de la mer.
Il est de notre responsabilité de réaffirmer que la Méditerranée est un horizon de développement pour nos emplois et notre économie de demain.
La gouvernance doit être renouvelée afin de renforcer la coopération entre tous les États riverains. Les pays de la rive sud doivent réaliser des progrès en matière d’équipement en stations d’épuration, plus de la moitié des villes de plus de 10 000 habitants n’en possédant pas. Des ressources financières doivent pouvoir être levées à cette fin. Prendre de telles mesures est d’autant plus urgent que les vents transportent les polluants de la rive nord vers la rive sud et que la pression sur les ressources en eau y est plus importante qu’ailleurs eu égard au faible taux de pluviométrie.
La création d’une agence de protection environnementale et du développement durable au sein de l’Union pour la Méditerranée proposée par M. Courteau doit être envisagée. Le rôle du politique est d’engager ce changement.
M. Roland Courteau, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Au-delà de la récurrente question de la pollution de la Méditerranée, celle de son développement économique inquiète aussi nos concitoyens. Cet espace représente une chance, à condition que chacun de nos territoires soit entendu dans le cadre de l’ambition française pour la politique maritime intégrée que vous soutenez, monsieur le ministre. Il est une chance, à condition que la dimension économique soit intégrée dans la gestion durable de la mer et que l’on favorise la diffusion des innovations permettant de mieux protéger notre environnement. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Je tiens tout d’abord à saluer l’excellent travail que vous avez réalisé, monsieur Courteau. Quand votre rapport a été rendu public, voilà deux ans, vous avez indiqué qu’il s’agissait de pousser « un cri d’alarme avant qu’il ne soit trop tard ». Il nous est enfin donné aujourd’hui l’occasion d’en débattre.
La Méditerranée est un berceau de civilisations. De l’Antiquité à nos jours, l’homme a su apprécier et vanter ses richesses et ses beautés. Elle est ce creuset d’un imaginaire collectif où se croisent les voyages d’Ulysse et ceux de Sinbad. Elle abrite également un trésor, sa biodiversité exceptionnelle : elle renferme de 7 % à 8 % des espèces marines connues dans le monde, alors qu’elle représente seulement 0,3 % du volume des eaux océaniques.
Je n’aurai pas le temps de revenir sur toutes les sources de pollution que Roland Courteau a décrites, dont bon nombre requièrent un traitement urgent.
J’aborderai, dans un premier temps, quelques sujets majeurs de préoccupation relatifs au littoral français, sur lesquels nous sommes donc en mesure d’agir directement.
Pour ce qui concerne tout d’abord les forages offshore, les écologistes se félicitent de l’annulation récente et, je l’espère, définitive – peut-être nous le confirmerez-vous, monsieur le ministre – du permis exclusif de recherche d’hydrocarbures liquides et gazeux dit « Rhône-Maritime ». En revanche, la création par décret, au mois d’octobre dernier, d’une zone économique exclusive, ou ZEE, se substituant à la zone de protection écologique créée en 2003 et pouvant permettre l’installation de plateformes de forage, nous inquiète beaucoup. Ce décret a été pris sans concertation, en particulier avec l’Espagne qui, quelques mois plus tard, a créé sa propre ZEE, recoupant en partie la ZEE française. Notre inquiétude est d’autant plus vive que, selon un article publié par La Provence voilà quelques jours, douze permis de prospection pétrolière ont déjà été accordés par l’Espagne, dont plus de la moitié concerne des zones situées à l’intérieur de la ZEE revendiquée par la France.
Nous souhaiterions savoir comment la France compte conduire les pourparlers avec l’Espagne sur la délimitation de ce territoire marin et, à horizon plus large, comment elle abordera la question du risque que représenterait l’installation de plateformes sur la côte catalane, si près des côtes françaises. Par ailleurs, nous ne perdons évidemment pas de vue le risque de voir « pousser » des plateformes sur le littoral français. Nous sommes très fortement mobilisés sur ce sujet, monsieur le ministre, et nous attendons de vous des réponses précises.
Est-il besoin de le souligner, l’installation de plateformes de forage en Méditerranée, « mer semi-fermée dont les eaux ne se renouvellent en moyenne qu’en un siècle », comme l’indique le rapport de Roland Courteau, représente un risque totalement démesuré.
Dans le même esprit, le projet de construction au large de l’île du Levant d’un centre d’essais techniques sur les méthodes de forage pétrolier en profondeur extrême, structure dont l’ouverture est prévue en 2014, nous conduit aussi à nous interroger. À ce jour, aucune étude d’impact n’a été réalisée. Monsieur le ministre, nous souhaitons vous faire part de notre opposition absolue à ce projet, compte tenu des dangers que sa réalisation ferait peser sur les populations du littoral, en particulier les cétacés, dans la mesure où il se situe en bordure du parc national de Port-Cros, classé en zone Natura 2000, et près du sanctuaire international Pelagos destiné à la protection des mammifères marins.
Un autre cas de pollution emblématique est celui des déversements de boues rouges de l’usine de Gardanne dans les calanques, devenues aujourd’hui parc national. Le rejet de ces résidus chargés en métaux lourds toxiques, issus de la fabrication d’alumine, sera interdit en 2015, mais qu’adviendra-t-il des millions de tonnes déversées depuis plus de quarante ans ?
Je n’ai malheureusement pas le temps d’aborder en détail les questions des eaux usées traitées par la station d’épuration Géolide et déversées en mer ouverte à partir de la calanque de Cortiou, des déchets drainés par le fleuve Huveaune ou des 3 000 navires qui transitent chaque année par le détroit des bouches de Bonifacio, qui comptent pourtant deux réserves naturelles.
Je préfère profiter des quelques minutes qui me restent pour souligner que la situation géographique de cette mer semi-fermée, trait d’union entre plusieurs continents, rend incontournable le renforcement de la coopération entre les États riverains dans le domaine de l’information et de l’évaluation – à ce propos, le rapport de M. Courteau évoque avec pertinence la nécessité de consolider une gouvernance scientifique –, comme dans celui de la prise de décision, qui, dans de nombreux cas, tels que la création d’aires marines protégées, n’a de sens que dans un cadre supranational.
Une grande partie des propositions formulées par Roland Courteau supposent une gouvernance supranationale –européenne ou mondiale –, dont l’instauration passe logiquement par une relance politique de l’Union pour la Méditerranée. Cette nécessité absolue d’un cadre supranational fort est aussi soulignée par l’Appel de Paris pour la haute mer lancé lors d’une conférence organisée par le CESE, le Conseil économique social et environnemental, au mois d’avril dernier.
Parallèlement, le développement de partenariats bilatéraux et de projets de coopération décentralisée portant sur le traitement de l’eau doit être vigoureusement encouragé. La France et ses collectivités territoriales sont déjà engagées dans un certain nombre de projets en Méditerranée, qui doivent être soutenus.
À cet égard, la semaine dernière, le maire de Beyrouth m’a parlé des projets franco-libanais en matière d’eau et d’assainissement. L’Agence française de développement contribue au développement des réseaux d’assainissement de plusieurs villes, notamment dans le Kesrouan. S’agissant de la coopération décentralisée, entre 2010 et 2012, un projet innovant a été mis en œuvre par le syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne, le SIAAP, la ville de Nogent-sur-Marne et trois fédérations de municipalités du Sud-Liban, afin d’accompagner celles-ci dans la définition d’une stratégie globale de gestion des eaux usées sur leur territoire.
Ce projet a été non seulement couronné de succès – les trois fédérations possèdent aujourd’hui un schéma directeur de gestion des eaux usées –, mais aussi amplifié, puisque les deux partenaires français ont lancé, pour la période 2013-2015, un programme d’appui au renforcement des capacités des municipalités libanaises dans le domaine de l’assainissement, mis en œuvre avec le soutien des ministères français des affaires étrangères et des affaires européennes, ainsi que du réseau mondial des villes, cités et gouvernements locaux unis.
Il me semblait intéressant de mettre en exergue de tels exemples, car on a trop facilement tendance à être pessimiste ou fataliste quant à l’avenir de la Méditerranée. Or c’est la conjugaison des actions concrètes que nous allons mener sur l’ensemble du bassin qui nous permettra d’apporter, demain, des réponses à la hauteur des enjeux. J’aurais aussi pu évoquer ces villes tunisiennes qui ont déjà pris en compte, dans leurs projets de développement, la montée des eaux liée au réchauffement climatique. Je ne suis pas sûr que les projets portuaires français prennent en considération cette donnée : peut-être devrions-nous nous inspirer de ce qui se pratique sur la rive sud de la Méditerranée…
Il est absolument nécessaire de développer une stratégie commune entre tous les peuples qui se partagent la Méditerranée. Nous devons donc renforcer les coopérations pour la préservation de ce bien public, de cet espace de vie commun.
Ce dialogue doit prendre en compte les questions économiques. Nous savons que des industries polluantes se sont installées sur la rive sud de la Méditerranée afin de produire à bas coût pour les pays de la rive nord. C’est particulièrement le cas de l’industrie textile.
Les pollutions observées en Méditerranée sont par conséquent en lien avec notre mode de consommation. C’est le même système qui a entraîné la catastrophe ayant tué plus de 1 000 personnes à Dacca, au mois d’avril, et qui contribue à la pollution de la Méditerranée.
Nous ne sauverons pas la Méditerranée et n’assumerons pas notre responsabilité sociale globale si nous n’élaborons pas des régulations économiques qui respectent les droits sociaux et l’environnement.
De ce point de vue, notre soutien déterminé au processus démocratique en cours sur la rive sud est tout à fait essentiel. J’insisterai particulièrement sur le soutien aux associations de protection de l’environnement qui se développent dans ces pays et qui auront un rôle fondamental à jouer.
La Méditerranée, creuset de civilisations, mais aussi caisse de résonance des désordres du monde, est l’un de nos horizons les plus proches. L’avenir commun des pays qui la bordent dépendra beaucoup de notre exemplarité et des réponses que nous apporterons en termes de renforcement des coopérations et d’invention de nouvelles régulations internationales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)