Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, quelle est l’école dont nous rêvons, que nous voulons ? Ce n’est pas celle que nous connaissons aujourd’hui, marquée par les évolutions intervenues ces dix dernières années.
En effet, le constat suivant est largement partagé ce soir : notre école va mal, le phénomène du décrochage s’aggrave, nombre d’élèves s’ennuient en classe sans que les résultats des autres s’améliorent.
La responsabilité de ce bilan est partagée. Les différentes politiques publiques menées depuis vingt-cinq ans n’ont pas donné les résultats escomptés, dans un pays qui fut jadis exemplaire, même s’il ne faut pas céder au mythe d’un âge d’or de l’école. Celle-ci ne joue plus le rôle d’ascenseur social, comme ce fut le cas dans le passé pour un grand nombre d’élèves, et la massification, réelle, n’a pas été synonyme de démocratisation.
Le groupe écologiste en appelle à une « autre » école pour notre pays, pour une autre société. Cela signifie que si nous approuvons le texte présenté sur divers points, d’autres suscitent parmi nous des interrogations.
En effet, si le texte issu des travaux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication nous inspirait un relatif optimisme, grâce au travail très important mené par Mme la rapporteur, que nous remercions encore une fois, le sort réservé à certains amendements et l’apparition de quelques autres ont suscité des inquiétudes. Nous éprouvons donc ce soir une certaine perplexité, mais nous ne doutons pas que M. le ministre la dissipera.
Il ne s’agit pas seulement de la prise en compte de tel ou tel amendement auquel nous tenons beaucoup, mais, plus généralement, de la philosophie qui sous-tend certaines « apparitions » : je pense notamment à l’évocation, tout à l’heure, du rapport Gallois. Il conviendra de lever les malentendus.
Ce qui compte à nos yeux, c’est de progresser vers l’école de la bienveillance, une école qui éduque à la coopération plutôt qu’à la compétition. Nous n’avons pas besoin de mots ronflants, nous souhaitons simplement la mise en place de dispositifs concrets pour intégrer tous les élèves, y compris, cela a été dit tout à l'heure, ceux qui sont en situation de handicap, afin de faire d’eux les citoyens et les citoyennes de demain. Il nous appartient de penser l’école réellement tout au long de la vie et d’apprendre à nos enfants que l’apprentissage ne cesse pas après l’université.
De même, le phénomène majeur de la révolution numérique doit, selon nous, s’accompagner d’une refonte significative des méthodes pédagogiques, afin de favoriser le travail en équipe et la pluridisciplinarité. Mon collègue André Gattolin s’exprimera plus longuement sur ce point tout à l'heure.
Notre école a aussi vocation à former des citoyens et des citoyennes capables de penser par eux-mêmes, aptes à coopérer tout en étant autonomes, dotés d’un esprit critique et prenant plaisir à apprendre, même si les acquisitions passent par des moments délicats ou difficiles.
L’école que nous voulons doit préparer des êtres capables d’avoir un esprit d’initiative – l’initiative relève non pas uniquement de l’entreprise, mais aussi des associations ! –, attentifs à la vie en collectivité, où le « faire ensemble » serait plus valorisé que « l’avoir » et où le fétichisme du classement et de la performance serait remplacé par l’altruisme, la solidarité, l’attention à l’autre et la lutte contre toutes les formes de gaspillage, nos ressources communes n’étant pas inépuisables.
L’école que nous voulons doit promouvoir une vision humaniste de notre « vivre ensemble ». Tel était le sens d’un certain nombre de nos amendements qui avaient retenu l’attention de la commission, mais semblent avoir disparu…
Je ne reviendrai pas sur la question du décrochage, véritable scandale national. Non seulement ces jeunes qui quittent le système éducatif n’auront pas de diplôme, mais ils perdent beaucoup de leurs chances d’insertion dans la société.
Devant ce constat partagé, nous insistons sur le fait que notre école a besoin de changer en profondeur. Que l’on appelle cela « refondation », « vrai changement », « remise à plat des fondamentaux » ou « travail sur les fondements du système » nous importe peu. Le projet de loi tel que nous l’examinons aujourd'hui, enrichi par le travail de la commission, présente à nos yeux le mérite essentiel de tendre à construire une école nouvelle, et non pas à ériger les suppressions de postes en politique publique.
Selon nous, l’une des questions centrales est celle de la formation des enseignants.
Il n’est pas nécessaire de restaurer les écoles normales et les IUFM, même s’ils avaient des vertus, quoi que l’on ait pu en dire. Ce n’est pas avec les vieilles recettes du XIXe et du XXe siècles, assorties d’un clic de souris, que l’on fondera l’école du XXIe siècle !
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
Mme Corinne Bouchoux. Nous sommes capables de voir ce qui fonctionne dans d’autres pays au niveau du primaire : la réussite est bien meilleure quand il n’existe ni redoublement ni notation précoce. Quand allons-nous l’entendre ? Il est temps de s’attaquer à ces deux mythes. À cet égard, nous notons avec satisfaction les avancées du texte en ce sens.
Cela a été dit, les inégalités sociales se sont renforcées, et l’école joue un rôle totalement stratégique en matière de socialisation. Il faut donc mettre en place une scolarisation précoce dans les zones urbaines défavorisées, sans oublier les zones rurales ou périurbaines.
Par ailleurs, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation doivent être des lieux structurés et structurants vivants, propres à donner un nouveau souffle à la formation de nos enseignants.
Enseigner est un métier : cela s’apprend, et ce tous les jours, tout au long de la vie. Monsieur le ministre, nous attirons votre attention sur la question de la formation continue des enseignants.
Enfin, pour ce qui nous concerne, nous tenons particulièrement aux projets éducatifs de territoire. À cet égard, nous aimerions revenir sur la façon dont ils ont été mis en place cette année, afin de donner un peu plus de souplesse au système. Nous souhaitons également que les contrats éducatifs locaux, créés en 1998 par une circulaire cosignée par de nombreux ministres, puissent inspirer des mesures allant dans le même sens.
En ce qui concerne les recrutements et les concours, nous estimons – nous l’avons déjà dit ici il y a quelques mois – que c’est à la fin de l’année de L3 que les choses devraient se jouer, mais nous n’avons pas réussi à vous convaincre. Nous comprenons bien les raisons qui ont poussé le monde des universités et d’autres acteurs à préférer une autre option, mais nous aimerions que soit inscrite dans le texte une clause de revoyure, afin d’examiner si organiser le concours en fin de L3 ne présenterait pas finalement plus d’avantages. En effet, les masters seraient ainsi plus cohérents et, nous sommes prêts à vous le démontrer, monsieur le ministre, cela ne coûterait pas plus cher à l’État. Nous insistons fortement sur ce point.
Concernant les langues régionales, là encore, ne regardons pas le XXIe siècle avec les lunettes du XIXe siècle : nous ne sommes plus en 1880.
Aujourd’hui, tout le monde parle français, et la diversité linguistique ne doit plus nourrir de craintes. Trente ans après les lois de décentralisation, nous savons que personne n’est menacé par la pratique des langues régionales.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Corinne Bouchoux. Aussi avons-nous déposé quelques amendements qui, loin de mettre en danger l’unité de la République, visent uniquement à mettre en valeur notre patrimoine linguistique dans toute sa diversité et sa richesse. Nous pensons en outre qu’il est temps d’avancer dans la prise en compte de la langue des signes.
Pour conclure, si nous étions très satisfaits de la tournure prise par le texte à l’issue du travail accompli par la commission sous l’égide de Mme la rapporteur, qui a permis de nombreuses innovations et avancées, nous éprouvons ce soir quelques doutes. Parfois, les compromis les plus subtils risquent d’émousser les enthousiasmes les plus sincères… (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, sans nul doute, on ne pouvait continuer à assister passivement au spectacle déchirant de la dégradation de notre école ! Qui peut accepter que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans formation ? Comment se satisfaire que 25 % des élèves entrant au collège soient en difficulté ? La France peut-elle continuer à être le pays d’Europe ayant le plus mauvais taux d’encadrement des élèves ? Comment peut-on justifier la baisse, pendant les cinq dernières années, de 35 % à 11 % du taux de scolarisation en maternelle des enfants de moins de 3 ans ? Comment expliquer la suppression progressive des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, et des moyens indispensables pour aider les enfants porteurs de handicaps ? Doit-on continuer à ignorer la médiocrité de la formation des enseignants, le creusement des inégalités dans leur recrutement, la faiblesse et l’insuffisance des moyens en termes de remplacement des maîtres ? Comment pourrions-nous nous satisfaire des mauvais classements internationaux de notre institution scolaire, ainsi que de la médiocrité des résultats de nos élèves aux tests PISA, qui révèlent des lacunes insupportables dans plusieurs disciplines ?
Devant ce constat désolant, assez largement partagé sur les travées de cet hémicycle, il fallait mettre en œuvre une rénovation en profondeur de notre école. Le Président de la République, François Hollande, s’y était engagé, le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, le fait !
Il nous propose une loi qui s’attaque à toutes les régressions qu’a connues l’école au cours de ces dix dernières années. Il dessine une école tournée vers l’avenir, qui montre l’ambition de se repositionner aux premiers rangs, sur le plan international, en termes de politiques éducatives. Contrairement à ce que certains s’obstinent à affirmer, il s’agit bien d’une refondation.
En effet, c’est la première fois qu’un projet de loi d’orientation et de programmation constituant un engagement fort en faveur de l’école est présenté, qui plus est dans une période d’aléas financiers et de difficultés budgétaires majeures.
Ce texte n’est pas seulement une réforme du système éducatif ; il constitue bien une refondation de l’école républicaine, en ce sens que l’on part de la base, des fondations de l’école, de l’école primaire. C’est en cela que cette refondation est vraiment démocratique et égalitaire : elle concernera tous les élèves, en commençant par ceux de la maternelle.
Une réforme globale de l’éducation par une seule loi, qui constituerait, aux dires de l’opposition, la seule véritable refondation possible, n’a jamais existé, à aucune période, ni dans aucun pays, pas même sous Jules Ferry ! Il s’agit là non pas du point de vue subjectif du membre de la majorité gouvernementale que je suis, mais de celui d’un historien de l’éducation unanimement reconnu, M. Claude Lelièvre, professeur d’histoire de l’éducation à la Sorbonne.
Certes, la loi de 1989 voulue par Lionel Jospin était une grande loi d’orientation.
Mme Françoise Férat. Et comment !
M. Jacques-Bernard Magner. Puis, la loi Fillon de 2005 fut une loi de programmation. Mais le texte qui nous est aujourd’hui présenté est le seul à rassembler les deux volets : l’orientation et la programmation.
Ce projet de loi de refondation de l’école de la République se situe dans la parfaite filiation des lois fondatrices qui se sont succédé pendant dix ans : la loi Paul Bert sur les écoles normales, en 1879, les lois Jules Ferry sur l’école laïque, gratuite et obligatoire, en 1881 et en 1882, la loi Goblet sur l’organisation de l’enseignement primaire, en 1886, et, enfin, le statut des enseignants, en 1889.
Ainsi, contrairement à ce que certains préconisent aujourd’hui, les fondateurs de l’école de la République n’ont pas débuté leur œuvre par les structures ou par le statut des enseignants, mais bien par la formation. De même, avec le présent texte, la refondation de l’école commence par la pédagogie, la formation des enseignants et la priorité donnée au début du parcours scolaire.
Le projet de loi de refondation de l’école de la République que vous défendez avec l’enthousiasme et la sincérité que l’on vous connaît, monsieur le ministre de l’éducation nationale, constitue un contrat renouvelé entre l’école et la nation : quand l’école avance, la République grandit.
Mme Michèle André. Très bien !
M. Jacques-Bernard Magner. Il s’agit bien, aujourd’hui, de jeter les bases d’une rénovation en profondeur de l’école, de partager des valeurs et une vision, de développer des pédagogies de la confiance et de la réussite.
Il faut rompre avec cette vision essentiellement comptable qui a installé la défiance entre la communauté éducative et ceux qui sont chargés de gérer les moyens nécessaires au fonctionnement de l’institution scolaire.
Le constat de la dégradation étant établi, il convient désormais de proposer des solutions. Ce projet de loi de refondation apporte les réponses qu’attendaient les acteurs du monde éducatif : les élèves, les parents, les enseignants, les collectivités locales, le monde associatif, toutes celles et tous ceux qui comprennent le malaise dont souffre notre société, dans laquelle notre école est en train de perdre pied.
Dans ce contexte, qui peut contester qu’il soit urgent et nécessaire d’arrêter l’hémorragie des moyens humains ? À cet égard, 60 000 postes seront créés pendant le quinquennat, alors que 80 000 avaient été supprimés au cours des cinq dernières années et que 80 000 autres l’auraient été durant les cinq prochaines années si l’on avait poursuivi selon le schéma mis en place en 2007. (Mme Françoise Férat s’exclame.) C’est donc d’un différentiel de 140 000 postes qu’il s’agit, avec la création de 60 000 postes et la non-suppression de 80 000 : voilà ce que l’on peut opposer à celles et ceux qui contestent l’amélioration des moyens !
M. Jacques Chiron. Tout à fait !
M. Jacques-Bernard Magner. Qui peut contester qu’il faille reconstruire la formation des enseignants ?
Certes, la mastérisation a assuré un bon niveau de formation intellectuelle des enseignants, mais à quel prix ? Les étudiants avaient une idée négative du métier d’enseignant, les nouveaux professeurs étaient affectés sans jamais avoir rencontré d’élèves dans une classe et, en matière de recrutement, les couches populaires étaient sous-représentées, car il faut avoir les moyens de poursuivre ses études jusqu’à bac+5 ! Il y avait donc pénurie de candidats au concours et le vivier se tarissait d’année en année de manière inquiétante.
Pourtant, la preuve a d’ores et déjà été apportée que l’on peut restaurer la confiance. On constate que les premières annonces, les premières mesures prises depuis mai 2012 par le Gouvernement ont amené une progression du nombre de candidatures au concours de 50 % en 2013.
Il faut donc revoir complètement la formation des enseignants, en lui apportant toute la professionnalisation dont elle manque cruellement aujourd’hui. Cette formation sera assurée au sein des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, dans lesquelles pourra jouer la double commande de l’éducation nationale et de l’université.
Quant aux rythmes scolaires, ils ont largement fait débat. Qui peut aujourd'hui encore défendre la semaine de quatre jours, alors que toutes les études des spécialistes montrent qu’elle est néfaste pour les enfants ? Il fallait donc mettre en place de vrais rythmes scolaires. La semaine de quatre jours et demi, avec des horaires allégés, constitue une première réponse au mécontentement exprimé en 2008 par l’ensemble de la communauté éducative, lors du passage forcé à la semaine de quatre jours.
Cette nouvelle organisation permettra de donner une véritable place aux activités périscolaires, qui sont souvent animées par les associations d’éducation populaire, nombreuses dans nos quartiers et dans nos communes. Les associations laïques, les clubs sportifs et, d’une manière générale, le monde associatif pourront retrouver un rôle éducatif essentiel, au service du développement et de l’éducation de nos enfants. Les communes ou les communautés de communes qui assureront la responsabilité et l’organisation de ces nouveaux temps éducatifs seront ainsi des partenaires à part entière de la communauté éducative.
On comprend d’ailleurs assez mal pourquoi se manifeste quelque frilosité à mettre en œuvre, dès la rentrée de 2013, des rythmes dont tous s’accordent à dire qu’ils constituent la bonne solution pour les enfants. Cela revient à dire aux enfants de notre pays que nous savons ce qui est bon pour eux, mais que nous leur demandons d’attendre la rentrée de 2014 pour en bénéficier ! En tous cas, les aides financières promises par l’État sous forme d’un fonds d’amorçage sont prévues dans le texte qui nous est soumis.
En résumé, le projet de loi donne la priorité à l’école primaire d’une manière totalement inédite, prévoit un effort considérable en termes de postes supplémentaires, avec un engagement sur cinq ans, instaure des rythmes scolaires adaptés aux besoins reconnus des enfants, ainsi qu’une vraie formation initiale et continue des maîtres, comporte des engagements en matière de scolarisation des enfants de moins de 3 ans, programme des moyens adaptés pour les élèves en difficulté et les enfants porteurs de handicaps, vise à lutter contre le décrochage scolaire et contre l’illettrisme, à promouvoir la santé, à créer un véritable service public du numérique éducatif, à nouer un partenariat affirmé avec les collectivités territoriales, à améliorer la place des parents dans l’école, à instituer l’enseignement de la morale laïque…
Tels sont, mes chers collègues, quelques-uns des nombreux aspects de ce projet de loi de refondation de l’école. Au-delà de ces engagements, il procède de la volonté de promouvoir une école qui éduque, qui enseigne, qui forme les citoyens de demain et qui rassemble les membres d’une collectivité, une école qui appartienne à la nation tout entière et qui la représente.
Notre école républicaine a certes besoin de moyens, mais aussi de valeurs à enseigner et à diffuser auprès de notre jeunesse. Notre école doit être réformée pour combattre et vaincre les inégalités, pour aider les plus démunis au lieu d’aggraver les écarts qui se creusent entre nos concitoyens, pour construire le socle commun de connaissances, de compétences et de culture auquel chacun des enfants de notre pays a droit. Elle doit constituer un creuset pour la justice et former des citoyens libres et égaux.
Le groupe socialiste se félicite de l’ouverture d’un grand débat démocratique, grâce à la concertation qui a été lancée dès l’été dernier ; aujourd’hui, le moment est venu pour le Sénat d’y prendre toute sa part. Les travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ont été très constructifs : près de cent trente amendements ont été adoptés, dont certains émanaient de l’opposition. (MM. Jacques Legendre et Jean-Claude Carle le contestent.)
M. Vincent Peillon, ministre. Monsieur Legendre, dix-huit amendements venaient de l’UMP et dix-sept de l’UDI-UC !
M. Jacques-Bernard Magner. Comme ils l’ont fait en commission, les sénateurs socialistes apporteront leur contribution positive au débat en présentant quelques amendements, relatifs notamment à la santé scolaire et aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Mes chers collègues, ce projet de loi est très attendu par tous les acteurs du système éducatif. Ce débat devrait passionner notre pays, car il prépare son avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les derniers chiffres du Conseil d’analyse économique, le CAE, font apparaître que, au début de l’année 2013, 17 % des jeunes de 15 à 29 ans ne fréquentent ni l’école ni l’université, ne bénéficient d’aucune formation et n’ont pas intégré la vie professionnelle.
M. David Assouline. Voilà le bilan de la droite !
Mme Françoise Férat. Monsieur Assouline, nous espérons beaucoup de ce texte !
Aujourd’hui, plus de 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans validation de leurs acquis, alors que le niveau d’étude et l’obtention d’un diplôme professionnalisant sont les clés de la réussite. Dans la majeure partie des cas, ces jeunes sont issus des catégories sociales les plus défavorisées de notre pays. D’ailleurs, l’OCDE classe la France au vingt-septième rang sur trente-quatre pays du point de vue de l’équité scolaire : dans notre pays, l’incidence de l’appartenance sociale sur les résultats scolaires est particulièrement forte.
En outre, le taux de scolarisation des 15-19 ans a baissé au cours des quinze dernières années, ce qui est alarmant quand on sait combien l’insertion professionnelle de ces jeunes est difficile : en France, 71 % d’entre eux sont sans emploi ou inactifs, alors que ce taux est de 57 % en moyenne dans les autres pays de l’OCDE.
Mes chers collègues, tous ces chiffres vous paraissent peut-être fastidieux à entendre, mais il m’a semblé nécessaire de les mentionner pour jeter les bases de ce débat. Nous nous accordons tous à reconnaître qu’ils sont inquiétants, de même que nous reconnaissons tous l’impérieuse nécessité de trouver rapidement des solutions pour que nos jeunes puissent s’insérer dans la vie professionnelle. L’école de la République doit donner à tous les mêmes chances !
Notre pays traverse une crise économique sans précédent et ces jeunes sont les plus touchés par le chômage ; les dernières études européennes et internationales en font le triste constat.
Quant au Conseil d’analyse économique, il estime que « si la crise a affecté l’ensemble des pays développés, nombre de nos voisins européens connaissent des taux d’emploi des jeunes nettement supérieurs au nôtre ». C’est donc qu’il existe des solutions ! Le CAE met notamment en évidence deux grandes raisons de la situation française : l’enseignement professionnel par l’alternance entre emploi et études est trop peu développé et les moyens alloués à l’accompagnement vers l’emploi des jeunes les plus en difficulté sont insuffisants.
Le projet de loi a l’ambition de définir « les objectifs de la refondation en matière d’élévation du niveau de connaissances, de compétences et de culture de tous les enfants, de réduction des inégalités sociales et territoriales et de réduction du nombre des sorties du système scolaire sans qualification ». Très bien, mais il reste maintenant à y parvenir ! Or je crains malheureusement que ce texte ne tienne pas ses promesses : les bonnes intentions ne suffiront pas.
Le projet de loi donne la priorité à l’école primaire. Je suis bien évidemment d’accord avec cette orientation : c’est dès le cours préparatoire que tout doit être mis en œuvre pour la réussite de tous. L’école doit donner les mêmes chances à tous les élèves : elle doit être une chance, pas un facteur d’inégalité ! À cet égard, tout se joue dès le primaire. Or les écarts sont encore trop grands aujourd’hui ; pis, ils s’aggravent. Nous constatons malheureusement tous les jours que, d’un territoire à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une famille à l’autre, les élèves n’ont pas tous les mêmes chances de réussite.
Cette situation n’est pas acceptable. C’est pourquoi je regrette que la mixité sociale et l’éducation prioritaire, en particulier, ne soient pas abordées par le projet de loi, non plus que les difficultés relatives à la carte scolaire. S’agissant de cette dernière question, le rapport de la mission d’information du Sénat sur la carte scolaire préconisait notamment, en juin 2012, de développer une pédagogie de la mixité sociale, de repenser l’offre de formation, ainsi que l’attribution des dotations aux établissements, et de réviser les procédures d’affectation et de dérogation. Or rien ne nous est proposé sur ces points.
Les inégalités ne font d’ailleurs que s’accroître au fur et à mesure du parcours scolaire des élèves. Aujourd’hui, près de 20 % des élèves de 15 ans sont en grande difficulté face à l’écrit et un nombre toujours croissant d’élèves arrivent en sixième avec des problèmes de lecture. Si des élèves ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture à l’arrivée au collège, comment espérer que leur scolarité ultérieure se déroule sans problème ? Or aucune mesure concrète n’est proposée pour lutter contre l’illettrisme, pourtant déclaré grande cause nationale de 2013, alors même que le projet de loi vise à redéfinir le socle commun.
En ce qui concerne la formation des enseignants, si l’intention d’engager une réforme de leur formation initiale est louable, qu’en sera-t-il de son application et des moyens qui lui seront alloués, ainsi que de la formation continue ? Je suis sceptique quant à son efficacité réelle.
Rien non plus n’est proposé en matière de statut des enseignants. Le projet de loi comporte malheureusement bien trop de déclarations d’intention, qui seront loin d’être suffisantes pour faire face aux difficultés de notre système éducatif.
C’est pourquoi les sénateurs du groupe UDI-UC ont déposé une série d’amendements visant à mieux défendre les principes fondateurs de l’école et à améliorer son organisation, à renforcer le rôle des collectivités territoriales, à valoriser l’apprentissage et la formation professionnelle et à mieux prendre en compte les élèves en situation de handicap.
Les récents débats sur la réforme des rythmes scolaires ont montré de façon évidente que les communes et les intercommunalités comptent parmi les acteurs principaux de l’éducation de nos enfants ; elles doivent donc y être pleinement associées.
À ce propos, monsieur le ministre, je déplore la méthode employée pour modifier les rythmes scolaires ; cette réforme aurait dû être intégrée dans le présent projet de loi, comme il était prévu à l’origine. Tous, dans nos départements, nous constatons qu’elle sera très difficile à mettre en œuvre et que le manque de moyens alloués au temps périscolaire créera une nouvelle fois de nombreuses inégalités entre les collectivités territoriales. Le financement de ce dispositif n’a pas été évalué, ce qui pose un problème majeur aux municipalités.
Monsieur le ministre, comme je vous l’ai indiqué lors de votre audition par la commission de la culture, je suis, malgré ma réelle bonne volonté, dans l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre cette réforme dans de bonnes conditions, les caractéristiques de mon pôle scolaire, situé en zone rurale et tributaire des transports scolaires, ne s’y prêtant pas : en raison des impératifs liés aux transports scolaires, l’amplitude horaire restera la même qu’aujourd’hui, avec une demi-journée supplémentaire qui accroîtra la fatigue des enfants.
La réflexion aurait été préférable à la précipitation. Cette réforme faisait l’unanimité dans l’esprit, mais, parce que l’on n’a pas pris le temps de la concertation avec les acteurs concernés, elle est aujourd’hui rejetée par le plus grand nombre !
Par ailleurs, je m’étonne que l’apprentissage et la formation professionnelle ne soient pas mis en avant, alors qu’ils peuvent être un levier puissant pour permettre à nos jeunes de s’insérer efficacement dans le monde du travail.
C’est ainsi que le projet de loi n’autorise plus les enseignements complémentaires préparant les élèves à des formations professionnelles, qui peuvent être proposés dès la classe de quatrième. Vouloir maintenir à tout prix un élève dans un parcours où il ne s’épanouit pas, c’est prendre le risque qu’il décroche et quitte le milieu scolaire. Au contraire, la formation ou l’apprentissage lui permettrait d’apprendre à connaître le monde de l’entreprise ; l’enseignement agricole est le meilleur des exemples à cet égard.
Mon inquiétude porte sur l’avenir des classes de quatrième de l’enseignement agricole, que l’article 33 du projet de loi met en péril. Si je me réjouis que le Gouvernement ait déposé un amendement visant à les prendre en compte, je regrette un peu de ne pas avoir été entendue sur ce sujet en commission. Cela étant, l’essentiel est que cet amendement existe.
Toujours à propos de l’enseignement agricole, la régionalisation de la formation professionnelle soulève également des questions. Comment s’articulera-t-elle avec le présent projet de loi et les lois à venir sur la décentralisation et sur le monde agricole ? De nombreuses zones d’ombre subsistent.
Le collège unique, au sens strict du terme, n’est pas la solution. Le collège doit être multiple et permettre aux élèves de trouver leur voie. Pour cela, il convient, au-delà du socle, de favoriser les parcours différenciés, parmi lesquels l’apprentissage. Il faut promouvoir la diversité des intelligences !
L’important, c’est que l’orientation des jeunes soit choisie et non subie, ce qui suppose que les enseignants, les parents et les enfants y soient pleinement associés et disposent d’une information complète.
Certains secteurs souffrent d’un véritable déficit d’image, alors qu’ils sont pourvoyeurs d’emplois et forment à des métiers en situation de pénurie de main-d’œuvre. C’est pourquoi je m’inquiète de la suppression du dispositif d’initiation aux métiers en alternance mis en place au bénéfice des jeunes de 15 ans sous statut scolaire par la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée, dite loi Cherpion. Ce dispositif répond à un besoin spécifique des jeunes de moins de 16 ans achevant leur parcours au collège et ayant une idée claire de leur projet professionnel.
L’apprentissage est une voie d’excellence : huit jeunes sur dix qui l’empruntent trouvent un emploi au terme de leur formation. Je pense donc qu’il faut maintenir le dispositif en question, qui est ancré dans la réalité des besoins des élèves. Sa suppression conduirait à des situations incohérentes : à la fin de leur troisième, des jeunes ayant acquis le socle commun de connaissances ne pourraient plus commencer une formation par l’apprentissage avant d’avoir atteint l’âge de 15 ans. Or l’apprentissage et la formation professionnelle préparent à plus de 500 métiers dans l’hôtellerie, l’informatique, le paramédical, l’artisanat et le bâtiment, tous secteurs dans lesquels les employeurs ont beaucoup de mal à recruter.
Cette filière constitue une possibilité supplémentaire offerte aux jeunes, l’emprunter n’est nullement une obligation ; elle ne représente ni un choix de seconde zone ni un choix par défaut. La place qui lui est accordée dans le système éducatif français est injuste au regard de ses performances et discriminatoire envers les jeunes qui ont opté pour ces parcours. Ces derniers se rendent bien compte que leur formation n’est pas toujours mise en avant, quand elle n’est pas dépréciée. Au bout du compte, pourtant, ils font partie de ceux qui trouvent un emploi.
Monsieur le ministre, votre projet de loi comporte bien trop de déclarations d’intention et ne prévoit pas assez de moyens pour les mettre en œuvre. En outre, il souffre de nombreux manques. Quant à la prétendue concertation destinée à le préparer, elle a été menée dans la précipitation, pendant les vacances d’été et alors même que le texte était pour ainsi dire rédigé !
M. David Assouline. Vous êtes de mauvaise foi : c’est la plus grande concertation jamais réalisée !