M. Jean-Michel Baylet. Les lois d’orientation et de programmation relatives à l’école sont trop souvent des « lois bavardes », dans le sens où elles exposent les grands principes vers lesquels doit seulement tendre l’action éducative.
Je rappelle que, aux termes de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux de l’enseignement… Le présent texte n’en oublie pas pour autant la mobilisation des moyens nécessaires à la mise en œuvre des objectifs fixés, ce qui, à l’aune des politiques menées par les derniers gouvernements, constitue, reconnaissons-le, un progrès notable.
Aujourd’hui, mes chers collègues, trop de jeunes sortent du système éducatif sans qualification. Trop d’élèves, à leur entrée au collège, ne maîtrisent pas les bases des connaissances en termes de lecture. Ces populations, les statistiques le démontrent, sont naturellement celles qui éprouvent le plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail.
L’on perçoit donc le caractère fondamental de l’effort que nous devons consentir en faveur de l’éducation.
Monsieur le ministre, si les sénateurs radicaux s’accordent, vous l’avez compris, sur l’économie générale du texte et les objectifs qu’il assigne à l’école de la République, lors de l’examen des articles, notre groupe défendra plusieurs amendements tendant à améliorer le projet de loi, notamment sur l’articulation entre le socle commun des connaissances et les programmes, sur l’abaissement de l’âge de la scolarisation obligatoire, thème cher à Françoise Laborde.
En outre, nous aborderons les implications pour les collectivités en termes de rythmes scolaires et d’organisation de l’offre scolaire et périscolaire. Vous savez que nous sommes un certain nombre, dans les départements, à avoir combattu pour que cette réforme soit une réussite.
Enfin, dans la lignée du débat sur l’application de la loi de 2005 relative au handicap qui s’est tenu dans cet hémicycle fin 2012, nous veillerons à faire de l’école le lieu d’inclusion de tous les élèves, notamment des jeunes handicapés.
J’entends bien ces voix qui, dans l’opposition, ergotent parfois sur le choix du terme « refondation ». Certes, il ne s’agit pas de balayer l’édifice existant, d’en faire table rase. La présente réforme ambitionne cependant de renouer avec les fondations républicaines de l’éducation. C’est la raison pour laquelle les radicaux se sont réjouis de l’annonce de la création d’un enseignement laïque de la morale. Cette discipline, qui sera dispensée et évaluée du primaire au lycée, doit permettre de partager et de transmettre nos valeurs communes de liberté, d’égalité et de fraternité qui constituent la base du « vivre ensemble ».
L’affichage et la diffusion, auprès des élèves, d’une « charte de la laïcité » doivent également contribuer à faire de l’école le premier lieu où vit et où se vit la République.
Faire entrer cette morale laïque au sein de l’école relève d’une volonté affirmée. Le choix des termes est primordial. Monsieur le ministre, je ne crois pas que vous me contredirez, vous qui avez tant étudié l’œuvre de Ferdinand Buisson. Il s’agit bien de morale, c’est-à-dire d’un ensemble de valeurs, de principes et de règles, et cette morale à l’école ne peut bien sûr qu’être laïque, c’est-à-dire hermétique aux influences partisanes, religieuses, communautaires ou économiques.
Les missions que nous attribuons à l’éducation nationale ont été magnifiquement résumées par celui qui en fut un ministre visionnaire, Jean Zay : encore un radical ! (Sourires.) Oui, mes chers collègues, les radicaux ont fondé la République ! Il est bon de le rappeler !
Dans l’ouvrage qu’il rédigea au cours de sa dure et cruelle détention, Souvenirs et solitude, Jean Zay revint sur l’ambitieuse réforme qu’il avait menée en 1937. À ses yeux, l’enseignement devait consister « à former le caractère par la discipline de l’esprit et le développement des vertus intellectuelles ; à apprendre à bien conduire sa raison […] ; à garder toujours éveillé l’esprit critique ; à démêler le vrai du faux, à douter sainement ; à observer, à comprendre autant qu’à connaître ; à librement épanouir sa liberté. »
Ce sont bien les lumières de cet humanisme qu’il nous revient de rallumer aujourd’hui. Pour ce faire, monsieur le ministre, nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Jacques Mézard. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, « projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République » : voilà un titre qui sonne, qui claque, qui claironne ! Toutefois, s’agit-il d’un texte ambitieux ou d’un texte emphatique ? Nous avons le droit de nous poser la question. En tout cas, ce projet de loi mérite d’être examiné attentivement et sans a priori. C’est ce que les commissaires de l’UMP et moi-même avons fait : quand il s’agit de l’avenir de nos enfants, la politique doit rester secondaire.
M. Jacques-Bernard Magner. Ça, c’est une bonne nouvelle !
Mme Colette Mélot. De part et d’autre !
M. Jacques Legendre. Cela étant, il nous faut bien avouer notre déception ou, à tout le moins, notre inquiétude.
Monsieur le ministre, j’ai l’expérience d’un certain nombre de textes essentiels, effectivement fondateurs. Je songe aux lois qui, au début de la Ve République, portèrent de 14 à 16 ans l’âge de la fin de la scolarité obligatoire et supprimèrent l’examen d’entrée en sixième, en postulant que tous les enfants devaient aller au collège. Je songe à la création des collèges d’enseignement secondaire, les CES, que la gauche n’approuva pas à l’époque, à celle des instituts universitaires de technologie, qui fut combattue, de même que le ministre d’alors, Christian Fouchet. Je songe également à d’autres textes tout aussi essentiels, notamment à la loi Haby, dont j’ai d’ailleurs été le rapporteur et qui a unifié les filières des premiers cycles du second degré ; ce fut un progrès important.
M. Jacques Legendre. Je songe enfin aux objectifs définis, en 1980, par le ministre Christian Beullac, dont votre serviteur était le secrétaire d’État : aucun jeune ne devait quitter l’école sans avoir une somme de connaissances générales suffisante et une qualification professionnelle attestée. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Cela a été rappelé, chaque année, entre 130 000 et 150 000 jeunes quittent encore le système scolaire sans un niveau suffisant et sans qualification professionnelle. Ces jeunes sont les plus vulnérables face au chômage.
Pourtant, les moyens de l’éducation nationale ont été fortement augmentés,…
M. Alain Néri. Pas au cours du dernier quinquennat !
M. Jacques Legendre. … presque doublés depuis 1980. Il faut en tirer les leçons : les mauvais chiffres révélés par l’étude PISA ne sont pas dus, pour l’essentiel, à un manque de moyens.
Face à cette situation, que proposez-vous, monsieur le ministre ? Vous nous présentez un projet de loi incomplet, puisque ce texte n’aborde pas le problème du second cycle du second degré et n’innove pas dans le domaine pourtant critique de l’orientation, tandis qu’il semble amorcer une remise en cause du socle commun.
Monsieur le ministre, votre projet de loi, il faut le reconnaître, prévoit d’abord la mobilisation de crédits importants pour recruter à nouveau des enseignants, avec le remplacement de tous les départs à la retraite et la création de nouveaux postes.
Nous contestons ce choix pour deux raisons.
Premièrement, cette mesure aura des conséquences sur l’équilibre global de la fonction publique. En effet, le Président de la République s’est engagé à ne pas augmenter le nombre total de fonctionnaires. Cet accroissement du nombre d’enseignants devra donc être compensé par une diminution importante des effectifs dans d’autres corps de la fonction publique, à savoir, en pratique, la défense nationale : il ne faut pas s’étonner de certains choix récemment rendus publics ! L’équilibre est toujours difficile à atteindre entre deux exigences réelles, entre deux devoirs de l’État : d’une part, assurer l’éducation, d’autre part, garantir la défense et la sécurité de la République en ces temps particulièrement difficiles.
Deuxièmement, cette « refondation » vise avant tout à permettre l’accueil des enfants à la maternelle dès l’âge de 2 ans. Or, à nos yeux, c’est plutôt sur la dernière année de maternelle et le début de l’école primaire que l’effort doit être porté.
Mme Muguette Dini. Oui !
M. Jacques Legendre. Nous avons proposé de tirer les conséquences d’une réalité : à l’âge de 5 ans, tous les enfants vont à la maternelle. Abaisser à 5 ans l’âge du début de la scolarité obligatoire, organiser un cycle entre la dernière année de l’école maternelle et la première année de l’enseignement primaire, voilà qui permettrait, nous semble-t-il, de favoriser l’acquisition des fondamentaux.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Très bien !
M. Jacques Legendre. Nous regrettons de n’avoir pas été entendus jusqu’à présent sur ce sujet.
M. Alain Néri. Et la préparation aux acquisitions, ça se fait à quel moment ?
M. Jacques Legendre. Par ailleurs, à certains égards, nous craignons de voir adopter une loi de réaction plus que de refondation.
Le collège unique serait-il devenu la vache sacrée à laquelle on ne pourrait pas toucher ? Je puis en parler, ayant contribué à sa création : plusieurs décennies plus tard, l’expérience montre que sa rigidité même nuit aux élèves les plus en difficulté. Or vous nous proposez de rigidifier davantage encore le collège unique ; on ne s’en évadera plus guère, alors qu’il faudrait introduire de la souplesse, pourquoi pas via l’instauration de modules. Le texte du Gouvernement va dans l’autre sens : avance-t-on ou opère-t-on un retour en arrière ?
Monsieur le ministre, votre propension à « grignoter » les fondamentaux du socle commun est elle aussi inquiétante. La loi Fillon fixait clairement dans la législation les matières de ce socle. Quant à vous, vous renvoyez à un décret : c’est un recul.
Parallèlement, votre texte en appelle aux équipes pédagogiques, aux enseignements transversaux. Pourquoi pas, mais que devient la liberté pédagogique des enseignants ? Dans ce domaine, comme dans les préconisations de l’annexe en matière d’évaluation, plane un parfum discret de pédagogisme.
Mme Claire-Lise Campion, rapporteur pour avis. Ça y est, nous y voilà !
M. Jacques Legendre. L’innovation a ses mérites, mais elle doit également avoir ses limites : il ne faut jamais perdre de vue l’absolue nécessité d’assurer, en toute priorité, l’apprentissage de la lecture et des savoirs fondamentaux du socle commun.
Mme Françoise Férat. Bien sûr !
M. Jacques Legendre. Cela impose de revoir le dispositif d’évaluation des élèves, ainsi que celui des enseignants. « Évaluation » n’est pas un mot choquant.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est pourquoi vous avez multiplié les réformes sans les évaluer !
M. Jacques Legendre. L’évaluation doit s’appliquer au système, aux élèves et aux enseignants ! Évaluer les enseignants, c’est aussi les reconnaître, faire en sorte qu’ils soient estimés à leur juste valeur, à la mesure de l’importance de leur fonction dans la société ; c’est faire en sorte qu’ils soient mieux payés. Rappelons que le non-renouvellement des postes par le précédent gouvernement ainsi que l’allongement des études des futurs enseignants avaient aussi pour objectif de permettre une revalorisation salariale. Comment ferez-vous pour augmenter à la fois le nombre et la rémunération des enseignants ?
Des enseignants mieux payés doivent être bien formés. Vous avez raison d’insister sur ce point, monsieur le ministre, mais est-ce à dire qu’il faille en venir à mettre en place des structures, les ESPE, qui rappellent tout de même furieusement les IUFM ? Votre projet de loi insiste sur l’autonomie de ces écoles par rapport aux universités. Nous sommes attachés à ce que l’université joue pleinement son rôle dans la formation des enseignants, qui doivent recevoir une solide préparation disciplinaire…
M. Alain Néri. Comme c’était le cas avec les écoles normales et les IPES ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jacques Legendre. … et bénéficier d’expériences de terrain au côté d’enseignants chevronnés plutôt que de cours ex cathedra dispensés par des pédagogues spécialisés dans les sciences de l’éducation.
Enfin, j’en viens à la réforme des rythmes scolaires.
Monsieur le ministre, là aussi, vous avez raison de poursuivre, avec un certain courage, que je vous reconnais volontiers, la réflexion engagée par votre prédécesseur, M. Luc Chatel. Toutefois, faut-il pour autant aller trop vite ? Nous sommes favorables à la réforme des rythmes scolaires, mais sa mise en œuvre pose des problèmes. Les collectivités territoriales doivent y être pleinement associées, car ce seront elles, en définitive, qui paieront !
M. Jean-Michel Baylet. Elles paient déjà, nous pouvons en témoigner !
M. Jacques Legendre. Sur ce plan, la précipitation peut se révéler néfaste : plutôt que d’appâter quelques communes volontaires avec un peu d’argent, mieux vaut se donner une année de plus et aider toutes les communes à démarrer. Nous en appelons tout simplement au bon sens.
Telles sont les remarques argumentées que je tenais à formuler. Nous avons déposé de nombreux amendements qui s’en inspirent, mais, contrairement à ce que j’ai entendu affirmer, presque tous ont été rejetés par la commission. Ce matin, en particulier, aucun amendement émanant des groupes de l’opposition n’a été accepté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si, certains ont été acceptés, ce qui n’était pas le cas quand vous étiez aux manettes !
M. Jacques Legendre. Si ce refus devait ne pas être corrigé, au cours du débat en séance plénière, par l’adoption de nos amendements les plus essentiels, nous ne pourrions apporter notre soutien à un texte qui, s’il comporte sans doute des mesures importantes, n’est tout de même pas la réforme du siècle ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. –Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, chers collègues, penser un projet pour l’école, c’est penser un projet pour la société.
Or, l’une des dimensions fondamentales des évolutions en cours repose sur la mutation des formes de savoirs et de raisonnement. Dès lors, comment poser la question de l’école sans aborder celle, fondamentale, de la place des savoirs et de leur évolution ?
En effet, notre société est de plus en plus structurée par des savoirs complexes, savants, qui modèlent les situations auxquelles sont confrontés les citoyens et les travailleurs. Cette évolution pose indéniablement à notre société le défi de l’élévation du niveau de connaissances.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus d’apprendre par cœur et de restituer un savoir, mais de comprendre, de substituer, de mettre en relation des savoirs. Cette exigence de réflexion se conjugue avec des contenus devenus plus notionnels. De récents travaux de recherche montrent d’ailleurs que ces exigences croissantes sont présentes dès l’école maternelle.
Cette évolution doit nous conduire à nous poser deux questions : quelle finalité conférer aux savoirs ? Les destine-t-on à tous ? Un projet pour l’école doit, selon nous, répondre sans ambiguïté à cette double interrogation.
Lors du précédent quinquennat, la droite a mené, via la RGPP, une politique de démantèlement du service public, concrétisée par la suppression de près de 80 000 postes. Cette politique a profondément déstabilisé les personnels dans l’exercice de leur mission, en imposant une logique de gestion de la pénurie que les écoles et les établissements subissent encore actuellement.
Dans le même temps, confrontée au défi de l’élévation du niveau de connaissances, la droite a, par ses réformes, jeté les bases d’un autre objectif pour l’école : l’employabilité, avec, comme principaux outils de tri des élèves, l’individualisation des parcours et la notion de « compétences », consacrée en 2000 par la stratégie dite de Lisbonne et devenue, hélas, la boussole des réformes éducatives libérales en Europe.
L’école subit aussi la panne du processus de démocratisation scolaire, dont relevait l’exigence de la poursuite d’études. Il a débouché sur une « démocratisation quantitative », laquelle « ne s’est pas accompagnée d’une diminution des inégalités sociales qui se sont juste décalées dans le temps », pour reprendre les mots du chercheur Jean-Yves Rochex.
Les outils employés pour conduire cette massification ― orientation, classes de quatrième et de troisième technologique, chute du nombre de redoublements ― ont bien débloqué des verrous, mais ils ont aussi montré leurs limites en ne permettant pas de lutter efficacement contre l’échec scolaire. Ainsi, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, le taux de passage en seconde n’évolue plus, ou seulement très lentement.
La loi Fillon de 2005 n’a pas relancé ce processus. Bien au contraire, avec l’inscription dans la loi d’un socle minimal de connaissances et de compétences, un recentrage s’est opéré sur la scolarité obligatoire, dont l’instauration remonte tout de même au décret Berthoin de 1959 !
Selon nous, pour répondre au défi de l’élévation du niveau de connaissances, une relance du processus de démocratisation scolaire est nécessaire, car seule celle-ci peut permettre de construire une école au service de l’émancipation individuelle et collective. Telle est l’ambition qu’il nous faut avoir pour l’école.
Conscients de cet enjeu de démocratisation scolaire et confrontés, dans le même temps, aux conséquences des réformes de la droite, les personnels de l’éducation se sont mobilisés en nombre pour défendre une réponse de service public. De là sont nées des frustrations, une souffrance ordinaire liées à un sentiment de « travail empêché », mais aussi des réflexions sur la pratique et les métiers, qui ont nourri des attentes et des exigences en matière de transformation en profondeur du service public. Ces dernières ont trouvé un écho dans la refondation annoncée par le Gouvernement.
C’est, en effet, à ce haut niveau d’exigence qu’il faut se placer. Nous partageons ce choix, car l’heure n’est pas à « moins d’école », mais à « plus et mieux d’école ». Dès lors, il faut imaginer et bâtir le service public national d’éducation correspondant à ces ambitions.
Si nous approuvons la priorité accordée au primaire, la réaffirmation du collège unique ou la remise en chantier de la formation des enseignants, il nous semble que ce projet de loi ignore des dispositions essentielles qui auraient pourtant dû l’irriguer.
Quelles sont ces dispositions qui, selon nous, devraient nourrir notre débat ?
Oui, il y avait bien urgence à porter un coup d’arrêt à la révision générale des politiques publiques, contrairement à ce que la droite affirme. Il faut saluer la décision du Gouvernement de redonner des moyens, en termes de postes, à l’école. Mais, nous le savons, ces moyens, qui relèveront des prochaines lois de finances, ne suffiront pas à faire reculer mécaniquement les inégalités scolaires ; ils doivent s’appuyer sur l’engagement d’une réforme pédagogique profonde. C’est sous cet aspect que le projet de loi ne prend pas suffisamment la mesure des transformations à opérer et risque, peut-être, de manquer à son ambition de refondation.
La première de ces transformations consisterait à considérer que tous les enfants sont capables d’apprendre et de réussir, et à faire évoluer en conséquence le service public. Parce que les différences entre les élèves sont non pas naturelles, mais socialement construites, et que l’échec scolaire n’est pas une fatalité, l’affirmation de la capacité de tous les élèves à suivre les apprentissages scolaires doit être au fondement du projet éducatif.
La deuxième transformation porte sur le contenu des enseignements. Relever le défi des savoirs à enseigner à tous est une nécessité pour aller vers une société plus juste. À l’individualisation des parcours et des enseignements, il faut opposer une conception ambitieuse et émancipatrice de l’école, que recouvre le concept de culture commune, par la transmission des mêmes contenus à tous les élèves.
Suivre un cursus commun, que ce soit dans le cadre de la scolarité unique ou au travers des disciplines étudiées ensemble dans une même filière, n’interdisant évidemment pas la mise en œuvre de pédagogies différenciées et ouvrant la possibilité de découvrir de nouveaux centres d’intérêt jusqu’alors insoupçonnés, afin de faire l’expérience d’un apprentissage partagé : c’est cela aussi qui fonde le vivre ensemble.
Il est urgent de mettre en œuvre le « tous capables », l’appréhension de savoirs toujours plus complexes, l’ambition de transmettre une culture commune, qui posent l’exigence d’allongement de la scolarité obligatoire.
L’éducation nationale doit pouvoir disposer de plus de temps pour former les jeunes et prendre en charge, bien en amont du décrochage, les élèves qui rencontrent des difficultés. C’est pourquoi nous proposons d’instaurer une scolarité obligatoire de 3 à 18 ans. Cela permettrait d’ouvrir une réflexion globale sur les cycles et les rythmes, de dégager le collège de la pression de l’orientation, laquelle se joue aujourd’hui trop tôt et n’autorise pas le droit à l’erreur, faute de réelles passerelles.
La formation des enseignants est également essentielle à la refondation de l’école. Il est temps de rendre aux enseignants la maîtrise de leur travail et de leur donner les moyens de faire évoluer leurs pratiques pour assurer la réussite de tous les élèves. Cela implique une formation de haut niveau, construite selon un continuum conjuguant le disciplinaire et le professionnel, dans un système d’aller-retour en lien avec la recherche.
Pour que l’entrée dans le métier se fasse dans de bonnes conditions, et eu égard à la crise sérieuse du recrutement, que les emplois d’avenir ne résoudront pas, je continue de plaider en faveur de véritables pré-recrutements dès la licence. De plus, rappelons que les enseignants interviennent au sein d’équipes pluri-professionnelles, qu’il nous faut reconnaître et renforcer, et non pas diluer.
Seul un service public national peut être le garant de l’égalité d’accès aux savoirs sur tout le territoire. En effet, le poids des inégalités territoriales pèse fortement dans la réussite des élèves. Le maintien d’un cadrage et d’un pilotage nationaux forts n’exclut nullement les coopérations et les partenariats. Je pense notamment aux parents, qui doivent être considérés comme des acteurs à part entière de la réussite des élèves. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement tendant à instaurer un statut des délégués de parents d’élèves.
Mais ces partenariats ne doivent pas servir de paravent à un désengagement de l’État. Or, la mise en œuvre de la réforme des rythmes et les forts accents de territorialisation de plusieurs dispositions de ce projet de loi, qu’il s’agisse de la définition de la carte des formations professionnelles initiales, du parcours d’éducation artistique et culturel, du service public du numérique ou encore du service public de l’orientation tout au long de la vie, recèlent ce danger.
Voici, brossées à grands traits, les fondations sur lesquelles devrait s’appuyer, selon nous, une refondation du service public national d’éducation. Ces réflexions ont guidé les propositions que nous avons formulées en commission pour amender le texte issu de l’Assemblée nationale. Sous l’impulsion de notre rapporteur, la commission a apporté à celui-ci des améliorations, auxquelles nous avons pris toute notre part : je pense notamment à la notion du « tous capables », introduites à l’article 3A du projet de loi et inscrite parmi les principes généraux de l’éducation.
Sur la question des contenus d’enseignement, le projet de loi amende le socle commun de connaissances et de compétences issu de la loi Fillon, qui institutionnalisait le principe d’objectifs différenciés en fonction des élèves, avec ce socle comme minimum à garantir à tous et les programmes comme finalités pour les élèves « destinés » à la poursuite d’études. Mais, si l’on prétend supprimer cette distinction, pourquoi le projet de loi conserve-t-il le socle à côté des programmes ?
Je l’ai rappelé précédemment, la refondation passe à nos yeux par l’affirmation d’un même niveau d’exigence pour tous les élèves. C’est le sens de la réécriture de l’article 7 que nous avions proposée et dont une partie a été retenue. Cependant, un autre amendement adopté contre notre avis contredit cet objectif. Le présent débat devra permettre de trancher cette question.
Notre combat visant à privilégier une coopération État-région, plutôt qu’une mainmise de la région sur la carte des formations professionnelles initiales, a trouvé un début d’issue en commission par l’adoption d’un de nos amendements à l’article 18.
Enfin, notre travail pour replacer une formation initiale de haut niveau des enseignants au cœur de la refondation a permis d’inscrire dans le projet de loi que les écoles supérieures du professorat et de l’éducation assureront les actions de formation utiles aux étudiants se destinant au professorat et ne se contenteront pas de les organiser. Cette précision était utile, car le flou règne quant à la mission qui sera dévolue à ces écoles.
Ces premiers pas en appellent d’autres. Or nous constatons, à l’ouverture du débat en séance publique, que le Gouvernement revient, par voie d’amendements, sur des améliorations que nous avions apportées aux articles 7, 18 et 51. De plus, il propose de faire adopter, via ce texte, la réforme du service public de l’orientation inscrite aux articles 14 et 15 du projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires. Le débat qui va s’ouvrir maintenant est donc extrêmement important. J’estime que les enjeux liés à l’orientation scolaire, qui s’adresse à des jeunes gens en devenir, sont d’une telle spécificité qu’ils ne pourront trouver une réponse pleinement satisfaisante au sein d’un « service public de l’orientation tout au long de la vie » indifférencié, dont la région, de fait, deviendrait le maître d’œuvre.
On le voit, de nombreux points restent en discussion. Les débats de cette semaine détermineront donc l’appréciation finale de mon groupe sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.