Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur, au nom de la commission des finances, de plusieurs projets de loi ratifiant des conventions fiscales et des accords d’échange de renseignements, j’ai été amenée à analyser en détail ces instruments. Bien entendu, je n’ai pas la prétention d’en savoir autant sur le sujet que nous abordons ce soir que nos collègues qui ont travaillé au sein de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux. Je remercie d’avoir Éric Bocquet d’avoir posé ici la question de l’efficacité des conventions fiscales internationales.
La politique conventionnelle française s’inscrit dans le cadre multilatéral mis en place par l’OCDE. J’ai bien entendu les critiques émises ce soir sur cet organisme. Je veux donc rappeler ce que nous a dit M. Saint-Amans, directeur de son centre de politique et d’administration fiscales ? À la réflexion de notre collègue Jean Germain qui, après avoir entendu son exposé, se déclarait « admiratif d’un point de vue intellectuel, mais gêné politiquement », il avait répondu que l’OCDE n’était qu’un outil au service des politiques, mais qu’il était utile que nous, les politiques, parlions de cet outil, y compris pour le réformer.
Permettez-moi tout d’abord de procéder à un bref historique de la question.
Dès 2000, l’OCDE a publié une première liste des « paradis fiscaux ». Quelles sont les principales caractéristiques d’un « paradis fiscal » ? Il s’agit d’un État ou territoire dans lequel les impôts directs sont insignifiants ou inexistants, où les activités économiques substantielles sont rares, dont le régime fiscal n’est pas transparent et qui ne transmet pas de renseignements aux administrations fiscales des autres pays.
En 2002, un modèle de convention sur l’échange de renseignements en matière fiscale a donc été élaboré au sein de l’OCDE. Il s’agissait alors de s’accorder sur des standards internationaux en matière d’échange des renseignements, afin de lutter contre les pratiques dites « dommageables ». Ces standards définis, ils ont trouvé leur place à l’article 26 du modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune de l’OCDE, adopté en 2008, ce modèle couvrant un champ plus large que le seul échange d’informations.
Selon ces accords, les pays s’engagent à échanger, sur demande, des informations en matière fiscale. Le pays requérant doit uniquement démontrer la pertinence prévisible de sa demande : c’est la notion de renseignements « vraisemblablement pertinents », qui vise à empêcher les États d’aller à la « pêche » aux informations. L’actualité récente a mis en lumière cette question.
Cependant, il a fallu attendre le G20 de Londres, en 2009, pour que la communauté internationale s’engage véritablement à lutter contre les pratiques fiscales dommageables en renforçant la coopération. Ainsi, en 2009, l’OCDE a publié trois listes de juridictions, en fonction de leur degré de transparence en matière fiscale : la « liste noire » recensait les États n’ayant pris aucun engagement en termes d’échange de renseignements ; la « liste grise » regroupait les États s’étant engagés à signer de tels accords ; enfin, les pays ayant signé plus de douze accords figuraient sur la « liste blanche ». Dans le cadre national également, il suffisait à un pays de signer plus de douze accords pour ne plus être présent sur la liste des États et territoires non coopératifs.
Consciente du fait que le critère formel de la signature de douze accords ne suffisait pas à rendre effective la coopération, l’OCDE a prévu des modalités de contrôle desdits accords. Ainsi, depuis 2010, le Forum mondial de l’OCDE examine l’engagement à coopérer des 105 États membres au regard des standards internationaux. Cet examen, conduit par d’autres pays membres, comprend deux phases : la première analyse le cadre normatif de l’État, tandis que la seconde dresse le bilan qualitatif et quantitatif de la mise en application des accords. Il s’agit donc bien d’un contrôle de l’effectivité de la coopération.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la politique conventionnelle de la France depuis 2009.
La commission des finances du Sénat, qui est compétente au fond pour examiner les conventions fiscales, a toujours été attentive aux observations et recommandations formulées par l’OCDE, notamment dans la phase d’analyse du système juridique du pays. Ainsi, après avoir constaté que le Panama ne satisfaisait qu’à trois des dix critères de transparence définis par le Forum mondial, Nicole Bricq, alors rapporteur général, a proposé au Sénat de rejeter la convention fiscale entre la France et ce pays.
En outre, j’ai souligné à plusieurs reprises que la ratification ne peut être assimilée à un blanc-seing. Dans le cas où l’échange de renseignements ne serait pas effectif, l’État ou le territoire concerné doit être réintégré à la liste française des États et territoires non coopératifs. Il est primordial que le Gouvernement tienne pleinement compte de l’effectivité de l’échange d’informations lors de la prochaine révision de la liste de ces États.
Cette expérience au sein de l’OCDE, si elle demeure insuffisante, nous conduit à considérer que le fatalisme n’est pas de mise : dans ce domaine, un engagement politique fort, et partagé au niveau international, permet d’avancer. La ratification de conventions fiscales comprenant une clause d’échange de renseignements conforme aux standards internationaux constitue donc un préalable indispensable pour lutter contre l’évasion.
Certes, il convient aujourd’hui d’aller plus loin. En effet, les listes « noires » et « grises » se sont peu à peu vidées de leur contenu à mesure que les États développaient leur politique conventionnelle. C’est d’ailleurs une critique adressée aujourd’hui à l’OCDE. Mais la preuve que ces listes ont fonctionné, c’est justement qu’elles sont vides à présent : les États se sont engagés à coopérer. Désormais, et cela était prévu dès 2009, il s’agit de vérifier l’effectivité des échanges et de veiller ainsi au respect des conventions fiscales.
Je voudrais également souligner que le bilan, au niveau national, de l’échange de renseignements en matière fiscale n’est pas à la hauteur des enjeux. En 2011, l’administration fiscale française a adressé seulement 1 922 demandes de renseignements. Sans doute le renforcement des moyens humains et technologiques de l’administration fiscale annoncé par le Gouvernement permettra-t-il de faire progresser le nombre et la qualité des informations échangées. Néanmoins, la faiblesse de ce chiffre met en évidence l’avantage que pourrait avoir un système automatique d’échange de renseignements pour renforcer l’efficacité de notre politique de lutte contre l’évasion fiscale.
En plus de la poursuite des travaux au sein de l’OCDE, toutes les mesures renforçant la transparence en matière fiscale doivent être mobilisées.
Il faut se féliciter des avancées permises par le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, actuellement en cours d’examen au Parlement. Désormais, les banques devront publier, chaque année, la liste de l’ensemble de leurs filiales, pays par pays. Pour chaque filiale, elles devront indiquer la nature des activités, le produit net bancaire, les effectifs employés, les bénéfices avant impôts, les impôts acquittés et les subventions publiques reçues. Cette mesure sera également mise en œuvre au niveau européen. Grâce à ces informations, nous pourrons détecter les transactions effectuées dans des paradis fiscaux.
Ainsi, une « fenêtre de tir » politique se présente à nous : certains pays jusqu’alors réticents sont aujourd’hui prêts à s’engager plus loin dans la lutte contre l’évasion fiscale. Nous devons saisir l’opportunité qui s’offre à nous pour faire davantage contre l’évasion fiscale, qui prive nos États de recettes dont ils ont plus que jamais besoin. Notre collègue Marie-France Beaufils y a fait allusion tout à l'heure.
Je pense en particulier à l’instauration d’un système européen d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine appelée FATCA. Celle-ci est destinée à lutter contre l’évasion fiscale des contribuables américains détenant des avoirs ou percevant des revenus via des comptes ouverts en dehors des États-Unis. Pour cela, les institutions financières étrangères devront transmettre aux autorités américaines les informations sur les comptes bancaires détenus par les contribuables américains. Les banques devront également prélever une retenue à la source de 30 % sur les revenus des personnes « récalcitrantes ». Enfin, elle prévoit un reporting annuel indiquant les noms, numéros d’identification fiscaux et avoirs des clients américains.
En février 2012, plusieurs pays européens, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont signé avec les États-Unis une déclaration où ils se sont engagés à développer une approche commune pour la mise en œuvre de FATCA. Les échanges devraient ainsi se faire sur une base réciproque et passer par les administrations fiscales nationales, notamment afin de respecter les obligations de protection des données personnelles, que nous ne devons pas non plus oublier. Si les conditions de mise en œuvre précises de cet engagement n’ont pas encore été arrêtées, cette initiative constitue un premier pas vers la constitution d’un modèle commun d’échange automatique de renseignements.
Toutefois, le modèle américain ne peut pas être transposé tel quel au niveau européen. C’est en effet le principe de la résidence, et non de la citoyenneté, qui prévaut en Europe en matière fiscale. L’administration fiscale française ne peut donc pas s’intéresser aux revenus perçus par les Français résidant fiscalement dans un autre pays. Pourtant, la réforme américaine peut être source d’inspiration pour l’Europe, et je ne doute pas que nous trouverons à y puiser certaines solutions.
Je me félicite à cet égard de la lettre conjointe adressée à la Commission européenne par le ministre de l’économie et des finances, Pierre Moscovici, et ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, afin de mettre en place un projet multilatéral d’échange automatique de renseignements, inspiré de l’initiative américaine.
Le Conseil européen du 22 mai prochain constituera une étape importante dans la définition d’une véritable politique européenne de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quel message la France entend porter lors de ce sommet ? Quelles démarches ont été entreprises pour convaincre nos partenaires de l’urgence d’agir en matière de lutte contre l’évasion fiscale ?
Aux niveaux international et national, nous avons su développer des outils. Ils doivent être renforcés, complétés, en particulier au niveau de l’Union européenne. Il est de notre responsabilité – Gouvernement et Parlement – de transcrire cette volonté politique en actes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. André Gattolin et Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales s’inscrit, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, dans le cadre de la réflexion approfondie qui a été engagée au Sénat sur l’évasion fiscale, à la suite, notamment, du rapport de mon collègue Éric Bocquet, que je tiens à saluer. Ce rapport a été publié au nom de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, que j’ai eu le plaisir de présider.
Le précédent débat que nous avions tenu sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, le 3 octobre dernier, avait permis de prolonger en séance les travaux de la commission d’enquête.
Les conventions fiscales internationales, notamment bilatérales, s’inscrivent pleinement dans la lutte contre l’évasion fiscale, en permettant l’échange d’informations entre la France et les autres pays.
Elles préviennent l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôt sur le revenu et d’ISF, mais aussi de droits de succession et de donations. Elles clarifient également la situation des résidents français à l’étranger, en évitant la double imposition des revenus, en précisant le lieu d’imposition de leurs biens et revenus, ainsi que la définition de la résidence fiscale pour éviter tout contentieux avec le fisc français.
Le but de ce type de convention fiscale est donc d’attribuer à un seul des deux pays le domicile de la personne, donc l’étendue de son obligation fiscale.
Un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, publié en 2007, notait que la coopération internationale se développait, mais restait insuffisante, et que les services de contrôle pouvaient parfois se retrouver « démunis » pour obtenir des informations lors d’opérations économiques transfrontalières.
Depuis, la communauté internationale, notamment sous l’impulsion du président Sarkozy, lors des sommets du G20 de Londres et de Pittsburgh en 2009, a fait de la transparence fiscale et de l’amélioration de la coopération dans ce domaine une de ses priorités, et les accords internationaux en la matière se sont multipliés.
Le Sénat a déjà examiné de nombreux accords relatifs à l’échange de renseignements dans le domaine fiscal, fondés sur le modèle de convention établi par l’OCDE. Depuis plusieurs années, des actions concrètes ont été engagées, avec des résultats probants dans la lutte contre l’opacité juridique, comptable et bancaire.
Quoi qu’en disent certains de nos collègues, la coopération entre administrations fiscales en matière d’échange de renseignements a progressé à grands pas sous le précédent quinquennat, des modifications importantes dans les législations nationales et surtout de nouvelles conventions bilatérales étant intervenues. D’ailleurs, le rapport final de notre commission d’enquête sur l’évasion fiscale, adopté à l’unanimité de ses membres, issus de tous les groupes politiques de notre assemblée, le reconnaît.
Même dans de grands centres financiers offshore, comme la Suisse ou Singapour, le secret bancaire recule : ainsi disparaissent les principaux obstacles juridiques qui entravaient la levée du secret bancaire pour raisons fiscales.
Bien sûr, des progrès doivent encore être réalisés, mais le bilan en la matière est déjà positif.
Certes, l’affaire Cahuzac fait douter de l’efficacité de ces conventions. Mais ce qui semble en jeu, c’est non pas tant leur efficacité que la pleine utilisation par Bercy des facultés ouvertes par les conventions fiscales signées avec la Suisse et Singapour en matière d’échange d’informations, comme l’a très bien souligné le président Marini.
En matière d’échange d’informations, dans le cadre des conventions bilatérales, le point sur lequel devraient essentiellement porter les améliorations est plutôt la rapidité des réponses aux demandes d’information. Il faut en effet parfois compter plusieurs mois d’attente, par manque de convention directe, et, si l’on porte crédit aux propos du ministre, Bercy n’a reçu en une semaine que 28 réponses sur les 426 demandes adressées à la Suisse.
Le problème de l’évasion fiscale doit aussi être appréhendé en amont. Les conventions ne sont que le fil tentant de suturer une plaie causée par une politique fiscale poussant à l’évasion.
La réalité, comme je l’avais déjà rappelé lors du débat d’octobre dernier, c’est que nous vivons dans un environnement fiscal concurrentiel. Si notre fiscalité est punitive ou confiscatoire, grande peut être la tentation de placer dans des comptes offshore ses économies, qui sont bien souvent le fruit de son travail, d’une prise de risques liée à une création entrepreneuriale.
Je rappelle que la France va atteindre cette année le niveau record de prélèvements obligatoires, à hauteur de 46,5% du PIB, qu’il est envisagé de stabiliser ce niveau dans les trois ans qui viennent mais sans aucune perspective de le diminuer, ainsi que vous nous l’avez confié en commission des finances récemment, monsieur le ministre.
La tentative d’introduction de la taxe à 75 %, censurée par le Conseil constitutionnel pour son caractère confiscatoire, a, hélas, eu des effets psychologiques désastreux sur les plus fortunés. L’exil fiscal est difficilement quantifiable ; toutefois, selon les notaires et avocats fiscalistes, les départs auraient été multipliés par cinq en 2012 et il y en aurait eu plus de 5 000.
Je me réjouis à ce propos que nous puissions éventuellement disposer dans quelque temps de données plus précises en la matière, avec le lancement d’une étude à grande échelle par un think tank des cabinets d’avocats, apolitique et indépendant, et regroupant une quarantaine de fiscalistes français et internationaux.
L’envoi d’un questionnaire à plus de 200 professionnels français, belges, suisses et britanniques, qu’ils soient avocats fiscalistes, notaires ou banquiers, devrait permettre de compiler les informations. La commission d’enquête, dans son rapport, avait d'ailleurs préconisé que notre administration dispose de données précises avant qu’un think tank ne soit obligé d’éclairer les parlementaires sur ce type d’informations !
Dans son dernier rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, le Conseil des prélèvements obligatoires estimait que le montant des pertes fiscales liées à cette expatriation se situait entre 29 milliards et 40 milliards d’euros par an.
Le rapport de la commission d’enquête évalue, quant à lui, le montant minimal de l’expatriation fiscale entre 30 milliards et 36 milliards d’euros, sans pouvoir le chiffrer plus précisément, faute d’informations suffisantes de la part de l’administration fiscale.
En réalité, le montant de l’évasion fiscale pourrait se chiffrer à plus de 50 milliards d’euros, peut-être même à 80 milliards. Cette somme, supérieure aux recettes de l’impôt sur les sociétés en 2012, pourrait bénéficier à notre économie, qui en a grandement besoin ! Elle est en tout cas sans commune mesure avec les recettes engendrées par des mesures qui poussent nos compatriotes à s’expatrier, et aujourd’hui plus que jamais.
Lutter efficacement contre l’évasion fiscale, c’est non pas trouver des remèdes a posteriori, mais au contraire la prévenir en s’attaquant aux raisons qui incitent nos compatriotes à s’expatrier. C’est bien là, monsieur le ministre, que réside la faille de votre raisonnement, davantage empreint de contingences idéologiques que de pragmatisme et de rationalisme économiques.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, s’il semble naturel de s’inquiéter des pertes de recettes fiscales résultant de tricheries, nous devrions consacrer au moins autant d’énergie à mesurer les pertes de substance financière et de dynamisme économique qu’occasionne une fiscalité décrite très honnêtement par le rapport de la commission d’enquête comme l’une des plus lourdes d’Europe et, par conséquent, du monde.
Et, à l’époque, nous ne nous doutions pas encore de l’ampleur du choc fiscal que la majorité a infligé aux Français à l’automne dernier. Ce n’est d’ailleurs pas fini puisque nous savons qu’il y aura une rallonge d’environ 6 milliards d’euros de hausses d’impôts !
Quand on débat de l’évasion fiscale, il convient de ne pas oublier de rappeler que, par ailleurs, la très grande majorité des expatriés fiscaux français ne sont pas des fraudeurs, des commanditaires de montages financiers complexes. La réelle optimisation fiscale ne concerne qu’une minorité d’entre eux. Pour l’essentiel, il s’agit de créateurs d’entreprises ou de cadres dirigeants d’entreprises dont les sièges sociaux se délocalisent. Nombre d’entre eux font ce choix à contrecœur, en raison de la pression fiscale en France, l’une des plus lourdes de l’OCDE et la plus élevée des économies développées.
Alors que la création d’entreprise crée la richesse et l’emploi, nous nous privons de ce cercle vertueux qui voit la richesse créer la richesse. À une période où nous sommes au bord de la récession, notre économie en aurait pourtant grandement besoin !
Je dirai en conclusion que le débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales ne doit pas occulter le débat sur l’inefficacité de la pression fiscale dans notre pays en termes de création de richesses, de croissance et d’emploi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Chiron.
M. Jacques Chiron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l’Europe traverse une crise économique majeure qui impose une austérité contre-productive dans certains pays, l’évasion fiscale est plus que jamais, pour les citoyens, légitimement, une source de défiance, voire de révolte. Ce sont eux qui subissent au quotidien la crise, le chômage et la précarité, eux qui subissent l’injustice fiscale, laquelle renforce encore les inégalités économiques et sociales.
Dans ce contexte, la lutte contre l’évasion fiscale doit figurer parmi les priorités de tous les États sans exception. Je remarque d’ailleurs que, selon mes informations, la fraude fiscale est en Allemagne bien plus élevée qu’en France, ce qui contredit quelque peu les propos de l’orateur précédent.
M. Éric Bocquet. Eh oui !
M. Jacques Chiron. Au-delà des enjeux financiers, l’évasion fiscale est un combat citoyen, un combat moral, un combat pour l’équité.
Agir aujourd’hui pour lutter vigoureusement contre ce fléau, c’est porter cette ambition de justice, c’est demander à tous de contribuer en fonction de ses moyens à la richesse nationale, celle qui crée la solidarité collective pour ceux qui en ont besoin, celle qui permet de mettre en place un patrimoine commun de services publics accessibles à tous. Chacun devrait être honoré d’y concourir !
Alors que le Gouvernement demande des efforts à tous pour redresser les comptes de l’État et retrouver des marges de manœuvre, comment accepter que certains, ceux qui ont pourtant « les moyens », puissent s’en exonérer à l’ombre des paradis fiscaux et à l’abri des poursuites ? Il est aujourd’hui urgent de prendre des mesures radicales et efficaces.
D’autres intervenants l’ont dit, les chiffres de l’évasion sont accablants : 50 % des transactions mondiales transitent par des paradis fiscaux et bancaires. L’évasion fiscale pèse 1 000 milliards d’euros par an en Europe et de 60 milliards à 80 milliards d’euros par an en France, soit presque le montant du déficit public national.
Sans être la seule explication des crises que nous traversons, l’évasion et la fraude fiscales sont aujourd’hui un élément de leur pérennisation. Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, disait : « J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises. »
Face à cette crise de l’imposition, des solutions existent.
L’Europe doit mettre fin à la compétition du moins-disant fiscal et au refus de la transparence bancaire qu’elle a laissé s’installer en son sein. Elle ne peut se limiter à un grand marché, à des règles de discipline budgétaire et, pour les membres de l’Eurogroupe, à une politique monétaire. À l’heure des récessions et des croissances atones, la régulation économique, fiscale et bancaire doit être notre priorité.
Grâce aux prises de conscience collectives qui, chaque jour, gagnent du terrain, les graines de cette politique sont progressivement semées au travers de mesures nationales et internationales. J’essaierai d’être objectif à la fois sur les mesures déjà engagées et sur celles qui pourraient encore renforcer notre action.
Le Président de la République a fait, le 10 avril dernier, des annonces fermes qui vont dans le bon sens. Concernant le contrôle des banques, il a relayé et renforcé la proposition faite au Sénat. Monsieur le ministre, je propose que nous soyons plus exigeants encore avec les établissements financiers installés en France. Il faut conditionner le maintien de leur licence bancaire au strict respect de leurs obligations de transparence. Je pense ici à la nouvelle liste de 360 noms d’UBS.
Concernant les paradis fiscaux, nous savons que les hésitations autour de leur définition font naître des listes à périmètre variable. Cela a été dit, un pays qui signe plus de douze conventions fiscales internationales est retiré des listes. Par conséquent, la liste de l’OCDE ne permet pratiquement plus d’identifier aucun pays.
Si la mise en place de ces listes a eu une incidence plutôt positive sur le nombre d’accords internationaux, la question de leur mise en œuvre reste posée. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a insisté pour que l’application effective des conventions, et non pas seulement leur signature, soit le critère prépondérant pour déterminer si un État doit être classé ou non comme non coopératif. Cela devrait à la fois permettre la mise en place d’un suivi effectif des conventions fiscales et l’actualisation d’une liste sérieuse et crédible des paradis fiscaux.
Dans le cadre des conventions fiscales signées par la France, nous avons constaté que seules 60 % de nos demandes recevaient une réponse, tandis que certains contestent la légitimité même de ces requêtes. Il faut envisager de revoir certaines formulations pour éviter des divergences d’interprétation qui dissimulent certainement une volonté inégale des États signataires d’appliquer les conventions. Il est triste de s’apercevoir que les listes volées – je pense à celles d’HSBC en France et d’UBS aux États-Unis ou en Allemagne – ou le travail d’investigation de certains médias, qui ont parfois permis le transfert de milliers de noms, s’avèrent plus efficaces que l’échange d’informations via les conventions.
Enfin, le Président de la République a aussi proposé la création d’un parquet financier, c’est-à-dire d’un procureur spécialisé avec une compétence nationale, qui pourra agir sur les affaires de corruption et de grande fraude fiscale. Dans une matière aussi complexe, face à des pratiques d’optimisation et d’évitement qui ont souvent un temps d’avance sur la législation, nous avons effectivement besoin de magistrats spécialisés pour gagner en coordination, en réactivité et en efficacité. Le fait qu’il ait fallu quatre ans pour qu’un parquet se saisisse du dossier HSBC montre la pertinence des propositions du Président de la République.
Au niveau européen, certaines avancées peuvent également être soulignées. Sur le plan de la coopération fiscale, la création de la taxe sur les transactions financières entre onze États membres est une bonne nouvelle. Elle va freiner dès 2014 la mobilité excessive du capital, qui nourrit, on le sait, l’évasion fiscale.
Par ailleurs, nous pouvons nous réjouir que la lutte contre le secret bancaire ait été mise à l’agenda du prochain sommet européen, le 22 mai à Bruxelles.
Voilà déjà quelques progrès, mais il faut aller plus vite et plus loin.
J’insisterai plus particulièrement sur la récente proposition de Pierre Moscovici relative à la mise en place d’un FATCA européen. Le 10 mars dernier, il a sollicité, avec ses homologues britannique, allemand, espagnol et italien, la Commission européenne pour instaurer un projet multilatéral d’échange de renseignements, inspiré de la législation américaine.
Grâce à leur puissance de négociation, les États-Unis ont réussi à faire plier la Suisse et d’autres États. Les établissements financiers étrangers doivent transmettre au fisc américain les informations sur les comptes détenus par les contribuables, qu’ils soient citoyens ou résidents, afin qu’il puisse être procédé au recoupement de ces données avec leurs déclarations de revenus.
Cette même initiative, ambitieuse à l’échelle européenne, peut permettre à terme que l’échange automatique devienne la règle et que le secret bancaire disparaisse définitivement au sein de l’Union. Cet accord devra cette fois se faire sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes pour tous les États. La force d’une Union à 27 permettrait ensuite de négocier une convention fiscale, notamment avec la Suisse et les autres paradis fiscaux, qui soit à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé comme pour les accords « Rubik » bilatéraux.
Pour autant, un accord FATCA à l’échelle de l’Union européenne sera-t-il suffisant face aux résistances de certains pays ? Nous connaissons en effet bien les obstacles à sa mise en œuvre.
Il s’agit d’abord des obstacles juridiques, avec la règle de l’unanimité en matière fiscale et les systèmes fiscaux européens qui assoient l’impôt sur la résidence, et non sur la citoyenneté, comme aux États-Unis.
Il existe ensuite des obstacles politiques : je pense notamment à la position historique du Luxembourg et de l’Autriche au sujet du secret bancaire. Si le Luxembourg s’est récemment dit prêt à réduire « partiellement » son secret bancaire et l’Autriche prête à « étudier » la question, ces revirements sont en partie le fruit des pressions exercées par la société civile.
Rappelons que ces deux États retardent encore la conclusion du processus de révision de la directive Épargne, qui prévoit l’échange automatique de renseignements entre États de l’Union européenne sur les seuls revenus de l’épargne, alors qu’ils bénéficient d’une période dérogatoire depuis 2005. Rappelons aussi que les principaux partis politiques d’Autriche, engagés dans la campagne des élections législatives qui se tiendront en septembre prochain, sont fermement opposés à une avancée « rapide » sur cette question.
L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de ces pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels en quête d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg pour les leaders mondiaux de l’économie numérique. Des sommes considérables qui échappent ainsi à tous les États européens !
S’il faut combattre ces résistances en Europe, nous devons également être ambitieux à l’échelle mondiale en actionnant le levier du G20, dans le prolongement des discussions menées lors du G20 des finances, vendredi dernier, à Washington.
Cela permettrait de demander à l’OCDE de modifier son modèle standard de convention en intégrant l’échange automatique de renseignements sur tous les revenus, pour enfin permettre à tout pays de recenser les comptes bancaires et les avoirs de ses ressortissants à l’étranger.
Lors de la prochaine réunion du G20, en septembre, la France doit porter une voix forte et courageuse pour mettre en œuvre une véritable réforme financière mondiale.
En 2009, un consensus mondial des principales puissances économiques avait permis un premier recul du secret bancaire. Saisissons l’élan que nous voyons aujourd'hui se dessiner à l’échelle du G20 pour demander un calendrier précis de mise en œuvre du modèle d’échange automatique à l’échelle mondiale et attaquons-nous avec détermination aux paradis fiscaux, à l’évasion et à la fraude qui, chaque jour, menacent notre pacte républicain et fragilisent l’Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.