M. Ronan Kerdraon. Très bien !
Mme Sophie Primas. Mais oui, mais oui…
M. Jean-François Husson. Ne nous réveillez pas ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Demontès. Cette méthode est au cœur du texte qui nous est présenté. Elle a pour socle premier le respect des engagements pris. Le Président de la République l’avait dit : « Je mettrai en place, en concertation avec les partenaires sociaux, la sécurisation des parcours professionnels pour que chaque salarié puisse se maintenir dans l’entreprise ou l’emploi et accéder à la formation professionnelle. »
Ainsi, à l’issue de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet dernier, le Gouvernement proposait aux partenaires sociaux d’entreprendre une négociation globale sur les conditions d’une meilleure sécurisation de l’emploi. En application de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, présentée sur l’initiative du président Gérard Larcher, il en a fixé le cadre et le calendrier.
Le 11 janvier dernier, après quatre mois de négociations auxquelles tous les partenaires sociaux ont contribué, un accord national interprofessionnel a été signé par les trois organisations représentatives des employeurs et trois des cinq organisations syndicales représentatives des salariés : la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Au regard des résultats de représentativité du 29 mars 2013, on constate que ces trois formations représentent 51,15 % des suffrages recueillis par les organisations habilitées à négocier au plan interprofessionnel.
Il ne s’agit donc ni d’un accord MEDEF ni d’un accord reposant sur le soutien d’organisations minoritaires.
Je souligne aussi que les organisations non-signataires, même si elles ne se reconnaissent pas dans le texte de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, ont apporté leur contribution à la négociation ; elles nous l’ont d’ailleurs explicitement indiqué.
Le Gouvernement a, en outre, associé toutes les organisations à la préparation du projet de loi qui faite suite à cet accord national interprofessionnel, dans un esprit de transparence et de loyauté.
C’est cette même exigence qui a guidé les travaux des commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat, lesquelles ont prolongé et amplifié cette mutualisation d’analyses et de propositions en organisant de très nombreuses auditions.
J’en profite pour remercier la présidente de la commission des affaires sociales d’avoir organisé des rencontres avec l’ensemble des organisations, signataires ou non signataires, et le rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot, qui a conduit un grand nombre d’auditions, non seulement de représentants des organisations syndicales, mais aussi d’économistes et de responsables des ressources humaines.
Cet esprit de responsabilité a permis de nombreuses avancées et c’est toujours l’option la plus juste et la plus efficace qui a été retenue.
Le présent projet de loi s’articule autour de trois axes essentiels.
Le premier axe concerne le renforcement des droits et la création de droits nouveaux pour les salariés.
Ainsi, l'article 1er prévoit la généralisation, avant le 1er janvier 2016 au plus tard, de la couverture complémentaire santé collective obligatoire. Il s’agit d’une avancée majeure pour les salariés comme pour les entreprises.
L’article 2, qui a trait à la formation, est tout aussi important. Chacun le sait, et nous aurons l’occasion d’en reparler puisque M. le ministre nous a annoncé un projet de loi sur ce sujet, la formation est un facteur décisif pour élargir les compétences et la qualification nécessaires aux salariés, en particulier dans un contexte de reconversion mais aussi d’évolution du parcours professionnel. À cette fin sont créés un compte personnel de formation et un conseil en évolution professionnelle. Sur ce sujet capital, il faudra veiller à ce que les choses avancent effectivement.
La recherche d’une plus grande employabilité caractérise aussi l’article 3, qui instaure une période de mobilité volontaire externe sécurisée pour tout salarié dans les entreprises et groupes de 300 salariés et plus.
Les articles 6 à 8 prévoient des dispositions visant à faciliter l’accès à l’emploi et à lutter contre la précarité des salariés. Je pense notamment à l’instauration du principe de droits rechargeables à l’assurance chômage, qui permettra l’utilisation, en tout ou partie, des droits acquis et non épuisés, notamment lors d’une nouvelle période de chômage.
L’article 7 fixe les bases de la modulation des cotisations au régime d’assurance chômage pour lutter contre la précarité et favoriser l’embauche en CDI. En effet, les partenaires sociaux ont prévu de renchérir les contributions des employeurs pour les CDD de courte durée, conclus pour accroissement temporaire d’activité.
Enfin, l’article 8 modifie en profondeur la réglementation du travail à temps partiel. Il crée une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, laquelle peut être mensualisée. Il instaure aussi une obligation de négocier dans les branches professionnelles qui recourent structurellement au temps partiel, afin de renforcer le rôle des partenaires sociaux dans l’organisation des modalités d’exercice du temps partiel.
Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes, a évoqué ce sujet. Nous le savons tous, ce sont surtout les femmes qui travaillent à temps partiel. Or elles le font rarement par choix : il s’agit généralement d’un temps partiel contraint. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Absolument !
Mme Christiane Demontès. En outre, elles travaillent souvent dans des secteurs qui sont eux-mêmes gros pourvoyeurs de temps partiel – je pense en particulier aux services à la personne. (Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes acquiesce.)
Il nous faut veiller à ne pas multiplier les dérogations à ce dispositif qui prévoit que le temps partiel ne pourra être inférieur à 24 heures hebdomadaires.
Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. C’est une durée plancher !
Mme Christiane Demontès. Les partenaires sociaux devront engager, au niveau des branches, une réflexion à cette fin. Je pense que les femmes qui travaillent nous en seront reconnaissantes.
Le deuxième axe est un renforcement du dialogue social.
L'article 4 prévoit deux nouvelles consultations annuelles obligatoires du comité d’entreprise : l’une portera sur les orientations stratégiques de l’entreprise, l’autre sera dédiée à l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Dans la même logique est prévue la création d’une base de données économiques et sociales, voire environnementales, dans chaque entreprise, à partir de 2014 ou 2015, pour mieux informer les institutions représentatives du personnel.
Enfin, l’article 5 instaure la participation obligatoire de représentants de salariés aux conseils d’administration ou de surveillance. À ce titre, je remercie le rapporteur de commission des lois, qui a beaucoup travaillé sur cette disposition.
Le troisième axe consiste à mieux encadrer la procédure de licenciement et à accompagner, voire à anticiper les mutations économiques afin de préserver l’emploi.
Ainsi, l’article 10 fait de la mobilité interne dans l’entreprise un instrument négocié et articulé avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour mettre en place des mesures collectives d’organisation du travail, sans projet de réduction d’effectifs.
L’article 11 pose les bases d’un nouveau régime d’activité partielle, fusionnant et simplifiant les régimes antérieurs de chômage partiel, jusqu’à présent peu utilisés, ce qui est d’ailleurs une particularité de notre pays.
L’article 12 a trait à l’accord de maintien dans l’emploi prévu à l’article 18 de l’accord national interprofessionnel. Il crée et encadre une nouvelle catégorie d’accords d’entreprise. Ceux-ci permettront, dans des entreprises en difficulté, aux partenaires sociaux de conclure un accord d’aménagement temporaire – dans le respect de l’ordre public social, vous l’avez souligné, monsieur le ministre – de la durée du travail, de ses modalités d’organisation et de répartition, ainsi que de la rémunération des salariés. En contrepartie, l’employeur s’engage à ne pas procéder à des licenciements économiques pendant la validité de l’accord.
L’article 13 opère une profonde réforme des procédures de licenciement collectif. Désormais, dans une entreprise de plus de 50 salariés, plus aucune procédure de ce type ne pourra aboutir si elle n’a pas donné lieu à un accord collectif majoritaire ou, en cas d’échec, à un plan unilatéral de l’employeur qui devra être homologué par l’administration.
Dans la même logique de préservation de l’emploi et de gestion prévisionnelle, l’article 14 crée une obligation, pour l’entreprise qui envisage la fermeture de l’un de ses établissements, de rechercher un repreneur, en lien avec son obligation de revitalisation.
Mes chers collègues, voilà rapidement exposés les principaux éléments de ce projet de loi. Ce texte s’appuie sur une méthode : le dialogue social. Quoi de plus naturel qu’une loi sociale soit précédée d’une négociation entre partenaires sociaux ? Fondé sur le respect de l’ensemble des acteurs, sur l’écoute, le dialogue, la loyauté et la recherche d’un compromis, ce projet de loi allie démocratie sociale et démocratie politique dans un seul et même objectif : le service de l’intérêt général et celui de la République.
Bien sûr, ce projet de loi n’est pas parfait,...
Mme Christiane Demontès. ... mais c’est le cas de tous les textes, et nous allons tenter de l’améliorer. Il ouvre une étape nouvelle dans les relations au sein de l’entreprise, dans le dialogue social et dans le travail avec les partenaires sociaux.
Sans anticiper sur les débats qui se dérouleront dans cet hémicycle, je tiens à préciser d’emblée, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. À l’évidence, le texte que nous examinons est important, mais ce n’est malheureusement pas le grand texte de progrès annoncé par M. le ministre. À nos yeux, c’est même exactement le contraire.
Personne, dans cet hémicycle, ne peut nier la gravité de la situation : nous la constatons tous dans nos départements, nos villes, nos familles. Le chômage atteint un pic historique. La France compte 3,2 millions de chômeurs de catégorie A, plus de 5 millions si l’on prend en compte toutes les statistiques. Chaque jour, ce sont des centaines de travailleurs supplémentaires qui allongent la liste déjà insupportable des chômeurs. Autant de personnes dont la vie bascule dans la précarité, l’incertitude et la peur du lendemain, autant de femmes et d’hommes qui se trouvent privés d’un droit constitutionnel : le droit au travail.
En effet, que reste-t-il aujourd'hui de l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux termes duquel « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage » ? Oui, qu’en reste-t-il quand le taux de chômage atteint 12 % dans la zone euro, quand, en France, le nombre d’allocataires du RSA dépasse les 2 millions et 22,5 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté ?
Ce constat implacable est celui de la faillite d’un système et des politiques qui le servent depuis des années.
C’est contre cette machine de destruction sociale incarnée pendant cinq ans par le président Sarkozy (Ah ! sur les travées de l'UMP.) que le peuple français s’est exprimé le 5 mai dernier. Le besoin de changement et de rupture avec les politiques libérales a été le terreau de la victoire du candidat François Hollande.
C’est par l’engagement à mener la lutte contre la finance que la victoire s’est construite. Rappelez-vous le discours du Bourget où, reprenant une fameuse formule shakespearienne – « Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve » –, François Hollande dressait le tableau de son projet pour la France, celui de « l’achèvement de la promesse républicaine autour de l’école, de la laïcité, de la dignité humaine, de l’intérêt général ».
La voilà, la seule feuille de route pour laquelle les Français se sont majoritairement exprimés. La voilà, l’exigence qui a été portée par le vote républicain au plus haut sommet de l’État. Cette exigence devrait aujourd'hui avoir un nom, celui du nouveau contrat social que la gauche se doit d’établir avec les Français. Soyons clairs, avec la crise politique qui s’amplifie, le droit à l’erreur est impossible : la crise est trop profonde et le malaise va grandissant. Ne creusons pas davantage encore le fossé avec les attentes sociales du pays !
C’est malheureusement le risque que vous prenez avec ce projet de loi.
Où sont l’intérêt général et l’aspiration à la justice sociale dans ce projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi » ? L’intitulé même de ce texte, qui résume l’intention initiale de la conférence sociale, est aujourd'hui une manipulation grossière, à l’instar de ces publicités qui vantent les mérites de la crème fraîche à 0 % de matière grasse ou des 4 X 4 écologiques...
Rien dans ce texte n’apporte aux salariés une sécurité supplémentaire. Tout n’y est que précarisation !
J’ai écouté les défenseurs de ce texte : j’ai trop souvent entendu un plaidoyer sans rapport avec la réalité de notre pays et la brutalité sociale qui y a cours.
Ce projet de loi est, en vérité, un formidable cadeau au grand patronat et aux intérêts financiers. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Encore un, après les dix années de bons et loyaux services de la droite ! Le vote à l’Assemblée nationale, obtenu avec une majorité relative à gauche et l’abstention bienveillante des députés UMP, en a été la démonstration.
Monsieur le ministre, je vous ai entendu à cette tribune vous inventer des ennemis à droite. Malheureusement, je peux vous rassurer : vous n’en aurez pas dans ce débat et, comme à l'Assemblée nationale, vous pourrez compter ici sur la clémence des sénateurs de droite – ils viennent d’ailleurs de le confirmer –,...
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Pierre Laurent. ... qui défendront pied à pied les consignes du MEDEF dans cet hémicycle. (Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. N’ayez pas honte ! Assumez !
M. Pierre Laurent. Chacun a le syndicat qu’il peut !
M. Francis Delattre. Venant des communistes, c’est un peu fort ! Vous, il n’y a pas si longtemps, vous défendiez le « bilan globalement positif » de l’URSS !
M. Pierre Laurent. Bien sûr, les défenseurs du texte mettent en avant les maigres concessions octroyées dans l’accord. Un examen plus attentif montre toutefois que ces prétendues avancées relèvent davantage de l’hypothèse, voire de l’enfumage, que d’une quelconque sécurisation.
La création d’une complémentaire santé est présentée comme une révolution majeure. Certes, elle ouvrira des droits, quoique réduits pour les salariés – les prestations seront inférieures à celles qu’offre la CMU complémentaire ! –, mais elle contribuera surtout à l’enrichissement massif des assurances privées au détriment de la couverture garantie par la sécurité sociale. Et je constate que nos collègues de droite vont s’attacher à aggraver encore les choses à cet égard.
Mme Catherine Procaccia. Caricature !
M. Pierre Laurent. Que dire des propositions relatives à la représentation des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises ? Elles ne modifieront en rien les équilibres démocratiques, l’exercice du pouvoir, la participation des salariés à la décision ou aux choix stratégiques. Alors même que ce texte est censé faire le choix du « dialogue social » et de la négociation, l’intervention des salariés est en réalité réduite à la portion congrue.
Quant à la « taxe sur les contrats courts », que M. le ministre aime à brandir, cette prétendue « concession majeure » du patronat ne figure même pas dans le texte. L’article 7 mentionne seulement une éventuelle « modulation », qui ne coûtera pas un centime supplémentaire aux entreprises.
Enfin, les fameux « droits rechargeables à l’assurance chômage » n’existeront que sous réserve d’une négociation future et à la condition qu’ils ne coûtent rien à l’UNEDIC. Ils ne rapporteront donc pas un centime supplémentaire aux chômeurs et pourraient même être compensés par la baisse des prestations pour une partie d’entre eux, comme l’a demandé Mme Parisot !
Loin de protéger l’emploi, ce projet fait sauter toutes les digues du droit du travail. C’est grave pour tous les salariés ! C’est catastrophique pour tous ceux qui sont sous la pression des chantages à l’emploi ou à la fermeture de site.
Ce projet de loi, tout comme l’ANI dont il est issu, multiplie les possibilités de licencier, accélère et simplifie les plans sociaux, restreint la capacité des salariés de saisir la justice prud’homale, limite les indemnités de licenciement et diminue les délais de prescription pour les employeurs qui licencient frauduleusement.
Il est à l’exact opposé de tous les marqueurs de la gauche. Je demande donc à mes collègues sénateurs de gauche…
M. Jean-François Husson. Lesquels ? (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Pierre Laurent. … de bien réfléchir aux conséquences de leur vote, au message politique qu’ils envoient et à l’orientation générale qu’ils dessinent.
Sont-ils prêts à entériner la réduction des délais de prescription pour les licenciements abusifs ? Cette mesure revient à instaurer une amnistie patronale tous les trois ans, alors que nos collègues de droite dénonçaient si vigoureusement l’amnistie sociale voilà quelques jours.
Comment accepter de voter le dispositif relatif aux comités d’hygiène et de sécurité, qui réduit encore les prérogatives de cet organe ?
Comment, lorsqu’on est de gauche, admettre l’accélération des plans sociaux, qui seront facilités par le contournement des juges ?
Quant à la prétendue « autorisation administrative » nécessaire à la validation de ces plans sociaux exprès, elle ne sera pas protectrice. Il ne s’agira que d’un visa de la DIRECCTE – direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –, destiné à sécuriser juridiquement les décisions de l’employeur, exactement comme dans le cas des ruptures conventionnelles. En l’occurrence, le visa administratif a autorisé – et non empêché – un million de suppressions d’emplois depuis 2008…
Comment prétendre que ce projet de loi est équilibré quand il instaure les contrats intermittents « super-précaires » ? C’est une catastrophe, singulièrement pour les femmes, qui constituent 80 % des signataires de ces contrats. En plus d’instituer un faux plancher de 24 heures à travers lequel passeront la grande majorité des contrats, ce projet autorise huit avenants permettant à l’employeur de modifier le nombre d’heures travaillées. Le salaire sera lissé et les délais de prévenance renégociés, ce qui promet des conditions de travail désastreuses et une précarisation largement accrue…
Enfin, comment ne pas bondir face aux plans de mobilité forcée qui seront mis en place dans les entreprises tous les trois ans, sans aucune restriction géographique ? L’employeur pourra ainsi exiger de ses salariés qu’ils partent à l’autre bout du pays sous peine de licenciement automatique. La vie des familles s’en trouvera bouleversée !
En réalité, il faut le dire, ce projet de loi entérine les accords de compétitivité-emploi qui figuraient dans le programme de Nicolas Sarkozy, le candidat battu, mais pas dans celui de François Hollande, le candidat élu.
M. Pierre Laurent. Ces accords permettront, partout où règnent la pression patronale et les chantages à l’emploi, de baisser les salaires, de modifier le temps et les conditions de travail.
Pour les employeurs, il s’agit de réaliser un rêve qu’ils caressaient de longue date ! Les salariés qui refuseront ces mesures dramatiques seront immédiatement licenciés.
Alors, mes chers collègues, à l’heure où vous vous apprêtez à voter ce projet de loi,…
Mme Catherine Procaccia. Pas encore !
M. Pierre Laurent. … remémorez-vous ces mots de Léon Blum. Selon lui, l’on est socialiste à partir du moment où l’on a cessé de dire : « c’est dans l’ordre des choses et nous n’y changerons rien », à partir du moment où l’on a senti que ce prétendu ordre des choses était en « contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité ».
M. Pierre Laurent. Non, ce projet de loi n’est pas digne de la gauche et n’est pas à la hauteur des enjeux ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Plusieurs sénateurs de l’UMP s’en amusent.)
Mme Jacqueline Gourault. Que faites-vous des syndicats signataires ?
M. Pierre Laurent. Comme dans le cas du pacte de compétitivité, vous offrez, sans contrepartie, de somptueux cadeaux au patronat. (Mêmes mouvements.)
Les multiples possibilités de flexibilisation que les entreprises vont s’empresser d’utiliser contre les salariés sont un drame supplémentaire. Les suppressions de poste vont se multiplier, pour que les groupes confortent leurs marges et que les actionnaires maintiennent leurs dividendes. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois !
Rien ne démontre mieux le caractère contre-productif de ce texte que l’exemple de toutes ces dernières années : partout en Europe, malgré les énormes gains de flexibilisation consentis aux employeurs, le chômage ne cesse d’augmenter et l’économie ne retrouve nulle part, dans aucun pays, un rythme soutenu, susceptible de créer des emplois durables. L’entêtement à utiliser des recettes qui ne marchent pas est une erreur politique et économique, un grave contresens !
Comme le soulignent de nombreux juristes et économistes, ce projet n’est rien d’autre que la version française de la lame de fond européenne de remise en cause des droits sociaux dénoncée par la Confédération européenne des syndicats elle-même.
Ainsi, selon l’économiste Frédéric Lordon, « L’ANI ajoute [...] l’inefficacité économique à la démission politique. Les entreprises ne manquent pas de flexibilité, elles manquent de demande ! Et toutes les flexibilisations du monde n’y pourront rien. [...] Les entreprises n’étendent leurs capacités de production qu’à la condition d’anticiper une demande suffisante. […] On peut les laisser empiler du profit autant qu’elles le veulent : pas de demande, pas d’investissement. »
Partout, des voix s’élèvent contre cette loi écrite à l’encre du MEDEF. Ce midi encore, des salariés nous le disaient devant le Sénat, en réclamant le retrait de ce projet et une vraie sécurisation de l’emploi, qui reste à construire. Ils nous demandaient ce changement de cap que le peuple de gauche attend.
Mes chers collègues, ne vous laissez pas prendre au piège qui se met en place autour de l’ANI. Pour les salariés de notre pays, pour les électeurs qui ont voté en faveur du changement, et même par respect pour notre assemblée, ne ratifiez pas cet accord !
Par notre vote, nous avons le pouvoir de faire taire Mme Parisot, qui, avec l’arrogance dont elle est coutumière, voudrait faire du Parlement une simple chambre d’enregistrement de ses desiderata.
M. Pierre Laurent. Car non seulement on nous présente un projet de loi aux effets extrêmement graves, mais il nous est en plus demandé de ne pas le modifier autrement qu’à la marge, et ce en procédure accélérée ! Mme Parisot a d’ores et déjà fait connaître ses exigences en ces termes : « On ne peut pas à la fois soutenir un choc de simplification et en même temps laisser les parlementaires rendre tout encore plus compliqué. »
Comment peut-on adresser une telle injonction aux représentants du peuple ? Je rappelle que l’article 27 de la Constitution dispose que « tout mandat impératif est nul ».
Ne laissons pas notre pouvoir législatif se réduire encore, après qu’il a déjà été si largement mis en cause ces dernières années. Notre rôle est d’écrire la loi, et celle que nous devrions écrire est bien différente de celle qui nous est proposée.
Vous nous dites qu’il faut respecter la démocratie sociale. Nous en sommes bien convaincus, et nous pensons que la gauche aurait dû, dès son arrivée, inscrire dans la loi de nouveaux droits pour les salariés. En vérité, il ne s’agit pas, à travers ce texte, de respecter la démocratie sociale, mais de nous soumettre à une sorte de droit de veto du patronat. Mais si toute mesure sociale doit dorénavant recueillir l’aval du MEDEF, plus aucune conquête sociale ne sera possible ! La droite elle-même s’est réjouie de cette situation, en affirmant crânement – et à juste titre – que ce principe, s’il avait été en vigueur à l’époque, aurait tout simplement empêché la retraite à soixante ans, les 35 heures et même, bien avant, les 39 heures, les 40 heures et, plus généralement, l’application des lois Auroux, que vous avez évoquées, monsieur le ministre.
Nous ne pouvons accepter un tel ligotage institutionnel des droits du Parlement et de l’action d’une majorité politique de gauche.
Je sais bien que M. Cahuzac…
Mme Catherine Procaccia. Je croyais qu’on ne prononçait pas ce nom !
M. Pierre Laurent. … estimait, voilà quelques semaines, que la lutte des classes n’existait pas. Je ne pense pas que cette idée puisse être aujourd’hui sérieusement défendue à gauche. Elle est malheureusement une réalité bien vivante, et c’est donc un devoir pour la gauche, a fortiori dans la situation actuelle, d’accorder à des millions de salariés des lois sociales protectrices et des droits nouveaux dans les entreprises.
M. Francis Delattre. Et un peu de travail aussi, si possible…
M. Pierre Laurent. Nous nous opposons à ce texte et à ce ligotage. À l’instar des députés du Front de gauche, qui ont bataillé longuement à l’Assemblée nationale…
Mme Catherine Procaccia. Pour rien !
M. Pierre Laurent. … en faveur d’une réelle sécurisation de l’emploi, les sénateurs du groupe CRC sont déterminés à dénoncer, point par point, la nocivité de ce projet.
Tout au long du débat, et des centaines d’amendements que nous avons déposés,…
Mme Catherine Procaccia. Quatre cents !
M. Pierre Laurent. … nous démontrerons qu’une autre politique est possible. Elle passe par de nouveaux droits économiques pour les salariés dans l’entreprise, par un droit de veto des représentants des salariés, par l’élargissement des pouvoirs des comités d’entreprise et des instances représentatives, par la limitation réelle, dans la loi, de la part de contrats précaires, par le droit de reprise des sites par les salariés sous forme de SCOP, par l’interdiction des licenciements boursiers… Elle passe, au fond,…