Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. Jean-Noël Cardoux. Du reste, M. Jeannerot l’a lui-même souligné tout à l’heure, et je tiens à l’en remercier.
Cela étant dit, je voudrais avant tout faire trois observations de fond.
Tout d’abord, à nos yeux, il s’agit d’un texte non pas offensif, mais défensif. Il suffit de regarder son titre : « Sécurisation de l’emploi ». Si l’on sécurise quelque chose, cela signifie bien qu’on veut le conserver. Certes, dans les circonstances économiques que nous connaissons, l’enjeu est de taille, mais il aurait été possible d’aller plus loin. J’aurais préféré que cette loi s’intitule, par exemple : « loi de dynamisation de l’emploi ».
En l’occurrence, on instaure un nouveau mode de relations sociales et de nouvelles procédures, mais essentiellement pour les cas où les entreprises commencent à voir poindre des difficultés à l’horizon. On n’envisage pas du tout une modification des relations entre employeurs et employés dans les cas où les entreprises ont des projets de développement et veulent améliorer leur compétitivité.
Les sénateurs du groupe UMP auraient donc souhaité aller encore plus loin, avec une refonte radicale du code du travail, introduisant plus de flexibilité, prévoyant l’annualisation des horaires, supprimant les 35 heures, de manière à créer un choc de compétitivité, ce que le Gouvernement proclame vouloir faire – il ne cesse d’en parler ! –, malheureusement sans aller jamais au bout de sa démarche.
Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Nous avons déjà fait pas mal pour la compétitivité !
M. Jean-Noël Cardoux. Par conséquent, il est à craindre qu’il ne s’agisse, encore une fois, d’un rendez-vous manqué.
Néanmoins, malgré ce manque d’audace, le texte va, selon nous, dans la bonne direction, car il prend en compte la nouvelle donne du marché du travail, confronté à la crise et à la globalisation à l’échelle mondiale.
Il sous-entend – M. le ministre a effleuré ce sujet tout à l’heure – qu’en ce début de XXIe siècle un salarié ne pourra qu’exceptionnellement accomplir une carrière de quarante années dans la même entreprise. En conséquence, la mobilité qu’il devra accepter sera assortie de droits individuels le suivant dans toutes les entreprises employeuses.
À l’appui de mon propos, je ne retiendrai que quelques éléments du projet de loi : la mobilité externe sécurisée dans les entreprises de plus de 300 salariés, le compte personnel de formation, auquel il a largement été fait allusion tout à l’heure, le conseil en évolution professionnelle – lorsque l’on accepte la mobilité et que l’on change d’entreprise, il faut être encadré –, les droits au chômage rechargeables.
Toutes ces mesures créent des droits attachés individuellement à des salariés, qui le suivront dans l’ensemble de son parcours professionnel. C’est donc une petite révolution et la reconnaissance d’une adaptation obligatoire aux nouvelles donnes du marché de l’emploi.
Dans le même sens, il faut retenir un certain nombre d’éléments tels que l’amélioration des conditions de travail précaire, avec la modulation des cotisations d’assurance chômage en fonction de la durée des contrats, CDD ou CDI moins de 26 ans, l’encadrement des contrats de travail à temps partiel et, enfin, une mesure phare : la généralisation des complémentaires santé, avec une portabilité d’un an après le départ de l’entreprise.
Par ailleurs, un des objectifs du texte est de permettre aux entreprises de réagir au plus vite et mieux en cas d’apparition de difficultés, comme je l’ai dit précédemment, à travers trois mesures essentielles : la mobilité interne, les accords de maintien dans l’emploi, la réforme des procédures de licenciement économique. Sur ce dernier point, il faut signaler deux dispositions un peu controversées, car on ne sait pas ce qui en résultera : d’une part, le passage, s’agissant du contrôle de ce licenciement, d’une compétence judiciaire à une compétence administrative ; d’autre part, un raccourcissement des délais, lequel nous paraît au demeurant tout à fait souhaitable.
Toutes ces réformes vont donc dans le bon sens, et c’est pourquoi, malgré le manque d’audace dont j’ai parlé, le groupe UMP voit plutôt d’un œil favorable ce projet de loi retranscrivant l’ANI de janvier 2013.
Demeurent néanmoins des problèmes de fond sur quelques dispositions du texte, qui, précisément, ne retranscrivent pas en totalité l’ANI.
Les partenaires sociaux et le Président de la République lui-même avaient clairement énoncé le principe : l’ANI, tout l’ANI, mais rien que l’ANI ! Cette position n’avait pas été sans susciter quelques remous chez les parlementaires. Malheureusement, à mes yeux, le compte n’y est pas tout à fait !
Voilà pourquoi nous souhaitons, même si quelques adaptations mineures peuvent être maintenues, revenir à un texte aussi proche que possible de l’ANI, ce qui ne devrait pas être très difficile puisque c’était le souhait des partenaires sociaux et la volonté du Président de la République.
Les adaptations que nous vous proposerons néanmoins par des amendements vont dans le sens d’une plus grande ouverture, en quelque sorte, de cet accord et, surtout, dans celui d’une préservation des emplois que certaines dispositions pourraient menacer.
En cet instant, j’insisterai sur quatre points.
Le premier est cette clause de désignation, dont on dit qu’elle ne figure pas dans le texte. (M. le ministre manifeste son désaccord.) Or il y est fait référence à l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, qui, en lui-même, prévoit la clause de désignation, laquelle n’était pas incluse dans l’ANI.
Si la clause n’est pas prévue, pourquoi de si nombreuses personnes ont fait le forcing auprès de nous pour que nous la supprimions ?
M. Jean-Noël Cardoux. On ne peut pas supprimer quelque chose qui n’existe pas !
Cette clause de désignation, chacun le sait, a fait l’objet d’un avis assez sévère de l’Autorité de la concurrence : même si celle-ci ne la rejette pas totalement, elle émet de sérieuses réserves. On comprend bien que l’Autorité de la concurrence ait été très embarrassée, mais elle a tout de même montré toute sa réticence à l’égard de cette clause qui pourrait s’avérer anticonstitutionnelle et être à l’origine de conflits d’intérêts ; ce n’est vraiment pas le moment !
On nous dit que cette clause de désignation pourrait permettre des mutualisations importantes, mais ce n’est pas tout à fait exact. En effet, trois catégories d’organismes sont concernées : les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance. Quand on sait que les produits de couverture santé ne dégagent que des marges très faibles et que les principaux critères de détermination des tarifs sont l’âge et la santé des bénéficiaires, il devrait en résulter une concurrence plus active, ce que ne permettrait pas la clause de désignation. Celle-ci pourrait s’avérer plus favorable de prime abord, mais la situation dégénérera ensuite, nous le savons bien !
Il ne faut pas oublier non plus que cette clause de désignation risque d’entraîner la suppression de 30 000 emplois dans les mutuelles : ce n’est pas rien par les temps qui courent !
J’ajoute un autre argument : l’extension de la complémentaire santé devrait représenter 3,5 milliards d’euros de prestations supplémentaires à l’échelon national et une perte de 2 milliards d’euros de recettes fiscales pour le budget de l’État. Compte tenu des montants en jeu, le refus de mettre totalement en concurrence ces organismes ne me paraît pas judicieux dans la période actuelle.
Enfin, je souscris aux propos de Mme Laborde, qui a évoqué la situation des très petites entreprises : dans cette généralisation des mutuelles, il faudrait effectivement trouver un régime spécifique pour alléger les charges des TPE, celles-ci ayant été marginalisées dans la négociation d’ensemble de l’accord.
Le deuxième point que nous souhaitons aborder est l’encadrement du temps partiel pour certaines entreprises appartenant à des secteurs très spécifiques, comme les services à la personne, le secteur médico-social et hospitalier, l’agriculture ou le portage de journaux. Toutes les structures concernées sont très inquiètes et il faut trouver des adaptations pour leur permettre de continuer à travailler comme auparavant. Même si, dans le climat de précarisation du travail que nous connaissons aujourd’hui, le développement du temps partiel n’est pas souhaitable, il vaut mieux avoir un « petit boulot » que pas de boulot du tout ! (Mme Catherine Procaccia applaudit.)
Mme Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Allez le dire aux femmes !
M. Jean-Noël Cardoux. Le troisième point à trait à la consultation des délégués du personnel ou du comité d’entreprise sur l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Cette disposition ne figurait pas dans l’ANI : elle a été ajoutée par l’Assemblée nationale.
Le CICE est déjà bien compliqué et certaines sociétés rechignent à y recourir parce qu’elles n’y comprennent pas grand-chose. Si l’on y ajoute une consultation des délégués du personnel et du comité d’entreprise, alors que l’administration fiscale est censée en contrôler l’utilisation, c’est encore une couche supplémentaire de formalités administratives bien inopportune au moment où l’on annonce un « choc de simplification ». Nous souhaiterions donc que cette disposition soit supprimée.
Enfin, un dernier point ne figurait pas non plus dans l’ANI : lorsqu’un salarié refuse les clauses de mobilité et le plan de maintien dans l’emploi, le licenciement pour motif personnel devient un licenciement individuel pour motif économique. Nous constatons simplement que le licenciement pour motif personnel, tel qu’il était prévu dans l’accord, était directement inspiré de la loi Aubry du 19 janvier 2000 sur la réduction du temps de travail, qui prévoyait le licenciement du salarié refusant les adaptations de son contrat de travail.
Si l’on n’en revient pas au licenciement pour motif personnel que mentionnait l’ANI, nous risquons d’observer une judiciarisation accrue des litiges du travail, parce qu’il suffit que neuf salariés refusent les mesures de reclassement. Quoi qu’on en dise, avec un licenciement économique, les juridictions judiciaires seront à nouveau compétentes, avec un risque important pour les entreprises, compte tenu des délais de jugement : une telle insécurité juridique et financière n’est pas favorable à leur développement.
Tels sont les quatre points sur lesquels nous formulerons des propositions, monsieur le ministre. Nous espérons que le projet de loi pourra évoluer dans le sens que nous appelons de nos vœux. Ces propositions nous semblent raisonnables, car elles sont avant tout dictées par la volonté de revenir au texte originel de l’accord national interprofessionnel.
Sans faire de mauvais esprit, je me permettrai de relever que, si l’on compare notre pratique avec celle d’autres collègues, notre groupe n’a déposé que quinze amendements très ciblés sur les points que je viens de signaler, étant précisé que certains de ses membres en ont aussi déposé à titre personnel et que nous les soutiendrons. Nous avons en effet estimé que, l’accord allant dans le bon sens, nous devions être précis et constructifs.
Évidemment, il ne faudrait pas que le Sénat procède à de nouveaux « grignotages », selon le mot que certains partenaires sociaux ont employé à propos du travail de l’Assemblée nationale ; c’est du moins ce que nous espérons, puisque nous voulons respecter l’ANI.
Si, donc, nos propositions sont totalement ou partiellement entendues et s’il n’y a pas de nouveau « grignotage », nous pourrons envisager un vote favorable. Si nos propositions ne sont pas du tout entendues – et les débats en commission me laissent plutôt pessimiste à cet égard ! –,…
Mme Isabelle Debré. Moi aussi !
M. Jean-Noël Cardoux. … notre groupe sera peut-être conduit à s’abstenir. Et si, malheureusement, non seulement nous n’obtenions rien, mais le projet de loi s’écartait davantage encore de l’ANI, notre vote pourrait être négatif.
Je ne suis donc pas en mesure de vous indiquer, à cet instant, le sens de notre vote : je ne sais évidemment pas ce qui ressortira du débat ! Quoi qu'il en soit, nous y participerons activement et, en fonction de ce que vous nous direz, monsieur le ministre, nous arrêterons notre position définitive. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a pu être qualifié d’« historique » par certains d’entre nous, M. Desessard notamment. Dans une certaine mesure, c’est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que cet accord correspond à notre philosophie, fondée sur la promotion du dialogue social.
Certes, l’ANI aurait pu aller plus loin sur tel ou tel point : par exemple, sanctionner plus sévèrement les contrats précaires, améliorer encore davantage la portabilité des droits à la formation, ou élargir un peu plus les accords de participation. Nous aurons l’occasion d’en reparler et tout cela évoluera dans l’avenir, nous l’espérons.
Il convient d’observer d’emblée que l’ANI consacre un changement d’approche des relations sociales dans notre pays. Il est l’aboutissement d’une évolution que nous appelions de nos vœux, les formations centristes n’ayant cessé, depuis les lendemains de la guerre, de prôner et défendre la démocratie sociale. En effet, nous avons toujours considéré l’entreprise comme une communauté humaine qui, en respectant les différences, crée de la richesse et des emplois, et non comme un lieu d’affrontement et de lutte des classes.
L’ANI est l’expression concrète de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, due au président Gérard Larcher, qui a imposé que toute réforme touchant aux relations du travail, à l’emploi ou à la formation professionnelle fasse l’objet d’une concertation préalable avec les organisations patronales et syndicales.
Cet accord aura donc d’autant plus de force que, fruit d’un compromis social, il sera également la résultante d’un consensus politique. C’est là que nous vous interpellons, monsieur le ministre !
Notre seul regret, c’est que l’accord n’ait pas été signé par toutes les organisations syndicales, mais vous n’y êtes pour rien ; cela nous incite d’autant plus à saluer la position de celles qui, au contraire, ont eu le courage de s’engager dans cette voie nouvelle.
En quoi consiste le changement ?
Primo, nous passons d’une logique défensive à une logique offensive : avec l’accord, il n’est plus seulement question de gérer des situations de crise, mais de les prévenir.
Secundo, et c’est le cœur même de l’ANI, il s’agit de doter enfin notre pays d’un socle de flexibilité et de sécurité, c’est-à-dire de consacrer des droits nouveaux pour les salariés et de donner plus de flexibilité économique aux entreprises, afin de les aider à s’adapter à la conjoncture et à maintenir l’emploi. Une telle approche s’accompagne, en effet, d’un dépassement de l’antagonisme traditionnel entre salariat et patronat.
Cependant, comme nous le faisait remarquer l’un des responsables syndicaux que nous avons auditionnés, la philosophie de l’ANI n’est pas celle du « donnant-donnant », de l’octroi de droits contre davantage de flexibilité. Pourquoi ? Tout simplement parce que les droits en question servent les intérêts de l’employeur et que la flexibilité sert aussi ceux des employés !
Au-delà de la seule flexisécurité, la volonté de dépasser l’antagonisme classique entre le salariat et le patronat est concrétisée par un certain nombre de dispositions bien retranscrites dans le projet de loi, qui visent clairement à apaiser les rapports sociaux et à substituer la logique de la coopération à celle de l’affrontement. C’est notamment le cas de l’article 16, qui favorise la conciliation et réforme les délais de prescription en cas de licenciement, ou bien encore de l’article 17, qui assouplit les règles de mise en place des institutions représentatives du personnel en cas de franchissement des seuils d’effectifs.
Dans cette optique, la disposition à nos yeux la plus emblématique est, à l’article 5, la création de l’obligation de représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, qu’accompagne, à l’article 4, les consultations du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Sur le plan de la gouvernance d’entreprise, c’est un changement de paradigme dont nous nous réjouissons !
Il s’agit maintenant de donner valeur législative à l’ANI, mais sans le dénaturer. Nous jugerons donc ce texte à sa capacité à ne pas s’en éloigner à mauvais escient. Finalement, nous adhérons pleinement au credo du Président de la République : « tout l’accord, rien que l’accord ».
Or, monsieur le ministre, on peut recenser trois écarts notables entre l’accord et le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale, trois écarts que notre commission – et je le regrette, cher Claude Jeannerot – n’a pas comblés. Je vais donc me concentrer maintenant sur ces écarts, dont deux sont, à nos yeux, problématiques.
Le premier, à l’article 1er, consiste bien sûr en la possibilité donnée aux branches de désigner leur organisme complémentaire. Je ne m’étendrai pas longuement sur le sujet, qui fera sans doute l’objet de débats substantiels. Notre collègue Hervé Marseille y reviendra lors de la discussion de cet article. Je formulerai néanmoins deux remarques préliminaires et ferai part d’un sentiment général sur la clause de désignation.
Première remarque : cette question ne constitue absolument pas le cœur du texte.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Sans doute ! La mutualité non plus, du reste !
Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas que le débat fondamental sur la flexisécurité soit trop pollué par le problème de la clause de désignation. Et cela dépend un peu de vous, monsieur le ministre !
Seconde remarque : l’arbre de la clause de désignation ne doit pas non plus cacher la forêt de la généralisation de la complémentaire santé. Autrement dit, il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur le fait que la généralisation de la complémentaire santé en entreprise représente une avancée majeure.
Mais notre sentiment général sur la question de la clause de désignation est évidemment négatif, d’autant que la lettre de l’ANI me semble écarter le recours à cette clause…
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. … alors que, encore une fois, nous pensons qu’il faut s’en tenir à l’accord.
Au surplus, la généralisation de la clause de désignation pourrait aboutir à une reconfiguration brutale de l’offre en matière de complémentaire santé en France.
Il ne s’agit pas de défendre tel ou tel opérateur, mais de garantir la transparence. Or la clause de désignation ne pourra qu’offrir un terreau favorable aux conflits d’intérêts qui pourraient se faire jour dans telle ou telle branche, surtout dans le contexte actuel, et contre lesquels je me permets de vous mettre en garde. Ce n’est ni aux mutuelles ni aux compagnies d’assurance de financer les professions et les syndicats !
M. Jean-Noël Cardoux. Très juste !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous soutiendrons donc des amendements visant à revenir à l’ANI, en l’aménageant de manière qu’une véritable concurrence entre organismes de différente nature soit respectée, conformément aux recommandations de l’Autorité de la concurrence. (M. Henri Tandonnet applaudit.)
Les deux autres écarts notables du projet de loi par rapport à l’ANI concernent l’article 10, relatif à la mobilité interne.
Le premier est tout à fait justifié. Il s’agit de la requalification par le Conseil d’État du licenciement pour refus de mobilité interne en un licenciement individuel pour motif économique, et non personnel. Je suis d’ailleurs persuadé que, si la loi n’opérait pas elle-même cette modification, le juge se prononcerait dans le sens d’une telle requalification.
Par ailleurs, le texte désamorce les craintes des représentants patronaux puisque, au terme du compromis trouvé, ces licenciements ne pourront donner lieu à des plans sociaux. Il nous faudra obtenir des assurances complètes sur ce point.
En revanche, l’Assemblée nationale a rendu facultative la négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle interne. Comme je l’ai indiqué ce matin en commission, là réside le troisième écart notable, et selon nous problématique, du projet de loi par rapport à l’ANI. Nous aurions en effet souhaité qu’il s’agisse non d’une possibilité, mais d’une négociation systématique et obligatoire au sein de l’entreprise, et nous défendrons un amendement en ce sens.
J’en arrive maintenant au cœur du texte, qui est incontestablement l’article 12, portant création des accords de maintien dans l’emploi, le plus important dispositif de flexisécurité.
Il s’agit de pouvoir moduler ponctuellement un certain nombre de leviers – la durée du travail, son organisation, ainsi que les rémunérations – pour éviter les plans sociaux en cas de difficultés économiques. L’usage du dispositif est temporaire puisque la durée de l’accord ne peut excéder deux ans. De plus, il est assorti d’une clause de retour à meilleure fortune puisque, en cas d’échec, le plan social est établi en fonction des durées du travail et des rémunérations antérieures à l’accord.
Dans le cadre du plan social, le salarié n’aura donc en rien perdu le bénéfice du dispositif, ce qui est un point essentiel. Au pire, il s’agit d’un sursis et, au mieux, d’un moyen efficace de faire face collectivement à un creux de vague.
Le dispositif est d’autant plus défendable que, il convient de le préciser, des dispositions analogues existaient dans le droit en vigueur. En effet, une entreprise, en difficulté ou non, peut d’ores et déjà conclure un accord d’aménagement du temps de travail qui permet, en réduisant ce dernier, d’ajuster les salaires à la baisse.
De plus, les entreprises peuvent recourir au chômage partiel, dès lors qu’elles ont connaissance de ce dispositif, ou aux plans de départs volontaires.
L’apport principal de l’accord de maintien dans l’emploi est donc de compléter les aides existantes en matière d’adaptation des salariés aux évolutions de l’emploi et des compétences, de chômage partiel, ainsi que de reclassement et de conversion professionnelle. Il crée un cadre à la fois plus global et alternatif à des outils ciblés et disparates, ce qui permet de mieux sécuriser et garantir l’emploi.
Hormis l’accord de maintien dans l’emploi, l’ANI comporte d’autres avancées notables, que nous saluons.
Ainsi en est-il de la création du compte personnel de formation, le CPF, dont le financement doit, certes, faire encore l’objet d’une concertation entre partenaires sociaux, État et régions, mais qui constitue un progrès réel. Il s’agit d’un compte universel et individuel, donc indépendant du statut de son bénéficiaire, et ouvert autant aux demandeurs d’emploi qu’aux salariés. Enfin, il est intégralement transférable.
Nous n’avions pas connu une avancée aussi essentielle pour la formation professionnelle – pourvu qu’on l’utilise bien – depuis les lois Delors, votées voilà quarante ans. (M. Gérard Larcher acquiesce.) Certes, le droit individuel à la formation, le DIF, a constitué un progrès, mais les dispositifs actuels ont aussi amplement démontré leurs limites.
Le CPF, dont bénéficieront les salariés, améliorera la portabilité du DIF puisque, aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas, les démissions interdisent le maintien des droits.
Surtout, ce contrat est susceptible d’améliorer substantiellement l’accès à la formation des publics qui en ont le plus besoin, à savoir, bien sûr, les demandeurs d’emploi, mais aussi les publics les moins qualifiés, à condition que ceux-ci apprennent à l’utiliser. Il est en effet conçu comme un outil de stimulation de la formation dont pourra se saisir le salarié. Il ne régira pas les formations organisées sur l’initiative de l’employeur, mais pourra être abondé par ce dernier ou par les pouvoirs publics.
Ainsi, et c’est déterminant, le CPF pourra favoriser un accès différé à la formation initiale et à des formations qualifiantes en bénéficiant des divers dispositifs régionaux qui pourront être proposés.
C’est une étape importante vers l’urgente et inévitable réforme de la formation professionnelle, réforme qui constitue selon nous, avec le choc de compétitivité tant attendu, le levier clé de la bataille de l’emploi.
Je conclurai par une question très importante à nos yeux : l’encadrement du temps partiel, qui fait l’objet de l’article 8.
Je le disais au début de mon intervention, si notre rôle principal de législateur est de veiller à ne pas dénaturer l’ANI, il nous revient aussi de l’adapter en cas de nécessité. Nous devons donc adapter l’article 8 afin de tenir compte de la réalité professionnelle de certaines branches.
Cet article pose en effet un socle de garanties tout à fait intéressantes visant à limiter l’usage du temps partiel : en particulier, les fameuses 24 heures hebdomadaires minimales et l’interdiction du temps fractionné. Cependant, ces règles sont incompatibles avec l’exercice normal de certaines activités. C’est le cas pour le secteur social et médico-social, les services à la personne ou le portage de presse, ainsi que l’a rappelé notre ami Jean-Noël Cardoux. Or les dérogations actuellement prévues par le texte sont par trop restrictives pour que les branches disposent des moyens législatifs de s’y adapter.
Cela pose un véritable problème et suscite, monsieur le ministre, une vive inquiétude dans les secteurs concernés qui, parce qu’ils recèlent des gisements d’emplois et de croissance, mériteraient au contraire d’être portés à bout de bras par la puissance publique.
Vous l’aurez compris, il s’agit là pour nous d’une question centrale. Nous vous proposerons donc d’amender le texte sur ce point.
En résumé, tenons-nous en globalement à l’ANI, mais adaptons la loi sur quelques points. Ainsi aurons-nous fait œuvre utile.
Il me reste à féliciter la commission des affaires sociales, sa présidente, ainsi que notre rapporteur, Claude Jeannerot, pour l’excellence de son travail, fruit de nombreuses et fructueuses auditions, pour son écoute et sa courtoisie. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Maryvonne Blondin et M. François Fortassin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, la crise économique que nous traversons est très grave, avec pour conséquence la destruction d’emplois et, en corollaire, la hausse du chômage.
Nos concitoyens vivent des situations difficiles, parfois dramatiques. Souvenons-nous qu’en termes d’emploi le bilan de la précédente mandature s’établit autour du million supplémentaire de chômeurs…
L’année dernière, les effectifs de l’emploi salarié marchand se sont réduits de 16,2 %, pour passer sous la barre des 16 millions. Ce sont 34 200 postes qui ont été supprimés dans le secteur manufacturier, dont 29 400 dans l’industrie.
Le premier trimestre de 2013 n’a malheureusement pas vu s’inverser la tendance. Le nombre de chômeurs a progressé pour le vingt-deuxième mois consécutif. Nous comptons 62 300 chômeurs supplémentaires en janvier et février pour la catégorie A, laquelle regroupe les personnes qui n’occupent aucun emploi. Le taux de chômage atteint donc 10,6 %, ce qui représente 3,7 millions de demandeurs d’emploi. Si nous y intégrons les catégories B et C, c’est près d’un actif sur six qui est concerné par la demande d’emploi.
Dans le même temps, la part des chômeurs « de longue durée » a progressé de 14,7 % et ceux-ci représentent près de 40 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi.
Cette dégradation de l’emploi affecte prioritairement les jeunes de moins de 26 ans, dont le taux de chômage atteint en moyenne 26,4 % ; il est même du double dans certains de nos territoires. Ce sont donc près de 800 000 jeunes qui sont actuellement à la recherche d’un emploi !
Face à cette situation, qui peut être dramatique, le Président de la République et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ont décidé d’agir avec détermination et cohérence, en mettant en place une stratégie de redressement indispensable à notre pays et à nos concitoyens.
Le Gouvernement, dès le mois de juin 2012, s’est emparé spécifiquement de la question prioritaire de l’emploi. Il l’a fait d’abord avec les emplois d’avenir, créés par la loi du 26 octobre 2012, à destination des jeunes privés d’emploi peu ou pas qualifiés.
Rappelons que ce dispositif s’articule autour de trois idées fortes : une action orientée prioritairement vers les jeunes sans diplôme ou peu diplômés ; une logique de parcours, de formation et un accompagnement renforcé ; un engagement financier de l’État important, correspondant à la programmation de 150 000 emplois d’avenir à l’horizon 2014, dont 100 000 d’ici à la fin 2013.
Il l’a fait aussi avec les contrats de génération, dispositif qui est la traduction d’un accord national interprofessionnel signé le 19 octobre 2012 par l’ensemble des partenaires sociaux, qui déclaraient : « Le contrat de génération répond au triple objectif d’améliorer l’accès des jeunes à un emploi en contrat à durée indéterminée, de maintenir l’emploi des seniors salariés et d’assurer la transmission des savoirs, des compétences et de l’expérience. »
Traduit dans la loi du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération, ce dispositif devrait permettre à terme la conclusion de 500 000 contrats de génération.
Cette stratégie s’appuie sur un triple impératif de cohérence, de complémentarité et d’efficience, mais aussi sur une méthode. Celle-ci tourne résolument le dos à celle du précédent gouvernement, aux déclarations sans lendemain, aux promesses non tenues et à la précipitation législative que guidait je ne sais quel impératif médiatique ou électoraliste du moment. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)