M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années que je siège dans cette assemblée, j’ai vu passer de nombreux textes, mais jamais ne n’ai senti le poids d’une telle responsabilité. Cette responsabilité devrait nous amener, sur quelque travée que nous siégions, à nous poser trois questions.
En premier lieu, pouvons-nous prendre la responsabilité de changer notre pacte social par la voie d’une loi ordinaire ? En effet, ce que proposent les partisans de ce projet de loi, c’est un changement radical, pour le mariage mais aussi pour la filiation.
Pour ce qui est du mariage, il ne sera plus, désormais, cette institution inventée par les sociétés partout sur la planète, pour donner un cadre protecteur aux plus faibles et aux plus vulnérables, en particulier aux femmes et aux enfants, pour offrir un cadre stable au renouvellement des générations, de manière que les patrimoines matériel et immatériel, mais aussi spirituel, comme l’a fort bien dit M. Raffarin, puissent être transmis de génération en génération.
Pour ce qui est de la filiation, fondée depuis des siècles, et même davantage, sur une réalité biologique et symbolique – lorsqu’il s’agissait de l’adoption –, elle sera désormais fondée sur une intention, une volonté, avec toute la fragilité que l’une ou l’autre peut comporter.
Chers collègues de la majorité, vous avez voulu ce projet de loi au nom de l’égalité. Seulement, cette égalité pour les adultes va se traduire par des injustices pour les enfants, ceux qui n’auront pas accès à leurs origines et ceux qui ne connaîtront ni papa ni maman, ce double visage de notre humanité. Bien sûr, nous avons à cœur, comme vous, de soulager toutes les souffrances ; mais pas au prix d’en créer de nouvelles !
En deuxième lieu, même s’ils ont été au cœur de notre débat, les enfants risquent d’être les grands oubliés, les grands perdants de votre réforme. En effet, derrière le slogan du mariage pour tous, il y a le droit à l’enfant pour tous et le droit à l’adoption pour tous. Prenons garde que ce droit à l’adoption pour tous ne se transforme, au bout du compte, en adoption pour personne, lorsque la décision que vous vous apprêtez à prendre aura tari les adoptions dans les pays d’origine. Certains grands pays de l’Est considèrent déjà que la France ne tient pas suffisamment compte de l’intérêt supérieur des enfants !
Comme nous vous l’avons répété, ce projet de loi est une tromperie, parce qu’il est un cheval de Troie, un engrenage.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est faux ! Nous l’avons répété mille fois !
M. Bruno Retailleau. Ce projet de loi est une tromperie aujourd’hui au sujet du mariage et de l’adoption, mais aussi de la PMA ; à cet égard, il est clair qu’il va régulariser des situations de fraude. Peut-on l’accepter ? Il sera une tromperie demain, parce que l’engrenage nous conduira au bout du compte à la GPA.
Chers collègues de la majorité, quels sont ce progrès et cette modernité au nom desquels vous soutenez ce projet de loi, quand déjà le marché toque à notre porte ? Quand, dans notre pays, dans un hôtel de la rue Cambon, de grands laboratoires américains font leurs propositions sordides pour la fabrique d’enfants parfaits ? Sont-ce là le progrès et la modernité ?
En troisième lieu, cette réforme relève-t-elle des représentants du peuple ou du peuple lui-même ? Nous pensons qu’elle relève évidemment du peuple. Madame le garde des sceaux, on ne change pas une civilisation par la loi ordinaire ! Lorsqu’il a parlé d’un droit à la liberté de conscience, le Président de la République a eu raison, car ce projet de loi n’est pas comme les autres.
Le peuple, qui d’ailleurs est en train de basculer massivement contre ce projet de loi, demande à s’exprimer, comme il est bien normal ; non pas pour des droits acquis, mais pour sa conviction. Le référendum était une exigence, et la voie de l’apaisement.
Non ! Je ne prendrai pas la responsabilité de voter ce projet de loi. Je vous la laisse : vous aurez à l’assumer devant les futures générations, devant l’Histoire, que certains d’entre vous ont invoquée, mais surtout devant tous les Français ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP – M. François Zocchetto applaudit également.)
Mme Catherine Troendle. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, pendant tout notre débat, de nombreux orateurs ont invoqué la nécessité de respecter le sens des mots, en particulier celui du mot « mariage ».
Ce souci honore l’attachement de la Haute Assemblée à la langue française, mais, franchement, nous ne sommes pas à l’Académie française et nous n’avons pas besoin de convoquer le Petit Robert. Nous devons faire notre travail de législateur en nous attachant non seulement aux mots, mais aux faits, aux réalités de la société, aux attentes des citoyens.
Nous avons clairement entendu les difficultés de vie que rencontrent les couples de même sexe et leurs enfants. Ces difficultés, chers collègues de l’opposition, vous n’avez pas voulu les entendre lors de l’adoption du PACS. Votre effort pour vous rattraper en proposant un nouveau contrat d’union civile ne trompe personne, vu le peu d’empressement dont vous avez fait preuve sur ce sujet pendant vos dix années de gouvernement.
Aujourd’hui, l’objectif du projet de loi est de donner à tous, sans discrimination, une égale liberté de choix. Nos concitoyens disposent d’un éventail de possibilités pour organiser leur vie commune : union libre, concubinage, PACS, mariage. Au nom de quoi les couples de même sexe n’auraient-ils pas accès à l’ensemble de ces possibilités ?
On parle beaucoup de reconnaître leur amour, mais ce n’est pas le sujet essentiel pour le législateur. Le vrai sujet pour ces couples et leurs enfants, c’est que le mariage organise un engagement durable et juridiquement sécurisé, où chaque partenaire trouve son juste droit dans l’union comme en cas de séparation ou de deuil.
Dans une société du changement, de la précarité et, il faut bien le dire, d’un individualisme ravageur, pourquoi refuser le libre choix du mariage aux couples de même sexe qui souhaiteraient légitimement fixer leur union ? Rien ne le justifie !
Je m’adresse à vous, chers collègues de l’opposition, qui n’avez pas fait le même choix que nous. Je regrette que trop d’idées fausses aient enfermé notre débat dans une ronde sans fin. Même si nous n’espérons pas nous convaincre les uns les autres, nous devons au moins nous écouter. Le procès en mensonge que vous intentez à ce projet de loi est sans fondement, compte tenu de son périmètre clairement délimité. (Mme la rapporteur pour avis acquiesce.)
Le procès que vous lui intentez au sujet de l’altérité, que vous limitez à la relation homme-femme, est lui aussi sans fondement. Prétendre que ce projet de loi tendrait à nier l’altérité, comme vous le faites sans cesse, est un contresens ou un fantasme propre à impressionner l’opinion. Nous n’avons jamais songé à nier la différence biologique des sexes. Du reste, soyez sûrs que les enfants élevés par une famille homoparentale ne confondront pas, eux ; ils n’imagineront pas un instant être nés de deux hommes ou de deux femmes. Ils ont les yeux ouverts, faites-leur donc confiance !
Ce sont des situations qu’on ne peut regarder abstraitement. Je songe à tous ces parents d’élèves qui ne voyaient aucune objection à l’expulsion des étrangers sans papiers et qui changeaient radicalement de point de vue le jour où l’expulsion frappait un enfant de la même école, de la même classe que leur propre enfant.
Même parmi les plus farouches opposants au mariage de personnes de même sexe, chacun peut se trouver, un jour, devant la réalité de l’homosexualité d’un enfant, d’un parent ou d’un ami. Alors, son regard changera nécessairement et il pourra même se réjouir que la loi assure aux homosexuels droit de cité !
L’adoption de ce projet de loi, bien loin de provoquer les bouleversements annoncés, sera pour toutes les familles concernées une nouvelle heureuse, bien plus joyeuse que toutes les annonces catastrophistes que nous avons entendues tout au long de ce débat.
C’est à ces familles que nous penserons en votant ce projet de loi. Il ne fait ni plus ni moins que mettre fin à une discrimination d’un autre âge et, tout simplement, conforter un ordre républicain qui doit nécessairement s’adresser à tous les citoyens, sans aucune discrimination, même si certains ne l’ont toujours pas admis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – M. Robert Hue applaudit également.)
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en votant ce projet de loi, nous allons prendre le chemin d’une société plus égalitaire, plus juste et plus soucieuse du bien-être des individus. Nous allons commettre un acte de grande portée qui réaffirmera l’image de notre pays, patrie de droits de l’homme dont il faut reconnaître qu’ils sont aujourd’hui bien mis à mal.
Nous allons ouvrir l’égalité, ce qui n’est pas un acte mineur. Ce sera un progrès non pas seulement pour les couples homosexuels, mais pour tous les couples qui conçoivent le mariage comme un espace d’amour, un espace de liberté.
De nombreux arguments ont été développés, sur toutes les travées, certains plus vifs que les autres. In fine, ils ont démontré que, sur le fond, ce sont bien deux projets de société qui se sont affrontés.
En tout état de cause, je crois pouvoir dire que tous les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen sont fiers de rendre possible une nouvelle liberté. Ils n’oublient pas que le chemin a été semé d’embûches et que, si nous en sommes là aujourd’hui, c’est aussi grâce aux luttes et aux actions d’associations et de forces politiques progressistes. Celles-ci se sont battues pendant des années pour affirmer que le mariage pour les couples de personnes de même sexe représentait un enjeu d’égalité et de justice sociale. Je tiens à les saluer et à leur rendre hommage.
Aujourd’hui, notre assemblée va contribuer à une avancée humaine. Nous mettrons nos pas dans ceux des parlementaires qui ont voté la loi Badinter abolissant la peine de mort et la loi Veil autorisant l’IVG.
Oui ! Notre vote va mettre fin à une discrimination qui s’appuie sur un ordre : la domination patriarcale. Il va permettre qu’enfin, le mariage ne se réduise pas à un modèle familial unique, où amour et sexualité sont liés à la procréation et à la filiation. Ainsi, nous mettrons fin à une certaine hypocrisie, de même qu’à des souffrances et à des frustrations.
Oui ! Notre vote va en finir avec un modèle qui serait fondé sur la seule loi de la nature, selon certains de nos collègues de l’opposition qui oublient que les droits acquis par les peuples, par les femmes en particulier, ont permis de dépasser l’état de nature.
Oui ! Notre vote va contribuer à ce que des hommes, des femmes et des enfants puissent enfin vivre un vrai bonheur, en toute liberté. Comme le disait Saint-Just, « le bonheur est une idée neuve ». (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Nous pouvons aujourd’hui le démontrer avec force.
Mes chers collègues, c’est avec une grande fierté que les sénateurs communistes, républicains et citoyens voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, je voterai ce projet de loi, même si ma position est minoritaire au sein de mon groupe.
M. Gérard Longuet. Elle n’est pas minoritaire, elle est unique !
Mme Chantal Jouanno. Au sein du groupe UDI-UC, nous sommes attachés à la liberté de vote et d’expression des uns et des autres. De fait, je suis très fière que nous puissions nous exprimer très librement sur ce sujet, où les certitudes n’ont certainement pas leur place.
M. Gérard Longuet. Chère collègue, excusez-moi de vous le dire : votre position n’est pas celle de vos électeurs !
Mme Chantal Jouanno. Je voterai ce projet de loi parce que j’ai des convictions libérales qui ne s’arrêtent pas aux questions économiques, mais s’étendent aux questions de société. Or, dans la nouvelle liberté qui va être offerte, je ne vois pas d’atteinte aux principes républicains qui justifierait une intervention de l’État pour la limiter.
Certains mettront en avant l’intérêt supérieur de l’enfant. Mais cette notion n’est pas juridiquement définie aujourd’hui, ce qui pose d’ailleurs un vrai problème. Il n’existe pas de charte de l’enfant, alors que nous avons adopté, par exemple, une charte de l’environnement.
Si nous considérons que l’intérêt supérieur d’un enfant est d’avoir un père et une mère biologiques, certains écueils apparaîtront très vite : quelle position adopter à l’égard des mères célibataires, des familles monoparentales ou de l’interruption volontaire de grossesse ? C’est une voie, sinon potentiellement dangereuse, du moins délicate.
Par ailleurs, comme la très grande majorité de mes collègues, je pense que les familles homoparentales ont la même capacité que les familles hétéroparentales à assumer leurs responsabilités de parents et à élever des enfants dans le cadre, j’insiste sur ce point, d’un projet parental. Aujourd’hui, en effet, l’enfant est le plus souvent le fruit d’un projet parental, ne serait-ce qu’en vertu du droit à la contraception.
C’est vrai, ce texte de loi se heurte à deux écueils, en ne répondant pas à deux questions fondamentales. La première est celle de l’adoption, et tout particulièrement de l’adoption plénière, qui crée une fiction. La question se pose aujourd’hui à tous : dès lors que l’adoption plénière gomme les origines, jusqu’où devons-nous aller dans la fiction ? Ce dispositif, qui était justifié à une certaine époque, l’est-il encore ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il ne l’est plus !
Mme Chantal Jouanno. C’est un vrai sujet, que nous devrons un jour traiter. Pour ma part, je ne suis pas favorable à l’effacement des origines qu’implique l’adoption plénière.
La seconde question fondamentale est celle de la procréation médicalement assistée : jusqu’où devons-nous aller dans la médicalisation ? En autorisant la PMA avec tiers donneur, on a déjà ouvert une brèche. Faut-il aller plus loin ? C’est aussi une question à laquelle nous n’avons pas répondu. Il est dommage que notre débat ait eu lieu avant que le Conseil consultatif national d’éthique n’ait pu formuler ses conclusions.
Ces questions en suspens peuvent justifier de nombreuses oppositions à ce texte, oppositions qui s’expriment plus ou moins selon les travées sur lesquelles chacun siège.
Avec ce vote, une page se tourne et une autre s’ouvre. Je pense très honnêtement que le temps est à l’apaisement de notre société, à sa réconciliation. Veillons, dans nos discours, à nous positionner comme s’il s’agissait de nos propres enfants. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Christian Cointat applaudit également.)
M. Bertrand Auban. Elle est courageuse !
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je n’ai pas participé au débat.
Si j’ai voté pour le candidat François Hollande,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tiens donc !
M. Gérard Longuet. Nul n’est parfait ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Nicolas Alfonsi. … je n’étais pas favorable à sa proposition 31. Faudrait-il pour autant qu’une sorte de mandat impératif me conduise aujourd’hui à voter le texte qui nous est présenté ? La réponse est non. L’engagement que constitue cette proposition lie François Hollande, mais n’oblige pas nécessairement tous ceux qui ont pu voter pour lui. Si chaque électeur de François Hollande avait voté l’ensemble de ses propositions – aurait-il été élu dans ces conditions ? –, peut-être aurions-nous pu voter d’un cœur léger un texte de cette importance.
Ainsi, je le répète, je ne suis lié par aucun engagement.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Belle honnêteté intellectuelle !
M. Nicolas Alfonsi. Si je n’ai pas voté la motion référendaire, à laquelle j’étais favorable sur le fond, c’est tout simplement parce que je souhaitais que le débat continuât. Je ne voulais pas laisser le Sénat dans l’état de frustration qu’il a connu à l’occasion du vote du budget.
Au demeurant, le Président de la République est libre de retenir les moyens de son choix pour faire adopter ce texte, la voie parlementaire ou la voie référendaire. Dans la mesure où la majorité du Parlement y est favorable, il a choisi la première, au nom du principe de réalité.
C’est d’ailleurs ce même principe de réalité qu’il retient en renonçant à défendre sa proposition 56, en faveur de laquelle une majorité constitutionnelle n’existe pas. On devine aisément le sentiment de frustration de ceux qui auraient voté pour François Hollande uniquement pour voir cette proposition adoptée. En la matière, le principe de réalité s’impose donc.
Le Président de la République aurait également pu tenir compte d’une autre réalité : celle des manifestants, ceux de l’ouest parisien et ceux de l’est parisien, puisque chacun tient une comptabilité notariale de ceux qui protestent contre ce projet et de ceux qui le soutiennent. Mais on oublie – finalement, je crois que je suis aujourd’hui le seul interprète de cette position – tous ceux qui n’ont pas manifesté et qui ont voté pour François Hollande tout en étant défavorables à sa proposition 31. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Le problème, pour moi, se pose dans ces termes. Comme je tiens exclusivement au mandat représentatif – je regrette de m’étendre sur ce point qui me paraît important –, je reprends ma liberté.
Je n’évoquerai pas le fond, vous l’avez fait au cours de ces derniers jours. Je dirai simplement que le mariage est une institution déjà malade. Faut-il l’achever, en étendant en quelque sorte toutes les libertés qui sont prises ? Je respecte toutes les sensibilités, mais j’ai toujours eu le sentiment que, si je ne participais pas à ce vote, je manquerais, en quelque sorte, à mes devoirs. Il s’agit de questions trop importantes pour ne pas voter ! Des divergences existent, au sein de mon groupe, en la matière. Robert Hue a parlé de marche vers l’égalité parfaite, et il a même cité un auteur que je connais bien et qui nous enseigne que la démocratie est une marche vers toujours plus de liberté. Je réponds amicalement à mon collègue que, s’il avait poursuivi sa lecture, il aurait lu ceci sous la plume de Montesquieu : « Autant le ciel est éloigné de la terre, autant le véritable esprit d’égalité l’est-il de celui d’égalité extrême. » C’est cette règle qui m’a toujours conduit dans la République, c’est ce phare qui a toujours été le fondement de mon action. Dans ces conditions, vous le comprenez, je voterai contre ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, avant de voter en faveur de ce texte, je pense à ceux qui s’y opposent, avec qui je corresponds depuis plus d’un mois, notamment par le biais d’Internet. À leurs yeux, l’évolution de la famille est un véritable bouleversement, une remise en cause profonde de ce à quoi ils croient.
Mais à quelle famille pensent-ils ? De quelle famille rêvent-ils ? Celle des temps anciens, où le fils de famille engrossait la bonne après le père, qui la renvoyait lorsque les œuvres de la nature étaient visibles ? (Oh ! sur les travées de l'UMP.) Ou celle des parents adoptifs qui cachent ou cachaient aux enfants leur réalité biologique ? La famille n’est plus cela ! Depuis le divorce, la fin de la tutelle du mari sur la femme et de la puissance paternelle, l’IVG et l’égalité de toutes les filiations, les familles recomposées ont bouleversé la famille, les familles. Oui, ce texte introduit une évolution de la norme républicaine, mais il ne révolutionne pas la société.
Aujourd’hui, en effet, notre société est prête à l’indifférence. Je suis sûre que, demain, les enfants des opposants à ce texte joueront avec les enfants d’homos,…
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est déjà le cas !
Mme Hélène Lipietz. … tout comme les enfants de divorcés ou de filles mères jouent aujourd’hui avec eux, alors qu’il n’y a pas si longtemps, à l’époque où j’étais moi-même à l’école primaire, on ne devait pas jouer avec les enfants de divorcés. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Eh oui, mes chers collègues !
Mme Bariza Khiari. Elle a raison !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Christian Cambon. Dans quelle école étiez-vous ? Une école de riches ?
Mme Hélène Lipietz. Je pense aussi aux homosexuels, qu’ils soient femmes ou hommes, et tout particulièrement à cet homosexuel massacré il y a cinq jours. Je pense surtout à leurs enfants, qui n’auront plus à redouter leur avenir familial et qui pourront dire ou se dire que leurs parents sont dans la norme, parce que dans le droit, qu’ils sont « normaux », eu égard à leurs devoirs et leurs droits de parents.
Enfin, je pense aux hétérosexuels, qui font aujourd’hui, dans cet hémicycle, ce geste républicain de fraternité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, un homme politique du début du XXe siècle disait que les échanges pouvaient changer ses opinions, mais jamais son vote.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est dommage !
M. René Garrec. Herriot !
M. Jean-Jacques Hyest. On prête ces propos à Édouard Herriot, en effet.
Nous avons pu dialoguer au cours des nombreuses auditions organisées par le Sénat. À l’issue de notre débat, qui a été vif, mais digne, je m’aperçois que notre réflexion a acquis, comme c’est le cas dans l’opinion publique, une certaine maturité. Celle-ci ne peut se résumer à des slogans tels que l’égalité ou la liberté. Ce serait trop facile ! Combien de crimes ont-ils été commis au nom de ces deux principes ? Quand on cite Saint-Just et qu’on en fait un modèle, j’ai parfois froid dans le dos.
Aujourd’hui, le problème, ce n’est pas de reconnaître aux personnes de même sexe le droit de s’unir. C’est leur vie et personne n’a à contester ou à dénoncer ce droit. C’est pourquoi nous avions proposé la création d’une union civile.
Mais c’est bel et bien l’« intérêt supérieur de l’enfant » – deuxième slogan ! – qui est en cause.
Gérard Longuet a bien expliqué, hier et avant-hier, que l’adoption ne concerne que très peu d’enfants, la plupart d’entre eux bénéficiant aujourd’hui d’une filiation maternelle et paternelle. Les seuls cas réels – sauf en cas d’adoption plénière, demain, par des couples homosexuels – concernent des adultes qui n’ont pas respecté la loi, en recourant soit à une PMA, soit à une GPA.
Il me paraît tout de même curieux, sous prétexte qu’elle met en cause des enfants, de valider une telle situation, qui procède uniquement de la volonté de certains adultes. Dans un autre registre, il existe aussi des enfants qui sont nés illégalement d’autre manière. Va-t-on valider, par exemple, ce qui est totalement interdit par la loi et constitue même un tabou ?
Pour ma part, j’estime qu’on se trompe complètement ! Madame le garde des sceaux, si vous commencez à toucher à l’adoption et à l’état civil, vous modifiez forcément les règles de filiation. Vous avez dit que vous sanctuarisiez le chapitre du code civil relatif à la filiation, mais demain, au nom de la liberté individuelle – c’est un principe formidable ! –, ce cadre volera en éclats. Dans ces conditions, nous ne pouvons demander à la société de tout prévoir.
Comme le rappelait notre collègue Nicolas Alfonsi, l’institution du mariage va mal. On a ainsi offert aux couples la possibilité de régler un certain nombre de problèmes par le PACS, et beaucoup de jeunes ménages utilisent cette possibilité juridique. Le nombre de mariages diminue. Seuls les couples homosexuels, reconnus en tant que tels et désireux d’avoir des enfants, se marieront-ils demain ?
Nous sommes en train de détruire l'institution du mariage, qui était, jusqu'à présent, un principe du droit français.
Selon moi, l'exigence que les époux soient un homme et une femme est conforme au principe d'égalité, qui a valeur constitutionnelle en droit français. Nous avons donc formulé des propositions, nous avons contesté sur le plan juridique le texte que vous nous avez proposé, mais en vain.
Bien entendu, je voterai contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, voici venue l’heure des explications de vote, qui doit être aussi celle de l'apaisement et du retour à la sérénité.
M. Christian Cambon. Certainement…
Mme Virginie Klès. Je commencerai mon propos en soulignant que le doyen Gélard a partiellement raison lorsqu’il affirme qu'un mariage homosexuel n'est pas la même chose qu'un mariage hétérosexuel. Partiellement seulement, parce qu'aucun mariage n’est égal à un autre, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel !
M. Henri de Raincourt. C’est vrai !
Mme Virginie Klès. Un mariage est l'aboutissement de l'histoire de deux individus qui ont décidé de faire route commune, qui ont décidé par amour l'un pour l'autre, quel qu'il soit, d'unir leurs vies et de se protéger mutuellement jusqu'à la fin.
Pour cela, ils viennent se mettre à l'abri de la loi, du droit. Ils nous demandent de célébrer leur mariage. Le terme a son importance : ce n'est pas la même chose qu'une union civile. Ceux d'entre nous qui sont maires savent combien de mariages sont célébrés sans que les époux aient conclu de contrat de mariage. Autrement dit, ceux-ci ont fait confiance au droit pour se protéger mutuellement et réciproquement. Ils ne se sont pas préoccupés d'examiner en détail la loi, parce qu'ils ont confiance dans le droit.
Le mariage doit donc bien être le même pour tous, et ouvrir les mêmes droits. Sinon, il faudrait interroger les couples qui veulent se marier et soit décider pour eux, soit les engager à choisir l’une de ces voies : l’union civile, le PACS, l’union libre ou le mariage. « Avez-vous un projet de famille ? », « Êtes-vous sûrs que vous n'en aurez pas un d’ici à cinq ou à dix ans ? », « Avez-vous un passé de famille ? », devrions-nous leur demander.
En effet, les couples qui se marient aujourd'hui peuvent déjà avoir des enfants ; il en va de même quelquefois des personnes homosexuelles qui décident de construire leur vie ensemble. On ne peut donc, ne serait-ce que pour cette simple raison, différencier les deux types d’union : il doit n’exister qu’un seul mariage, qui confère exactement les mêmes droits à tous.
Les questions de fond qui ont été soulevées au cours du débat sont les mêmes pour les couples homosexuels et pour les couples hétérosexuels, dès lors qu'il s'agit d'enfants. L’argument de la loi de la nature a beaucoup été avancé. Pourtant, si le désir d'enfant est naturel, il n'est ni une obligation, ni une contrainte, ni un devoir.
On a également beaucoup parlé de droit à l'enfant ou de droits de l’enfant. Mais on ne s’est pas souvent demandé où était la limite entre ces deux droits. Cette question doit, à mon sens, être posée quand l'enfant n'est pas encore né, quand on est en amont de sa conception. À ce moment-là, la frontière est peut-être encore à construire. En tout cas, quand l'enfant est là, quand il est présent parmi nous, il ne doit plus être question que des droits de l'enfant, lesquels doivent être les mêmes pour tous.
Ont aussi été évoqués le mensonge sur les origines et l'appellation des parents.
Je vous signale, chers collègues, qu’un enfant adopté peut avoir connu ses deux parents et avoir partagé une histoire avec eux. En effet, l’enfant adopté n'est pas forcément un bébé de quelques jours ou de quelques mois qui a tout à apprendre ! Ce peut être un enfant d’une dizaine d’années, qui a une histoire, qui a déjà eu une mère et un père. Il aura du mal à appeler une autre femme « maman » et un autre homme « papa ».
Or cet enfant trouvera comment appeler ses adoptants, avec leur aide et grâce à la voix de l'amour. Je connais une petite fille qui a connu ses parents biologiques et qui, une fois adoptée par un couple hétérosexuel, n'a pas voulu appeler sa mère « maman ». Elle l'a appelée « Mamboise », contraction de « maman » et de « Framboise ». Les enfants ont cette intelligence du cœur qui leur permet de trouver des solutions. L’appellation n'est pas un problème en soi.
Quant au mensonge sur les origines, la question se pose exactement de la même façon pour les couples homosexuels que pour les couples hétérosexuels. Avec cette loi, avec l’ouverture de droits à tous, nous posons des questions fondamentales sur lesquelles nous devrons demain réfléchir. Ouvrons la porte de l’adoption, attendons la grande loi sur la famille et aidons les parents à ne pas mentir à leurs enfants !
Oui, le livret de famille est important, mais ce qui y est inscrit ne permettra, ni n’empêchera, le mensonge, qui intervient bien avant. Si un enfant doit attendre d’être capable d'ouvrir le livret de famille, de le lire et de le comprendre pour s’apercevoir qu’il a été adopté, cela signifie qu’on lui ment depuis longtemps ! Ce mensonge aura été porté non par l’État, mais bien par ses parents.
Aidons les familles et construisons une société tolérante, dans laquelle tous les parents, quels qu'ils soient, auront les mêmes droits et seront considérés comme de vrais parents par la société, dans laquelle les enfants auront des repères en matière de tolérance et n'auront aucun doute quant à l'amour que leurs parents leur portent, quant aux droits que leurs parents ont à leur égard et quant aux devoirs que leurs parents ont envers eux !
Pour toutes ces raisons, je voterai bien évidemment ce projet de loi et j'attendrai la suite avec une grande impatience ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)