M. Ronan Kerdraon. Démagogie !
M. Michel Vergoz. Vous êtes polémistes ! Et ça fait trois ans que ça dure ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Acte vous est donné de votre déclaration, monsieur Gaudin.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je répondrai d’abord à M. Hyest.
Le texte que le Gouvernement a présenté à l’Assemblée nationale est effectivement différent de celui qui a été élaboré par la commission des lois et adopté par l’ensemble des députés en première lecture. La différence, c’est que la référence aux conventions instaurant la non-possibilité d’écarter la loi personnelle a été supprimée.
Mais, et vous le savez parfaitement, monsieur le sénateur, dans la hiérarchie des normes, les conventions internationales s’imposent, qu’elles soient mentionnées ou non. Le Gouvernement avait pris la précaution de les mentionner. Mais le fait qu’elles ne soient pas citées n’est pas un problème.
De toute manière, la référence est là, car il s’agit d’une disposition pérenne.
Dès lors, la différence entre le texte présenté par le Gouvernement et celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale ne fragilise pas notre projet. On peut même considérer qu’une telle mention était superfétatoire, même si ce n’est pas pour cette raison qu’elle a été supprimée en commission des lois.
M. le doyen Patrice Gélard a évoqué tout à l’heure le mariage « boiteux », c'est-à-dire le mariage valable dans un pays mais pas dans un autre. Mais une telle situation n’a rien d’inédit ; elle existe déjà ! Dans le cas particulier que vous avez évoqué à propos de la Grèce, les protagonistes ont agi de mauvaise foi ; pour obtenir la rupture du mariage, l’époux a déclaré que l’union n’était pas valide car elle n’avait pas été prononcée par un prêtre orthodoxe. Cela ne nous concerne pas du tout.
Une autre question se pose ; je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat. Un mariage prononcé par une autorité religieuse, comme dans certains pays scandinaves, peut-il être transcrit en France ? Du point de vue de l’État, l’enjeu est de savoir si ce mariage est célébré par délégation des autorités civiles à l’autorité religieuse, auquel cas il produit des effets d’ordre public. Si de telles conditions sont remplies, les exigences posées par le code civil sont satisfaites et la transcription est possible. Nous aurons l’occasion d’approfondir cette question.
J’en viens à l’interpellation de M. Jean-Claude Gaudin.
Depuis vendredi, les interventions des sénatrices et sénateurs de l’opposition consistent à réclamer de manière récurrente – je dirais même « itérative » – la présence de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement, pour une sorte d’audition publique dans l’hémicycle.
Mme Catherine Troendle. Non ! Ce n’est pas ce nous demandons !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Gaudin, ce n’est pas à vous, ce n’est pas aux membres de la Haute Assemblée, que je rappellerai les propos tenus par François Rebsamen, le président du groupe socialiste, avec l’ironie qui est, dans certaines circonstances, l’élégance de l’exaspération : le Gouvernement est représenté.
Mme Catherine Troendle. Dans ce cas, qu’il réponde !
M. Philippe Marini. Quelle est la position du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Quelle impatience !
Vous savez bien que le Gouvernement est là.
À l’Assemblée nationale, les députés de l’opposition se sont livrés pendant des jours et des nuits à un petit jeu consistant à réclamer d’autres ministres que les trois qui étaient fréquemment présents au banc du Gouvernement. D’abord, c’est un peu discourtois à notre égard ; certes, me direz-vous, quand on s’engage dans la vie publique, on s’expose à un tel risque. Mais surtout, c’est une méconnaissance, au sens de « décision de méconnaître », de nos règles institutionnelles : tout ministre représente le Gouvernement, y compris pendant les questions d’actualité ou les questions orales sans débat, et ce quelles que soient les circonstances !
Mme Catherine Troendle. Alors, répondez à la question ! (M. Michel Vergoz s’exclame.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame, nous vous écoutons pendant des heures, mais vous semblez dans l’incapacité de nous écouter ne serait-ce que quelques minutes (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.), même après nous avoir interpellés !
Mme Catherine Troendle. Vous n’avez pas répondu !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais je vais vous répondre. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. J’aurais au moins servi à cela ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais, monsieur le sénateur, j’aimerais que vous serviez aussi à faire en sorte que la question ne revienne pas une fois que j’y aurais répondu.
M. Jean-Claude Gaudin. À condition que ce soit clair !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, m’autorisez-vous à prendre quelques minutes afin de vous conter une histoire qui me permettra de mieux répondre à la question ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste.)
Un sénateur du groupe socialiste. Très bien, madame la ministre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai fait ma scolarité à Cayenne en Guyane, sur l’autre rive de l’océan Atlantique en Amazonie.
À cette époque lointaine, « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », après le baccalauréat, il n’était pas possible de suivre des études supérieures chez nous. Je suis donc venue à Paris pour étudier à l’université.
Certes, j’avais déjà rencontré l’amour au lycée à Cayenne. (Sourires.) Mais ce fut tout de même un vrai bonheur de venir ici ; il y avait tant de bibliothèques, de librairies…
M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas exactement la question que nous vous avons posée !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est une association d’idées par rapport au bonheur ! J’ai trouvé le bonheur de la littérature, des librairies.
Mais, à l’époque, il n’y avait qu’un vol vers la Guyane par semaine ; d’ailleurs, la traversée s’effectuait le plus souvent en bateau. Et on ne se téléphonait qu’une fois par trimestre.
Par conséquent, j’ai forcément eu quelques mélancolies. J’ai donc cherché – l’histoire paraît bizarre, j’en conviens – du fromage gruyère. Celui que j’ai acheté la première fois ne m’a pas plu ; idem la deuxième et la troisième fois. J’ai donc clairement posé la question : « Avez-vous ce fromage gruyère qui picote ? » Et j’ai découvert que le fromage gruyère ne picotait pas ; simplement, comme celui que j’avais connu dans mon enfance arrivait par bateau avec deux mois de retard, il picotait ! (Rires.)
C’est exactement ce qui vous arrive avec la déclaration de Mme Najat Vallaud-Belkacem ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Mme Najat Vallaud-Belkacem s’est exprimée voilà trois mois sur la PMA ! Depuis jeudi soir, vous voulez absolument que nous vous répondions séance tenante sur sa déclaration. Or voilà trois mois qu’elle ne s’est pas exprimée sur le sujet !
M. Philippe Marini. Et que va-t-elle dire demain ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Il picote !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … il picote sur la PMA ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Le texte que nous examinons a un périmètre précis. Ce périmètre, c’est le mariage et l’adoption ouverts aux couples de personnes de même sexe à droits constants. La commission des lois a choisi de ne pas modifier ce périmètre, donc, de ne pas inclure la PMA.
Mais soyez patients : je crois qu’un amendement tendant à introduire la PMA dans le projet de loi a été déposé. Il y aura alors tout lieu d’en débattre. Simplement, les dispositions dont nous discutons actuellement ne concernent pas la PMA.
Voilà deux jours ou deux nuits, je vous ai dit que vous aviez fait pendant longtemps un débat sur le débat. Il faut un débat, disiez-vous. Or le débat est permanent. Il y a des articles de presse chaque jour depuis plus de six mois. Il y a des réunions, dont certaines sont d’ailleurs sur votre initiative. Parfois, des députés ou des sénateurs sont empêchés d’y assister. Certains, y compris dans vos rangs, reçoivent même des menaces de mort.
Alors qu’il y a des débats dans la société, vous nous avez réclamé un débat sur le débat. Et à présent, vous faites un débat avant le débat ; vous voulez absolument consacrer des heures à discuter de la PMA (M. Jean-Claude Gaudin hoche la tête en signe de dénégation.) avant tout texte sur le sujet !
Nous avons un texte sur le mariage et l’adoption. C’est de cela qu’il s’agit. Le jour où il y aura un débat sur la PMA, vous pourrez en débattre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 144 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 157 |
Contre | 179 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 14 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 145 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 173 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 204 rectifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Encore ? sur plusieurs travées de l'UMP.)
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 146 :
Nombre de votants | 322 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l’adoption | 20 |
Contre | 302 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 15 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 147 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 159 |
Contre | 179 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote sur l'article 1er.
M. Jean-Claude Lenoir. L’article 1er étant le socle de ce texte, nous serons sans doute quelques-uns à souhaiter expliquer notre vote.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est un euphémisme…
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vous, vous intervenez avant l’article, sur l’article et après !
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la garde des sceaux, lors de votre intervention dans la discussion générale, vous avez dit à propos du mariage : « cette institution qui fut de propriété du temps du contrat, de domination quand elle imposait obéissance à l’épouse, de possession du mari, d’exclusion sur une base religieuse ou professionnelle, est en train de devenir universelle, parce qu’elle cesse de témoigner d’un ordre social où la puissance publique instaurait une hiérarchie selon la sexualité ».
C’est toujours la même chose avec l’histoire, chacun tente de la réécrire selon sa propre subjectivité. Un certain nombre de dossiers ont ainsi été passés au crible des néohistoriens ; je pense notamment à la colonisation, à l’esclavage ou à la Seconde Guerre mondiale.
On réécrit maintenant l’histoire de la domination masculine sur la femme. Je refuse l’argumentation avancée, d’autant qu’elle s’accompagne d’une vision de la famille qui m’a personnellement choqué : le rapporteur du projet de loi nous a en effet expliqué que la famille d’il y a un siècle n’avait pas répondu aux exigences,…
M. Alain Gournac. Moi aussi, cela m’a choqué !
M. Jean-Claude Lenoir. … que les parents d’alors avaient failli à leurs responsabilités – c’est le sens des mots que vous avez utilisés, monsieur le rapporteur.
Je pense à mes parents et à mes grands-parents et je me dis que les personnes que visait votre propos avaient le souci de l’éducation de leurs enfants, sans doute plus que les enfants qui seront issus du dispositif que vous êtes en train de mettre en place. (Mme la rapporteur pour avis s’exclame.)
Je pense également que ceux qui étaient créateurs d’enfants il y a un siècle ont su mettre au monde une génération qui s’est dressée contre l’ennemi, qui a résisté, une génération valeureuse, qui a combattu. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je voudrais croire que les valeurs portées par les générations futures qui mettront au monde des enfants répondront également à ces exigences.
Le mariage tel qu’il existe partout sur la planète a été organisé selon des régimes plus ou moins comparables. Tous ont évolué en fonction de la société, mais le critère de l’altérité sexuelle n’a jamais, jamais, chers collègues, varié. Et ce n’est que logique. En effet, l’altérité sexuelle, c’est la procréation ; la procréation, c’est la famille ; et la famille, c’est le mariage !
Le dispositif que vous nous proposez aujourd'hui aura quatre conséquences.
Premièrement, la « parentalité » se substituera aux parents, transformant ainsi en profondeur le droit français du mariage et de la filiation.
Deuxièmement, un « droit à l’enfant » sera consacré dans le cadre de l’adoption, par la substitution d’une illusion juridique à la vraisemblance biologique, l’enfant passant de sujet à objet de droit.
Troisièmement, vous négligez les conflits de loi résultant du fait que certains pays ne reconnaissent pas, voire punissent, l’union homosexuelle, avec toutes leurs conséquences.
Quatrièmement, enfin, contrairement à tout ce que vous affirmez, vous ouvrez la voie à la PMA aux couples homosexuels féminins, entraînant ainsi une rupture d’égalité entre les hommes et les femmes et provoquant de surcroît un bouleversement bioéthique dans notre droit.
Madame la garde des sceaux, vous avez fini par nous répondre, et pour nous dire que Mme Vallaud-Belkacem s’était exprimée il y a trois mois. Mais ses propos ont-ils suscité une réaction du Gouvernement ? Le Premier ministre a-t-il recadré la porte-parole du Gouvernement ?
Mme Cécile Cukierman. On n’est plus à l’école !
M. Jean-Claude Lenoir. Le Premier ministre lui a-t-il dit que sa position n’était pas celle du Gouvernement ?
Le 28 janvier dernier, car c’est ce jour-là que Mme Najat Vallaud-Belkacem s’est exprimée, la porte-parole du Gouvernement a engagé non seulement sa personne, mais le Gouvernement tout entier et, avec lui, la majorité. Je tiens à votre disposition, mes chers collègues, le texte de son entretien, dans laquelle elle indique que le Gouvernement est favorable à la PMA et que le texte sera d’ailleurs voté avant la fin de l’année.
Que cela ait été dit il y a quelques jours ou quelques mois, comme c'est le cas, ne change strictement rien à l’affaire. Il existe une volonté d’aboutir à ce qui a été annoncé, et nous vous avons contraints à le dire, mais nous continuerons à le dénoncer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler, pour explication de vote.
Mme Esther Sittler. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 1er vise à permettre aux personnes de même sexe de se marier, ce que le code civil réservait jusqu’ici, explicitement, à deux personnes de sexe différent. Par voie de conséquence, le code civil n’ouvrait l’accès à l’adoption conjointe qu’aux époux de sexe différent.
Depuis 1792, le mariage est une institution dans laquelle s’engagent un homme et une femme souhaitant fonder une famille. Or, pour la majorité, le mariage semble être une institution désuète qu’il s’agit de casser. Dans ces conditions, pourquoi ne pas opter pour notre proposition d’union civile ?
La vérité, mes chers collègues, c’est que ce projet de loi répond davantage à une demande très minoritaire qu’à un réel souci de placer la famille, toutes les familles, au cœur de nos réflexions.
Force est de constater que la famille a évolué. Nous devons prendre acte de ces évolutions, en mettant en place un cadre légal, notamment pour les couples de personnes de même sexe. Ces couples doivent pouvoir organiser leur vie commune comme les couples hétérosexuels. Mais en vérité, j’en suis persuadée, nous n’avons pas besoin du « mariage pour tous ».
Vous nous répétez sans cesse que ce projet de loi ne fait qu’accorder des droits nouveaux au nom de l’égalité, mais vous nous trompez.
Permettez-moi de prendre deux exemples éloquents présentés par 170 professeurs de droit.
M. Alain Bertrand. De droite, plutôt !
Mme Esther Sittler. À ce propos, je souhaite souligner le caractère inhabituel d’une telle mobilisation.
Le premier exemple porte sur l’insécurité juridique potentielle des enfants élevés par deux hommes ou par deux femmes.
Or un tel vide juridique n’existe pas, contrairement à ce que vous prétendez, madame la garde des sceaux. En effet, la loi actuelle permet de partager l’autorité parentale avec la personne qui élève l’enfant si les besoins de l’éducation de l’enfant le justifient. Cela n’est pas systématique, et fort heureusement ! Car le fait de vivre avec le père ou la mère de l’enfant ne donne pas a priori de droit sur cet enfant, et l’autorité parentale ne doit pas être un faire-valoir pour les adultes.
Second exemple, notre droit autorise un parent, qu’il soit le seul parent ou qu’ils soient deux, à désigner un tuteur pour ses enfants en cas de décès, par un simple testament. La mère qui élève son enfant avec une autre femme peut donc très facilement désigner celle-ci comme tuteur.
Appliquons donc le code civil !
On le voit bien, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Je ne peux, pour ma part, accepter qu’un texte mal préparé et fondé sur des postulats erronés vienne non seulement bouleverser l’équilibre déjà fragile de l’institution du mariage, mais aussi et surtout nuire à l’intérêt de l’enfant.
C’est pourquoi je ne voterai ni le présent article ni le texte dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. « On peut réprouver et combattre l’homophobie tout en n’étant pas favorable au mariage homosexuel, comme c’est mon cas. Ma position, il faut le dire, s’accompagne d’un plein respect des choix amoureux et sexuels de chacun. Mais puisqu’on parle de loi, il me semble que le législateur, tout en étant attentif aux désirs souvent contradictoires des individus, doit rechercher l’intérêt de la société tout entière. »
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’adhère à ces propos de Lionel Jospin, qui datent de 2004, car ils correspondent à mon état d’esprit face au texte qui nous est proposé aujourd’hui.
Je le dis comme je le pense, le sujet est trop complexe et délicat pour être caricaturé et traité de façon binaire et moralisatrice. Je regrette à cet égard, comme d’ailleurs une très large majorité d’élus et, au-delà, de Français, l’absence d’un débat préalable qui, approfondi et éclairé, nous aurait permis de réfléchir aux tenants et aux aboutissants d’un sujet essentiel, car il nous touche au plus profond de nous-mêmes.
Des élus ont d’ailleurs réclamé des états généraux sur la famille, le mariage et la filiation ; cela leur a été refusé. Nous l’avons bien compris, on cherche à nous faire croire que ces sujets sont déconnectés les uns des autres. Or, après ce texte sur « le mariage pour tous », il y aura bien un texte sur la famille, et donc sur la filiation.
J’en viens maintenant au fond. Ces derniers jours, j’ai écouté très attentivement les différents orateurs…
M. François Rebsamen. Nous aussi !
Mme Catherine Morin-Desailly. … et ce que j’ai entendu de la part de certains ne m’a pas du tout rassurée.
Mme la garde des sceaux a évoqué le « droit qu’avait un couple homosexuel de fonder une famille » ; le président de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous a indiqué hier qu’il ne savait pas ce qu’il voterait lorsque l’on aborderait la question de la GPA dans un prochain texte.
De toute évidence, ce texte relatif au « mariage pour tous », et notamment son article 1er, prépare des évolutions beaucoup plus fondamentales que l’on veut bien nous le faire croire, et c’est bien ce qui inquiète fortement nos concitoyens. Les différents sondages organisés sur le « mariage pour tous », l’adoption et la procréation médicalement assistée montrent le décalage qui existe entre l’union, c'est-à-dire le mariage, qui est approuvée, et l’adoption et la PMA, qui sont, elles, rejetées.
Voilà pourquoi je pense qu’il fallait accepter la solution que constituait l’union civile, car elle permettait de reconnaître aux couples homosexuels des droits sociaux et patrimoniaux équivalents à ceux des couples aujourd'hui mariés. Elle permettait de célébrer l’union en mairie, traduisant par là même le souci d’égalité et de fraternité de notre République.
Nombre de nos concitoyens pensent que s’il est légitime d’offrir un cadre juridique et une reconnaissance aux couples homosexuels, il est tout aussi légitime de reconnaître la spécificité du mariage fondé par notre République. Ils sont attachés à la façon dont le mariage établit la filiation.
On ne peut pas fantasmer à l’infini : la naissance d’un enfant ne peut résulter que de la rencontre d’un homme et d’une femme. C’est une donnée irréfutable, qui relève non pas de critères moraux, sociaux, religieux ou juridiques, mais de la réalité. Il n’existe pas d’autre vérité biologique de la procréation.
Ce qui apparaît en filigrane dans le projet de loi avec le principe de l’adoption plénière, c’est l’enfant pour tous. Notre collègue Patrice Gélard l’a bien expliqué hier : comme il n’y a pas ou presque plus d’enfants adoptables, cela signifie à terme la PMA puis, par souci d’égalité, la GPA.
On notera que, sur les huit pays européens qui ont autorisé le mariage entre personnes de même sexe, sept ont déjà légalisé la PMA.
Le « mariage pour tous » ne serait-il pas la « PMA et la GPA pour tous » ? Telle est notre inquiétude.
Mme la ministre chargée de la famille a tenu hier soir des propos extrêmement inquiétants,…
M. Alain Gournac. Ah oui !
Mme Catherine Morin-Desailly. … en affirmant qu’il y avait bel et bien un droit à l’enfant.
Non, madame la ministre, le droit à l’enfant n’existe pas, pas plus pour les couples homosexuels que pour les couples hétérosexuels, à moins que vous ne confondiez droit et désir ! L’enfant est un sujet, pas un objet de convoitise et de revendication ! L’enfant est une personne, il n’est pas la propriété de ses parents !
M. Philippe Marini. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. Certains militent pour la légalisation de la GPA au prétexte qu’elle est organisée ailleurs, considérant qu’elle sera acceptable une fois encadrée. Mais c’est ignorer la réalité, beaucoup plus sordide, de cette pratique qui, ici et là dans le monde, repose – et reposera toujours – sur la marchandisation des corps et qui organise l’abandon de l’enfant.
La pluriparentalité revendiquée vient brouiller les repères de vie, brouiller les repères généalogiques.
J’ai lu qu’on proposerait une généalogie symbolique. La belle affaire ! Quelle est la place du géniteur, du parent biologique, du parent d’adoption, du parent social ou du « coparent » ?
Cette pluriparentalité revendiquée sera une « schizoparentalité » imposée aux enfants ! Pour nous, vous l’aurez compris, la question de l’enfant est essentielle Nous ne parlons pas de droit à égalité, de pseudo-modernité ; nous parlons du bien-être, du « bien-grandir », de l’équilibre d’un enfant que nous refusons de voir considéré comme un objet de revendication, mais qui est le sujet de toutes nos préoccupations.
Voilà pourquoi l’union civile doit incarner le couple et lui seul, et ne doit pas ouvrir de droit à l’enfant mais, au contraire, préserver le droit – fondamental – de l’enfant, qui naît de la rencontre d’un homme et d’une femme.
M. le président. Je vous remercie de bien vouloir conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Morin-Desailly. Il a le droit de se construire auprès d’un père et d’une mère, comme l’énonce la Convention internationale des droits de l’enfant,…
M. le président. Veuillez maintenant conclure, chère collègue !
Mme Catherine Morin-Desailly. … sinon il y aurait une véritable discrimination, inédite, vis-à-vis des autres enfants. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.