M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en octobre 2011, dans le cadre des travaux de la commission de l’économie et à la suite des rapports d’information de Bruno Sido sur la téléphonie mobile et d’Hervé Maurey sur la couverture numérique, je vous alertais sur les enjeux essentiels de ces problématiques pour nos territoires.
Ces enjeux sont devenus plus prégnants. Plus que jamais, ils nous invitent à l’action. Cette action, madame la ministre, je vous invite à la conduire avec beaucoup de pragmatisme, afin de la rendre applicable et efficace.
À cet égard, l’approche retenue dans un récent rapport par l’Institut Montaigne, qui propose un New Deal pour le numérique et incite à « repenser la société et l’économie grâce au numérique », me paraît pertinente, y compris pour le cadre de réflexion et le rôle dévolus aux collectivités territoriales.
Sur le diagnostic, le constat est quelque peu cruel pour notre pays, qui accuse, en effet, un certain retard. Ce retard, on le doit à la conjugaison d’un faible niveau d’investissement dans le numérique – 1,7 % du PIB contre 2,5 % à 3 % aux États-Unis –, à un nombre insuffisant de business angels et d’incubateurs, à des aides trop dispersées, à des pôles de compétitivité en surnombre.
Nous devons rattraper ce retard pour permettre au numérique de contribuer plus fortement à la croissance et à la création d’emplois dans notre pays. Mais nous devons aussi être conscients du fait que ce rattrapage doit s’opérer dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, qui dictent des solutions pratiques, originales et peu onéreuses pour les finances publiques.
Indéniablement, l’État a, en la matière, un rôle stratégique à jouer. Il doit, d’abord, être celui qui organise les infrastructures. C’est un préalable nécessaire au déploiement du numérique et, en priorité, de la fibre, technologie la plus performante mais aussi la mieux acceptée par nos concitoyens.
Sur les préconisations, il me semble que l’État est aussi le premier acteur en mesure de montrer l’exemple, en lien, d’ailleurs, avec les collectivités territoriales. Ainsi, notre administration doit poursuivre sa révolution numérique et commencer à ouvrir ses données pour permettre le développement de nouvelles applications et de nouveaux business models.
Je rappelle, madame la ministre, que la couverture numérique haut débit et, demain, très haut débit est une condition primordiale au développement économique, éducatif et culturel des territoires. Cet aménagement numérique des territoires est aujourd’hui la priorité pour les collectivités territoriales, au premier rang desquelles les communes. Il est donc indispensable pour conforter l’attractivité économique et donner de nouvelles perspectives de développement aux territoires ruraux comme aux villes et aux agglomérations.
C’est bien de cet aménagement, en effet, que dépendent l’efficacité des services publics et des entreprises, la performance de nos établissements d’enseignement et de santé, mais aussi l’accès à la connaissance et à l’information.
Dans le département dont je suis l’élu, la Meurthe-et-Moselle, qui a consenti un effort financier important – plus de 70 millions d’euros –, les recettes attachées à la commercialisation du réseau restent faibles et menacent l’équilibre même du budget lié au partenariat public-privé. À cet égard, madame la ministre, que peuvent attendre les élus locaux du fonds national pour la société numérique ?
La couverture téléphonie mobile, qui, au fil du temps, prend un certain retard, est un autre volet de l’enjeu représenté par les infrastructures du numérique pour les collectivités territoriales et pour notre pays. Là encore, madame la ministre, la persistance de zones blanches – dont la définition, d’ailleurs, est manifestement trop restrictive –…
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Jean-François Husson. … n’est plus acceptable. Alors que le déploiement de la 4G va débuter en 2014 dans les zones les plus défavorisées, il nous revient, madame la ministre, de conduire, sous la responsabilité de l’État et en association avec les collectivités, un véritable plan d’ensemble, qui puisse apporter de la cohérence aux différents calendriers et aux diverses technologies utilisées sur le territoire national.
Enfin, pour que le traitement du patient – si j’ose dire – soit efficace, il doit reposer sur une thérapie ciblée.
Ainsi, plutôt que de suivre notre fâcheuse tendance à nous éparpiller, il conviendrait peut-être d’accepter de concentrer nos efforts sur des domaines très spécialisés du numérique, dans lesquels nous avons une réelle « touche française », comme « l’informatique en nuage » – pour n’utiliser que des termes français – et les technologies mobiles.
Songeons au tout petit pays qu’est Taiwan, qui, grâce à une politique volontariste et à des investissements de masse, s’est hissé, en quelques années, au rang de leader mondial des semi-conducteurs.
Les enjeux sont trop importants pour notre économie, mais aussi et surtout pour les populations « fracturées », pour ne pas saisir la chance du numérique et ne pas assurer enfin l’équité territoriale.
Je tenais, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à vous faire part de ces quelques éléments de réflexion, en espérant que les réponses du Gouvernement seront de nature à nous rassurer sur l’avenir numérique de notre territoire national, de tout notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission pour le contrôle de l’application des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les tentatives pour concilier l’ouverture à la concurrence et la fourniture des services numériques pour tous n’ont vraiment pas fait leurs preuves. C’est le second rapport en deux ans, sans compter l’avis du Conseil économique, social et environnemental, qui dresse ce constat : la France accuse toujours un retard dans ce domaine.
Je salue le travail réalisé par mes collègues Yves Rome et Pierre Hérisson, qui permet au Sénat de tenir ce débat extrêmement important pour nos territoires.
À la première fracture relative à l’accès au réseau que nous connaissons tous, s’en ajoute une deuxième, qui se rapporte au débit. En effet, les technologies les plus répandues d’accès à l’internet haut débit, l’ADSL en particulier, sont au maximum de leurs capacités. Depuis l’arrivée de la fibre optique, les performances entre ces deux technologies varient d’un à cinquante.
S’il existe d’autres techniques que celle du fibrage – je pense notamment à la montée en puissance du réseau cuivre et aux réseaux mobiles 4G –, nous partageons l’idée que le fibrage constitue l’investissement d’avenir à réaliser.
Toutefois, s’il est le seul moyen valable, à terme, pour assurer une couverture en très haut débit sur l’ensemble du territoire national, un tel déploiement ne pourra pas, à notre sens, intervenir à très court terme, tant les investissements sont importants. On parle, madame la ministre, d’une somme de 20 milliards d’euros voire de 30 milliards d’euros, mais vous aurez l’occasion de nous préciser ces chiffres lors de votre intervention.
C’est pourquoi nous pensons qu’il est aussi nécessaire de maintenir un emploi raisonné et raisonnable de technologies que d’aucuns qualifient de palliatives pour ne pas laisser se creuser l’écart entre les territoires. En effet, aujourd’hui encore, ce sont 1,7 % des foyers qui n’ont pas accès à l’ADSL, et 600 000 foyers qui n’ont pas accès à un débit de plus de 512 kilobits par seconde. Cette situation fait ressortir de manière accrue la nécessité de reconnaître l’accès à un débit minimum pour tous comme élément du service public ou du service universel.
Le rapprochement, annoncé par le Président de la République, de l’échéance pour le déploiement des réseaux sur l’ensemble du territoire à 2022, et non plus à 2025, comme le prévoit le programme national très haut débit, est une bonne chose, même si, pour la majorité des acteurs, et notamment les maires ruraux, l’investissement dans le très haut débit doit être réalisé dans les cinq ans à venir. Pour eux, en effet, c’est une véritable course de vitesse qui s’engage et qui conditionne l’attractivité de nos territoires.
Toutefois, la question du financement d’une telle ambition reste entière. Le déploiement de ces nouveaux réseaux représente un investissement de plus de 20 milliards d’euros. Vous nous avez annoncé, madame la ministre, 3 milliards d’euros d’aide de l’État. Pouvez-vous nous préciser votre cadrage financier ?
Comment les collectivités territoriales financeront-elles la charge restante ? Elles agissent dans un contexte financier plus que contraint. Le pacte budgétaire européen encadre la capacité d’intervention des États, mais aussi des collectivités territoriales. Cette question se pose avec acuité. On se souvient en effet que le précédent gouvernement avait refusé de taxer les profits, pourtant non négligeables, des opérateurs privés. Irez-vous dans ce sens, madame la ministre ?
De même, qu’en est-il de la taxation ou de l’imposition plus juste des géants du net, qui ne peuvent s’enrichir, en réalité, que grâce au développement d’un réseau fiable, rapide et neutre ?
La question du réseau ne peut être séparée du contenu. Pour notre part, si nous nous félicitons que le prix des abonnements soit moins élevé que dans le reste de l’Europe, cela ne signifie pas que cette dépense ne pèse pas sur le budget des ménages. N’ajoutons pas une fracture sociale à la fracture territoriale, à un moment où la question du pouvoir d’achat de nos concitoyens n’est pas qu’une question rhétorique.
Le rôle des collectivités territoriales est aujourd’hui essentiel pour lutter contre la fracture numérique, nous en convenons tous. Le jeu du marché n’a pas permis de parvenir à une couverture totale et équilibrée du territoire en haut débit, en téléphonie mobile, et encore moins en fibre optique. C’est pourquoi nous partageons les doutes des rapporteurs sur la pertinence du modèle choisi, qui repose principalement sur les opérateurs privés.
M. Hervé Maurey. Oui !
Mme Mireille Schurch. Ce choix conduira nécessairement à un déploiement plus rapide de la fibre optique sur les territoires à forte densité de population, les départements ruraux étant, à l’inverse, délaissés.
Ce mécanisme induit donc une réelle inégalité des débits de connexion disponibles au sein d’une même agglomération, les opérateurs privés n’ayant pas le souci de l’aménagement du territoire, mais étant uniquement préoccupés par la rentabilité.
En ce sens, nous partageons les conclusions sévères des rapporteurs, qui démontrent que ce schéma n’est pas adapté, qu’il est inefficace et contraire à l’équité.
Selon nous, pour atteindre ces objectifs, il faudrait que la puissance publique reprenne en main le déploiement des réseaux afin de garantir une nécessaire stabilité, tant en termes d’environnement juridique qu’en termes financiers.
Les collectivités territoriales, qui ont la charge d’assurer la cohérence des déploiements et, en dernier recours, doivent prendre l’initiative d’engager des projets sur les territoires qui ne seraient pas concernés par l’investissement d’opérateurs privés, sont en première ligne. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, recensait 215 projets de réseaux d’initiative publique, dont 111 couvrant chacun plus de 60 000 habitants. À cet égard, l’Auvergne fait figure, vous le savez d’ailleurs, madame la ministre, de premier de la classe.
En termes de tarifs, comme le souligne le Conseil économique, social et environnemental, cette intervention a permis d’aller au-delà des offres proposées par les opérateurs privés, et de faire bénéficier les particuliers et les entreprises de tarifs moins élevés.
Pourtant, l’action des collectivités territoriales reste contrainte par la priorité donnée aux opérateurs de déployer leurs offres dans les zones rentables, mais aussi par l’impossibilité d’intervenir dans ces zones. Ainsi, les opérateurs privés peuvent aller là où ils veulent et, comme l’a souligné mon collègue Hervé Maurey, « geler » la situation par leurs annonces de déploiement. Cela nuit à l’organisation d’une véritable péréquation.
De plus, l’action des collectivités territoriales est encadrée par une législation multiple – nationale et européenne – et complexe. Cette action ne s’inscrit pas dans l’anticipation, mais est seulement une réaction à une situation de retard, ce qui ne permet pas de soutenir une stratégie pérenne de long terme.
Enfin, je dirai un mot sur l’aide de l’État relative à l’établissement d’un réseau par un opérateur privé. De nombreuses collectivités souhaitent être associées au processus de décision. Elles se positionneraient ainsi dans un véritable rôle de codécision des politiques publiques nationales à l’échelle locale.
Nous prônons donc la pertinence d’un opérateur de réseau unique ayant la capacité de procéder à un aménagement progressif de l’ensemble du territoire. L’application de règles complexes et la présence de multiples acteurs ne permettent pas d’avoir une vue globale du secteur numérique. La mise en place de réseaux publics est préférable à l’octroi de subventions à des opérateurs privés, qui défendent leur seul intérêt individuel. Une telle mise en place est nécessaire si l’on veut éviter les gâchis engendrés par la concurrence, notamment dans les zones rentables, où se superposent d’ailleurs pléthore de réseaux.
Les milliards de profits du secteur démontrent qu’une autre répartition des richesses favorable à l’investissement productif est possible et permettrait un financement propre des infrastructures de réseau.
Nous appelons de nos vœux la résurgence d’un État stratège qui pilote, coordonne et soutienne réellement l’action des collectivités territoriales…
M. Hervé Maurey. Ce serait bien !
Mme Mireille Schurch. … tant l’aménagement numérique du territoire revêt un intérêt général national. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le numérique fait désormais partie intégrante de notre vie. Plus aucune action ne peut être réalisée en faisant fi de cet outil devenu essentiel, voire structurant, pour notre économie.
Ce positionnement central de l’activité numérique a donc désormais un impact plus qu’important sur l’aménagement du territoire, sur le choix de l’implantation des entreprises et sur le maintien des populations.
En effet, notre mode de vie entraîne un besoin accru d’accès à internet avec un débit toujours plus important pour échanger les données.
Alors même que la France avait su franchir la barrière du haut débit en disposant d’une couverture extrêmement satisfaisante doublée de tarifs parmi les plus bas d’Europe, elle se trouve aujourd’hui dans l’obligation de s’adapter au virage du très haut débit, qui nécessite des investissements colossaux.
Les capacités financières des collectivités territoriales étant, nous le savons tous, très affaiblies, il est plus qu’évident que l’apport des entreprises privées du secteur est essentiel.
La coopération entre les collectivités et les opérateurs apparaît bien désormais comme la composante stratégique de tous les projets. Il faut mutualiser l’investissement, si possible par le biais de la contractualisation.
Pour autant, il est légitime de craindre que les entreprises du secteur public n’investissent que dans les zones denses, seules rentables sur le plan économique, au risque d’accentuer la fracture numérique.
Mais force est de constater que les stratégies d’investissement des grands opérateurs privés dépassent le plus souvent le cadre des seules zones denses.
C’est la raison pour laquelle, si toutes les collectivités, notamment les conseils généraux, tiennent à développer un réseau très haut débit sur leur territoire, il convient néanmoins de veiller à ne pas venir doublonner les réseaux préexistants ou en cours de réalisation appartenant à des opérateurs privés, qui peuvent être dégroupés.
Connaissant un problème de doublon dans mon département, je ne peux qu’attirer votre vigilance sur cette situation qui conduit à engager financièrement des collectivités dans la réalisation de travaux onéreux sans réel apport pour les usagers qui, par endroit, disposent déjà d’un accès au très haut débit.
Un opérateur privé a ainsi déjà son propre réseau haut et très haut débit, qui couvre plus de 90 % des lignes. Il va développer une extension de ce réseau. Pour autant, le conseil général a pris la décision de mettre en place son réseau propre, délégué pendant vingt-cinq ans à un opérateur privé tiers, en participant à l’opération à hauteur de 12 millions d’euros d’argent public. Non seulement le coût pour la collectivité est considérable, mais la durée de la DSP, la délégation de service public, est beaucoup trop longue au regard des évolutions que les technologies peuvent connaître en un quart de siècle.
Il est pourtant évident, comme le soulignent fort justement dans leur rapport nos collègues Yves Rome et Pierre Hérisson, qu’il conviendrait d’assurer la coordination des investisseurs dans un organe intégré.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Alain Dufaut. L’« État stratège » mentionné dans le rapport reprendrait ainsi toute sa place en devenant le véritable coordinateur, permettant un investissement cohérent et complémentaire des opérateurs privés et des collectivités pour diffuser au maximum la technologie très haut débit sur le territoire sans pour autant créer de doublons à la source de surcoûts inacceptables en ces temps de disette budgétaire.
Les collectivités doivent veiller à l’égal accès de nos concitoyens aux technologies de l’information en permettant, notamment, le développement de ces dernières dans les arrière-pays pour que les entreprises se maintiennent et se développent dans ces zones, mais également dans toutes les zones d’activité industrielle afin de conserver l’avantage de compétitivité de certaines de nos entreprises.
L’économie du futur étant grandement dépendante de la vitesse de transmission de l’information, il est évident que nous devons réduire au minimum les zones blanches pour que les entreprises françaises aient accès au très haut débit sur l’ensemble du territoire. Nous pourrons ainsi conserver les emplois.
Une absence de vision globale de l’investissement numérique, intégrant un complément de réseau public au réseau des operateurs privés, entraînera un départ des entreprises ou des emplois de certains territoires vers les seules zones couvertes par le très haut débit, essentiellement situées en territoires urbains ou périurbains.
Il me semble donc grandement nécessaire que l’État soit l’acteur prioritaire du dossier pour coordonner les investissements et les investisseurs. L’idée d’un établissement public ad hoc chargé de cette mission peut donc être une bonne initiative à la condition sine qua non qu’il soit opérationnel, que les collectivités territoriales soient associées au comité de pilotage national et que l’État puisse intervenir en cas de besoin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, messieurs les corapporteurs, dont je salue le rapport de grande qualité, mes chers collègues, l’Union européenne a fait prévaloir une organisation libérale du secteur des télécommunications. Ainsi, les monopoles en place dans la plupart des services de télécommunications ont été supprimés et le service universel n’a pu être instauré que pour la téléphonie fixe.
Le principe de liberté d’établissement des réseaux interdit aux États membres d’accorder des droits exclusifs pour l’exploitation de réseaux de communications électroniques. Un opérateur ne peut donc être contraint à se déployer sur une zone, même peu rentable. Il est également impossible de lui en interdire l’accès.
Quant aux aides d’État, déjà largement contraintes, elles ont été de plus en plus strictement encadrées alors que les énormes besoins de financement pour réaliser de nouveaux réseaux auraient dû conduire à un assouplissement des conditions de l’intervention publique.
Lors de la mise en place du plan national très haut débit, le gouvernement Fillon a appliqué à la lettre ces dispositions très libérales. Le plan fait la part trop belle aux opérateurs privés, au détriment des collectivités locales cantonnées dans les zones peu denses. En outre, les opérateurs privés peuvent ne pas réaliser les investissements sur lesquels ils se sont engagés dans les zones AMII, sans pour autant encourir de sanction, et bloquer ainsi tout investissement des collectivités locales.
M. Daniel Raoul. Très bien ! Il fallait le dire !
M. Michel Teston. Si l’on ajoute le fait que le fonds d’aménagement numérique du territoire, le FANT, n’a jamais été alimenté, on s’explique que les projets de déploiement soutenus par les collectivités, s’ils se sont certes développés – je pense au programme Ardèche Drôme Numérique –,…
M. Daniel Raoul. Au hasard ! (Sourires.)
M. Michel Teston. … ne soient pas aussi nombreux qu’on l’aurait souhaité.
Dans ce contexte peu favorable aux initiatives des collectivités en matière d’aménagement numérique, on comprend que les avancées adoptées par le Parlement – je fais référence à l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ou encore à diverses dispositions de la proposition de loi Pintat – n’aient pas eu tous les effets escomptés.
Mme Mireille Schurch. Exactement !
M. Michel Teston. Il convenait de remettre l’ouvrage sur le métier.
Je salue donc le pragmatisme et la justesse de la méthode retenue pour élaborer la feuille de route pour le très haut débit. Non seulement le Gouvernement reprend la main, mais il se pose en garant de la bonne coordination des initiatives publiques et privées, plaçant ainsi les différents opérateurs sur un pied d’égalité, avec l’objectif stratégique d’assurer la complémentarité des moyens pour couvrir le territoire.
L’action des collectivités locales en matière d’aménagement numérique du territoire est ainsi confortée principalement par deux signaux forts.
Premier signal, la reconnaissance de la place des collectivités par le renforcement de leur rôle opérationnel et la sécurisation, notamment juridique, de leurs actions
La nouvelle coordination proposée en matière de planification locale permettra une meilleure coopération entre collectivités sur une zone donnée, et offrira ainsi des marchés cohérents et de taille correcte aux opérateurs.
En plus des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, qui sont conservés, des conventions de programmation et de suivi des déploiements vont être mises en place. Leur négociation devrait être l’occasion d’un dialogue entre collectivités et opérateurs.
Ce nouvel outil sera un gage de visibilité. Il fixera des engagements précis de programmation de déploiements avec un calendrier pour chaque phase et des suivis détaillés d’exécution des travaux. Les défaillances éventuelles de l’opérateur relèveront d’engagements contractuels dont le préfet fera respecter l’application. L’opérateur pourra mettre en avant le manque d’engagement éventuel d’une collectivité pour faciliter le déploiement.
Pour satisfaire au nécessaire besoin de coordination et de cohérence du développement des réseaux, un observatoire des déploiements géré par un futur établissement public à caractère industriel et commercial, un EPIC, permettra d’évaluer et d’analyser la mise en œuvre des projets.
Deuxième signal fort, un soutien technique et financier renforcé de l’État.
Le soutien technique reposera essentiellement sur la mise en place d’un référentiel qui visera à la fois à proposer des recommandations standard sur les processus d’exploitation ou l’architecture technique des projets et à mettre à disposition une assistance à maîtrise d’ouvrage pour certaines collectivités n’ayant pas les capacités techniques suffisantes pour réaliser leurs déploiements. Cela devrait contribuer aussi à la diffusion des bonnes pratiques.
Le soutien financier de l’État aux projets portés par les collectivités est renforcé, avec deux dispositifs : un accès aux prêts des fonds d’épargne, dans le cadre d’une enveloppe de 20 milliards d’euros dégagée par l’augmentation des plafonds de l’épargne réglementée, et l’apport de 3 milliards d’euros d’aide sur dix ans dans les zones moins denses.
En 2004, le législateur a reconnu le statut d’opérateur aux collectivités, avec l’adoption de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. En 2013, la feuille de route apporte à celles-ci la sécurisation de leurs actions, ainsi que des soutiens techniques et financiers renforcés, éléments essentiels pour leur permettre d’exercer pleinement la compétence qui leur est reconnue.
Par conséquent, les collectivités locales ont désormais toute leur place dans le domaine de la couverture numérique du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Mireille Schurch. Exactement !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette nuit, j’ai fait un rêve ! (Exclamations amusées.)
M. Yves Rome, corapporteur. On ne veut pas le savoir ! (Sourires.)
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Ce doit être le passage à l’heure d’été ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. J’étais en 2022, sans doute quelque part au début du mois d’avril, à la veille d’élections sénatoriales qui allaient peut-être me conduire pour la troisième fois à siéger au sein de la Haute Assemblée.
Autour de moi, le bonheur était partagé ; tout le monde avait le très haut débit, y compris ceux qui le réclamaient en 2012 ou 2013. Représentant d’un territoire rural, je m’émerveillais de voir que l’on utilisait des équipements très sophistiqués au fin fond de nos campagnes. L’enseignement se partageait entre cours à l’école et diffusion sur des écrans de télévision de programmes adaptés aux besoins de nos enfants, grâce à l’action de ministres particulièrement audacieux en matière éducative.
M. Yves Rome, corapporteur. Sur neuf demi-journées ? (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Bref, le bonheur était…
M. Daniel Raoul. Dans le pré ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. … total.
Je me suis réveillé ce matin plutôt de bonne humeur, parce que le rêve me poursuivait. (Exclamations amusées.)
Puis, afin de préparer mon intervention dans ce débat, j’ai commencé à relire mes notes, er j’ai relu aussi des interventions, datant d’il y a quelques semaines à peine, faites par les uns ou les autres à l’occasion de la table ronde qui s’est tenue au sein de la commission des affaires économiques.
Et, là, le rêve a cessé brutalement : il y a clairement, et nombre de nos concitoyens la ressentent, une fracture numérique, qui reflète d’ailleurs aussi une fracture géographique et sociale, dans notre pays.
Madame la ministre, c’est avec réalisme et pragmatisme que je veux m’exprimer ici. Je suis conscient que tout ce qui a été fait auparavant n’était pas excellent…