MM. Éric Doligé et Bruno Sido. Les départements !
M. Pierre Hérisson, corapporteur. … certes aidées par l’État, mais à quel niveau ? Sans doute répondrez-vous qu’il ne s’agit que d’une éventualité, mais votre devoir est de gouverner et donc de prévoir. Vous devez déjà envisager d’aussi déplaisantes éventualités puisque, vous le savez, le projet de budget européen a littéralement déserté le champ du numérique. Des 8 milliards d’euros d’abattement de crédits sur 9 milliards d’euros projetés, il nous reste 1 milliard d'euros, ce dont on parle bien peu !
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. C’est la décision des gouvernements conservateurs de l’Union européenne !
M. Pierre Hérisson, corapporteur. Combien de pertes de ressources pour les réseaux d’initiative publique élaborés en France cela représente-t-il ? Que ferez-vous pour compenser ce manque de financement ? La question est essentielle.
Avant de conclure, monsieur le président, je voudrais remercier à mon tour la conférence des présidents d’avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour. Ce faisant, nous poursuivons dans la voie que mon excellent collègue Yves Rome, sous la présidence de David Assouline, avec qui j’ai eu un grand plaisir à travailler sur le très haut débit, a souhaité que le Sénat continue d’emprunter, celle qui fait de notre Haute Assemblée, mieux encore que la chambre où l’on contrôle l’application des lois, celle où l’indispensable évaluation des politiques publiques se réalise au service de la dignité démocratique de notre pays et, finalement, du bien public. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer le travail de MM. Hérisson et Rome ; je souscris à une grande partie de ce qui a été dit, y compris par le président Assouline (Sourires.), même si j’émets quelques réserves sur la feuille de route du Gouvernement.
Le rapport de MM. Rome et Hérisson s’inscrit dans la tradition sénatoriale qui fait de notre assemblée, chargée de représenter les territoires, un acteur majeur du combat pour le numérique. Je rappellerai aussi le rôle du Sénat dans la possibilité reconnue dès 2004 aux collectivités d’intervenir dans le domaine du numérique. Je rappellerai la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique de notre collègue Xavier Pintat, loi qui a créé le fonds d’aménagement numérique des territoires, fonds qui est toujours sans fonds…
Dans le prolongement de cette loi, j’avais été chargé d’un rapport, remis au Premier ministre en 2010, intitulé Réussir le déploiement du très haut débit : une nécessité pour la France, qui comportait des pistes pour alimenter ce fonds.
Quelques mois plus tard, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire adoptait à l’unanimité le rapport d’information que je présentais, intitulé Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes, lequel dressait un constat lucide et sans complaisance de la situation de la France en matière de numérique ; trente-trois mesures étaient proposées pour y remédier.
C’est justement pour passer de la parole aux actes que nous avons, avec mon collègue Philippe Leroy, déposé quelques mois plus tard une proposition de loi visant à assurer l’aménagement numérique du territoire, qui fut adoptée en première lecture au Sénat à une large majorité, avec le concours de mes collègues du groupe socialiste, que je remercie de nouveau.
Cette proposition de loi, qui reprenait les conclusions du rapport d’information, avait notamment pour objectif de garantir un véritable haut débit pour tous à deux mégabits par seconde à partir du 31 décembre 2013 et à cinq mégabits par seconde à partir du 31 décembre 2015. En effet, parler de très haut débit, c’est bien, mais lorsque l’on s’adresse à des territoires qui ne disposent même pas du haut débit, c’est indécent !
Cette proposition de loi avait également pour objectif de redéfinir les critères de couverture de téléphonie mobile, certains territoires censés être couverts ne l’étant pas dans les faits, puis de modifier le programme national en faveur du très haut débit en rééquilibrant la relation entre les opérateurs et les collectivités locales au profit de celles-ci.
En effet, nous en convenions tous à l’époque, il existe un déséquilibre flagrant dans la relation entre les opérateurs et les collectivités locales : les opérateurs sont totalement maîtres du jeu, ils s’installent où ils veulent et ne sont absolument pas tenus par leurs déclarations de déploiement sur tel ou tel territoire. En revanche, le seul fait d’annoncer qu’ils se déploieront sur un territoire prive les collectivités du droit au déploiement. C’est ainsi que près de 3 600 communes sont aujourd'hui « gelées ».
À l’époque, mon collègue Yves Rome trouvait que nous n’étions pas allés assez loin, mais depuis il a évolué…
M. Yves Rome, corapporteur. Mais non !
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Nous ne sommes pas comme vous !
M. Hervé Maurey. Peu après ce vote, un nouveau Président de la République a été élu, un nouveau gouvernement est entré en fonction et, naïvement, je me suis dit : le changement, c’est maintenant !
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà !
M. Hervé Maurey. J’étais dans cet état d’esprit, madame la ministre, lorsque vous avez bien voulu me recevoir au mois de juin, et je vous ai dit que je soutiendrai toutes les mesures qui iraient dans la bonne direction, parce que je considère qu’il faut savoir dépasser les clivages politiques et que l’intérêt général en matière d’aménagement numérique du territoire doit primer sur toute autre considération.
Je dois dire que la manière dont a été examinée la proposition de loi sénatoriale à l’Assemblée nationale le 22 novembre dernier a définitivement sonné le glas de mes illusions !
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Parce que vous n’en aviez pas !
M. Hervé Maurey. Vous avez eu à l’égard du travail sénatorial, madame la ministre, des mots extrêmement durs. Vous avez qualifié notre proposition de loi d’« idéologique et court-termiste », vous avez jugé que les mesures que nous avions adoptées à la quasi-unanimité étaient « inutiles », « inefficaces » et posaient des problèmes de « constitutionnalité » ; vous avez également indiqué que le texte était « sous-dimensionné et décalé », bel hommage rendu au travail du Sénat !
Ce qui m’a frappé, c’est que vous avez déposé des amendements de suppression de tous les articles, y compris de certains articles qui émanaient de mes collègues socialistes Michel Teston et Pierre Camani, en employant presque mot pour mot les arguments de votre prédécesseur, Éric Besson, arguments bien connus puisque ce sont ceux des opérateurs.
De cette date, j’ai dû conclure qu’il n’y aurait pas de changement mais uniquement un renoncement.
La suite des événements m’a malheureusement conforté dans cette analyse. Plutôt que de vous appuyer sur le travail des parlementaires, vous avez nommé un fonctionnaire, M. Darodes, que je n’ai pas eu le bonheur de rencontrer, afin de conduire une mission qui nous a été présentée lors d’une réunion dite « de concertation », au cours de laquelle ceux qui étaient présents ont pu constater qu’il était impossible de s’exprimer : nous étions une centaine dans une pièce avec un créneau de parole extrêmement limité. J’ai donc renoncé à parler et vous ai adressé par écrit mes remarques. Je n’ai pas eu de réponse, mais, là aussi, je suis habitué…
Sur le fond, qu’en est-il de la feuille de route, puisque c’est en définitive l’essentiel ?
Celle-ci n’aborde pas la question du haut débit, alors qu’un quart des Français n’ont même pas accès à une connexion de deux mégabits par seconde et que vous convenez vous-même qu’il faudrait un débit de l’ordre de trois mégabits à quatre mégabits par seconde.
La feuille de route n’aborde pas non plus la question de la téléphonie mobile, alors que de nombreux territoires ne sont toujours pas couverts, bien qu’ils soient considérés comme tels – c’est là le pire ! Dans l’Eure, le département dont je suis élu, aux yeux de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, et de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, il n’y aucun problème de couverture numérique du territoire en matière de téléphonie mobile.
Je vous invite à vous rendre dans ce département, où il n’est pas besoin d’aller bien loin pour trouver des zones non couvertes !
En matière de très haut débit, vous aviez annoncé, et nous nous en réjouissions, madame la ministre, le retour de l’État stratège – nous avions déploré son absence dans le plan du précédent gouvernement –, mais, dans les faits, on n’assiste à rien de tel.
Vous vous contentez de créer une série de comités : un comité très technique – c’est très bien, et sa création figurait d’ailleurs dans notre proposition de loi –, un observatoire – c’est peut-être bien aussi – et des comités locaux, eux totalement inutiles, voire négatifs.
Pour le reste, l’État ne retrouve aucun pouvoir. Or il aurait au moins fallu qu’il se porte garant du déploiement. La couverture numérique du territoire dépend en réalité du dynamisme des départements et de la mise en œuvre ou non de politiques ambitieuses par les conseils généraux. Dans ces conditions, la fracture numérique ne fera que s’accentuer au cours des années à venir.
Concernant le rééquilibrage entre opérateurs et collectivités locales, vous envisagez certes la contractualisation, que vous aviez condamnée à l’Assemblée nationale, mais vous ne prévoyez pas de sanction dans le cas où elle ne serait pas respectée. Dès lors, la contractualisation devient sans effet.
Vous n’évoquez pas non plus la possibilité de conduire des projets intégrés, pourtant demandés par les collectivités locales afin de permettre une péréquation entre les territoires rentables et ceux qui ne le sont pas, étant de surcroît précisé que l’Autorité de la concurrence a jugé qu’il était possible de mettre en place de tels projets.
Dans le même esprit, vous réaffirmez la primauté de la fibre, ce dont nous réjouissons, mais vous distinguez bien le très haut débit pour tous en 2022 de la fibre à terme, sans que l’on sache ce que cela signifie. Toutefois, cette distinction montre bien que les choses ne sont pas aussi claires que vous le dites.
En matière de financement, le flou est absolu, comme l’a dit mon collègue Pierre Hérisson en termes plus choisis que les miens. Vous évaluez à 20 milliards d’euros le coût du déploiement, montant qui peut être accepté, mais vous n’indiquez pas comment vous parviendrez à « boucler » le financement.
Vous dites que les opérateurs financeront le déploiement à hauteur de 6 milliards d’euros, mais comment le pourront-ils alors qu’ils n’investissent pour l’heure que 300 millions d’euros par an ?
Les collectivités participeraient dans les mêmes proportions, mais comment y parviendront-elles alors qu’elles sont étranglées du fait des baisses des dotations ?
Enfin, il est question que l’État mette péniblement sur la table 3 milliards d’euros…
En conclusion, le projet du Gouvernement ne permettra nullement d’atteindre les objectifs mentionnés par les rapporteurs dans leurs travaux ni d’ailleurs ceux qui étaient fixés dans les précédents rapports du Sénat.
J’avoue que je plains beaucoup mes collègues de la majorité, avec lesquels j’ai bien travaillé sur ces dossiers, qui, comme Yves Rome, sont aujourd'hui obligés de faire comme s’il y avait une différence entre le plan Besson et le plan Pellerin.
M. Yves Rome, corapporteur. Mais il y a une énorme différence !
M. Hervé Maurey. La réalité nous a été dévoilée par le président de l’ARCEP en commission : « Nous sommes dans la continuité », a-t-il déclaré, et c’est bien ce que je regrette !
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Vous avez voté Hollande ?
M. Hervé Maurey. Nous sommes dans la continuité et, de même que nous n’aurions pas atteint l’objectif fixé par Nicolas Sarkozy en 2025, nous n’atteindrons pas l’objectif fixé par François Hollande en 2022.
Je tiens donc à vous dire ma colère face au fait que le Gouvernement ne mette pas en œuvre les dispositions nécessaires pour relever le défi du numérique, alors que notre économie et nos territoires ont besoin du très haut débit.
En fait, on constate sur cette question ce que l’on observe sur à peu près tous les dossiers. Acte I : le Gouvernement commence par critiquer ses prédécesseurs. Acte II : il nomme une commission. Acte III : il annonce des moyens totalement inadaptés. Acte IV : au bout d’un certain temps, il confirme que les objectifs ne seront pas atteints.
M. Bruno Sido. Et il ne se passe rien !
M. Hervé Maurey. Je vous dis solennellement aujourd'hui, madame la ministre, mes chers collègues, qu’il n’y aura pas de très haut débit pour tous en 2022 et que l’engagement de François Hollande dans ce domaine, comme dans de nombreux autres, ne sera pas tenu ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Exactement !
M. Jean-Claude Lenoir. Hélas !
M. Éric Doligé. C’est une évidence !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.
M. Stéphane Mazars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est vital pour l’ensemble de nos territoires. C’est d’autant plus vrai pour les territoires ruraux, car, pour éviter le déclin, ils dépendront de plus en plus des services à distance.
Je remercie mes collègues Yves Rome et Pierre Hérisson de la qualité de leur rapport, lequel permet la tenue de ce débat au Sénat, assemblée représentant les collectivités territoriales et les territoires.
Des comparaisons sont parfois faites entre le déploiement du très haut débit en France ou en Europe et les avancées impressionnantes des pays émergents. Or on ne peut pas comparer des pays qui avaient peu d’infrastructures câblées au départ et des pays industrialisés devant basculer du cuivre vers la fibre.
Au lieu de regretter le retard pris, de répéter que la France n’occupe que la vingt-troisième place de l’Union européenne en termes de taux de pénétration du très haut débit, tournons-nous vers l’avenir et planifions dès à présent le déploiement accéléré de la fibre, sans toutefois compromettre les possibles évolutions futures, auxquelles il faut rester attentif, notamment dans le domaine des technologies non filaires.
Nous le constatons, les usages sont multiples aujourd’hui. Ceux de demain seront infinis et créeront des besoins croissants en débit descendant et encore plus en débit montant. Les entreprises le savent et conditionnent d’ailleurs le choix de leur implantation à la qualité de la bande passante. C’est donc un enjeu important en termes d’aménagement du territoire. Les salariés de ces mêmes entreprises, de plus en plus nomades, organisent des visioconférences à plusieurs interlocuteurs tout en échangeant des données importantes et en procédant à de lourdes sauvegardes. Les autorités publiques ont donc le devoir de leur proposer les instruments indispensables à la compétitivité.
S’il est encore suffisant pour le particulier, le haut débit, grande révolution des années 2000, est déjà obsolète pour la plupart des entreprises. Comment les choses vont-elles évoluer dans les dix prochaines années, avec le recours croissant aux visioconférences, au télétravail, à l’éducation à distance ?
Les échanges doivent devenir fluides. C’est l’attractivité même de la France qui est en jeu. Or, l’accès à internet est encore bien insuffisant au regard des évolutions économiques et sociétales en cours et à venir.
À de nombreuses reprises dans cet hémicycle, nous avons déploré l’absence d’infrastructures de transport dans les espaces ruraux. Il est pourtant évident que l’accès au très haut débit pourrait participer à leur désenclavement.
Des entreprises qui pourraient venir s’implanter dans certains territoires portent leur regard ailleurs, faute d’infrastructures. De même, des citoyens qui pourraient venir s’y installer tirent un trait sur des projets de vie.
Pourtant, l’accès au numérique entraîne une diminution des déplacements, une réduction des émissions de gaz à effet de serre, une meilleure répartition de la population sur le territoire national, ainsi qu’une meilleure visibilité de nos entreprises à l’étranger.
Mes chers collègues, nos concitoyens et nos entreprises placent leurs espoirs dans le numérique. Or, en dépit des efforts péniblement fournis par les collectivités territoriales, les opérateurs refusent tout déploiement en raison du manque de rentabilité, car il est plus coûteux de les irriguer en fibre optique.
Dès lors, les collectivités locales n’ont pas eu d’autre choix que de pallier l’absence tant d’investissement privé que de réelle stratégie de la part de l’État.
À cet égard, il convient de féliciter les collectivités locales de leurs initiatives, collectivités auxquelles l’État se permet constamment de demander des efforts financiers alors qu’elles maîtrisaient la gestion publique bien avant qu’il n’ait pris l’initiative de réduire ses propres dépenses. Le numérique en est un parfait exemple.
Le Président de la République a eu raison de se saisir rapidement du problème en instaurant une mission sur le très haut débit, dont la feuille de route a été présentée au mois de février dernier. L’État doit enfin prendre en main l’aménagement du territoire et renforcer la coordination des actions locales afin d’assurer une cohérence à l’échelon national.
Dans le cadre du plan très haut débit, il est prévu d’investir 20 milliards d’euros en dix ans pour le déploiement du THD afin de permettre à l’ensemble de la population d’y accéder à l’horizon 2022. Un tiers de ce financement sera dédié aux collectivités les moins denses et sera cofinancé par l’État et ces dernières. Il est vrai que l’intervention publique sera encore nécessaire pour ne pas laisser une grande partie de la population de côté.
Une taxe sur les abonnements destinée à contribuer au basculement du cuivre vers la fibre reste une solution envisageable pour financer ces projets. Sans ces derniers, une grande partie de la France – les zones non rentables – risquerait de perdre les bénéfices d’une technologie permettant aux territoires et à ses acteurs de se développer économiquement, d’être compétitifs et de se rapprocher des services publics.
Peut-être pourriez-vous, madame la ministre, nous faire part de la réflexion du Gouvernement sur ce sujet ?
Si cet objectif hautement louable doit être salué, une remarque s’impose : où en serons-nous d’un point de vue technologique dans dix ans ? D’ici là, d’autres révolutions technologiques auront eu lieu. Voilà un peu plus de dix ans, nous n’utilisions pas la Wi-Fi, nous ne disposions pas de la 3G.
Ainsi peut-on regretter que le plan très haut débit ne prenne pas assez en compte les réseaux sans fil, lesquels sont complémentaires de la fibre et permettent de fournir du haut et du très haut débit, alors qu’ils pourraient jouer un rôle de transition en attendant le déploiement de la fibre.
Les réseaux mobiles sont aussi l’avenir, comme le prouvent nos usages. Ordinateurs, smart phones, tablettes, imprimantes : tous se connectent sans fil. En l’absence de réflexion sur les réseaux mobiles, nous risquons, madame la ministre, d’être également en retard dans ce domaine. J’espère que vous pourrez également nous apporter plus de précisions à ce sujet, ainsi que sur la faisabilité financière de l’ambitieuse feuille de route gouvernementale.
Cette feuille de route, vous l’aurez compris, madame la ministre, est accueillie très favorablement, car elle constitue un signe fort. C’est une solution, un moyen pour réduire la fracture numérique et les inégalités entre les territoires, territoires dont nous sommes tous issus, ici au Sénat. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi en préambule de saluer le travail d’Yves Rome et de Pierre Hérisson. Puisque même au Sénat l’heure est aux anglicismes, je dirai que ce double-play gagnant de rapporteurs a remarquablement mis en lumière les blocages et les difficultés du déploiement du très haut débit en France.
Le plan établi sous le quinquennat du précédent gouvernement avait pour objectif de couvrir l’intégralité des foyers en très haut débit d’ici à 2025.
Nous en sommes encore très loin, puisque seuls deux millions de logements sont raccordés en fibre optique. Notre retard par rapport aux autres pays de l’Union européenne est sérieux, d’autant que les territoires actuellement équipés sont concentrés dans les zones les plus urbanisées.
Face à ce constat, le groupe écologiste suit avec attention les orientations stratégiques qu’a affichées le Président de la République à Clermont-Ferrand le 20 février dernier. La couverture en très haut débit de l’ensemble du territoire en 2022 était un des engagements de campagne de François Hollande. Pour y parvenir, le Président de la République a récemment appelé à un investissement public et privé de 20 milliards d’euros dans les dix prochaines années.
L’ambition numérique du Gouvernement repose sur la volonté de réduire la fracture numérique, d’améliorer la compétitivité des entreprises et de proposer une meilleure offre de services numériques dans les zones peu denses.
Le groupe écologiste partage l’objectif général d’assurer l’égalité des territoires. En effet, en l’absence d’infrastructures numériques adaptées, l’attractivité des territoires décline, ce qui favorise le départ ou la non-installation d’activités à forte valeur ajoutée dans ces zones.
Toutefois, l’investissement envisagé est considérable et constituera une lourde charge pour les pouvoirs publics.
Sur les 20 milliards d’euros dédiés à l’ambition numérique du Gouvernement, l’investissement public devrait représenter environ 6 milliards d’euros, somme qui, dans les zones jugées les moins rentables, serait financée pour moitié par l’État et pour moitié par les collectivités locales.
Dans la période de crise financière et économique que nous traversons, nous devons donc nous assurer que nous allons effectuer les bons choix technologiques et trouver les systèmes de financement les plus pertinents.
Compte tenu de l’évolution des besoins en matière de numérique, la fibre optique est sans doute la technologie la plus appropriée aujourd’hui. Mais l’objectif d’une couverture totale du territoire en très haut débit est-elle réaliste économiquement et sa charge équitablement répartie ?
En l’état général de l’économie numérique, ces investissements profiteront en premier lieu aux géants de l’internet, des entreprises très habiles pour s’approprier la valeur des contenus diffusés via le numérique et qui se dispensent d’acquitter la TVA ou l’impôt sur les sociétés en France. Je ne citerai pas de noms, car vous savez à quelles sociétés je fais référence.
Dans leur rapport sur la fiscalité de l’économie numérique, Pierre Collin et Nicolas Colin soulignent d’ailleurs cet effet induit en pointant que le déploiement du très haut débit « promet également d’être un facteur d’accélération radicale du mouvement de transformation de l’économie issu de la révolution numérique, y compris la domination des grandes sociétés américaines du numérique et leur montée en puissance dans la chaîne de valeur de tous les secteurs de l’économie ».
Par ailleurs, si la couverture en haut débit du pays est essentielle pour lutter contre la fracture territoriale et contre la fracture numérique, elle ne résout cependant pas à elle seule ces questions.
Les inégalités en matière d’accès et surtout d’usages du numérique ne se réduisent pas en effet à une simple question de « tuyaux ».
Il existe aussi des disparités très fortes en matière de qualité des équipements personnels et familiaux ainsi que de coût d’accès à certaines informations ou à certains logiciels.
Des disparités existent aussi dans le domaine de la protection et de la sécurisation des données personnelles ou professionnelles, en matière d’intensité d’usage ainsi que dans la nature de l’utilisation du numérique.
Concernant la fracture territoriale, notre vaste et beau pays est malheureusement en proie à des disparités dépassant celles qui sont liées à l’accès, très inégal, aux infrastructures numériques. Évidemment, loin de moi l’idée de minimiser leur importance et le rôle qu’elles joueront, demain, pour la compétitivité de la France et la revitalisation économique de ses territoires ! La question de la fracture numérique territoriale, cependant, ne doit pas être isolée de celle, plus large, de la disparition ou de la rationalisation excessive de certains services publics, de la fermeture de commerces, de la raréfaction des activités sociales sur des zones immenses de notre territoire.
En matière de fracture territoriale, il faut réfléchir globalement, c’est-à-dire en termes d’écosystèmes, et ne pas se focaliser exclusivement sur la question de l’aménagement numérique. Il ne faut pas se le cacher : quand la ressource est rare et les besoins nombreux et variés, nous devons procéder à des arbitrages complexes – budgétaires et financiers, notamment –, afin de ne pas déshabiller Paul pour habiller Jacques !
Quand je vois l’investissement que le conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon vient d’engager pour l’aménagement numérique du petit archipel, je me demande si une meilleure desserte en transports ou une forte amélioration des infrastructures sanitaires et éducatives n’étaient pas tout aussi prioritaires…
La question est donc à la fois stratégique et financière.
Elle nécessite, d’abord, d’avoir une idée précise du coût réel de l’aménagement global du pays en très haut débit. On parle aujourd’hui de 20 milliards d’euros. Il y a encore quelques mois, il était plutôt question de 30 milliards d’euros, voire davantage. Une étude précise sur ce sujet devrait prochainement être rendue publique ; nous l’attendons avec une grande impatience !
Dans ce contexte, les écologistes seront particulièrement attentifs à ce que les grands opérateurs privés participent pleinement et largement aux financements des « tuyaux » numériques, dont ils seront les premiers bénéficiaires.
On le constate, les intérêts de l’opérateur historique France Télécom-Orange dans la valorisation de son patrimoine dans le réseau cuivre ADSL entravent les investissements nécessaires. Il est donc urgent d’obtenir la plus grande transparence sur la réalité des réseaux à très haut débit construits à ce jour, sur les conditions ou les projets d’extension de ces réseaux, ainsi que sur les conditions d’attribution des aides du fonds national pour la société numérique, le FSN, aux collectivités territoriales, pour la réalisation des réseaux d’initiative publique.
En conclusion, le groupe écologiste réaffirme son soutien à un développement harmonieux des territoires en matière de couverture numérique. Il s’inquiète cependant de la mise en place d’une logique qui reviendrait, comme souvent, à privatiser les bénéfices d’une telle opération et à en socialiser les pertes.
Les écologistes en appellent donc à un autre modèle, celui du service public local : les collectivités territoriales doivent pouvoir exercer leurs responsabilités sur l’intégralité de leur territoire, contrôler la qualité, les tarifs, les investissements, les conditions d’accès, dans le respect des principes du service public – égalité, neutralité, continuité –, comme c’est le cas pour tous les autres réseaux collectifs, notamment l’eau et l’électricité.
Les réseaux de télécommunications doivent être conçus comme une infrastructure publique et mutualisée, sur la base de laquelle les opérateurs organiseront les services.
Les prérequis techniques et juridiques de cette organisation sont en place ; il faut maintenant la volonté de la mettre en œuvre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – M. Stéphane Mazars applaudit également.)