Sommaire
Présidence de M. Charles Guené
Secrétaires :
M. Jean Desessard, Mme Odette Herviaux.
3. Organisme extraparlementaire
4. Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : M. Christophe Béchu, coauteur de la proposition de loi ; Mme Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.
Mme Aline Archimbaud, M. Yves Daudigny, Mme Isabelle Pasquet, MM. Gérard Roche, Jean-Pierre Plancade, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Bruno Sido, Mme Michelle Meunier.
Clôture de la discussion générale.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.
Amendement n° 2 rectifié de M. Yves Daudigny. – MM. Yves Daudigny, Mmes la rapporteur, Dominique Bertinotti, ministre déléguée ; MM. Christophe Béchu, Alain Richard, Mme Isabelle Debré, M. Christian Favier, Mme Aline Archimbaud, M. Gérard Roche. – Adoption.
Adoption, par scrutin public, de l'article modifié.
Article 2. – Adoption par scrutin public
Mme Nathalie Goulet, MM. Ronan Kerdraon, André Reichardt, Michel Vergoz, Mme Michelle Meunier, M. Jean-Pierre Raffarin.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
5. Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle
M. Gérard Le Cam, pour le groupe GRC.
MM. Rémy Pointereau, Richard Yung, Mme Mireille Schurch, MM. Jean-Jacques Lasserre, Daniel Raoul, Joël Labbé, Raymond Vall.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
compte rendu intégral
Présidence de M. Charles Guené
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
Mme Odette Herviaux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
3
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom d’un sénateur pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux, institué par l’article 43 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, en remplacement de notre collègue René Vestri, décédé.
Conformément à l’article 9 du règlement du Sénat, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a été saisie.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
4
Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge, présentée par M. Christophe Béchu, Mme Catherine Deroche et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 640 [2011-2012], texte de la commission n° 431, rapport n° 430).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Christophe Béchu, coauteur de la proposition de loi.
M. Christophe Béchu, coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est saisi d’une proposition de loi simple, avec seulement deux articles, visant à moraliser un dispositif social, à partir d’une idée simple elle aussi : les allocations étant faites pour les enfants et non pour les parents, c’est donc celui qui s’en occupe qui doit les toucher.
La proposition de loi contient un arrière-plan, à savoir l’aide sociale à l’enfant, l’ASE, et s’inscrit dans un contexte, celui des difficultés financières des départements. Toutefois, je le dis d’emblée, ce texte n’est ni une refondation de l’ASE – il n’en a ni l’ambition ni les moyens – ni une réponse au rapport de la Cour des comptes, qui, le mois dernier, constatait la situation intenable des départements du fait de la progression des dépenses sociales.
La proposition de loi repose sur une réalité : dans notre pays, un peu moins de 150 000 enfants sont placés dans des services de l’aide sociale à l’enfance, gérés par les conseils généraux. Pour ces enfants, les départements prennent le relais des familles et assument, en lieu et place des parents, l’ensemble des responsabilités et des frais liés à l’exercice de la parentalité. Les conseils généraux paient ainsi les établissements et les familles d’accueil qui les reçoivent, financent les frais de scolarité, de déplacement, les activités culturelles ou sportives, les vêtements, la cantine, etc. Pourtant, alors que les familles biologiques n’ont plus aucune charge, celles-ci continuent, dans leur immense majorité – 85 % à 90 % des cas –, de percevoir la totalité des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire.
Alors qu’un texte prévoyait, logiquement, le versement des allocations familiales aux collectivités après le retrait, sur décision de justice, d’un enfant de sa famille, les exceptions imaginées sont devenues la règle et le principe établi à l’origine n’est plus appliqué qu’à la marge.
Quant à l’allocation de rentrée scolaire, jamais aucun texte n’a prévu que l’absence de charge effective devait entraîner l’absence de versement de cette allocation.
Sachant que les placements sont le plus souvent motivés par des faits de maltraitance, de carence ou de négligence, avec ce qu’ils impliquent de violences et de traumatismes, on peut affirmer que ce n’est pas seulement la loi qui est contournée, c’est son esprit qui est bafoué.
Mme Catherine Troendle. Eh oui !
M. Christophe Béchu. La proposition de loi vise donc simplement à revenir à l’esprit de la loi de 1986. Que les choses soient claires : elle n’est pas une idée de l’ADF, l’Association des départements de France, elle n’est pas une demande de la part de la direction des finances. Elle est issue du terrain et, plus précisément, des familles d’accueil de mon département.
Tous les ans, le conseil général du Maine-et-Loire organise une journée de questions-réponses avec les 500 assistants familiaux du département. En 2010, une femme a pris la parole pour me demander si je trouvais normal que la famille biologique des enfants dont elle a la charge continue de toucher les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire. Sa question a provoqué un tonnerre d’applaudissements.
C’est cet événement qui m’a conduit à me pencher sur cette question, à la creuser, à essayer de comprendre, à recevoir, à consulter. J’ai alors mis à profit, pour nourrir ma réflexion, les contacts que j’ai noués avec les acteurs de la protection de l’enfance que j’ai rencontrés depuis le début de mon mandat de conseiller général en 2004 et plus encore pendant les trois ans durant lesquels j’ai exercé la présidence du groupement d’intérêt public « Enfance en danger » et celle du 119.
Que les choses soient claires également : la proposition de loi n’est pas un texte partisan. Il s’agit d’un texte de bon sens, ayant reçu le soutien unanime du bureau de l’Association des départements de France.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Christophe Béchu. Il a également reçu le soutien du Président de la République le 22 octobre dernier lors de la réception par celui-ci des présidents de conseil général. Lorsque Claudy Lebreton avait indiqué que ce texte constituait une attente des départements, François Hollande avait en réponse fait part de sa bienveillance sur le sujet.
Cette bienveillance s’est poursuivie en conférence des présidents à travers les propos du ministre chargé des relations avec le Parlement.
Dans la continuité de ces échanges, pour aplanir d’éventuelles difficultés pouvant subsister, Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi, et moi-même avions même accepté de retirer notre texte de l’ordre du jour de novembre dernier afin que notre collègue Yves Daudigny puisse en déposer un sur le même sujet, mais des ennuis techniques et des problèmes de calendrier ont empêché l’examen de sa proposition de loi.
Mme Catherine Troendle. Comme c’est élégamment dit ! (Sourires.)
M. Christophe Béchu. C’est la raison pour laquelle ce texte nous revient aujourd’hui seulement. Toutefois, ces détours et ce retard ont été utiles, car le travail sénatorial aura grandement contribué à bonifier le texte initial et à renforcer la volonté qu’il exprimait. Les amendements de Mme la rapporteur, comme ceux d’Yves Daudigny, ont permis d’élaborer un texte équilibré, rétablissant le bon sens tout en étant profondément humaniste en laissant une part des allocations familiales aux familles.
Ce texte de bon sens fait pourtant l’objet de quelques critiques ou objections, auxquelles je veux préventivement répondre.
J’entends dire que c’est un bon texte, mais qu’il faudrait une loi plus vaste.
Mes chers collègues, vous le savez, le mieux est parfois l’ennemi du bien. Une réforme de l’aide sociale à l’enfance nécessite du temps, de la concertation et de la méthode. Une telle tâche nécessiterait des années de travail. Certains d’entre vous se souviennent du délai de maturation de la loi du 5 mars 2007, du travail préalable que son adoption avait nécessité de la part de Philippe Bas, devenu depuis notre collègue. Chacun sait que si ce texte avait alors été adopté à l’unanimité, c’est parce que le temps de la concertation avait été pris en amont.
Plus fondamentalement, même si certains jugent souhaitable une refondation de l’aide sociale à l’enfance, ce n’est pas une raison pour fermer les yeux sur la situation actuelle. Nous avons un problème simple : l’esprit de la loi de 1986 n’est pas respecté. Nous y apportons une réponse simple : la présente proposition de loi et ses deux articles.
Certains veulent davantage ? Je suis prêt à y travailler, mais cela ne doit pas être une excuse pour ne rien faire.
J’entends dire que nous allons précariser les familles.
Mes chers collègues, comme vous, je respecte le combat, que j’admire, des associations familiales et des associations agissant aux côtés des plus fragiles, mais cet argument ne tient pas. Il est infamant et faux.
Il est infamant, parce que la maltraitance, la négligence ou la carence sont parfois le fait de familles n’ayant pas de problèmes financiers.
Il est faux, parce qu’il n’y a précarisation que si l’équilibre d’un budget est menacé. Or il ne s’agit pas de réduire les ressources de familles continuant de payer des charges. En pareil cas, oui, il y aurait précarisation ! Telle est d’ailleurs la raison de mes réticences personnelles concernant le texte d’Éric Ciotti, lequel a récemment été abrogé. Ce texte avait cet inconvénient : il conduisait à précariser les familles en cas d’absentéisme scolaire, alors même que les charges de ces familles restaient les mêmes.
Le texte que nous vous soumettons aujourd'hui ne repose absolument pas sur cette philosophie. Il prévoit juste que, dès lors qu’il y a absence de charges, il est logique qu’il y ait une absence de ressources.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Christophe Béchu. Je veux dire à ceux qui avancent cet argument qu’il y a une grande hypocrisie dans notre droit positif. En effet, un enfant n’est pas toujours placé auprès des services du conseil général. Il peut être placé auprès d’un tiers digne de confiance. Dans ce cas, le transfert de 100 % du montant des allocations familiales est automatique.
En droit, la situation est donc aujourd'hui la suivante : lorsque des enfants sont confiés à une personne physique, le transfert des allocations est automatique ; en revanche, s’ils sont confiés au conseil général, on considère que les contribuables ou la collectivité doivent en assumer la charge. On n’en tire pas toutes les conséquences.
J’entends dire que le transfert automatique serait un problème pour les juges.
C’était vrai dans la version initiale du texte. Mea Culpa ! Mais les amendements adoptés, le travail effectué en commission, notamment sur le fondement de la proposition de loi de M. Daudigny, ainsi que par Mme la rapporteur, ont porté leurs fruits. Aujourd'hui, un large consensus républicain se dégage sur ce point. Cette difficulté a été gommée. Le pouvoir du juge est préservé et l’esprit global de la loi et le bon sens sont respectés.
J’entends dire que ce texte serait une erreur économique.
Pour certaines associations familiales, « transférer automatiquement les allocations familiales au conseil général est une erreur économique. La charge financière pour les départements sera d’autant plus lourde si la séparation de l’enfant de sa famille se prolonge. Pour exemple : la confiscation des allocations d’une famille de deux enfants ne rapporterait que 1 524 euros au conseil général alors que le “placement” d’un enfant lui coûte 34 000 euros par an. »
S’il est séduisant intellectuellement, ce raisonnement est totalement faux.
Je ne veux pas, à travers ce texte, me livrer à la stigmatisation ou à la généralisation. C’est sur la base des témoignages que j’ai recueillis auprès des familles d’accueil et des travailleurs sociaux sur le terrain que je peux vous dire que, dans de nombreux cas, le système actuel produit l’effet inverse à celui escompté.
Certaines familles ne sont pas pressées de récupérer leurs enfants, car elles se trouvent dans une situation financière plus confortable qu’auparavant. Parfois, fonder le maintien des allocations familiales sur la parentalité biologique revient à s’appuyer sur une fiction. Je pense, notamment, aux cas de maltraitance, d’abus ou d’inceste. Il me semble que ce constat fait l’objet d’un large consensus.
Pour qu’un juge prenne la décision de placer un enfant, les carences dont ce dernier souffre doivent être particulièrement importantes. Je vous le rappelle, mes chers collègues, cette décision ne se prend pas sous l’autorité des présidents de département. Il faut que les faits soient suffisamment lourds et qu’ils aient été étayés par des rapports établis par les travailleurs sociaux. Tout cela ne se fait pas sur un coin de table, dans le bureau du juge.
Il y a également de nombreux cas d’enfants retirés à leurs parents dès la maternité. On ne prend pas le risque de leur faire passer une seule journée auprès d’eux. Cela peut arriver dans des cas très particuliers, lorsque les deux parents sont lourdement handicapés, par exemple. De ce point de vue, il n’y a pas de lien à tirer entre le maintien ou la suspension du versement des allocations familiales et la durée de placement de l’enfant. Ce sont des champs totalement différents.
La proposition de loi, si elle était adoptée, donnera aux travailleurs sociaux et aux équipes chargées de ces sujets au sein de nos départements de nouveaux moyens pour mener des actions de prévention et de soutien à la parentalité. Nous avons en effet pris le soin de bâtir un texte qui ne s’applique qu’aux cas de placements judiciaires. Il ne concerne, en aucun cas, les placements administratifs.
Nous pouvons donc espérer recevoir plus de demandes de placement émanant des familles, qui, éprouvant la limite de leur autorité ou de leur capacité à intervenir, tireraient elles-mêmes la sonnette d’alarme. En faisant cette distinction, nous donnons des outils aux travailleurs sociaux sur le terrain, pour leur permettre d’affronter des réalités dont vous connaissez, comme moi, la complexité.
J’entends dire, enfin, que ce texte instaurerait une double peine.
Cet argument n’est pas recevable. Les allocations n’ont pas à compléter les revenus des parents, elles sont versées pour le bénéfice des enfants. Théoriquement, l’absence d’enfant devrait entraîner l’absence d’allocation.
J’observe que, même dans les situations dramatiques de familles qui ont l’immense douleur de perdre un enfant, les allocations familiales ne sont pas maintenues. Pour les cas de retrait et de disparition de charges, donc, la logique et le bon sens vont dans la même direction, et je ne reprendrai pas l’argument développé lorsque j’ai évoqué les tiers dignes de confiance.
Mes chers collègues, vous le voyez, tout converge pour que cette proposition de loi reçoive votre approbation.
Je dirai, pour terminer, que l’ambition des auteurs du présent texte n’est pas démesurée. Il ne s’agit ni d’une refondation de l’ASE ni d’une réponse budgétaire à la situation des conseils généraux. Il s’agit tout simplement d’une proposition de loi qui permettra de faire régner plus de justice et d’équité entre les familles et qui moralisera nos dispositifs d’aide sociale. Son adoption sera indolore pour les finances publiques, juste pour les familles et nécessaire pour les enfants. Elle permettra de rappeler que les allocations familiales doivent être consacrées aux enfants.
Si les réformes de bon sens, partagées par presque tous, ne sont pas réalisées, comment pourrons-nous faire la pédagogie des réformes les plus complexes ? C’est pourquoi je ne peux pas croire que, sur ce texte, nous ne puissions pas nous retrouver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Catherine Troendle. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi et rapporteur.
Mme Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui soulève la question du bénéficiaire des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance sur décision du juge.
C’est un sujet qui n’est pas nouveau. En effet, notre proposition de loi reprend deux amendements votés à l’unanimité par le Sénat lors de l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Ces amendements ont été supprimés par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, au motif qu’il s’agissait de cavaliers législatifs.
Directement concernés, les départements ont contribué à faire émerger ce sujet dans le débat public et alerté, d’une part, sur le dévoiement du principe, contenu dans la loi, s’appliquant aux allocations familiales, et, d’autre part, sur l’iniquité des dispositions régissant l’attribution de l’allocation de rentrée scolaire.
La première mesure de ce texte porte sur les modalités de versement des allocations familiales en cas de placement de l’enfant à l’ASE sur décision du juge.
Symboliquement et financièrement, les allocations familiales représentent la plus importante des prestations familiales. En application de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, elles sont attribuées à la personne qui assume « la charge effective et permanente de l’enfant ».
La loi du 6 janvier 1986, adoptée il y a bientôt trente ans, a complété cet article pour poser le principe selon lequel, lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, la part des allocations familiales dues au titre de cet enfant est versée à ce service. Ainsi, le législateur a voulu porter – très logiquement – au bénéfice du département une allocation correspondant pour partie à la charge qu’il supporte.
Le principe connaît cependant une adaptation possible : le juge des enfants peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, de maintenir cette part à la famille, lorsque « celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer ».
Or, dans la pratique, il apparaît que l’exception est devenue la règle.
M. Bruno Sido. Absolument !
Mme Catherine Deroche, rapporteur. En effet, dans la très grande majorité des cas, les parents continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales, alors même que l’un ou plusieurs de leurs enfants sont confiés à l’ASE.
Ce constat, qui émane principalement des départements, a été confirmé par les représentants des juges, même si, on peut le regretter, il n’existe pas de statistiques nationales permettant de chiffrer précisément ce phénomène. N’ayant le choix qu’entre retirer ou maintenir les allocations à la famille, le juge opte le plus souvent pour la seconde solution, si bien que le principe du versement à l’ASE n’est effectif que dans un nombre minoritaire de situations.
Il est effectif lorsque les faits à l’origine du placement sont graves, comme la maltraitance, par exemple. Dans un tel cas, rien ne peut en effet justifier le maintien des allocations à la famille.
Il l’est également lorsque le dialogue avec la famille est impossible : si les parents ne sont pas prêts à coopérer, le juge suspend – du moins dans un premier temps – le versement des allocations.
Il l’est encore lorsque le placement à l’ASE s’inscrit dans la durée : dans les cas de placement long, les chances de retour au foyer sont très faibles, il n’y a donc pas lieu de maintenir le versement des allocations aux parents.
Il l’est, enfin, lorsque le juge ne statue pas sur le versement des allocations familiales : dans ce dernier cas, celles-ci reviennent de droit à l’ASE, qui doit alors se manifester auprès de la caisse d’allocations familiales pour en être le bénéficiaire.
Cette situation n’est pas satisfaisante, et ce pour deux raisons.
Premièrement, le législateur ne peut admettre que la pratique ignore l’esprit de la loi, en l’occurrence celle de 1986.
Deuxièmement, sur le plan des principes, il est difficilement concevable que des familles qui n’assument plus la charge effective et permanente d’un enfant continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales, au même titre que les familles dont les enfants ne sont pas placés ; il s’agit d’une question de justice et d’équité.
Dès lors, la proposition de loi poursuit un double objectif : revenir à la volonté initiale du législateur – les allocations familiales doivent bénéficier à la personne, physique ou morale, qui assume la charge effective de l’enfant – et laisser la possibilité au juge de maintenir la part d’allocations dues au titre de l’enfant placé à la famille, tout en l’autorisant à la répartir entre celle-ci et l’ASE.
Dans cette perspective, la version initiale de l’article 1er apportait trois modifications au dispositif existant : elle supprimait la saisine d’office du juge ; elle permettait au juge, saisi par le président du conseil général, de se prononcer sur l’attribution des allocations au vu d’un rapport établi par le service de l’ASE ; elle l’autorisait à octroyer, totalement ou partiellement, les allocations à la famille.
J’en viens maintenant à la seconde mesure du texte, qui concerne l’allocation de rentrée scolaire.
Cette allocation, versée sous conditions de ressources, vise à compenser les frais spécifiques résultant de la rentrée scolaire, en particulier les frais de fournitures.
En l’état actuel du droit, lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, cette allocation continue d’être entièrement versée à la famille, et ce alors que le département supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation de cet enfant. Cette situation n’est pas, elle non plus, acceptable sur le plan de l’équité entre les familles. En effet, celle dont l’enfant est confié à l’ASE, et qui, par conséquent, n’a plus à financer les dépenses de fournitures scolaires, continue de bénéficier de l’allocation de rentrée scolaire au même titre que la famille assumant effectivement ces dépenses.
Pour mettre fin à cette incohérence, l’article 2 de la proposition de loi initiale insérait, dans le code de la sécurité sociale, le principe selon lequel l’allocation de rentrée scolaire due au titre d’un enfant placé à l’ASE est versée à ce service. Sur le modèle du régime d’attribution des allocations familiales, l’article prévoyait toutefois la possibilité pour le juge, sur saisine du président du conseil général, de maintenir totalement ou partiellement le versement de l’allocation de rentrée scolaire à la famille.
Sur ma proposition, notre commission a apporté trois importantes modifications de fond au texte initial.
En premier lieu, elle a rétabli la saisine d’office du juge. En effet, la question du maintien ou non des allocations à la famille est une conséquence directe de la décision de placement judiciaire, dont il est logique que le juge puisse se saisir d’office. Les allocations familiales constituent un instrument de politique judiciaire indispensable au travail de pédagogie que le juge mène avec les parents, dans le but de remédier à leurs défaillances et de permettre, si les conditions sont réunies, un retour de l’enfant dans sa famille.
En deuxième lieu, afin que le rétablissement de la saisine d’office du juge ne perpétue pas la pratique actuelle du maintien quasi systématique du versement des allocations à la famille, le texte issu de nos travaux précise que ce maintien ne pourra être que partiel. Dès lors, le juge devra répartir le montant de ces allocations entre la famille et l’ASE. À ce titre, il est proposé que la part versée aux parents n’excède pas 35 %.
J’insiste sur le fait que ce dispositif de répartition des allocations entre la famille et l’ASE – un tiers pour la première, deux tiers pour la seconde – constitue une solution équilibrée entre, d’une part, le souci de ne pas pénaliser les familles et, d’autre part, la volonté de reconnaître la charge que supportent les services départementaux, charges qui étaient, jusqu’ici, assumées par les familles.
En outre, la possibilité pour le juge de moduler la part attribuée aux parents présente un double avantage.
Tout d’abord, elle lui permettra d’ajuster sa décision aux situations individuelles, en lieu et place de la règle actuelle du « tout ou rien ». Le juge aura donc davantage de souplesse. À l’occasion du réexamen d’un dossier, il pourra, par exemple, faire évoluer cette part en fonction des progrès accomplis.
Ensuite, elle rendra le dispositif plus incitatif vis-à-vis des parents puisque, en cas de retour de l’enfant dans sa famille, ceux-ci retrouveront l’entier bénéfice des allocations familiales.
En troisième lieu, je rappelle que le principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire à l’ASE a été approuvé par les représentants des juges que nous avons auditionnés : « L’allocation de rentrée scolaire vise un objectif précis : le financement des fournitures scolaires lors de la rentrée des classes. Il est logique que cette dépense, si elle est assurée par l’ASE, lui soit versée. »
Contrairement aux allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire ne constitue pas, pour les juges, un outil de négociation avec les parents. Il n’y a donc pas lieu que ceux-ci interviennent dans le processus d’attribution de l’allocation ; ils n’en sont d’ailleurs pas demandeurs. C’est pourquoi la commission a supprimé les dispositions de l’article 2 prévoyant pour l’allocation de rentrée scolaire des modalités d’intervention du juge analogues à celles qui sont prévues pour les allocations familiales.
Au final, la proposition de loi, telle que modifiée par notre commission, apporte une réponse équilibrée à la question du bénéficiaire des allocations familiales en cas de placement de l’enfant. Elle réaffirme la volonté initiale du législateur, améliore la pratique des juges en leur permettant de moduler le versement de ces allocations et restaure l’équité entre les familles. Quant à l’allocation de rentrée scolaire, elle pose un principe qui n’est guère contestable au regard de cette même équité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai lu la proposition de loi et écouté l’intervention de M. Béchu avec beaucoup d’attention.
Il faut toujours se méfier de ce qu’on appelle communément le « bon sens ». Pour des enfants confrontés à des difficultés de vie et sortis de leur famille, c’est la complexité qui prévaut ; aucune situation ne ressemble à une autre. Je ne suis donc pas certaine que le « bon sens » soit le meilleur conseiller en la matière.
Je souhaite formuler plusieurs remarques sur ce texte.
Premièrement, une loi doit être utile. J’aimerais donc vous poser un certain nombre de questions au regard du droit actuel, mesdames, messieurs les sénateurs.
Dans le droit actuel, en cas de placement de plus d’un mois d’un mineur en famille d’accueil ou en établissement, le principe est déjà le versement des allocations familiales au service de l’ASE auquel le mineur est confié. Les parents d’un enfant pris en charge dans ce cadre restent tenus envers lui aux obligations prévues aux articles 203 à 211 du code civil, s’agissant notamment de l’obligation alimentaire.
Dans le droit actuel, et depuis la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, de ne pas verser les allocations familiales au service de l’ASE lorsque la famille participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans sa famille. Les caisses n’ont donc plus de pouvoir d’interprétation sur ce sujet et sont tenues d’appliquer la décision du juge.
Dans le droit actuel, et c’est particulièrement important, le juge peut donc décider le maintien du versement des allocations familiales à la famille, en considérant notamment que c’est de nature à favoriser le retour de l’enfant dans sa famille. Or, nous le savons, la grande majorité de ces enfants ont précisément vocation à retourner dans leur famille, et non à en être retirés.
Je vous pose donc la question : quel est l’intérêt d’une nouvelle loi au regard du droit existant ?
Deuxièmement, la proposition de loi est à contre-courant de tous les efforts que le Gouvernement entreprend actuellement. (Murmures sur les travées de l'UMP.)
À contre-courant d’abord de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue le 11 décembre 2012. À cette occasion, le Premier ministre a pris des engagements forts : aucune famille ne devra être stigmatisée. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Même celles qui maltraitent les enfants !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Nous portons un autre regard sur les familles, quelles qu’elles soient et quelles que soient leurs difficultés. (Mêmes mouvements.)
Autre engagement du Premier ministre : le reste à vivre des familles, notamment les plus précaires, devra être amélioré. Or les familles les plus précaires constituent un public très concerné par la protection de l’enfance.
À contre-courant ensuite de la réflexion que M. Bertrand Fragonard, le président du Haut Conseil de la famille, mène actuellement sur une réforme des prestations familiales.
À contre-courant également de la réaffirmation par le Gouvernement du droit pour l’enfant à maintenir des liens avec les adultes qui concourent à son éducation. Sécuriser les liens entre l’enfant et les adultes qui l’élèvent, tel est l’enjeu des travaux menés autour du droit de la famille.
À contre-courant enfin de l’abrogation de la loi Ciotti sur l’absentéisme, abrogation proposée et votée par la Haute Assemblée et adoptée par le Parlement le 17 janvier 2013. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Vous mélangez tout !
Mme Catherine Troendle. Cela n’a rien à voir !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que cela a à voir ! Il s’agit de rompre avec toute logique de stigmatisation des familles, en particulier des familles les plus précaires, c'est-à-dire celles qui sont visées par la présente proposition de loi. (Mmes Michelle Meunier, Catherine Tasca et Aline Archimbaud applaudissent.)
Troisièmement, quel est l’intérêt d’une telle loi pour l’enfant ?
Les juges prennent leur décision au cas par cas, au vu des éléments d’information dont ils disposent sur l’enfant et la situation de la famille. Le versement de la totalité des allocations familiales aux familles peut être considéré, selon les situations, comme une nécessité par les acteurs de proximité de la protection de l’enfance que sont les juges des enfants. Le bénéfice des allocations familiales permet aux parents de les aider à participer à la prise en charge morale et matérielle de leur enfant, de préserver l’équilibre souvent fragile de la famille et de favoriser le retour de l’enfant placé lorsque c’est possible.
Je le rappelle pour mémoire, seuls 5 % des enfants placés n’ont pas vocation à retourner dans leur famille. Pour les autres, le temps de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance doit permettre de préparer le retour au domicile familial.
Dans un rapport paru en 2010 et intitulé Précarité et protection des droits de l’enfant, la Défenseure des enfants formulait la recommandation suivante : « Garantir le maintien automatique des allocations familiales lorsque les parents sont en dessous d’un certain seuil de revenu afin que ce maintien ne soit pas laissé à la seule bonne volonté du juge et de la CAF et qu’ils puissent disposer de ressources suffisantes pour maintenir des liens lors des rencontres avec leurs enfants. » (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
La disposition de la proposition de loi introduisant une limitation au maintien du versement aux familles à hauteur de 35 % du montant des allocations familiales conduirait à fragiliser encore plus les parents concernés alors même qu’ils feraient des efforts reconnus comme tels par le juge pour assumer leur fonction parentale et éducative.
Enfin, un tel seuil maximal restreindrait le pouvoir d’appréciation du juge, qui est un véritable gardien de l’intérêt supérieur de l’enfant. Je le dis très clairement : ce pouvoir d’appréciation doit être maintenu dans toute sa plénitude.
Quatrièmement, quel est l’intérêt pour les familles ?
M. Bruno Sido. Il ne s’agit pas des familles : il s’agit de l’enfant !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Aujourd'hui, et cela devrait vous interpeller, l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, ou ATD Quart Monde, qui viennent d’horizons variés, sont très préoccupées par l’éventuelle adoption d’une telle proposition de loi.
Toutes ces organisations affirment : « C’est en aidant les parents et non en les sanctionnant, que l’on rend possible le retour de l’enfant chez lui dans de bonnes conditions. C’est en les accompagnant dans l’accès à leurs droits, que l’on contribuera à leur responsabilisation. »
M. Bruno Sido. N’importe quoi !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Monsieur Sido, pour avoir rencontré à de nombreuses reprises les associations qui composent l’UNAF, je puis témoigner de leur volonté de s’engager à nos côtés pour rompre avec la logique de stigmatisation des familles, quelles qu’elles soient, et soutenir la parentalité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Christophe Béchu. Ce n’est pas le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que si ! (Mais non ! sur les travées de l’UMP.) Vous parlez de moralisation et d’humanisme. Mais où est l’humanisme lorsque l’on enfonce encore un peu plus des familles en difficulté ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe écologiste. – Vives protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Et les enfants ?
M. Christophe Béchu. C’est invraisemblable !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Eh bien, oui, nous avons des conceptions différentes ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de laisser Mme la ministre s’exprimer.
Mme Catherine Troendle. C’est elle qui nous pose des questions !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lorsqu’un enfant est confié au service de l’ASE par un magistrat au titre de l’assistance éducative, les parents conservent l’autorité parentale. Le placement est, sauf exception, temporaire. Le conseil général n’assume la charge de l’enfant ni en permanence ni dans son intégralité. Les parents demeurent allocataires pour l’ouverture du droit aux prestations familiales. La loi ne reconnaît à l’ASE que la qualité d’attributaire, au motif que celle-ci assume partiellement la charge financière de l’enfant.
Contrairement à ce que vous semblez supposer, le maintien ou la suppression des allocations familiales n’ont pas vocation à gratifier les bons parents et à punir les mauvais.
M. Christophe Béchu. Je n’ai jamais dit cela !
M. Bruno Sido. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il y a des parents qui sont confrontés à des difficultés, dont certaines sont très importantes. Je ne vois pas en quoi le fait de les sanctionner une nouvelle fois les aidera, ou aidera leurs enfants.
Cinquièmement, quel est l’intérêt pour les départements ?
Monsieur Béchu, j’aimerais savoir pourquoi vous contestez le chiffre auquel vous avez fait référence. La confiscation…
Mme Catherine Procaccia. La confiscation ?
M. Bruno Sido. Oh !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … des allocations d’une famille de deux enfants ne rapporterait effectivement que 1 524 euros au conseil général, quand le placement d’un enfant lui coûte 34 000 euros par an.
Nous le savons, le conseil général est, ô combien, en première ligne pour faire face à la précarité de nombreuses familles. Par conséquent, avec un tel dispositif, ce que vous allez gagner d’un côté, vous allez le perdre de l’autre !
Mme Catherine Troendle. En quoi ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les familles qui se retrouveront dans une difficulté financière supplémentaire devront se retourner vers les services sociaux de la commune ou du département.
Très honnêtement, je pense qu’une telle proposition de loi n’apporte de réponse satisfaisante ni aux enfants, ni aux parents, ni aux familles, ni aux départements. La seule réponse satisfaisante qui puisse être apportée à ces situations complexes est une réforme de fond de la protection de l’enfance.
Mme Catherine Troendle. Vous noyez le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’espère pouvoir engager et mener ce travail avec l’ensemble des membres du Sénat. On ne peut pas se satisfaire de voir tant d’enfants sortis temporairement de leur famille errer de familles d’accueil en foyers.
M. Bruno Sido. Ils ne sont pas en errance !
M. Bruno Sido. Certains enfants restent vingt ans dans une même famille !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si nous pouvons mener cette réforme à bien, ce sont les enfants, les familles et les départements qui y gagneront.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le comprendrez, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi, qui n’ajoute rien, mais qui enlève beaucoup : l’égale considération de toutes les familles ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)
Mme Catherine Troendle. Le Président de la République était pour !
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit deux mesures : d’une part, lorsqu’un enfant est placé auprès des services d’aide à l’enfance, le juge peut décider du maintien partiel des allocations familiales à hauteur de 35 % maximum de leur montant ; d’autre part, l’allocation de rentrée scolaire est automatiquement versée au service d’aide à l’enfance.
Rappelons qu’actuellement les allocations familiales sont versées au service d’aide à l’enfance sauf si le juge décide de leur maintien intégral lorsque la famille de l’enfant « participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer » et que l’allocation de rentrée scolaire est versée à la famille.
La première mesure prévue dans la proposition de loi irait à l’encontre de l’objectif qui est de favoriser le retour de l’enfant dans sa famille lorsque la situation le permet. L’article L. 228-1 du code de l’action sociale et des familles maintient aux parents l’obligation d’entretien et d’éducation de leurs enfants même confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance. Je tiens également à rappeler que seuls 20 % des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance le sont pour cause de mauvais traitements. Pour ces enfants, il y a clairement consensus entre nous. Mais il faut aussi considérer les quatre-vingts autres pour cent !
Certaines situations imposent aux familles des frais importants, qui peuvent parfois dépasser le montant des allocations dues au titre de l’enfant placé, par exemple lorsque le lieu d’accueil de l’enfant est très éloigné du foyer familial ou lorsque les contraintes fixées pour les rencontres avec l’enfant entraînent une perte de revenus professionnels.
Confisquer les allocations, c’est fragiliser la famille, confisquer leur statut aux parents, compromettre parfois le paiement du loyer, le transport pour les visites, la possibilité de nourrir les enfants quand ils les reçoivent le week-end. (Mme Catherine Procaccia proteste.) Rappelons en effet que 80 % des enfants placés viennent de familles en grande précarité économique.
Le conseil général devra alors subventionner les déplacements pour les droits de visite. Qu’en sera-t-il pour les droits d’hébergement si les parents n’ont pas de quoi nourrir les enfants ?
Quand un enfant est retiré à sa famille en raison de l’insalubrité du logement, ce qui est fréquent, le retour de l’enfant ne peut s’envisager sans une augmentation du budget familial consacré au logement. Dès lors, la perte des allocations rend cet objectif impossible à atteindre.
Quatre-vingt-quinze pour cent des enfants placés ont vocation à revenir dans leur famille. C’est en aidant les parents, et non en les sanctionnant, que l’on rend possible ce retour dans de bonnes conditions. C’est en les accompagnant dans l’accès à leurs droits que l’on contribuera à leur responsabilisation, le cas échéant en leur proposant un accompagnement pour la gestion de leur budget dans l’intérêt de l’enfant.
Il convient également de s’interroger sur l’article 2 de la proposition de loi, qui ne laisse aucune possibilité d’appréciation au juge des enfants pour réserver un montant, même minime, d’allocation permettant aux parents de participer de manière concrète à l’événement crucial que représente dans la vie de la famille la rentrée scolaire.
Quelle que soit la situation de la famille et quelle que soit l’appréciation du juge des enfants, en aucun cas l’allocation de rentrée scolaire ne pourra être mobilisée pour permettre aux parents de manifester concrètement à leurs enfants l’importance qu’ils attachent à leur rentrée scolaire. L’éviction des parents est complète.
Alors que le maintien d’un montant même très limité d’allocation pourrait servir d’outil de dialogue et de contrôle permettant aux services sociaux d’accompagner et de soutenir les familles désireuses de remplir leurs devoirs et de manifester concrètement et visiblement leur intérêt pour le travail de leurs enfants, cette proposition met en place un mécanisme automatique, faisant de la rentrée scolaire des enfants bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative l’affaire exclusive de l’administration départementale, ce qui met en cause l’équilibre et la cohérence de l’organisation actuelle de l’action sociale en faveur de l’enfance et de la famille.
La préparation de la rentrée scolaire, chacun le reconnaît, constitue un moment privilégié et structurant des relations familiales : on ne doit précisément pas déposséder à ce moment les parents des moyens qui leur sont donnés par la législation actuelle.
La rédaction proposée est également dangereuse, car dans le cas où le retour de l’enfant au foyer précède de peu la rentrée scolaire, les délais administratifs pour le rétablissement des droits de la famille peuvent conduire à une rupture ou à un retard du versement, aggravant la plaie que représentent pour les foyers vulnérables les ruptures dans le service des prestations et l’incertitude sur leur montant.
M. Bruno Sido. Arguties !
Mme Aline Archimbaud. Plus pragmatiquement, à en croire certains acteurs et certaines associations, la demande des familles lorsque le juge a pris la décision du placement est celle d’un accompagnement approprié et d’un suivi nécessaire pour reconstituer la cohésion familiale de façon à pouvoir, au plus tôt, accueillir de nouveau leurs enfants et construire, avec eux, leur avenir.
En conclusion, chers collègues, je suis désemparée et consternée par certains raisonnements que j’ai entendus au cours des débats préparatoires en commission des affaires sociales. Je suis choquée par les propos moralisateurs de ceux qui prétendent éduquer les familles par la sanction brutale !
Mme Catherine Deroche, rapporteur. Cela n’a jamais été dit comme ça !
Mme Aline Archimbaud. De quelles familles s’agit-il ? Il s’agit de celles qui sont les plus fragilisées, « cassées » par la vie. C’est au contraire en les accompagnant, sans complaisance, mais en leur laissant la possibilité de garder des liens avec leurs enfants, qu’on s’en sortira.
Oui, il faut utiliser l’argent public avec rigueur, nous sommes là pour y veiller ! Oui, il faudra lors du débat sur la nouvelle loi de décentralisation trouver des mesures pour financer les collectivités locales, qui sont pour certaines d’entre elles en grave difficulté !
Non, nous n’acceptons pas ce discours moralisateur de stigmatisation des plus pauvres dans ce pays ! C’est la raison pour laquelle le groupe écologiste votera contre cette proposition de loi en l’état et demande qu’un travail soit rapidement engagé pour réfléchir à autre dispositif. (Mme Michelle Meunier et Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à qui doit être versée la part correspondante d’allocations familiales quand un enfant est retiré à sa famille sur décision de justice et confié au service de la protection de l’enfance d’un département ? L’objet central de la proposition de loi déposée par nos collègues Christophe Béchu et Catherine Deroche est de répondre à cette question simple.
Pourquoi se poser une telle question sous-jacente à des situations qui ne sont pas nouvelles, qui sont humainement douloureuses et pour lesquelles des règles sont déjà fixées ? Parce que l’application de ces règles interpelle aujourd’hui beaucoup de celles et de ceux, professionnels, familles, témoins, qui vivent ces situations.
L’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale répond pourtant clairement à la question : « Les allocations sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant. […]
« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet enfant est versée à ce service. »
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Yves Daudigny. Ainsi, le code de la sécurité sociale affirme bien le principe selon lequel, lorsqu’un enfant est confié à un service de l’aide sociale à l’enfance, la part d’allocations familiales due à la famille pour cet enfant est versée à ce service.
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Mais le même article L. 521-2 du code de la sécurité sociale ajoute : « Toutefois, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, à la suite d’une mesure prise en application des articles 375-3 et 375-5 du code civil ou des articles 15, 16, 16 bis et 28 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer. »
Madame la ministre, mes chers collègues, j’ose – j’ose, dis-je – exprimer devant vous cette idée que naissent de fortes incompréhensions lorsqu’une famille à qui le juge a retiré un ou plusieurs enfants continue de bénéficier du versement de la totalité – ce mot est important – des allocations familiales liées à cet enfant ou à ces enfants.
Mme Isabelle Debré. Vous avez raison !
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Yves Daudigny. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ose porter à cette tribune le sentiment d’iniquité de nombreux présidents de conseil général,…
M. Gérard Roche. Très bien !
M. Yves Daudigny. … responsables moralement, matériellement et donc financièrement d’enfants qui leur sont confiés sans que soit versée au département la moindre part – je dis bien la moindre part – d’allocations.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Yves Daudigny. À ces situations évoquées, la proposition de loi telle qu’elle a été amendée apporte les évolutions attendues, et ce dans le respect des grands principes qui fondent notre système de protection de l’enfance : le service d’aide sociale à l’enfance, qui a la charge effective de l’enfant, recevra en toutes circonstances au moins une part de 65 % du montant des allocations familiales ; le droit de saisine d’office du juge est maintenu – c’est essentiel – et pourra porter sur une part n’excédant pas 35 % du montant total de l’allocation ; l’allocation de rentrée scolaire sera versée au département, qui supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation de l’enfant.
Je précise encore que, aux termes de l’article L. 541-3 du code de la sécurité sociale, « les dispositions de l’article L. 521-2 » – qui prévoit donc que les allocations sont versées à la personne qui assume la charge effective et permanente de l’enfant – « sont applicables à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ».
Ces propositions, madame la ministre, mes chers collègues, donneront une meilleure cohérence et faciliteront la compréhension de nos dispositifs sociaux.
J’ai entendu les accusations de stigmatisation ou de double peine pour les familles. Mais l’acte fort, l’acte qui tranche, ne serait-ce pas la décision du juge de retirer l’enfant de sa famille, et seulement cette décision ? Que cet acte soit suivi d’un accompagnement et non d’un abandon de la famille est une exigence non niée et mise en œuvre par les services sociaux départementaux.
Quant aux allocations familiales, elles doivent – c’est bien leur objet – permettre de subvenir aux besoins des enfants pour qui elles sont versées. Elles ne sauraient avoir vocation à « faire vivre » – j’ai entendu cette expression – des adultes déchargés de la prise en charge de leurs enfants.
La grande pauvreté, les précarités extrêmes sont un autre sujet sur lequel notre société, je le dis avec force, avec les outils adéquats, doit totalement se mobiliser, car il y va, et nous sommes, je le pense, d’accord sur ce point, de l’honneur de la République et de la réalité du contrat social de notre pays.
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Yves Daudigny. Ces propositions répondent à un enjeu d’équité. Équité entre les familles du point de vue éducatif : comment peut-il être expliqué à des parents qu’ils doivent assumer la charge de leurs enfants grâce à ces prestations si, dans le même temps, d’autres parents n’assumant pas cette charge effective continuent à bénéficier du versement de la totalité du montant des mêmes prestations ?
Mme Isabelle Debré. C’est une évidence !
M. Christophe Béchu. Absolument !
M. Yves Daudigny. Équité encore, parce que le service d’aide sociale à l’enfance n’est pas une abstraction : il tire ses ressources des contributions des habitants et de l’ensemble des familles du département.
M. Ronan Kerdraon. Bonne démonstration !
M. Yves Daudigny. Quelle est la justification de demander à ceux-ci de compenser le versement d’allocations qui échappent à leur objet ?
Ces propositions maintiennent la possibilité donnée au juge de décider le versement partiel des allocations familiales aux parents d’enfants confiés au département dès lors qu’un projet éducatif donne du sens à cette situation : hébergements, visites, participation active des parents en vue du retour des enfants à leur domicile et à leur charge.
Qu’il me soit simplement permis à cet instant de verser à la réflexion les résultats d’une enquête réalisée en février 2013 auprès de 400 anciens enfants placés et qui a été publiée dans Le Journal de l’action sociale et du développement social. Si la majorité de ces anciens enfants placés affirme que le placement les a sauvés, ils sont 62 % à dénoncer les « ruptures » – ballotages de foyer en foyer – et surtout 43 % à déclarer avoir souffert du maintien à tout prix des liens avec leurs parents. Je ne veux rien démontrer ; il n’existe pas dans ce domaine comme dans d’autres de vérité absolue.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Yves Daudigny. Ces propositions peuvent être complétées, dans le cadre d’un amendement que j’ai déposé, par l’instauration d’une période d’observation de trois mois de nature à éviter une déstabilisation de la famille et permettant d’amorcer, pour certaines situations, un retour rapide de l’enfant ou des enfants.
Madame la ministre, chers collègues, le principe est simple – « les prestations familiales doivent permettre de subvenir aux besoins des enfants pour qui elles sont versées » – et les objectifs sont la cohérence et l’équité. Le sujet n’est pas de donner aux départements quelques ressources complémentaires, même si elles sont justifiées, il n’est pas non plus de sanctionner, il relève d’une meilleure justice sociale.
M. Christophe Béchu. Bravo !
M. Yves Daudigny. Et qu’une meilleure justice sociale contribue à une meilleure justice en matière de ressources pour les départements concernés donne force à la proposition de loi !
Que soit donc souligné à cet instant l’engagement des départements, chefs de file de la protection de l’enfance, dans ces missions de prévention, de lutte contre la maltraitance, de prise en charge des enfants en difficulté, en danger ou susceptibles de le devenir.
Les enjeux financiers ne doivent jamais être écartés. Mais la dimension humaine, le signalement donné d’un enfant en danger transcendent toutes les autres approches.
Président de conseil général moi-même, je ne l’ai oublié à aucune seconde de mon temps d’appui à cette proposition de loi. Mais je n’ai jamais écarté non plus une autre idée forte : c’est dans la cohérence, la rigueur, la justice des dispositifs que notre système de protection sociale trouvera les leviers pour se maintenir et se renforcer dans une société où les moyens de la solidarité seront de plus en difficiles à mobiliser.
Le groupe socialiste, majoritairement, a décidé d’apporter son appui à cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC, du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes amenés à débattre aujourd’hui présente déjà un historique certain, fait de revirements multiples, qui en disent long sur les difficultés qu’elle soulève.
De quoi s’agit-il au juste ? Il convient d’autoriser le juge à opérer un partage des allocations familiales entre la famille et le conseil général lorsque l’un des enfants qui ouvre droit au bénéfice de ces allocations est confié, durablement ou temporairement, au service de l’aide sociale à l’enfance.
De fait, la proposition de loi soulève deux questions que nous ne pouvons ni éluder ni contourner : quelle conception nous faisons-nous des prestations dont il est question ? Quelle est la réalité des situations économiques, financières et humaines des familles qui bénéficient aujourd’hui de ces allocations ?
En la matière, nous sommes plutôt constants. Les allocations familiales ne sont pas assimilées à des compléments de ressources et ne doivent pas l’être.
L’objet des allocations familiales n’est pas de lutter contre la pauvreté, mais d’encourager la natalité en France. Concevoir autrement la finalité de ces allocations, accepter que l’on puisse les considérer comme une prestation sociale et non comme une prestation familiale pourrait conduire, à terme, à accepter les projets qui mûrissent ici ou là visant à réserver les allocations familiales aux familles les plus modestes. À celles et ceux qui pourraient d’ailleurs être tentés par la proposition de soumettre les allocations familiales à des conditions de ressources, je dirai que, ce faisant, ils confondent politique familiale et politique fiscale. La question n’est pas de savoir s’il faut rompre avec l’universalité de cette prestation, mais de trouver les moyens de nous doter d’une politique fiscale plus juste et plus solidaire.
Pour notre part, nous considérons que chaque enfant est une chance pour notre pays, on le voit notamment par comparaison avec l’Allemagne. Par conséquent, tous les enfants, indépendamment de la richesse de leurs parents, doivent pouvoir bénéficier des allocations familiales. C’est d’ailleurs à dessein que j’utilise cette formule, car, en application de la portée universelle de ces allocations, nous considérons que ce ne sont pas les parents qui en bénéficient mais les enfants.
Confiées aux parents, qui assument les dépenses courantes pour les enfants, les allocations familiales n’en demeurent pas moins assises sur les besoins des enfants. Elles sont destinées à permettre leur épanouissement et à financer les frais liés à leur éducation et à leur développement.
Cela étant dit, faut-il, en cas de placement de l’enfant à un service d’aide sociale, que les allocations familiales suivent, en quelque sorte, l’enfant ? La question se pose effectivement, et le législateur y a partiellement répondu puisque l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale dispose déjà que le juge peut décider de transférer ou non aux départements la totalité des allocations familiales attribuées à l’enfant qui fait l’objet d’un accueil par les services de l’ASE.
Ce qui pourrait changer, comme le proposaient d’ailleurs Yves Daudigny et plusieurs de ses collègues dans la proposition de loi qu’ils avaient déposée puis retirée, c’est la faculté offerte aux juges d’opérer un partage de ces allocations, ce partage devant être effectué, cela va de soi, dans l’intérêt de l’enfant. C’est pourquoi nous sommes attachés au fait que le juge puisse disposer, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, de la faculté de se saisir d’office. C’est à lui qu’il appartient de juger, dans les faits, quelles sont les mesures à prendre pour préserver les intérêts légitimes de l’enfant.
Mon avis est que le retrait total ou d’une partie trop importante de ces prestations pourrait avoir un effet contre-productif, retardant ou empêchant le retour de l’enfant dans sa famille, ce qui, à mon sens, doit rester un objectif dès lors que le placement n’a pas pour origine des faits de maltraitance commis à son encontre.
Pour autant, malgré la réaffirmation de principe sur la finalité des allocations familiales, nous ne savons que trop qu’une telle mesure, si elle n’est pas accompagnée d’autres dispositions permettant de lutter plus efficacement que ce n’est le cas aujourd’hui contre la précarité, aura des effets désastreux et amplifiera la paupérisation de certaines familles. C’est pourquoi nous pensons que le partage de ces allocations entre le département et la famille est plus de nature à permettre à cette dernière d’accueillir correctement l’enfant, les week-ends par exemple.
Cela n’empêche pas que des mesures significatives et rapides, plus ambitieuses que celles qui ont été dévoilées à l’issue de la conférence nationale contre la pauvreté doivent être prises. Car, voyez-vous, mes chers collègues de l’opposition, ce ne sont pas les parents qui dénaturent les allocations familiales en les transformant en compléments de ressources indispensables pour survivre, même quand l’enfant est confié à l’ASE. C’est le chômage de masse, ce sont les fins de mois difficiles, les temps partiels contraints, les licenciements boursiers, c’est tout cela qui transforme les allocations familiales en une prestation sociale.
Il faudrait également que l’État s’engage, en lien avec les départements, dans l’élaboration de mesures d’accompagnement afin que les parents les plus en difficulté ne perdent pas espoir de pouvoir, le plus tôt possible et dans les meilleures conditions, accueillir de nouveau leurs enfants.
Madame la ministre, en ce sens, nos préoccupations se rejoignent, même si nous n’avons pas, sur cette proposition de loi, la même analyse finale. Vous avez tenu un discours d’engagement qui vous honore mais qui, au regard de ce que j’ai dit, nous inquiète un peu. En vous écoutant, je n’ai pas retrouvé la distinction très marquée entre le caractère familial de cette prestation et le caractère social que d’autres revêtent. Je crains que cela ne prépare en réalité une réduction du champ des allocations familiales en direction des familles les plus vulnérables, ce qui serait une nouvelle rupture avec les principes qui guident notre système depuis leur définition par le Conseil national de la résistance.
La feuille de mission confiée au Haut Conseil de la famille ainsi qu’au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie nous inquiète tout autant. Ce débat a, me semble-t-il, engendré plus de confusion sur la nature des allocations familiales qu’il n’a apporté d’éclaircissements. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi relève, à nos yeux, du simple bon sens, raison pour laquelle elle est ici relativement consensuelle.
Je rappelle que si nous examinons aujourd’hui le texte de M. Christophe Béchu, Mme Catherine Deroche et plusieurs de leurs collègues de l’opposition, une proposition de loi pratiquement identique avait été présentée par nos collègues du groupe socialiste.
Comme cela a été rappelé, ce texte a un double objet. Il vise, d’une part, à rétablir la règle du versement des allocations familiales à l’aide sociale à l’enfance lorsque l’enfant est confié à ce service et, d’autre part, à étendre cette règle à l’allocation de rentrée scolaire.
Pourquoi « rétablir » la règle concernant les allocations familiales ? Tout simplement parce que cette règle existe mais qu’elle a été dévoyée.
Aujourd’hui, l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est très clair : la part des allocations familiales dues à la famille pour un enfant confié au service d’aide sociale à l’enfance est versée à ce service. Cependant, le même article réserve la possibilité pour le juge de décider de maintenir le versement des allocations à la famille.
Notre rapporteur, Catherine Deroche, dont je salue au passage l’excellence du travail, l’a très bien expliqué. En pratique, l’exception est devenue la règle. La jurisprudence l’a voulu ainsi : dans la majorité des cas, la famille continue de percevoir l’intégralité des allocations.
Pourquoi étendre la règle à l’allocation de rentrée scolaire ? Tout simplement parce que, aujourd’hui, quelle que soit la situation de l’enfant, les parents continuent à toucher cette allocation.
Ce double état de fait nous place face à un double enjeu.
Le premier est évidemment éthique.
Il n’est pas éthique que les allocations familiales ne bénéficient pas à celui qui assume la charge effective de l’enfant, en l’occurrence l’ASE.
Il n’est pas éthique qu’une famille qui assume pleinement ses enfants soit placée sur un pied d’égalité avec une autre dont un ou plusieurs enfants sont placés par l’ASE en famille d’accueil ou en établissement.
Il n’est pas éthique que la jurisprudence contrevienne à l’esprit de la loi.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Gérard Roche. Il n’est pas éthique que l’allocation de rentrée scolaire continue d’être versée à la famille, alors même que c’est le département qui supporte la totalité des dépenses de scolarisation de l’enfant.
Madame la ministre, je vous ai écoutée avec attention. Vous êtes ministre, je ne suis qu’un simple sénateur et modeste président de conseil général d’un petit département. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.)
Mme Nathalie Goulet. Vive le cumul des mandats ! (Sourires.)
M. Gérard Roche. Je vais néanmoins me permettre, fort d’une expérience de quarante années en tant que médecin auprès de familles souvent les plus déshéritées et dans un service social du département de la Haute-Loire, de vous faire une remarque et même de vous donner un petit conseil.
Lorsque l’application d’un dispositif social est vécue par certains de nos concitoyens comme une injustice, nous donnons des arguments à ceux qui veulent détruire ce dispositif alors qu’ici, vous-même et nous tous, nous voulons non seulement le préserver mais aussi l’améliorer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
Le second enjeu est bien sûr financier. Un peu de pragmatisme ne fait pas de mal, il faut le dire et l’assumer. Ne faisons pas des finances du département un tabou, surtout à l’heure où elles sont en position si critique.
Mes chers collègues, vous savez déjà à quel point cette question me tient à cœur, à moi comme à d’autres présidents de conseil général présents dans cette enceinte, et je pense notamment à Christophe Béchu qui est à l’initiative de ce débat. Cependant, je vous épargnerai de plus longs développements généraux pour me concentrer sur l’aide sociale à l’enfance.
Le bilan de la décentralisation de l’aide sociale à l’enfance intervenue en 1989 est largement favorable à l’action confiée aux départements. Contrairement aux craintes alors exprimées – peut-être certains s’en souviennent-ils ; vu mon âge,…
M. Bruno Sido. Allons ! Allons ! (Sourires.)
M. Gérard Roche. … c’est mon cas puisque j’étais déjà élu local à cette époque –, le transfert de cette compétence ne s’est pas traduit par un désengagement des pouvoirs publics au niveau local, bien au contraire. Alors que, en 1984, l’État consacrait 2,3 milliards d’euros à la protection de l’enfance, les départements y consacrent aujourd’hui 6,4 milliards d’euros. La dépense d’aide sociale à l’enfance a donc plus que doublé en trente ans. C’est le troisième poste budgétaire d’aide sociale après l’insertion et la prise en charge des personnes âgées.
En 2011, 300 000 enfants en ont bénéficié. La très grande majorité des enfants placés en dehors du milieu familial ont été confiés à l’ASE. Au sein de ce poste, les allocations familiales que continuent de percevoir les familles des enfants placés et l’allocation de rentrée scolaire qui leur est toujours versée représentent, il faut le dire, une somme non négligeable.
Tantôt, notre collègue René-Paul Savary nous a fait part des chiffres de son département de la Marne. Pour ma part, je citerai ceux du département que je préside, la Haute-Loire. Les allocations familiales que l’ASE pourrait percevoir et ne perçoit pas représentent un manque à gagner de 423 000 euros.
M. Bruno Sido. Eh ben !
M. Gérard Roche. Quant au manque à gagner de l’allocation de rentrée scolaire, il s’élève à un peu plus de 154 000 euros.
Additionnés, ces chiffres donnent 577 000 euros, soit 3,6 % du budget consacré à l’hébergement dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance du conseil général de la Haute-Loire. Cela ne représente peut-être pas une somme énorme, mais le chiffre est tout de même relativement éloquent.
La proposition de loi telle qu’elle ressort des travaux de notre commission répond parfaitement à ce double enjeu éthique et financier.
L’article 1er permet au juge de sortir du « tout ou rien », mais, dans le même temps, il lui fixe des limites en matière d’allocations familiales. Ainsi, il pourra partager la part des allocations correspondant à l’enfant placé entre l’ASE et la famille. Qu’il ne puisse pas dépasser un ratio de 35 % desdites allocations au profit des parents nous paraît équitable.
L’article 2 fixe le principe du versement à l’ASE de l’allocation de rentrée scolaire sans partage possible, ce qui nous semble parfaitement rationnel dans la mesure où cette allocation vise un objectif précis, qui est, en l’occurrence, assumé par l’ASE.
En commission, nous avons pourtant entendu des voix s’élever contre ce texte.
Selon le premier argument avancé, celui-ci ne constituerait pas le Grand Soir de l’aide sociale à l’enfance. C’est exact ! Il est cependant tout aussi vrai qu’une réforme d’envergure en la matière se fait attendre. Pour autant, comme l’a bien dit Christophe Béchu, ce n’est pas une raison pour ne rien faire en attendant.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Gérard Roche. Comme nous avons eu raison d’améliorer les procédures d’information interdépartementales avec la loi du 5 mars 2012, nous aurons raison d’adopter le présent texte.
Second argument : la proposition de loi instituerait une double peine, et le dispositif serait trop brutal. On peut s’inscrire totalement en faux contre cette idée, tout simplement parce que ce n’est pas ainsi que les choses se passent sur le terrain.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Gérard Roche. L’enfant est placé au cœur du système dans un dialogue entre services départementaux et judiciaires au sein de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance.
Il ne faut pas oublier que, sur le terrain, les services et travailleurs sociaux, auxquels je rends un hommage appuyé, effectuent un travail remarquable de suivi des familles et des enfants. Pour cette raison, il faut leur faire confiance pour que ce texte soit bien appliqué, c’est-à-dire sans couperet, de manière graduelle, progressive, sans dramatiser les situations. Ce matin encore, un amendement a été voté en commission qui va tout à fait dans ce sens.
En un mot, faisons confiance aux départements et aux travailleurs sociaux pour continuer de mettre en œuvre nos politiques avec humanité !
Vous l’aurez compris, le groupe UDI-UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour un enfant, la famille constitue le premier des repères, le lieu privilégié où il peut s’épanouir et se construire. Pourtant, il arrive que des parents, à la dérive, en pleine détresse sociale et psychologique, ne puissent plus faire face. Les pouvoirs publics ont alors le devoir de prendre le relais, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Lorsque des difficultés surgissent, l’aide sociale à l’enfance, placée sous l’autorité du président du conseil général, apporte un soutien matériel et éducatif aux parents et protège les enfants, parfois en les plaçant en établissement ou dans des familles d’accueil, parce que leur sécurité, leur santé, leur moralité ne sont plus préservées. Cela vient d’être dit, même lorsque cette fracture intervient, les parents ne sont pas seuls. Ils sont accompagnés, et la séparation n’a pas lieu brutalement.
En 2011, près de 300 000 enfants ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ; parmi eux, 148 500 ont été placés. C’est l’équivalent d’une ville comme Angers ! En réalité, nous ignorons combien d’enfants sont maltraités et combien ne sont pas repérés. Dans le jargon des spécialistes, on appelle cela le « chiffre noir ».
Lorsqu’un enfant est retiré de son milieu familial, le service d’aide à l’enfance à qui il est confié doit assumer l’ensemble des responsabilités et des frais liés à l’exercice de la parentalité. Il doit pourvoir aux besoins du mineur et prendre en charge les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite.
L’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale prévoit dans ce cas le versement des allocations familiales aux services d’aide sociale à l’enfance. Toutefois, le juge peut décider de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer.
Ce principe du versement des allocations familiales au service d’aide à l’enfance résulte d’une loi du 6 janvier 1986. À l’époque, le législateur avait choisi de porter au bénéfice de la collectivité une allocation qui correspondait pour partie à la charge qu’elle supporte. Ce n’est qu’en 2006 qu’a été laissée au juge la possibilité de maintenir le versement des allocations familiales à la famille.
Même si nous ne disposons pas de statistiques nationales à ce sujet, nous savons bien que, dans la pratique, l’exception est devenue la règle. Mme la rapporteur l’a rappelé, dans la très grande majorité des cas, les parents dont l’enfant est confié au service d’aide à l’enfance continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales.
Cette situation, cela a été longuement développé, soulève un problème de justice sociale et d’équité entre les familles. Les allocations familiales doivent servir à subvenir aux besoins de l’enfant. Il est donc légitime qu’elles puissent bénéficier à ceux qui en assument réellement la charge, en l’occurrence au service d’aide sociale à l’enfance lorsqu’un enfant lui est confié. Du point de vue de l’équité, les parents qui perçoivent des allocations familiales ne peuvent pas comprendre que d’autres continuent à en bénéficier alors même qu’ils n’assument plus la charge de leurs enfants.
Aussi la proposition de loi de nos collègues du groupe UMP tend-elle à revenir à la volonté initiale du législateur de 1986, afin que les allocations familiales bénéficient à ceux qui assurent effectivement l’entretien des enfants. Madame la ministre, c’est simplement une mesure de bon sens !
Je me félicite des améliorations apportées par la commission. Il est en effet souhaitable que le juge puisse continuer à se saisir d’office. Mme la rapporteur l’a très bien expliqué, les allocations familiales constituent un outil indispensable au travail de pédagogie que le juge mène avec les parents. Il ne faut pas y voir une sanction, mais bien le moyen de responsabiliser les familles.
Certaines associations s’inquiètent des effets de cette mesure et craignent qu’elle ne mette en péril le retour de l’enfant dans sa famille. Franchement, je ne le pense pas ! Une telle réaction relève plus de l’idéologie que de la connaissance des réalités du terrain. Le juge pourra tout à fait maintenir le versement d’une partie des allocations à la famille afin de permettre, dès que cela est possible, le retour de l’enfant au sein de la cellule familiale ou, du moins, de maintenir les liens entre l’enfant et ses parents.
Les travailleurs sociaux le savent bien : il n’y a rien de pire que de se sentir abandonné par ceux qui vous ont donné la vie. Plusieurs présidents de conseil général l’ont dit et tous ceux qui s’occupent de près ou de loin du secteur social le savent : les familles, comme les enfants, même placés, ne sont pas abandonnées.
S’agissant de l’allocation de rentrée scolaire, disons-le clairement, aucune raison ne justifie que des parents puissent la percevoir dès lors que les départements supportent la totalité des dépenses liées à la scolarisation des enfants qui leur sont confiés. C’est pourtant actuellement le cas. Aussi, je me réjouis qu’il nous soit proposé de mettre fin à cette incohérence.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. Madame la ministre, je vous ai écoutée avec une grande attention. Je n’ai certes pas présidé de conseil général, mais j’ai été pendant de nombreuses années vice-président de la commission des affaires sociales de mon département. Il ne faut pas faire de confusion, ce qui est stigmatisant, c'est non pas le retrait des allocations familiales, mais bien celui de l’enfant de sa famille.
Mme Isabelle Debré. C’est une évidence !
M. Christophe Béchu. Eh oui !
M. Jean-Pierre Plancade. Quand on laisse au juge la possibilité de rétablir les allocations familiales, on donne au service de l’aide sociale à l’enfance et au juge la possibilité de faire un acte pédagogique, de préparer peu à peu le retour de l’enfant et de responsabiliser davantage les parents. Il n’y a rien dans ce dispositif qui aille contre l’humain.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur Daudigny, vous qui êtes l’auteur d’une proposition de loi à peu près identique à celle dont nous discutons aujourd’hui, je tiens à vous féliciter d’avoir dit « j’ose ».
Quand on a vu ce qui se passe sur le terrain et toutes les sommes que l’on verse, on se rend bien compte que, en laissant les choses en l’état, on risque de faire le jeu de ceux qui cherchent à détruire ce système. Voilà pourquoi le RDSE après en avoir longuement débattu, à deux reprises – je peux vous assurer que nous n’avons pas été influencés par le « lobby » des présidents de conseil général, car ce n’est pas cette mesure qui réglera leurs problèmes budgétaires ! –,…
M. Bruno Sido. C'est vrai !
M. Christophe Béchu. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Plancade. … a décidé, à l’unanimité, de voter des deux mains la proposition de loi. Nous le ferons en toute sérénité, sans état d’âme et avec une forte conviction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Madame la ministre, il n’y a pas, d’un côté de l’hémicycle, des sénateurs bons et généreux et, de l’autre, des sénateurs qui porteraient atteinte aux droits des enfants. Votre intervention n’était pas très élégante. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Cela étant, je tiens à féliciter les auteurs de la proposition de loi, Christophe Béchu et Catherine Deroche, qui en ont fait une excellente présentation, et à saluer MM. Daudigny, Roche et Plancade, qui ont soutenu ce texte.
J’apporterai mon total soutien et celui du groupe UMP à cette proposition de loi, dont l’objet est aussi de permettre aux conseils généraux de percevoir le montant des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire dès lors qu’ils assurent la prise en charge d’un enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance.
Cela a été rappelé, la compétence des conseils généraux en matière de protection de l’enfance a été renforcée depuis la loi du 5 mars 2007. Avant cette loi, il existait deux principaux leviers d’action : l’intervention au domicile des familles et la prise en charge de l’enfant en placement. Depuis la loi de 2007, la palette des prestations a été enrichie.
En France, le schéma de la protection de l’enfance permet d’intervenir auprès d’enfants et de familles qui peuvent connaître à tout moment certaines difficultés. Ce n’est pas seulement dans les familles vulnérables, à revenus modestes, que l’on trouve des parents maltraitants, mais également dans les familles aisées.
Permettez-moi de rappeler les principales missions de l’aide sociale à l’enfance.
Premièrement, l’ASE permet d’aider les enfants dont les familles sont en difficulté, en particulier lorsque cela perturbe leur éducation. Cette aide peut se manifester par un soutien de différentes natures : matériel, éducatif et psychologique.
Deuxièmement, elle sert à protéger les enfants de milieux défavorisés par l’organisation d’actions collectives comme des sorties afin de faciliter leur insertion sociale.
Troisièmement, elle organise la prise en charge intégrale de certains enfants lorsque cela est nécessaire, en les plaçant dans un établissement ou une famille d’accueil.
Cela a été rappelé, en 2011, 300 000 jeunes faisaient l’objet d’au moins une mesure de l’ASE. Les dépenses annuelles au titre de l’ASE représentent le troisième poste budgétaire de la politique sociale des départements.
Les détracteurs de ce texte mettent en avant son caractère injuste. Mais où est l’injustice lorsqu’une famille n’ayant plus ses enfants à charge continue à percevoir des allocations alors qu’une famille modeste élève ses enfants, comme elle peut, avec le même niveau de prestations ?
Par ailleurs, il n’est pas juste de parler de mesure confiscatoire s’agissant d’un texte qui, pour reprendre les termes de l’article 1er, maintient à hauteur de 35 % les allocations à la famille. Or, je le rappelle, cette famille n’a plus ses enfants à charge et n’a donc plus à faire face à certaines dépenses, comme la nourriture ou l’habillement.
En outre, comme cela a déjà été souligné lors de l’examen du texte par la commission des affaires sociales, les travailleurs sociaux, dont je tiens à mon tour à saluer le dévouement, seront soutenus dans leur action par cette mesure. En effet, le maintien systématique des allocations leur enlève un argument de pédagogie auprès des familles qu’il leur faut convaincre de changer d’attitude.
L’article 2 de la proposition de loi, qui prévoit le versement de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide sociale à l’enfance auquel l’enfant est confié, est lui aussi une vraie mesure de bon sens.
En 2012, cette allocation bénéficiait à près de 5 millions d’enfants. Destinée à couvrir les dépenses liées à l’achat d’un cartable ou de fournitures, elle est versée par la caisse d’allocations familiales, la CAF, sous conditions de ressources, aux familles à revenus modestes dont les enfants scolarisés ont entre six et dix-huit ans. Pour les jeunes âgés de seize à dix-huit ans, elle est versée sur justificatifs de scolarité ou d’apprentissage.
D’après la Caisse nationale des allocations familiales, en 2011, l’allocation de rentrée scolaire a bénéficié à 2,8 millions foyers, pour un coût de 1,49 milliard euros. L’an dernier, son montant s’est élevé à 300 euros en moyenne et elle a été versée aux parents de 4,8 millions d’enfants.
En l’état d’actuel du droit, cette allocation, destinée uniquement à couvrir les frais de rentrée scolaire à la famille, continue d’être entièrement versée à celle-ci, alors même que le département supporte la totalité des dépenses liées à la rentrée scolaire. Comment justifier une telle situation quand l’enfant n’habite plus chez lui et est pris en charge par les services de l’ASE ?
Les représentants des juges ont approuvé le principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire à l’ASE en cas de placement, au motif que cette prestation « vise un objectif précis : le financement des fournitures scolaires lors de la rentrée des classes ». Dans la mesure où cette allocation ne constitue pas un moyen de négociation avec les parents, l’intervention des juges ne se justifie plus.
Mes chers collègues, en votant la proposition de loi, l’occasion nous est donnée d’instaurer la justice et l’équité entre les familles, sans toucher bien évidemment aux droits de l’enfant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet après-midi est soumise à notre sagacité la proposition de loi de nos collègues Christophe Béchu et Catherine Deroche, qui reprend deux amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 importants pour la protection de l’enfance. Tout le monde sait le sort qui avait été réservé à ces amendements lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale…
Aujourd’hui, le poids budgétaire de l’aide sociale à l’enfance au regard des compétences sociales qu’exercent les départements rend l’examen de cette proposition de loi urgent.
Le texte établit le principe du versement des allocations familiales à la personne – physique ou morale – qui assume la charge effective de l’enfant, et donc à l’ASE lorsqu’il s’agit du conseil général.
Cette proposition de loi est légitime.
En effet, elle fait nettement ressortir le consensus dégagé au sein de l’Assemblée des départements de France par notre collègue Christophe Béchu et longtemps ignoré du Gouvernement : d’une part, elle répond à l’attente de solutions pérennes et durables quant au financement des allocations nationales de solidarité ; d’autre part, elle tire toutes les conséquences de la compétence des conseils généraux en matière de protection de l’enfance.
L’aide sociale à l’enfance assure des missions de prévention auprès des mineurs et de leur famille, pourvoit aux besoins des mineurs qui lui sont confiés et organise une prévention des « situations de danger » à l’égard des mineurs. Cette compétence très importante des conseils généraux représente le troisième poste des dépenses d’aide sociale.
À l’heure de l’acte III de la décentralisation, alors que le Gouvernement propose une clarification des rôles, il est plus que temps de renforcer la cohérence de l’organisation de l’aide sociale à l’enfance. Les présidents de conseil général demandent à l’unanimité que soit clarifiée la question du bénéficiaire des allocations familiales. Une gestion plus cohérente des fonds s’impose et, sauf exception, rien ne justifie que l’on maintienne le versement des allocations aux familles d’enfants placés.
De fait, les enfants accueillis et éduqués dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance ne sont pas à la charge financière de leurs parents. Dès lors, les sommes que la collectivité publique verse aux familles pour assurer l’éducation de leurs enfants doivent logiquement être attribuées au conseil général quand c’est le département qui les élève.
Je pense ici aux allocations familiales comme à l’allocation de rentrée scolaire. Il serait logique que l’essentiel de cette seconde allocation revienne au conseil général dans l’hypothèse où l’enfant lui est confié. Par exemple, en Haute-Marne, pour 374 enfants placés auprès d’assistantes familiales, 115 913 euros sont attribués aux familles au titre de l’allocation de rentrée scolaire.
Madame la ministre, permettez-moi de revenir sur les propos très pertinents que Christophe Béchu a tenus : lorsque ce texte a été évoqué à l’occasion de la réception de l’Assemblée des départements de France à l’Élysée, le 22 octobre 2012, tous les présidents de conseil général qui étaient présents ont trouvé le Président de la République très ouvert sur la question. D’ailleurs, sur un autre problème, que j’amènerai plus tard sur le tapis, le Président de la République a déclaré que la loi est ce qu’elle mais qu’elle doit être respectée.
Dans ces conditions, je m’étonne de la force du clivage entre la position du Président de la République – certes non consignée dans ses soixante propositions – et le message que le Gouvernement vient de nous délivrer par votre voix.
Si cette proposition de loi est légitime, elle constitue également un progrès.
Pour mémoire, rappelons que les allocations familiales sont versées soit à la famille, soit au département, selon la décision du juge pour enfants.
En Haute-Marne, 478 mineurs avaient été confiés par ce magistrat à l’aide sociale à l’enfance en janvier 2013 – vous le voyez, les chiffres sont très récents. Or, dans 77 % des cas, c’est le conseil général qui perçoit les allocations familiales… Mais peut-être s’agit-il d’une exception qui confirme la règle !
Chers collègues du groupe communiste, républicain et citoyen, vous entrevoyez bien la conclusion que je vais en tirer : dans cette affaire, tout dépend du juge, et non de la situation des familles des enfants placés. C’est peut-être aussi cela qu’il faudrait encadrer.
La proposition de loi clarifie cette dimension de la question en instaurant le principe du versement au département, le magistrat ne pouvant procéder à un autre choix que si le président du conseil général le saisit d’une demande de versement total ou partiel à la famille, après rapport de l’ASE. La logique est donc complètement inversée, ce que je trouve tout à fait pertinent. Au demeurant, la pratique des juges, du moins en Haute-Marne, va déjà dans le sens de ce que préconisent les auteurs de la proposition de loi. Cette évolution reconnaît pleinement le conseil général comme le chef de file de la protection de l’enfance.
Cette initiative parlementaire a pour seule ambition de renforcer la cohérence d’ensemble de l’aide sociale à l’enfance. Elle ne vise personne ; elle ne réduit en rien les moyens consacrés à l’éducation des enfants confiés à la puissance publique. Soyez assurée, madame la ministre, que, en ma qualité de président de conseil général, je porte un soin tout particulier à ce que tous les enfants confiés à la collectivité bénéficient des meilleures conditions d’existence possibles.
Pour conclure, je veux saluer l’excellent travail réalisé par notre collègue Christophe Béchu, avec l’appui de Mme le rapporteur. Ce n’est pas la première fois que le sujet est abordé dans cet hémicycle : il y a quelques années, avec d’autres collègues, nous avions déposé un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale dont l’objet était identique. À l’époque, ce n’était pas le parti socialiste qui était au pouvoir. Pourtant, madame la ministre, la ministre qui était présente au banc nous avait alors joué exactement la même petite musique que vous !
M. Christophe Béchu. Exactement !
M. Bruno Sido. J’en conclus, à regret, que, si le ministre chargé de ces questions change régulièrement de titre, son entourage – administration ou cabinet – est toujours le même et que la pression qui pèse sur lui est telle qu’il tient finalement toujours le même discours. Ce n’est pas normal et, de mon point de vue, ce n’est pas ainsi que l’on fait de la politique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Catherine Troendle. Très bien !
M. André Reichardt. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, protéger les enfants rencontrant des difficultés éducatives ou exposés à des violences et les accompagner jusqu’à leur vie d’adulte responsable relève d’un exercice particulièrement complexe et représente, à mes yeux, la plus lourde des responsabilités confiées à nos collectivités.
Mme Catherine Troendle. Ça, c’est vrai !
Mme Michelle Meunier. Aussi, avec l’expérience qui est la mienne, je souhaite vous faire part des doutes qui m’animent face à cette proposition de loi déposée par notre collègue Christophe Béchu….
Mmes Catherine Procaccia et Catherine Troendle. Et par Mme Deroche !
Mme Michelle Meunier. … et par notre collègue Catherine Deroche.
Je m’interroge sur la méthode qui consiste à revoir trop souvent et par à-coups des points relatifs à la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, au risque de perdre le sens global du texte, notamment en ce qui concerne l’accompagnement éducatif. Ainsi, l’année dernière, nous avons revu les règles de transmission entre conseils généraux des informations préoccupantes lorsqu’une famille relevant de l’ASE déménage en dehors du département où elle résidait jusque-là.
Aujourd’hui, vous proposez de redéfinir les règles d’attribution des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire, afin que ces dernières soient délivrées à l’organisme qui assume les charges effectives de l’enfant. Or, comme cela a été dit, cette mesure est déjà intégrée à la loi du 5 mars 2007, qui laissait au juge le soin de modifier ou non l’attribution des prestations familiales.
Plutôt que d’apporter des retouches à la loi, il me paraîtrait plus pertinent d’engager une évaluation globale de sa mise en œuvre, six ans après son adoption. En effet, tout se tient et changer un élément peut modifier notablement l’équilibre général du texte.
Consensuelle, la loi réformant la protection de l’enfance a reçu un bon accueil de la part des professionnels comme des élus concernés. Il nous faut maintenant regarder de plus près les modalités de son application, les bonnes pratiques développées ici et là et, bien évidemment, les insuffisances nécessitant des ajustements.
Chers collègues, vous justifiez cette proposition de loi par le fait que les juges ne modifient que rarement l’attribution des allocations familiales, qui restent très majoritairement versées aux parents, et vous souhaitez en systématiser la rétrocession en faveur du département, qui assure la prise en charge effective de l’enfant. Or, dans mon département de la Loire-Atlantique, sur les 2 000 enfants ayant fait l’objet d’une mesure de placement en 2011, le conseil général a perçu les allocations familiales pour 461 enfants, soit 23 % d’entre eux. Ce n’est pas rien ! Mais, je vous l’accorde, madame la rapporteur, la Loire-Atlantique constitue peut-être une exception à la règle.
Je m’interroge également sur les objectifs poursuivis par les auteurs de la proposition de loi.
À mon sens, leur dessein – à peine masqué – est de verser des recettes supplémentaires aux conseils généraux.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas un crime !
Mme Michelle Meunier. Je reviendrai sur ce point.
Ce qui me gêne, c’est que l’on entretient une fois de plus l’idée qu’il y aurait des abus de la part de certaines familles, qui profiteraient de cet argent pour s’acheter bien autre chose que ce qui est nécessaire pour pourvoir aux soins d’un enfant. (Mme Catherine Procaccia s’exclame.)
Il y a quelques mois, notre assemblée a supprimé la menace coercitive que représentait le retrait des prestations familiales en cas d’absentéisme scolaire.
Mme Françoise Férat. Suppression regrettable !
Mme Michelle Meunier. La proposition de loi présentée aujourd’hui me semble être de la même veine. Elle entretient la suspicion à l’égard des familles précaires et pauvres, qui, ne l’oublions pas, constituent la plus grande part des familles dont les enfants sont placés.
Cela a été dit, la protection de l’enfance recouvre des réalités diverses et très complexes. Elle nécessite une approche individualisée, une approche sur mesure, chaque situation étant particulière et évolutive. Le travail des professionnels de la justice et des services sociaux est trop souvent méconnu, et les difficultés des familles sont ignorées. Alors méfions-nous des caricatures !
Sauf maltraitance grave, abus sexuel ou délaissement caractérisé, un placement intervient souvent après l’échec des mesures d'accompagnement à domicile, particulièrement encouragées par la loi de 2007. Dans la plupart des cas, les placements sont alors vécus douloureusement par les familles.
C’est ainsi que les familles concernées sont souvent connues des services sociaux.
M. Bruno Sido. Pas toujours !
Mme Michelle Meunier. Lors d'une demande de placement judiciaire, le juge dispose donc de rapports de professionnels lui permettant d'étayer ses décisions.
Je ne suis pas surprise que, en Loire-Atlantique, plus des trois quarts des placements d’enfants ne donnent pas lieu à un versement de prestations sociales au département. En effet, les difficultés de ces familles sont importantes et la crise économique est encore plus sévère à leur égard. Il n'est d'ailleurs pas rare que, malgré une décision judiciaire de participation financière des familles, le conseil général doive procéder à une remise gracieuse de dette tant leur situation financière s'est dégradée.
Le maintien de ces prestations se justifie bien souvent par des retours temporaires – plus ou moins réguliers – des enfants dans leurs familles. En effet, nous le savons, rares sont les enfants dont les liens avec leurs familles sont totalement inexistants.
J'ajouterai que la période me paraît particulièrement défavorable pour s'engager dans une voie qui ne manquera pas d'être interprétée comme une envie de punir les familles les plus vulnérables.
M. André Reichardt. Mais non !
Mme Michelle Meunier. Par ailleurs, à la demande de la ministre de la famille ici présente, un autre espace de dialogue est actuellement ouvert sur des questions plus générales posées dans le cadre de la réforme des prestations familiales. C’est ainsi que je vous propose de laisser le Haut Conseil de la famille élaborer ses propositions et d'y intégrer la question des familles ayant des enfants placés. (Exclamations sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. Alain Bertrand. Assez de ces conseils !
M. Bruno Sido. À quoi sert le Parlement ? Quel déni de démocratie !
Mme Michelle Meunier. Enfin, je m'interroge sur l'intérêt d'une telle proposition de loi au regard des sommes en jeu pour les départements.
J'en reviens ainsi à l’exemple de mon département, qui se situe dans une moyenne haute en termes de nombre de placements. Actuellement, au titre des 2 000 enfants placés en 2011, la participation des parents au placement des enfants s'élève à 133 710 euros et le versement des allocations familiales représente 423 778 euros, soit 0,4 % des dépenses liées au placement.
Si l’on procède à un calcul de ce que représenterait en moyenne le versement des prestations familiales au conseil général de Loire-Atlantique, on obtient 2 % du budget total. À l’évidence, ce n’est pas un argument financier qui peut nous convaincre.
Mes chers collègues, vous venez d’entendre mes doutes et, au-delà, mon désaccord avec cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’ai entendu évoquer le bon sens et l’éthique. À cet égard, permettez-moi de citer le dalaï-lama.
M. Bruno Sido. Voilà autre chose…
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Eh oui, je pense aussi par moi-même et je n’ai pas besoin d’un entourage, monsieur Sido !
Le fait que nos actes puissent paraître bons ne garantit pas qu’ils soient éthiques, dit le dalaï-lama.
M. Jean-Pierre Raffarin. La laïcité !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Disons-le clairement : je ne suis pas sûre que nous ne soyons pas ici en présence d’une loi de confort.
M. Bruno Sido. Oh là là !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pour appuyer mon propos, je vais vous citer quelques chiffres : selon la CNAF, à la fin de l’année 2011, sur 78 500 enfants concernés, 43 % des allocations familiales étaient versées aux services de l’ASE – pourtant, des liens affectifs étaient maintenus avec la famille pour 80 % des enfants – et 57 % à la famille sur décision du juge.
M. Bruno Sido. Et alors ?
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. À ce titre, les sommes versées chaque année aux départements ont été approximativement estimées à 2,6 millions d'euros.
Pour combien d’euros faites-vous cette loi ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Ce n’est pas pour l’argent !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pour répondre à certaines voix que j’ai entendues, sachez que j’ai été maire d’arrondissement plus de onze ans et que j’ai exercé un mandat de conseillère générale.
Mme Catherine Procaccia. Conseillère générale à Paris, ce n’est pas la même chose que sur le terrain !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Parce que vous pensez qu’on n’est pas une élue de terrain à Paris ? Je ne vous permets pas de me faire ce type de remarque ! Je suis appelée aujourd’hui à exercer des fonctions ministérielles et j’ai refusé de cumuler.
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Respectez le parcours de chacun, ce que je suis et ce que je vous dis. Tout n’est pas autorisé !
Une loi ne vaut que si elle concerne l’intérêt général. Il y a suffisamment de textes législatifs qui permettent d’effectuer des contrôles et d’affecter ou non les allocations familiales aux familles ou aux départements.
Chaque placement est un cas particulier. Tous les enfants d’une même famille ne sont pas systématiquement placés d’emblée. On doit faire du « sur mesure ». Or vous voulez une loi qui généralise une solution.
M. Bruno Sido. Pas du tout !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Le remède que vous proposez est pire que le mal. Vous adressez ainsi un signal très néfaste à des familles qui sont déjà en situation difficile et qui sont stigmatisées.
Vous qui défendez aujourd'hui l’allocation de rentrée scolaire avec tant d’ardeur, que n’avons-nous entendu sur vos travées lorsque son montant a été réévalué.
M. André Reichardt. Ce n’est pas le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si, cela relève du même état d’esprit : la revalorisation allait être affectée non pas au bien-être de l’enfant, mais à la consommation d’écrans plats, de jeux vidéo, etc.
M. Christophe Béchu. C’est invraisemblable : ce n’est pas le sujet !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’insiste donc sur le signal que vous être en train d’envoyer à des familles dont la précarité implique certaines difficultés. Je veux bien entendre qu’il existe des cas de maltraitance dans des familles aisées, mais, si l’on regarde les chiffres de l’ASE, on voit bien que c’est dans les milieux les plus défavorisés que les placements sont les plus fréquents. Pourquoi stigmatiser davantage ces familles ?
M. André Reichardt. Ce n’est pas possible d’entendre ça !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pensez-vous que c’est ainsi que vous les aiderez ? Sans oublier que le gain financier sera dérisoire. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.
Article 1er
Le quatrième alinéa de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° La dernière phrase est ainsi modifiée :
a) (Supprimé)
b) Après les mots : « président du conseil général », sont insérés les mots : « au vu d’un rapport établi par le service d’aide sociale à l’enfance, » ;
c) Après le mot : « maintenir », est inséré le mot : « partiellement » ;
2° (nouveau) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :
« Le montant de ce versement ne peut excéder 35 % de la part des allocations familiales dues pour cet enfant. »
M. le président. L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Daudigny, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Avant les mots :
Le montant
insérer les mots :
à compter du quatrième mois suivant la décision du juge,
La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Cet amendement vise à instaurer une période d’observation de trois mois afin de répondre à deux objectifs : d’une part, éviter la concomitance entre le choc du retrait de l’enfant et ses conséquences financières et, d’autre part, permettre au juge, dans un certain nombre de cas susceptibles de déboucher sur un retour rapide de l’enfant dans la famille, d’attribuer à cette dernière pendant trois mois une part des allocations familiales comprise entre 1 % et 99 % de leur montant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, rapporteur. La commission a émis un avis favorable à l’unanimité. En effet, cet amendement permet de ménager entre les deux décisions un laps de temps que l’on pourrait qualifier de « zone tampon ».
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme Catherine Deroche, rapporteur. En revanche, en cas de maltraitance ou d’absence de dialogue avec la famille, le juge garde la possibilité de ne pas autoriser le versement des allocations familiales. La période d’observation de trois mois ne sera donc pas applicable en pareil cas.
Par ailleurs, je viens de vous entendre, madame la ministre, donner des chiffres assez précis. J’aurais aimé en disposer lorsque nous avons procédé à nos auditions, d’autant que nous en avions formulé, à plusieurs reprises, la demande auprès de votre service, demande toujours demeurée sans réponse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Bruno Sido. Ce n’est pas normal !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Sido. Pourquoi ?
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.
M. Christophe Béchu. Tout n’est pas autorisé, venez-vous de dire, madame la ministre.
M. Bruno Sido. Elle a raison !
M. Christophe Béchu. Or je ne comprends pas la violence et l’agressivité avec lesquelles vous m’avez répondu. Dans un débat où vous-même estimez qu’il faut se garder de stigmatiser qui que ce soit, pourquoi pensez-vous que tous ceux qui ont cet après-midi une opinion différente de la vôtre ont une volonté de stigmatisation ? Je ne peux pas croire que vous pensiez que la majorité du groupe socialiste soit dans cette optique – quelque idée que vous vous fassiez du groupe UMP.
La connaissance du terrain, des situations délicates et compliquées n’est ici le monopole de personne.
Mme Catherine Troendle. Absolument !
M. Christophe Béchu. Dans les responsabilités qui sont les miennes, avec des choix de vie différents des vôtres à beaucoup d’égards, je n’accepte pas que l’on mette en cause la sincérité d’un combat aux côtés des plus fragiles.
J’ai eu la souffrance de découvrir la protection de l’enfance par son versant le moins reluisant. Il y a presque dix ans, dans mon département, dans le cadre d’un procès pour pédophilie hors norme, soixante-six adultes ont été poursuivis pour des faits abjects dont quarante-quatre enfants – dont le plus jeune avait six mois au moment des faits – ont été les victimes.
M. Bruno Sido. Quelle honte !
M. Christophe Béchu. Cette première découverte d’une réalité compliquée, qui n’appelle aucun commentaire sur ces travées, m’a conduit à découvrir et à approfondir un champ dans lequel, quelle que soit notre opinion politique, nous pouvons tous considérer que la réflexion publique manque cruellement.
Le handicap, avec l’attribution de la prestation de compensation du handicap, les maisons départementales des personnes handicapées, à travers les associations de défense et de soutien, on en parle ! Le vieillissement, on sait tous qu’on y passera et chacun s’y intéresse ! Pour le RSA aussi, des colloques ont lieu régulièrement et des associations travaillent sur la question de l’exclusion.
Mais l’aide sociale à l’enfance est l’oubliée des politiques sociales.
Mme Françoise Férat. C’est vrai.
M. Christophe Béchu. C’est l’oubliée en termes de pensée, de perspective et de débat. La conséquence en est que, lorsque l’on aborde un certain nombre de points, on a le sentiment que le simple fait d’en parler est stigmatisant. Or tel n’est pas le cas !
Vous avez cité des associations. Dans mon département, toutes les associations avec lesquelles je me suis entretenu, y compris l’antenne locale d’ATD Quart Monde, soutiennent le dispositif.
C’est en en restant à des généralités, en caricaturant les choses sans les expliquer, qu’on conduit à la stigmatisation. S’il n’y a pas de consensus républicain sur des questions de bon sens comme celle-ci, je crains que le bon sens ne devienne le pseudo-apanage de partis extrémistes, en particulier de celui dont on a vu la progression dans un département proche de la région parisienne le week-end dernier.
La justice sociale doit être un élément fondateur de nos politiques sociales avec la recherche d’un équilibre entre le bon sens et la nécessité de préserver les familles les plus fragiles. Tel est le sens de l’amendement de M. Daudigny, ce qui explique le soutien que nous lui apportons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
Mme Sylvie Goy-Chavent. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Nous sommes le législateur. Nous assumons les conséquences de choix que nous faisons au regard de préoccupations d’intérêt général. C’est pourquoi je voudrais exprimer un léger sentiment de gène par rapport à la prise de position des associations sur le sujet que nous abordons.
S’il est tout à fait légitime de manifester du respect aux associations dans leur diversité, je crains que la position du Gouvernement n’ait été inspirée, non pas – comme l’a dit l’un de nos collègues – par la continuité des cabinets ou de l’administration, mais simplement par la préoccupation de ne pas recevoir de critiques médiatiques de la part d’un groupe d’associations et d’une en particulier.
Les médias sont libres et les associations aussi. Toutefois, nous sommes quelques-uns à penser que le travail de législateur ne se résume pas à éviter les « pépins » médiatiques. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. Je comptais prendre la parole pour une explication de vote sur l’ensemble du texte, mais je saisis la perche que M. Richard m’a tendue.
Madame la ministre, vous avez dit respecter les parcours de chacun. Justement, je m’exprime ici en tant que législateur, mais également, monsieur Richard, en tant que responsable depuis plus de vingt ans dans une association de lutte contre la maltraitance des enfants.
Nous n’avons pas de leçons à recevoir, madame la ministre, et j’ai été extrêmement choquée par le ton avec lequel vous avez répondu à nos collègues. Vous nous avez stigmatisés ! Vous n’avez pas la même façon de penser que certains ici, mais nous devons tous nous respecter.
Plusieurs remarques me viennent à l’esprit.
Pourquoi le Président de la République posait-il un regard extrêmement bienveillant sur cette proposition de loi au mois d’octobre dernier : réagissait-il encore, à l’époque, comme un président de conseil général ? Que s’est-il passé depuis pour que le Président de la République change d’avis ? Vous connaissez peut-être la réponse, madame la ministre.
Par ailleurs, en tant que responsable associative depuis plus de vingt ans, je suis confrontée tous les jours à des situations de maltraitance. Ces dernières se produisent généralement dans les milieux les moins favorisés, vous avez raison de le souligner, encore que nous soyons amenés à connaître des situations terribles dans tous les milieux.
M. Bruno Sido. Absolument.
Mme Isabelle Debré. Et j’ai malheureusement pu constater partout que certains infligeaient à leurs enfants des traitements qu’un animal ne ferait pas subir à ses petits.
Vous me répondrez que nous stigmatisons, que nous pénalisons : non, madame la ministre ! Nous essayons au contraire d’accompagner, de responsabiliser. Jamais nous ne laissons, en France, des gens sur le bord du chemin.
Pour autant, vous avez raison, monsieur Richard, il se peut que certaines associations ne soient pas d’accord avec ce texte. J’ai interrogé les associations avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler et je n’ai pas recueilli de réactions négatives, bien au contraire. Il est tout à fait normal que l’allocation de rentrée scolaire soit perçue par la personne qui s’occupe de l’enfant, qui l’accompagne dans son parcours scolaire ; en aucun cas elle ne doit revenir à la famille qui ne s’occupe plus de son enfant !
Quant aux allocations familiales, la proposition de loi de nos collègues Catherine Deroche et Christophe Béchu prévoit d’en conserver une partie à la famille.
Aussi, madame la ministre, bien que militant depuis de très nombreuses années dans une association connue et reconnue de vos services, je voterai pour cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, pour explication de vote.
M. Christian Favier. Madame la ministre, je partage votre volonté de ne pas stigmatiser les familles dont les enfants sont confiés à l’aide sociale de l’enfance, mais je ne pense pas que tel soit l’objet de cette proposition de loi. En effet, nous ne raisonnons pas en termes de sanction, mais, au contraire, en termes de reconnaissance du service public départemental, qui est amené, dans des conditions précises fixées par le juge, à se substituer à la famille en matière d’éducation.
J’ai été quelque peu surpris, pour ne pas dire choqué, que vous n’ayez pas eu un mot de reconnaissance pour ces travailleurs sociaux qui agissent souvent dans des conditions difficiles,…
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Christian Favier. … assumant des responsabilités à l’égard des enfants, mais en lien avec les familles, afin de favoriser le retour au sein de celles-ci.
Or ce dont les collectivités locales ont besoin aujourd'hui, c’est d’une aide accrue en faveur de ces services, au moment où leur budget a été mis à mal. Pour notre part, ce ne sont pas les moyens financiers liés aux allocations familiales que nous recherchons – le problème n’est pas là –, mais la reconnaissance du rôle joué par les départements et leurs services pour accueillir ces enfants dans des conditions satisfaisantes et leur assurer l’éducation qui leur manque. En effet, je ne confonds pas les prestations familiales et les prestations sociales.
S’il faut reconnaître que les familles concernées sont bien souvent en situation difficile, ce n’est pas par les allocations familiales que l’on règle leurs difficultés sociales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C’est évidemment grâce à d’autres mesures, notamment le relèvement des minima sociaux et la bataille pour l’emploi, qu’elles pourront résoudre leurs problèmes.
Ne confondons pas ces différents aspects : c'est la raison pour laquelle, pour ma part, je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.
Mme Aline Archimbaud. Après avoir écouté attentivement l’ensemble des interventions, notre groupe maintient sa position. En effet, ce débat n’a apporté aucun argument nouveau de nature à nous convaincre du bien-fondé de ce texte.
En l’état, cette proposition de loi aurait pour effet de sanctionner financièrement les personnes qui sont aujourd'hui les plus en difficulté dans notre pays. Surtout, ces mesures s’appliqueraient de manière automatique, sans souplesse ni possibilité d’évaluation des situations humaines au cas par cas. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Bruno Sido. Avez-vous lu la proposition de loi ?
Mme Aline Archimbaud. C'est pourquoi nous maintenons notre opposition à cette proposition de loi.
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous en sommes simplement parvenus aux explications de vote sur l'amendement n° 2 rectifié. Les explications de vote sur l’ensemble de la proposition de loi viendront ultérieurement.
La parole est à M. Gérard Roche, pour explication de vote.
M. Gérard Roche. Je formulerai simplement deux remarques, monsieur le président.
La première, madame la ministre, concerne le ton que vous avez employé, et je rejoins ici le point de vue de Christophe Béchu. Vous avez bien sûr le droit de ne pas penser la même chose que nous. Toutefois, nous travaillons tous – vous en tant que ministre, nous en tant que présidents de conseils généraux et élus – pour la protection de l’enfance, et votre ton n’était pas de mise par rapport aux propos que nous avons tenus, sans aucune agressivité. Je m’étais permis une réflexion que j’avais voulue plutôt sympathique, et votre réponse m’a semblé très dure.
Je voudrais ensuite revenir, pour appuyer le propos de Christian Favier, sur ceux qui sont présents tous les jours, à l’échelon du département, sur le front social. Les travailleurs sociaux de l’ASE occupent les postes les plus difficiles,…
M. Christophe Béchu. C’est vrai !
M. Gérard Roche. … puisqu’ils suivent les cas de maltraitance signalés le plus souvent par l’éducation nationale ou le juge.
Nous manquons de moyens, alors que nous devrions conforter nos équipes, qui sont exténuées. La défense de l’aide sociale à l’enfance passe par celle des travailleurs sociaux, et non par l’écoute des associations, quel que soit par ailleurs leur mérite.
J’aurais donc aimé entendre de votre part, madame la ministre, un mot de reconnaissance pour le travail qu’ils réalisent sur le front social ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Le débat est intéressant !
Je ne doute pas un seul instant que les sénatrices et sénateurs présents aient suffisamment d’esprit et d’humour pour apprécier ce que vous qualifiez d’agressivité et que j’appelle, pour ma part, conviction. J’ai exprimé mon point de vue avec la spontanéité et peut-être la fougue d’une novice. En tout cas, je respecte absolument vos convictions.
M. Alain Gournac. Cela ne se voit pas !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je demande que les miennes soient respectées aussi, c’est tout ! Je le fais avec la personnalité qui est la mienne, avec mon ton, mais n’en déduisez pas plus qu’il n’en faut.
M. Bruno Sido. Dont acte !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je ne pensais pas que nous devions traiter de la protection de l’enfance, en général ! Si tel était le cas, il nous faudrait effectivement parler des travailleurs sociaux et nous interroger sur l’application de la loi de 2007 de Philippe Bas, adoptée à l’unanimité, et sur les améliorations que nous pourrions y apporter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout à fait disposée, si vous le souhaitez, à aborder l’ensemble de ces sujets, mais je n’ai pas le sentiment que cette proposition de loi porte directement sur la protection de l’enfance et le rôle des travailleurs sociaux.
À la fin de mon intervention, je vous proposais d'ailleurs de vous associer à la réforme de la protection de l’enfance que nous entendons engager. Toutes vos propositions et suggestions seront les bienvenues.
Enfin, si j’ai cité des associations très diverses, ma référence est celle du discours que le Premier ministre a tenu à l’occasion de la clôture des travaux de la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, ni plus ni moins ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 330 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Article 2
Après le deuxième alinéa de l’article L. 543-1 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, l’allocation de rentrée scolaire due à la famille pour cet enfant est versée à ce service. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 120 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 330 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Mes chers collègues, je ne suis pas très compétente en matière sociale. (Dénégations amusées sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) En revanche, je suis très attentive aux dépenses de mon département, lequel est très bien géré par notre ancien collègue Alain Lambert, qui me communique un certain nombre d’éléments.
Ainsi, dans l’Orne, les mesures prises en matière d’aide sociale à l’enfance sont particulièrement importantes ; elles sont caractérisées par un taux sensiblement supérieur à la moyenne nationale, soit 2,7 %, contre 1,8 % dans le reste de la France métropolitaine. Le nombre de placements y a extrêmement augmenté cette année : 725 jeunes font l’objet d’un placement, alors qu’ils étaient 646 l’an dernier, et la situation ne cesse de se dégrader. Le coût supplémentaire s’élève, pour mon département, à plus d’un million d’euros.
Or chacun connaît la situation de nos départements, en particulier de ceux qui sont situés en milieu rural, et vous aurez tous en mémoire, mes chers collègues, l’intervention de Gérard Roche et sa proposition de loi adoptée à l’unanimité par notre assemblée.
Pour ma part, je pense qu’il est absolument indispensable que le Sénat défende les départements. C’est d’ailleurs le seul intérêt du cumul des mandats de président de conseil général – les collègues occupant de telles fonctions ne sont d’ailleurs pas très nombreux aujourd’hui – et de sénateur.
Quoi qu’il en soit, mon groupe votera la présente proposition de loi, dont je ne peux pas qualifier de « moindre » son impact financier. Eu égard au nombre de départements et de personnes concernés, c’est un texte important. En l’adoptant, nous enverrons un signal positif à nos concitoyens, en montrant que le Sénat veille à limiter la dégradation des finances publiques de nos départements. (M. François Zocchetto applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Après avoir participé aux réunions de la commission des affaires sociales, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les débats que nous avons eus cet après-midi. La question dont nous traitons transcende les tendances politiques de notre assemblée, et j’en suis très heureux.
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas la première fois !
M. Ronan Kerdraon. Je le reconnais, ma chère collègue, mais permettez-moi tout de même de m’en féliciter ! Il est toujours bon de s’en réjouir, sans tomber pour autant dans l’autosatisfaction !
M. Jean-Pierre Raffarin. C’est vrai, surtout en ce moment !
M. Ronan Kerdraon. De quoi s’agit-il ? Je ne suis ni président de conseil général ni conseiller général.
M. Bruno Sido. Cela viendra ! (Sourires.)
M. Ronan Kerdraon. Non, mon cher collègue, rassurez-vous !
La présente proposition de loi, présentée à la fois par M. Béchu et Mme Deroche, a pour origine celle qu’avait déposée Yves Daudigny au mois d’octobre dernier. C’est pourquoi je disais que cette question nous transcende en quelque sorte. Je me félicite donc que l’idée émise par Yves Daudigny soit reprise, au-delà des clivages politiques, par nos collègues de l’UMP.
Je souscris aux propos tenus par Alain Richard. C’est en effet l’intérêt général qui est au cœur même de la présente proposition de loi, et non le simple intérêt immédiat des médias, si je puis dire. Et cela reflète toute la noblesse du rôle des législateurs que nous sommes. En votant ce texte, nous ferons honneur au mandat que nous ont confié nos électeurs.
Pour reprendre les propos d’Yves Daudigny, je ne me sens pas du tout culpabilisé par ce vote. Au contraire ! Je suis d’ailleurs fier que mon collègue ait employé tout à l'heure à la tribune le verbe « oser ». Effectivement, nous pouvons oser adopter les dispositions qui nous sont soumises tout simplement parce qu’elles relèvent du bon sens, dont nous avons parfois besoin. Ainsi, nous mettrons en cohérence nos idées et nos actes et placerons l’équité au cœur des politiques que nous menons.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Ronan Kerdraon. Je suis fier de voter ce texte, tout comme la majorité des membres du groupe socialiste. (Très bien ! et applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Je voterai avec enthousiasme la présente proposition de loi, et cela pour trois raisons.
La première raison va de soi : j’ai cosigné ce texte, qui est de bon sens.
La deuxième tient au caractère très équilibré de cette proposition de loi à l’issue des travaux au sein de la commission et en séance publique cet après-midi. L’amendement n° 2 rectifié, que nous avons voté à une très large majorité tout à l’heure, contribue à cet équilibre.
La troisième raison, c’est l’incompréhension, pour ne pas dire plus, que m’inspire la position du Gouvernement. Madame la ministre, vous avez déclaré que vous vouliez éviter de plonger encore davantage dans la précarité des familles déjà fragiles. À mon sens, cette position accrédite l’idée que les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire, l’ARS, ne sont versées que pour des raisons économiques, sans lien avec les charges associées à l’éducation des enfants. Je ne puis accepter cette idée, et ce vote me permet de réaffirmer ma position. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.
M. Michel Vergoz. Je souhaite revenir sur trois points : l’enjeu financier, l’importance des placements judiciaires et l’accusation de « stigmatisation des familles », qui m’a quelque peu heurté. Il me serait difficile de quitter cet hémicycle sans en dire deux mots, car je n’ai pas le sentiment – loin s’en faut – de stigmatiser les familles.
Je félicite et je remercie les sénateurs de l’UMP de nous avoir suivis, en reprenant la proposition de loi déposée en octobre 2012 par Yves Daudigny. Chers collègues, cela prouve que l’on peut encore vous faire un peu confiance ! (Sourires.)
Je commencerai par l’enjeu financier. J’ai rarement entendu cet argument lors des auditions. Et quand il a été développé, je me suis fait préciser par des spécialistes – des présidents de conseil général – que les allocations familiales et l’ARS ne représentaient que peanuts. Par conséquent, cet argument, auquel j’étais très sensible, n’a pas emporté mon adhésion. S’il ne s’agissait que d’une question financière, les réflexions auraient été différentes.
En ce qui concerne l’appréciation du nombre des placements judiciaires par rapport à celui des placements administratifs, il faudra que l’on nous indique les chiffres à l’échelon national.
La présente proposition de loi ne concerne que les placements judiciaires. Nous aurions pu nous assurer que le nombre des placements judiciaires est nettement inférieur à celui des placements administratifs. Nous aurions pu ainsi – je reprends l’argument de l’un de nos collègues communistes – louer l’excellent travail réalisé par les travailleurs sociaux.
En effet, ce travail permet souvent de ne pas atteindre la dernière étape, c'est-à-dire le recours judiciaire. Je pense que cet éclairage est nécessaire. Je rappelle que le placement judiciaire représente la contrainte extrême, à laquelle on ne recourt que lorsque les services des conseils généraux perçoivent un danger absolu et imminent, et si le dialogue et la concertation ont échoué. Je le souligne afin que nous votions sereinement cette proposition de loi.
S'agissant enfin de l’accusation de « stigmatisation des familles », je préfère, sans entrer dans la polémique, que nous nous interrogions sur la place primordiale que nous devons garantir à l’enfant. C’est ce dernier qui doit être au centre de notre questionnement. Notre devoir est de sécuriser les allocations familiales au profit de l’enfant, et le versement de l’ARS aux services sociaux auxquels est confié l’enfant est donc une décision juste. Les allocations familiales constituent un moyen de faciliter l’éducation de l’enfant. Lorsqu’elles ne sont plus utilisées à cette fin, c’est l’enfant qui est pénalisé. On ne peut accepter une telle situation.
Je voterai cette proposition de loi, parce qu’il s’agit d’un texte de bon sens, d’un texte cohérent avec les engagements que nous avons pris il y a encore quelques semaines en tant que socialistes, d’un texte juste, équitable et responsable. (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Je me contenterai de quelques mots pour expliquer mon vote négatif.
Les raisons de mon choix tiennent tant à la forme qu’au fond. Je maintiens que les propos tenus ici ou là ne constituent pas un bon signal pour les familles en difficulté et pour les professionnels de l’enfance, ni même pour les familles françaises dans leur ensemble. J’espère que nous aurons l’occasion de discuter plus globalement des prestations familiales en faveur de l’ensemble des familles et que des propos de justice et d’équité seront tenus aussi à l’égard des familles plus aisées.
S'agissant des finances des conseils généraux, l’enjeu n’est certes pas anecdotique, mais on ne peut pas porter de jugement systématique, dans la mesure où la situation n’est pas la même dans tous les départements.
Enfin, j’apporte mon soutien à la politique familiale cohérente du Gouvernement. Quand on crée des missions d’évaluation des prestations familiales, il faut attendre leurs résultats si l’on veut être en mesure de prendre des mesures pertinentes.
Pour toutes ces raisons, je voterai contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Il y a des jours où l’on est fier du Sénat ! Il est réconfortant de voir que, indépendamment de leurs engagements, les politiques qui sont au plus près de l’action sociale et des travailleurs sociaux sur le terrain partagent le même sentiment et la même approche. C’est un bon signal pour la vie publique. On parle souvent des mauvais côtés de la vie politique, mais aujourd'hui, et ce n’est pas si courant, nous pouvons être fiers de ce que nous faisons tous ensemble. J’en remercie donc les uns et les autres.
J’ajoute que Michel Vergoz a complètement raison. Oui, cher collègue, pour la première fois je dis que vous avez raison, et c’est parce que c’est le cas ! (Rires.) Il est vrai que la proposition de loi de Christophe Béchu et Catherine Deroche reprend la proposition de loi déposée par Yves Daudigny en octobre 2012. Et savez-vous pourquoi nous avons repris cette proposition de loi ?
Mme Isabelle Debré. Parce que c’était une bonne proposition de loi !
M. Jean-Pierre Raffarin. Parce qu’elle-même reprenait la proposition de loi déposée par Christophe Béchu et Catherine Deroche en juillet 2012 ! (Rires.)
C'est la raison pour laquelle nous pouvons être fiers de voter aujourd'hui la proposition Béchu-Deroche amendée par Yves Daudigny ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 121 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 174 |
Pour l’adoption | 330 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur la plupart des travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à vingt et une heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
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Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à M. Gérard Le Cam, pour le groupe CRC.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ont souhaité que soit mené dans notre assemblée un débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle.
Le droit de semer, c’est non seulement le droit de ressemer sa récolte, mais également celui de pouvoir choisir librement des semences, de procéder à des échanges et de faire de la sélection et de la recherche librement.
Il s’agit aussi de savoir comment il est possible, notamment dans le domaine agricole et, donc, dans celui du vivant, de concilier les droits de propriété au regard de la recherche et les droits que l’ensemble des hommes détiennent sur ce patrimoine naturel commun.
La propriété intellectuelle dans le secteur agricole voit s’opposer deux systèmes : le certificat d’obtention végétale, le COV, et le brevet.
Pourquoi souhaitions-nous organiser ce débat aujourd’hui ?
Tout d’abord, la réglementation européenne, tant dans le domaine agricole qu’en matière de propriété intellectuelle, est en train d’évoluer avec la mise en place d’un brevet européen unitaire et les réformes de la politique agricole commune et du certificat d’obtention végétale.
Le projet de la Commission européenne, dit « better regulation », qui est censé simplifier, comme on a coutume de le dire, les réglementations, pourrait également avoir un impact sur ce secteur.
Au-delà du cadre européen, d’autres accords tentent d’imposer une vision ultralibérale de l’agriculture en faisant de la recherche dans ce domaine une véritable bulle spéculative.
Comme vous le savez, une société qui possède cent brevets a plus de valeur sur le marché financier qu’une société qui n’en a que dix, et cela indépendamment de la réalité et de l’importance de la découverte.
Parallèlement, on assiste à une montée en puissance de la protection juridique de ces opérations commerciales. Je pense ici au projet ACTA, ou accord de commerce anti-contrefaçon, sur la contrefaçon et les droits d’auteur, heureusement rejeté par le Parlement européen, ou aux accords de libre-échange, notamment l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne.
Face à cette offensive des puissances financières et juridiques, telles que Monsanto, Pioneer Hi-Bred ou Syngenta, c’est l’ensemble de notre filière semencière qui risque d’être accaparée.
Si l’Europe veut préserver sa souveraineté alimentaire, si elle veut maîtriser son progrès génétique, alors elle doit être ferme et résolue pour défendre les droits des agriculteurs, des obtenteurs et le certificat d’obtention végétale, outil de base ancré dans nos territoires.
Dans ce contexte, il importe de ne pas se tromper d’adversaire. Le législateur français, en 2011, a ouvert un conflit entre les obtenteurs et les paysans qui font des semences de ferme ou des semences paysannes, au prétexte de protéger le COV. Or la véritable menace pour la filière semencière vient non pas de nos campagnes, mais bien des marchés et des dérives du brevetage.
La loi de 2011 a fait des semences de ferme, au nom de la recherche, une pratique interdite ou soumise à paiement, et des agriculteurs de potentiels contrefacteurs. Pourtant, des années cinquante jusqu’à l’an 2000, le progrès génétique, sur la seule base du rendement des variétés, est constant. Les semences de ferme ne sont donc pas un obstacle à la recherche. Le secteur semencier a d’ailleurs beaucoup investi dans cette dernière, l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, participant lui aussi largement à ce progrès, aux côtés des semenciers.
Le système du COV et le principe de l’exception du sélectionneur ont suscité, contrairement au brevet, un véritable dynamisme dans la recherche, qu’elle soit publique ou privée.
Mes chers collègues, vous connaissez sans doute la phrase attribuée à Newton, qui pose cette absolue nécessité de défendre les droits des inventeurs et que nous ne saurions contester : « J’ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de géants ». Le savoir se nourrit des connaissances passées et partagées ; une nouvelle technologie est liée aux innovations qui l’ont précédée.
Cependant, au nom du progrès technologique et de la recherche, les limites entre l’invention et la découverte ont peu à peu été effacées. Comment pouvons-nous accepter, par exemple, qu’un gène natif puisse faire l’objet d’un brevet ? Il ne s’agit pourtant que de la preuve expérimentale d’une réalité existante !
En outre, de plus en plus de brevets sont déposés, y compris par des organismes publics, sans que la découverte avancée soit vérifiée dans ses effets. C’est le cas avec le dépôt de brevets sur des fonctions de gènes qui sont souvent présumées, et non pas réellement prouvées. Or de tels brevets peuvent contraindre les organismes de recherche à abandonner leurs travaux en raison des droits de propriété très élevés revendiqués par de grandes firmes semencières.
Nous assistons à une privatisation du patrimoine génétique mondial et à l’appropriation illégitime, par des intérêts mercantiles, de l’héritage que nous ont légué depuis des milliers d’années les paysans, les agriculteurs et la nature elle-même.
Cette tendance a des conséquences très graves, en particulier dans le domaine agricole. Par exemple, il faut savoir que les droits versés au titre des brevets par Limagrain à Monsanto sont équivalents aux bénéfices réalisés par cette société en vendant ses semences sur le marché américain. Elle y travaille donc uniquement pour occuper le terrain.
Face à cette appropriation capitalistique des végétaux au détriment des besoins alimentaires en termes de quantité et de qualité des variétés, ainsi que de diversité génétique, la France a su mettre sur pied le système des COV.
À la différence de ce qui se passe avec le brevet, qui donne à l’inventeur des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, mêmes s’ils sont différents, avec le certificat d’obtention végétale un autre obtenteur peut utiliser la variété protégée pour mettre au point une nouvelle variété, sans pour autant payer le détenteur du certificat d’obtention végétale. Cet élément de différence fondamental est appelé « l’exception du sélectionneur ». En bref, avec le COV, la recherche reste accessible à tous.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, entre les deux systèmes, brevet ou COV, notre préférence va sans aucune réserve au second !
Cependant, il est important de souligner, tout d'abord, que le COV n’interdit pas le brevet et ne saurait protéger les obtenteurs ni les agriculteurs contre ses effets dévastateurs. Aux États-Unis, les agriculteurs achètent des semences brevetées pour ne pas se faire attaquer pour contrefaçon, en cas de contamination de leur récolte !
Par ailleurs, le COV présente des défauts majeurs qui, loin d’avoir été corrigés par la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, portent une atteinte disproportionnée aux droits des agriculteurs et, en particulier, à la pratique des semences fermières.
Revenons un instant sur quelques étapes de l’histoire du COV, afin de mieux cerner les termes du débat et les exigences que nous défendons.
Depuis 1961, l’ensemble des conventions de l’Union pour la protection des obtentions végétales, l’UPOV, donnent une définition de l’obtention et excluent les variétés paysannes population de la protection du COV.
Cependant, les deux premières conventions de 1961 et de 1978 n’interdisent pas de développer une variété « découverte » dans le champ d’un paysan pour décrire ensuite ses caractères morphologiques et déposer un COV. À son début, le COV valide donc une appropriation gratuite des semences paysannes qui s’accompagne, comme en contrepartie, d’une tolérance des semences de ferme, c’est-à-dire du droit, pour l’agriculteur, de ressemer une partie de sa récolte.
En France, cet état du droit est remis en cause dès 1970, époque à laquelle les semences de ferme sont interdites. Cependant, la difficulté d’apporter la preuve de la contrefaçon consécutive à la pratique des semences de ferme a pour conséquence que cette pratique perdure. Dans les années 1980, n’ayant toujours pas les moyens d’empêcher les paysans d’utiliser leurs semences de ferme, les semenciers essaient d’agir sur les trieurs à façon. Un accord interprofessionnel tentera même d’interdire le triage à façon.
Toutefois, c’est en 1991, avec l’entrée en scène des organismes génétiquement modifiés, que l’UPOV va connaître d’importantes transformations.
Émergent alors des contentieux entre les obtenteurs et les sociétés qui viennent de la chimie (M. Daniel Raoul le conteste.) pour investir dans le domaine génétique. Ces dernières revendiquent des droits au titre des transgènes intégrés dans les plantes sous COV. C’est alors que la convention de l’UPOV de 1991 et le droit communautaire ont étendu les droits du titulaire d’un COV aux variétés essentiellement dérivées de sa variété.
Une erreur a été commise à cette époque, car on a affaibli le COV en cherchant à le protéger. À ce moment-là, face au système du brevet sur le végétal, nous avons perdu, et je pèse mes mots, la guerre et l’honneur !
M. Rémy Pointereau. Pas du tout ! C’est faux.
M. Gérard Le Cam. Au lieu de rejeter les brevets sur les plantes, on a recouru à la notion, très contestable scientifiquement et très fragile juridiquement, de « variété essentiellement dérivée », afin d’interdire le dépôt d’un COV sur une variété dite « nouvelle » dans laquelle on aurait seulement modifié un gène.
Ce faisant, on a changé d’approche. Jusque-là, la variété nouvelle, pour être couverte par un COV, était établie en fonction de la façon dont elle poussait, des caractères qu’elle développait. Avec la « variété essentiellement dérivée », on a pris en compte ce que la variété contenait génétiquement pour déclarer si elle était nouvelle, ou non.
On se souvient de l’affaire du gène de résistance de la laitue au puceron, qui illustre à merveille les dangers de cette approche. Ce caractère de résistance, devenu incontournable, concerne près de 90 % des variétés de laitues commercialisées. Une entreprise hollandaise, Rijk Zwaan, avait mis au point, par un procédé de sélection assistée par marqueurs, des salades résistant au puceron Nasanovia. Le trait conférant cette résistance avait été identifié dans une espèce sauvage, Lactusa Virosa. L’entreprise néerlandaise avait ensuite obtenu un brevet protégeant la manière d’obtenir ce caractère par une méthode originale, qui permet de casser la liaison génétique entre le caractère de résistance et le caractère de nanisme qui, selon le brevet, lui était systématiquement attaché.
Or, bien avant, une entreprise française, Gautier Semences, avait sélectionné avec l’appui de l’INRA d’Avignon des lignées de laitues contenant ce même trait, sans problème lié au nanisme des salades. Elle n’avait déposé aucun brevet.
Forte de son brevet, la société hollandaise a demandé aux sélectionneurs de semences potagères d’acquitter des redevances pour continuer à utiliser ce trait. Au départ, les obtenteurs sont restés solidaires et ont décidé de saisir la justice pour contester et faire annuler le brevet. Finalement, il semble que la société ait trouvé des accords financiers avec l’ensemble des semenciers, sauf Gautier Semences qui, en raison de sa taille, ne pouvait ni payer les droits sur le brevet ni financer un procès.
À la lumière de cette expérience, il nous apparaît fondamental non seulement de ne pas accepter de tels brevets, mais également de créer les forces juridiques nécessaires, de mutualiser les efforts pour que les agriculteurs et les semenciers ne soient pas isolés face à de telles agressions commerciales.
Au début des années 1990, la protection du COV a été également étendue au-delà de la « production à des fins d’écoulement commercial » des semences ou des plants, à leur reproduction, qu’elle soit destinée à la vente, comme dans le passé, ou à l’utilisation à la ferme.
Le règlement communautaire de 1994, précise les contours et le contenu du nouveau statut des semences de ferme : celles-ci deviennent des dérogations facultatives et limitées aux droits de l’obtenteur.
Le règlement interdit les semences de ferme pour la plupart des espèces cultivées et les autorise pour vingt et une espèces – plantes fourragères, céréales, oléagineux, lin ou pommes de terre –, sous réserve du paiement d’une rémunération équitable à l’obtenteur, dont sont exonérés les petits agriculteurs – au sens de la PAC, il s’agit de ceux produisant l’équivalent de 92 tonnes de céréales au maximum.
En bref, les semences de ferme sont soit interdites, soit autorisées en contrepartie du paiement de royalties. De plus, au regard de la loi de 2011, cet usage est strictement limité à l’exploitation de l’agriculteur : est exclue toute possibilité d’échange de semences de ferme protégées par un COV appartenant à un tiers.
En dépit de cette réglementation, mes chers collègues, comme vous le savez, peut-être même par expérience personnelle, la majorité des agriculteurs européens a continué à utiliser des semences de ferme sans verser de rémunération aux obtenteurs. Seul le blé tendre a fait l’objet d’une réglementation.
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Dans ce contexte, la loi du 8 décembre 2011 a tenté de durcir un peu plus les contraintes illégitimes imposées aux agriculteurs qui sortent du circuit traditionnel de la semence industrielle. Le groupe CRC s’était opposé à l’adoption de cette loi, exprimant des désaccords profonds sur plusieurs de ses articles.
Au-delà de l’importance des semences fermières et paysannes en termes de diversité biologique et de réduction des intrants, toute restriction à l’utilisation par un agriculteur des semences issues de sa propre récolte constitue, sur le plan juridique, une atteinte au principe de partage des avantages, garanti par le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, ou TIRPAA, alors même que les obtenteurs en bénéficient.
C’est pourquoi je voudrais maintenant revenir plus en détail sur ce qu’a été la position du Parlement français en 2011, pour que nous puissions débattre de ce qu’elle sera demain.
J’évoquerai six points qui nous intéressent particulièrement, au regard des discussions que nous avons menées avec plusieurs associations, syndicats ou chercheurs qui travaillent sur ces questions.
Premièrement, les semences de ferme devraient, par principe, être autorisées. Elles sont depuis des siècles à la libre disposition des sélectionneurs qui en ont tiré profit. L’agriculteur paie l’obtenteur au moment où il achète la semence certifiée et c’est suffisant. Il serait donc nécessaire de modifier l’article L. 623-4-1 du code de la propriété intellectuelle, afin de limiter la protection du COV aux reproductions ou multiplications « sous forme de variété fixée conservant l’ensemble des caractères distinctifs » de la variété en cause.
Deuxièmement, j’évoquerai la qualification de contrefaçon : la loi de 2011 qualifie l’utilisation de semences de ferme hors des cas prévus à article L. 623-24-1 du code de la propriété intellectuelle de « contrefaçon » de variétés commerciales, et étend les sanctions au produit de la récolte, alors que ces semences n’en reproduisent pas l’ensemble des caractères distinctifs et que le produit des récoltes n’est pas vendu sous la dénomination variétale. Sauf si ces deux conditions sont remplies, nous estimons que le régime de la contrefaçon ne devrait pas s’appliquer. En conséquence, il convient de limiter l’application du régime de contrefaçon prévu à l’article L. 623-24-4 du code de la propriété intellectuelle.
Troisièmement, comme je l’ai exposé tout à l’heure, selon le droit européen, il revient au titulaire du certificat d’obtention végétale de prouver qu’une personne n’aurait pas respecté les droits attachés à ce certificat. Cela pose un certain nombre de difficultés d’application qui nous arrangent, mais qui créent une instabilité juridique dangereuse.
Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2011, l’article L. 661-9 du code rural précise désormais que « toute personne physique ou morale exerçant une activité de production, de protection, de traitement ou de commercialisation des matériels mentionnés à l’article L. 661-8 déclare son activité à l’autorité compétente pour le contrôle ». En application de cette disposition, les autorités disposeront d’une liste exhaustive de tous les producteurs de semences de ferme ainsi que des espèces cultivées par chacun d’entre eux, éventuellement même des variétés.
Ainsi, on facilite le contrôle des obtenteurs et on crée une présomption de contrefaçon à leur bénéfice. En effet, cette information pourrait leur être transmise.
Mes chers collègues, je vous rappelle que « les organismes officiels » sont autorisés par le règlement européen de 1994 à fournir toute information pertinente si « cette information a été obtenue dans l’exercice normal de leurs tâches, sans charge ni coûts supplémentaires ». En séance, en 2011, le ministre de l’agriculture avait bien précisé que le dispositif ne créait aucune charge financière, s’assurant ainsi de la légalité de la transmission future des renseignements.
Nous proposons, dans le respect des exigences de traçabilité et du droit de semer, de limiter le dispositif, donc la déclaration, aux règles concernant « la sélection, la production, la protection, le traitement, la circulation, la distribution, l’entreposage », en vue de la commercialisation des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes destinés à être plantés ou replantés.
Cette mention est importante, car la loi de 2011 a également étendu l’application de cet article à tout plant « destiné à être planté ou replanté ». Autrement dit, l’agriculture vivrière et le jardinage amateur sont également concernés !
Quatrièmement, comme vous le savez, la loi de 2011 prévoit – cette disposition est codifiée à l’article L. 623-24-3 du code de la propriété intellectuelle – la mise en place d’un double mécanisme pour déterminer le montant et les modes de collecte de l’indemnité qui serait due par les agriculteurs produisant des semences de ferme.
Ce faisant, elle s’inspire largement de l’accord sur le blé tendre. Dans le cadre de cet accord, il appartient aux agriculteurs qui estiment ne pas être redevables de la cotisation volontaire obligatoire, de demander son remboursement, ce qu’ils ne font jamais, par manque d’information. Ainsi, un agriculteur qui ferait du blé tendre à partir de semences qui ne seraient pas ou plus protégées par un COV, paie automatiquement la cotisation et c’est à lui de prouver qu’il n’aurait pas dû l’acquitter !
De plus, la loi prévoit que ses conditions d’application puissent résulter d’un accord interprofessionnel. On peut alors se demander s’il est légitime de déclarer opposable à tous un accord signé seulement par certains.
Cinquièmement, nous aimerions préciser la question des échanges de variétés protégées, strictement interdits aux termes de la loi. On peut imaginer – il nous semble que c’est un minimum – que de tels échanges soient permis en cas de pénurie, en limitant les volumes échangés à un tonnage déterminé. Bien sûr, nous exigeons une autorisation bien plus large lorsqu’il s’agit de semences paysannes, tout en étant ouverts sur une limitation territoriale.
Sur cette question des échanges, il est très important de garantir la traçabilité des semences. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille interdire tout échange de semences paysannes.
À ce sujet, il semblerait que la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs ait suggéré, à l’article 2 de son projet de règlement sur les semences, d’exclure du champ d’application du catalogue certaines activités. On lit ainsi :
« Ce règlement ne s’applique pas aux matériels de reproduction :
« a) destinés uniquement à des fins de sélection ;
« b) destinés uniquement à des fins de test ou scientifique ;
« c) destinés uniquement à, et entretenus par, les banques de gènes et les réseaux de conservation des ressources génétiques associées à des banques de gènes ;
« d) échangés en nature entre des personnes autres que les opérateurs. »
Or les banques de gènes et les réseaux associés ne font, à ce jour, que de la conservation. Il serait intéressant de considérer que la gestion dynamique à la ferme est une méthode de conservation en soi. La réserve prévue au point c), si elle était étendue à la conservation in situ, autoriserait les échanges de semences entre agriculteurs membres de tels réseaux.
De plus, nous aimerions connaître l’avis du Gouvernement sur la proposition visant à permettre les échanges « en nature entre des personnes autres que les opérateurs ».
Selon nous, les agriculteurs qui produisent non des semences commerciales, mais uniquement des semences de ferme ou paysannes, ne doivent pas être qualifiés d’opérateurs et devraient donc pouvoir échanger leurs semences sans appartenir aux réseaux formels évoqués précédemment. La remarque vaut d’autant plus que les échanges de petites quantités de semences ne résisteront pas plus aux lourdeurs administratives qu’aux coûts financiers générés par l’inscription au catalogue.
Sixièmement, et enfin, des agriculteurs et des paysans nous ont fait part de leurs inquiétudes en ce qui concerne la définition de la variété retenue à l’article L. 623-2 du code de propriété intellectuelle.
En effet, les caractères qui définissent ces variétés au sens du COV s’imposent aussi pour l’inscription au catalogue. Leur développement reste donc limité aux échanges informels entre les agriculteurs, alors qu’il serait utile, à côté des variétés industrielles, de les développer. Nous portons aujourd’hui au débat cette question de l’ouverture des critères pour l’inscription au catalogue des variétés population. Ce sont les variétés formées par la reproduction en pollinisation libre, avec ou sans sélection, d’une population naturelle ou artificielle.
Face à toutes ces problématiques, face aux incursions de la spéculation financière dans le domaine de la connaissance, c’est toute notre filière industrielle de semences qui est en sursis.
C’est pourquoi, des chercheurs ou obtenteurs, en passant par les trieurs à façon, les agriculteurs faisant de la semence de ferme et ceux qui utilisent des semences industrielles ou des semences paysannes, tous doivent travailler ensemble pour s’entendre sur une réglementation qui prenne en compte les intérêts de chacun. Et c’est possible ! Peut-être nous direz-vous, monsieur le ministre, comment vous pensez organiser cette nécessaire concertation. Tous les syndicats agricoles seront-ils associés ?
M. Daniel Raoul. Non !
M. Gérard Le Cam. Le débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle est, avant tout, un débat de société. La question des semences montre à quel point la réflexion éthique et politique est en retard par rapport à la science, aux réglementations commerciales et aux appétits financiers.
Quel modèle agricole voulons-nous porter ? Quelles garanties souhaitons-nous donner à notre indépendance alimentaire ? Allons-nous, enfin, nous doter des armes nécessaires pour lutter contre les brevets sur le vivant ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Le Cam. Je termine, monsieur le président.
À travers ce débat, nous avons souhaité, à partir de la question des semences de ferme, élargir la réflexion à la brevetabilité du vivant, qui menace notre indépendance alimentaire, la diversité de notre agriculture et la filière de la recherche végétale. Nous avons souhaité que toutes ces questions puissent être prises en compte dans la préparation des réformes à venir.
Ce soir, on sème. Demain, nous voulons récolter notre liberté économique, intellectuelle et écologique. La vie n’est pas seulement une marchandise ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Delphine Bataille et M. Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle, qui a été demandé par le groupe CRC et vient d’être ouvert par M. Le Cam, il s’agit en fin de compte, pour nos collègues, de remettre en cause la loi relative aux certificats d’obtention végétale, qui, issue d’une proposition de loi sénatoriale, fut définitivement adoptée le 8 décembre 2011. Le groupe socialiste s’était abstenu sur ce texte, mais, je le dis au passage, M. Raoul aurait presque pu le voter si son amendement sur le principe de l’autoconsommation avait été voté.
Quoi qu'il en soit, les décrets d’application de cette loi ne sont pas encore parus. Or ils donneraient effectivement aux agriculteurs la capacité de disposer d’un potentiel de semences et de ressources génétiques à la hauteur de leurs ambitions en matière de compétitivité, de volume et de qualité.
En quoi ce texte de loi conforte-t-il l’excellence de notre secteur agricole ?
Tout d’abord, il renforce les spécificités du COV, système de propriété intellectuelle propre aux semences qui, contrairement au système du brevet, favorise l’innovation variétale et l’accès libre à la biodiversité créée.
Ensuite, il sécurise le financement de la recherche et donne aux sélectionneurs français les moyens de développer durablement les programmes d’amélioration des plantes.
Enfin, il autorise la pratique des semences de ferme et permet ainsi de trouver un juste équilibre entre le droit des sélectionneurs et celui des agriculteurs utilisateurs.
Ce texte a recueilli l’accord de la grande majorité des organisations professionnelles agricoles.
Toutefois, certains syndicats ont souhaité instrumentaliser le débat afin d’opposer les éleveurs et les céréaliers en assénant un certain nombre de contrevérités.
Les opposants au texte ont ainsi affirmé qu’il tendait à taxer à l’hectare les éleveurs qui consomment leur propre production. C’est archi-faux puisque les accords interprofessionnels permettent, précisément, d’exonérer les agriculteurs autoconsommant toute leur production, ainsi que les petits producteurs qui produisent jusqu’à 92 tonnes.
Contrevérité aussi quand ils prétendent que cette loi conduirait à l’interdiction des semences de ferme, alors que c’est tout le contraire ! Aujourd’hui, ceux qui utilisent des semences de ferme protégées s’exposent à des contentieux et le texte légalise l’utilisation des semences de ferme.
Contrevérité encore quand ils avancent qu’elle rendra les agriculteurs complètement dépendants des grands groupes privés. Là aussi, c’est tout le contraire ! Si nous ne nous battons pas pour préserver le pôle semencier français, nous risquons, dans une ou deux décennies, de nous réveiller en constatant amèrement qu’il ne reste que quatre ou cinq producteurs de semences au monde et qu’ils sont soit anglo-saxons, soit chinois !
À cet égard, la loi COV me semble aller dans le bon sens, précisément en ce qu’elle nous évitera, demain, d’être pieds et poings liés face à ces multinationales, dont certaines n’aspirent qu’à une chose : breveter leurs génétiques ! Car, je le rappelle, la création variétale a un poids économique non négligeable dans notre pays.
Nous avions introduit dans le texte de la proposition de loi une avancée – elle convenait même à nos collègues écologistes ! – en adoptant un amendement permettant de protéger et de préserver le patrimoine végétal d’intérêt commun – ce qu’on appelle les variétés paysannes, ou variétés anciennes – et prévoyant l’organisation de la conservation des ressources phylogénétiques patrimoniales françaises.
Cet amendement donnait également satisfaction à la Confédération paysanne, ce qui n’a pas empêché celle-ci d’exercer une pression – pression amicale, bien sûr ! – sur le groupe CRC en lui demandant de remettre en cause tout le travail que nous avions commencé en 2006, puisque le Sénat avait, cette année-là, voté une première fois la proposition de loi qui fut définitivement adoptée en 2011.
Nous avons un défi mondial à relever, celui de la sécurité alimentaire.
En effet, la FAO – Food and Agriculture Organization – estime qu’il faudra accroître de 70 % la production alimentaire d’ici à 2050 pour nourrir les 2,3 milliards de personnes supplémentaires que comptera alors notre planète.
Pour que l’agriculture continue à remplir sa fonction nourricière, il est donc indispensable d’augmenter les rendements agricoles, mais en tenant compte des aléas climatiques et de la nécessité de respecter davantage l’environnement.
« Produire plus et mieux » : c’est bien la synthèse des défis que l’agriculture doit relever, et elle s’y emploie depuis plusieurs décennies déjà. Derrière elle, c’est toute la filière semences qui est mobilisée pour trouver des réponses. Car la semence est à l’origine de toute production agricole. C’est donc en premier lieu à cette filière que revient la responsabilité de proposer des solutions à la crise agricole que nous traversons.
Le constat est dressé, les objectifs sont posés. Reste à définir les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.
Nous n’avons pas pléthore de solutions : seules la recherche et la science peuvent nous permettre de résoudre la crise agricole et de relever le défi de la sécurité alimentaire.
Il ne s’agit pas ici de relancer le débat sur les OGM. Quoique… Pourquoi pas, monsieur le ministre ? (Sourires.)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. C’est à vous de le faire !
M. Rémy Pointereau. La recherche agronomique et génétique va bien au-delà : décryptage des génomes de la plante pour mieux comprendre ses mécanismes – assimilation de l’azote, résistance aux maladies, etc. – ou marquage génétique.
Le « sélectionneur », appelé aussi « obtenteur », est celui qui met au point de nouvelles variétés végétales à partir de la biodiversité existante : ces nouvelles variétés permettent de répondre aux contraintes de l’agriculteur et aux nouvelles attentes de la société. Elles contribuent à l’émergence de cette agriculture productive mais « durable » – même si je n’aime pas ce mot, qu’on met un peu à toutes les sauces – que l’Union européenne appelle de ses vœux.
Ainsi, les études prouvent que certaines variétés modernes de blé, moins dépendantes des engrais chimiques, cultivées avec des apports d’azote raisonnés et moins de fongicide, offrent parfois un rendement supérieur aux variétés anciennes.
Un hectare de terre nourrit actuellement plus de quarante personnes, alors qu’il en nourrissait une quinzaine en 1960. Les améliorations apportées aujourd’hui aux variétés se structurent autour d’axes clés de recherche : meilleure tolérance à la sécheresse, meilleure résistance aux maladies ou encore amélioration des qualités nutritionnelles.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de tout cela ? Eh bien, que le défi que la filière semences doit relever est très ambitieux, mais qu’il n’est pas insurmontable !
Cette filière a déjà fait beaucoup. Pour produire plus et mieux, elle doit aller encore plus loin. Dans cette perspective, il faut lui donner les moyens de poursuivre ses recherches. Or la réponse à la question du financement de la recherche variétale ne va pas de soi.
Il n’est pas envisageable, dans le contexte actuel de crise économique que nous connaissons, de solliciter l’aide de l’État. Le seul moyen d’assurer l’avenir de la recherche est bien de faire appliquer aux agriculteurs le droit de propriété intellectuelle sur les variétés nouvellement créées qu’ils utilisent : pour le blé, par exemple, le droit est de 5 centimes d’euro par quintal.
Rappelons que, pour mettre au point une nouvelle variété végétale, il faut compter, en moyenne, dix ans de recherches. Il est donc logique que ce travail de longue haleine, dont toute la filière agricole bénéficie, soit rémunéré. Ce n’est pas M. Raoul qui me démentira, lui qui est élu d’une région où la production de semences occupe une place importante : l’Anjou.
La loi du 8 décembre 2011 assure la juste rétribution de l’effort de recherche fourni par les sélectionneurs, grâce à l’institution d’un droit d’auteur spécifique aux semences : le certificat d’obtention végétale.
Cette loi est la transposition en droit français de la convention internationale UPOV – Union des protections des obtentions végétales sur les certificats d’obtention végétale. Elle dispose que chacun est libre d’utiliser des semences de variétés protégées par un COV en contrepartie du paiement d’une rémunération au sélectionneur qui a créé ces variétés.
Le COV a l’immense avantage de laisser un libre accès aux nouvelles variétés à des fins de recherche.
Avec 72 entreprises de sélection, dont une grande majorité de PME et d’entreprises de taille intermédiaire, la France est à la pointe de l’innovation en recherche variétale. Cette richesse entrepreneuriale est la meilleure garantie de la pluralité des solutions proposées aux agriculteurs et aux consommateurs.
La loi COV constitue donc un grand pas pour préserver le dynamisme de nos entreprises de recherche ainsi que la compétitivité de la filière semences et de la filière agricole française dans son ensemble.
Cette loi constitue aussi une reconnaissance du métier de sélectionneur, qui fait l’objet de beaucoup de peurs et d’idées reçues. Or la revalorisation de ce métier, qui est au cœur des grands enjeux du XXIe siècle, est indispensable pour recréer une attractivité du secteur auprès des jeunes, car nous ne pourrons relever les défis qui sont devant nous sans l’apport de nouveaux talents.
Mes chers collègues, nous le savons tous, la progression des rendements depuis les années cinquante a été rendue en grande partie possible grâce à la sélection végétale. Nous constatons cependant, depuis dix ou vingt ans, une tendance à la stagnation de ces rendements, toutes espèces confondues. Cette stagnation est due en partie aux aléas climatiques, en partie à la diminution des intrants, mais aussi et surtout à un moindre effort de recherche, celle-ci s’étant concentrée vers certaines semences considérées comme plus intéressantes, telles que le maïs, et vers d’autres priorités : une meilleure résistance des plantes à certains parasites, un meilleur développement avec moins d’intrants…
Face aux enjeux de l’alimentation mondiale et de l’adaptation de notre appareil de production agricole au changement climatique, aux impératifs d’une gestion plus économe en eau, en fertilisants ou en produits phytosanitaires, la recherche doit apporter des solutions. À cet effet, les entreprises de sélection doivent pouvoir retirer les fruits de leur travail pour pouvoir ensuite financer la recherche.
Les entreprises françaises proposent chaque année 500 à 600 variétés nouvelles, toutes espèces confondues : céréales, légumes et, à hauteur de 60 %, plantes ornementales.
L’existence d’un système efficace de protection de la propriété intellectuelle est donc une condition du maintien de l’effort de recherche sur les végétaux.
M. Alain Néri. Eh oui !
M. Rémy Pointereau. Nos obtenteurs, qui sont souvent de petites et moyennes entreprises, ont besoin d’être confortés.
Le secteur semencier français est dynamique. La France est le premier producteur européen et le deuxième exportateur mondial de semences, avec 72 entreprises de sélection, 257 stations de multiplication et environ 23 000 agriculteurs multiplicateurs. La filière réalise un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros.
Le droit des obtentions végétales permet de protéger les obtenteurs, la recherche, les multiplicateurs et les agriculteurs. C’est un moyen de protéger sans confisquer et le meilleur rempart contre la brevetabilité du vivant.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il faut publier ces décrets, qui sont attendus par la profession dans son ensemble : coopératives, semenciers, multiplicateurs, agriculteurs. La pleine application de la loi de 2011 peut en outre aider à créer des emplois, donc à lutter contre le chômage, et cela sans que l’État ait à verser un sou !
Conserver nos atouts et trouver un juste équilibre : telle doit être notre ambition. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.)
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Sur ce vaste sujet, qui recouvre de nombreuses questions, nous ne tomberons pas toujours d’accord, mais il est toujours bon de débattre. Cela étant, je ne pense pas qu’il s’agisse de savoir s’il faut abroger la loi du 8 décembre 2011. Du reste, cela ne servirait à rien : la France est signataire de la convention UPOV et celle-ci a vocation à s’appliquer qu’il existe ou non une loi nationale en la matière.
M. Rémy Pointereau. Mais il faut prendre les décrets !
M. Richard Yung. Mieux vaut légiférer nous-mêmes si nous voulons que la législation nous convienne !
M. Rémy Pointereau. Exactement !
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Richard Yung. M. Pointereau a d’ores et déjà cité des chiffres, mais je tiens à le faire à mon tour afin de donner la mesure de l’enjeu : 72 entreprises de sélection, 240 entreprises de production, 20 000 agriculteurs développant des variétés, 15 000 salariés, près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Ces seuls chiffres indiquent qu’il s’agit d’une filière importante, essentiellement implantée entre Angers et Nantes, et aussi un peu en amont, dans notre belle vallée de la Loire.
M. Rémy Pointereau. Et dans le Cher !
M. Richard Yung. Dans ce secteur, la France est le premier producteur européen et le deuxième exportateur mondial, même si elle est désormais talonnée par la Chine et le Brésil. Les BRICS arrivent !
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Richard Yung. La propriété intellectuelle constitue-t-elle une entrave au droit de semer ? Cela ne vous surprendra pas, ma réponse est non. La France a en effet élaboré un système équilibré, fondé sur le certificat d’obtention végétale. Contrairement au brevet, ce titre de propriété intellectuelle présente un avantage : il permet d’assurer la protection juridique de chaque variété végétale nouvelle et la rémunération de ses auteurs, tout en autorisant, d’une part, l’usage de ressources végétales pour la création de nouvelles variétés – l’« exception du sélectionneur » – et, d’autre part, l’utilisation par les exploitants agricoles d’une partie du produit de leur récolte pour ensemencer les suivantes – l’« exception de l’agriculteur ».
Le système du COV forme un rempart contre la brevetabilité des obtentions végétales.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Gérard Le Cam. Eh non !
M. Richard Yung. Vous le savez, la ligne adoptée par les États-Unis, le Japon et l’Australie est différente : ils n’ont pas de système de certificat d’obtention végétale et veulent tout protéger par brevet, ce qui entraîne les conséquences décrites par M. Le Cam. Il s’agit d’un débat de fond, dans lequel l’Europe doit être leader. Les négociations portant sur les problèmes de propriété intellectuelle, que M. le ministre connaît bien, vont en effet reprendre.
Le système du COV est conforme, je vous le rappelle, à la convention de l’Union pour la protection des obtentions végétales du 19 mars 1991, ainsi qu’au règlement communautaire du 27 juillet 1994.
Ce système est également conforté par la jurisprudence de la Grande chambre de recours de l’Office européen des brevets, l’OEB, sur la non-brevetabilité des procédés essentiellement biologiques – c’est-à-dire « naturels » – pour l’obtention des végétaux. Même s’il est arrivé que l’OEB délivre un certain nombre de brevets « douteux », nous pouvons considérer que la jurisprudence s’est stabilisée de façon satisfaisante.
Ce système est en outre conforme à l’accord intergouvernemental relatif à une juridiction unifiée du brevet, laquelle aura d’ailleurs son siège à Paris. Ledit accord prévoit explicitement que les droits conférés par un brevet ne s’étendent pas à « l’utilisation de matériel biologique en vue de créer ou de découvrir et de développer d’autres variétés végétales ».
Nous disposons donc d’une base solide.
L’extension aux variétés essentiellement dérivées de la protection offerte à l’obtenteur par le COV permet d’éviter que l’introducteur d’un gène breveté dans une variété végétale existante obtienne un droit de propriété total sur la variété obtenue par transformation génétique, et donc empêche l’utilisation de cette variété pour de nouveaux développements.
En comblant le vide juridique entourant les semences de ferme, la loi du 8 décembre 2011 a établi un équilibre entre le respect d’un droit plus qu’ancestral – le « privilège du fermier » existe en fait depuis l’apparition des sociétés agricoles organisées, voilà 4 000 ou 5 000 ans ! – et la protection de la propriété intellectuelle. Sur ce point, chers collègues du groupe CRC, nous avons certainement une divergence d’analyse.
Cette réforme, attendue depuis longtemps, était nécessaire, car la pratique des semences de ferme présente de nombreux avantages en matière de traçabilité, de sécurité d’approvisionnement, de respect de l’environnement et de biodiversité.
Faute de contrat ou d’accord entre les obtenteurs et les agriculteurs, les semences de ferme, à l’exception du blé tendre, sont utilisées sans contrepartie financière. De ce fait, de nombreux agriculteurs peuvent être poursuivis pour contrefaçon. Depuis les années quatre-vingt, plusieurs exploitants agricoles ont ainsi été condamnés.
Rappelant que la liste européenne des espèces pouvant être utilisées comme semences de ferme, qui comprend 21 espèces, est trop restrictive, j’encourage vivement le Gouvernement à élargir la liste nationale, comme l’y autorise l’article L. 623-24-1 du code de la propriété intellectuelle.
S’agissant des conditions d’application du privilège du fermier, la priorité doit être donnée, selon moi, à la négociation interprofessionnelle, sur le modèle de l’accord relatif au blé tendre, afin que les agriculteurs ne se retrouvent pas seuls face aux entreprises semencières pour négocier le montant de l’indemnité prévue à l’article L. 623-24-2 du code de la propriété intellectuelle.
MM. Daniel Raoul et Gérard Le Cam. Très bien !
M. Richard Yung. De mon point de vue, l’État ne devrait intervenir par voie de décret qu’en dernier recours.
Compte tenu de la crise dans laquelle sont actuellement plongés nombre d’agriculteurs, il importe que l’indemnité versée en contrepartie de l’utilisation de semences de ferme soit sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de semences de la même variété.
Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si des accords similaires à celui relatif au blé tendre sont en voie de conclusion depuis l’adoption de la loi de 2011, et comment vous envisagez l’établissement de tels accords.
Je vous serais également reconnaissant de bien vouloir nous indiquer si vous envisagez d’exonérer du paiement de l’indemnité les agriculteurs qui produisent des semences de ferme dans un but d’autoconsommation, notamment pour l’alimentation du bétail.
Il faut aussi veiller à ce qu’une part importante des sommes versées en contrepartie de l’utilisation des semences de ferme soit consacrée au financement de la recherche variétale, et plus particulièrement à la recherche destinée à la production de semences reproductibles.
Pour ce qui concerne le triage à façon, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si vous prévoyez de préciser les conditions dans lesquelles les agriculteurs seront autorisés à trier, c’est-à-dire à séparer les graines destinées au réensemencement des champs et les graines dépourvues de qualités semencières suffisantes, qui peuvent notamment être utilisées pour l’alimentation du bétail.
La loi du 8 décembre 2011 a laissé plusieurs questions en suspens ; se pose ainsi le problème des décrets d’application.
Je pense en particulier à la remise en cause de « l’exception du sélectionneur » pour les agriculteurs qui n’ont pas les moyens d’« extraire » d’une variété génétiquement modifiée les caractères brevetés. Il conviendrait d’apporter une solution à ce problème, faute de quoi la création variétale deviendra le monopole des grandes entreprises semencières.
La législation française ne comprend pas non plus de dispositions destinées à permettre au titulaire du COV d’obtenir toute information pertinente des agriculteurs et des opérateurs de triage à façon, et aux agriculteurs d’obtenir des informations du titulaire du COV et de les faire circuler.
La loi du 8 décembre 2011 a aussi laissé en suspens la question, hautement polémique, des variétés anciennes.
Dans l’arrêt Association Kokopelli contre Graines Baumaux SAS du 12 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la réglementation actuelle, en ce qu’elle n’exclut pas la commercialisation de ces variétés, prenait en considération les intérêts économiques des vendeurs de variétés anciennes ne satisfaisant pas aux conditions d’inscription aux catalogues officiels.
La réglementation de l’Union a été déclinée dans notre droit. Ainsi, en 2008 et 2010, trois nouvelles listes de variétés anciennes ont été ouvertes au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France : deux listes « variétés de conservation » et une liste « variétés dont la récolte est principalement destinée à l’autoconsommation ».
Monsieur le ministre, dans quelles conditions, en particulier financières, envisagez-vous le développement de ces inscriptions sur les listes des variétés anciennes ?
Afin de faciliter la diffusion des variétés anciennes, votre ministère et l’interprofession des semences prennent en charge l’intégralité des frais liés à l’inscription de variétés sur ces listes. Toutefois, il semble que ce dispositif ne soit pas pleinement satisfaisant aux yeux de certains professionnels. En effet, pour être homologuées, les variétés doivent être « distinctes, suffisamment homogènes et stables ».
M. Daniel Raoul. DHS !
M. Richard Yung. Exactement !
Or de nombreuses variétés anciennes ne remplissent pas ces conditions. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?
J’en viens à l’aspect européen du dossier des semences. La Commission européenne devrait prochainement proposer de réviser la législation communautaire en la matière. Pouvez-vous nous donner des informations à ce sujet ?
Je souhaitais formuler un certain nombre de propositions concernant la lutte contre la contrefaçon, mais je m’aperçois que j’arrive à la fin de mon temps de parole. Je n’en évoquerai donc qu’une.
La proposition de loi que j’ai déposée, et qui a malheureusement disparu avec le changement de majorité – il y a beaucoup de raisons de se réjouir de ce changement, mais en voilà une de s’en réjouir un peu moins… (Sourires) –, prévoyait de regrouper le contentieux en matière de variétés végétales au sein d’une juridiction unique qui serait spécialisée sur ces dossiers.
Il y a deux considérations principales qui peuvent justifier une telle décision. En premier lieu, entre cinq et dix cas par an seulement font l’objet d’une procédure : il ne s’agit donc pas d’une jurisprudence de masse ! En second lieu, il est important que les juges aient une certaine expertise sur ces questions passablement complexes.
Nous avions d’abord pensé proposer d’installer cette juridiction spécialisée à Angers, ville qui accueille déjà l’Office communautaire des variétés végétales. Mais, dans la mesure où les semenciers se trouvent aussi à Angers, ce n’est peut-être pas une si bonne idée...
M. Daniel Raoul. Il faut éviter les conflits d’intérêts !
M. Richard Yung. C'est la raison pour laquelle nous avons songé au TGI de Paris, déjà seul compétent pour les contentieux concernant les brevets.
Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition mes autres propositions visant à favoriser la lutte contre la contrefaçon en matière d’obtention végétale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, venant d’un département rural, je suis particulièrement sensible aux préoccupations des agriculteurs. Lorsque la loi relative aux certificats d’obtention végétale a été adoptée en 2011, un certain nombre d’entre eux ont exprimé leurs craintes devant cette nouvelle attaque contre les semences de ferme et les semences paysannes, ainsi que, plus généralement, contre un modèle agricole alternatif au modèle productiviste et industriel.
En 2011, le débat s’est focalisé sur l’opposition entre ces deux modèles, alors que, en réalité, ils sont complémentaires et forment la diversité du modèle agricole français.
Monsieur le ministre, vous avez dit vouloir faire de la France un modèle de l’agro-écologie. Nous saluons cette ambition et, dans ce cadre, les semences de ferme et les semences paysannes ont un rôle à jouer. En effet, en ressemant une partie de leurs récoltes, en procédant à des échanges de petites quantités de semences paysannes, les agriculteurs participent concrètement à la réalisation des objectifs de préservation de la biodiversité.
Mme Annie David. Voilà !
Mme Mireille Schurch. Ils proposent des pistes pour mettre en œuvre une agriculture durable et revenir à des pratiques agronomiques vertueuses.
Les travaux du Grenelle de l’environnement préconisaient déjà le recours à la technique traditionnelle des mélanges variétaux qui, en bousculant le dogme de la variété pure, a permis la lutte contre les maladies et la baisse des fongicides. Ainsi, moins de 20 % des semences de ferme sont enrobées avec un insecticide, contre près de la moitié des semences certifiées.
De plus, les semences de ferme respectent les circuits courts, elles ne sont pas délocalisables, alors que de nombreuses semences certifiées sont produites à l’étranger.
En 2005, la France a ratifié le traité international sur les ressources phylogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui s’imposait à elle depuis 2003 puisque la Communauté européenne l’avait elle-même ratifié. Ce texte affirme « que les droits [...] de conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme et d’autres matériels de multiplication et de participer [...] au partage juste et équitable des avantages en découlant sont un élément fondamental de la concrétisation des droits des agriculteurs ».
Aujourd’hui, le traitement réservé aux semences fermières et paysannes ne nous semble pas respecter les objectifs du traité. Cela est d’autant plus injuste que les semences industrielles ont puisé dans les semences paysannes.
La loi de 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, sous couvert de protéger les semences de ferme, les a reléguées au rang de pratiques interdites ou tolérées sous condition de rémunération. En effet, comme l’a dit mon collègue Gérard Le Cam, les semences de ferme ne sont autorisées que pour 21 espèces, contre paiement de royalties. En dehors de cette liste, elles sont tout simplement interdites et, considérées comme des contrefaçons, donnent lieu à de sévères sanctions.
Un premier pas vers la protection des semences de ferme serait d’élargir la liste des espèces prêtant à dérogation, comme vous en avez le pouvoir par voie réglementaire, monsieur le ministre. Il serait également possible de relever le tonnage au-delà duquel la pratique des semences de ferme donne lieu à paiement.
Plusieurs pistes sont donc envisageables. Il est important d’organiser sur ces questions une concertation avec tous les acteurs du secteur. Nous souhaitons connaître vos intentions en la matière, monsieur le ministre.
Comme l’atteste la proposition de loi que nous avons déposée au mois de juin 2012, nous portons l’exigence d’une légalisation totale des semences de ferme et paysannes. Nous souhaitons que l’agriculteur soit autorisé à ressemer sa récolte comme à faire de la sélection à partir de ses propres semences, à condition qu’elles ne reproduisent pas l’ensemble des caractères distinctifs de la semence certifiée et que le produit des récoltes ne soit pas vendu sous la dénomination variétale.
Nous souhaitons que des échanges puissent être autorisés. Je distingue bien les échanges de semences certifiées, donc industrielles, qui pourraient être limités à un contexte de crise, par exemple en cas de pénurie ou de sinistre grave touchant certaines exploitations, et les échanges des semences de ferme ou paysannes qui pourraient être limités en termes de quantité et de distance ou de périmètre d’échange.
Les semences de ferme ont montré leur utilité et leur complémentarité par rapport aux semences industrielles. Ainsi, souvenez-vous, en l’absence de semences commerciales disponibles pour assurer la relance des protéagineux et développer les couverts végétaux afin de répondre au verdissement de la PAC, on a utilisé des semences de ferme. On a encore fait appel à elles pour compenser le déficit fourrager provoqué par la sécheresse en 2011.
Il ne s’agit donc pas pour nous d’opposer deux systèmes, les semences industrielles et les semences fermières. La filière semencière en France a fait la preuve de son excellence. Elle joue, avec l’INRA, un rôle majeur en termes d’indépendance alimentaire et de recherche.
Lors des débats qui ont précédé le vote de la loi de 2011, on a souvent entendu l’argument selon lequel la pratique des semences de ferme mettrait en péril la recherche. Or le progrès génétique a été constant alors même que les semences fermières étaient tolérées. C’est donc une erreur de croire que la ressource financière dégagée par la taxation des semences de ferme est la condition du dynamisme de la recherche.
De plus, si des financements sont nécessaires, pourquoi les faire reposer sur les seuls agriculteurs, alors que toute la filière agroalimentaire bénéficie des progrès en termes de productivité et de qualité nutritionnelle des produits agricoles ?
Par ailleurs, si des partenariats, qui ont montré leur excellence, se sont constitués au sein des organismes publics de recherche, mais également entre la recherche publique et la recherche privée, les coupes budgétaires répétées depuis des années affaiblissent considérablement les moyens alloués à la recherche publique. Ainsi, l’absence de création de postes en 2013, les masses salariales bloquées, le refus d’intégrer dans les dispositifs de titularisation, en bref, la politique d’austérité que vous avez décidé de conduire, ne forment pas un environnement favorable au dynamisme de la recherche. Or le sujet exige une programmation de la recherche sur un temps long.
De plus, certaines activités liées au contrôle des semences, dont il est question dans la loi de 2011, sont aujourd’hui fragilisées.
En 2011, sous le précédent gouvernement, l’INRA et le ministère de l’agriculture avaient déjà constitué un groupe de travail ayant pour mission de « réfléchir aux conséquences de la baisse importante de la subvention accordée à l’INRA pour assurer les missions autres que la recherche stricto sensu ».
Pour certaines des missions « complémentaires » de l’INRA qui sont assurées par le groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, se dessine au niveau européen une volonté dangereuse de dévier vers l’autocertification. En effet, avec le projet Better Regulation, la Commission européenne a proposé de simplifier l’actuelle certification des semences par une « autocertification » agréée par les pouvoirs publics, validant les systèmes de contrôle internes.
Confier aux industriels du secteur le soin de contrôler les critères d’évaluation et les modalités d’études des variétés, aujourd’hui missions du GEVES, nous semble très dangereux. Il nous faut être exigeants sur ces questions et, monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre position sur ce point précis.
Enfin, je veux attirer votre attention sur les dangers de l’appropriation du vivant.
Depuis de nombreuses années, de grandes firmes ont développé une stratégie commerciale et financière afin de s’approprier les espèces végétales. Voici ce que l’économiste Benjamin Coriat explique à propos du brevet : « Il ne consiste plus en une "récompense" attribuée à l’inventeur en échange de la divulgation de son invention : le brevet se mue, pour la firme qui le détient, en droit d’exploration, cédé sous forme de monopole, pour toutes les inventions à venir, non décrites et non prévisibles, avant même que toute invention ait été effectuée et, a fortiori, divulguée. »
En Europe, la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques n’interdit pas le brevetage d’un gène dans une plante ni même celui d’une espèce végétale. Récemment, l’Union française des semenciers, consciente qu’il s’agissait là d’une arme redoutable, s’est opposée à la brevetabilité des gènes natifs.
Monsieur le ministre, quelle voix portera la France sur ce sujet ? Si l’Europe veut maîtriser son progrès génétique, elle doit être claire et ne pas reconnaître les brevets sur les gènes natifs. C’est une décision politique qui doit être prise et qui, à nos yeux, serait une véritable protection pour le système du certificat d’obtention végétale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet de société qui donne toujours lieu, surtout dans le monde rural, à des discussions très animées.
L’intitulé même de ce débat, « droit de semer et propriété intellectuelle », reflète parfaitement les interrogations des différents acteurs concernés.
Dans une vision beaucoup trop simplificatrice, on oppose souvent les agriculteurs et les semenciers.
Les agriculteurs estimeraient que leur droit de semer ne doit pas être altéré par des géants de l’industrie semencière, à qui ils doivent dans de nombreux cas verser une redevance au titre de la propriété intellectuelle. Cela reviendrait à les sacrifier au profit de l’industrie semencière et ils n’auraient bientôt plus qu’un seul choix : acheter toutes leurs semences à l’industrie avec des propositions sans cesse plus nombreuses, notamment d’OGM.
Les semenciers, eux, au nom de la propriété intellectuelle, revendiqueraient un droit de plus en plus étendu sur les semences et imposeraient aux agriculteurs une redevance de plus en plus lourde, notamment afin de financer la recherche. Ils concourraient, par le progrès végétal, à la sécurité de la chaîne alimentaire et à l’économie des filières de production, dans une démarche de respect durable de l’environnement, la recherche dans ce secteur étant primordiale puisqu’elle fait évoluer les variétés, transformant ainsi le potentiel végétal en vue d’une amélioration de la qualité des produits et d’une hausse des rendements.
Loin de ces deux visions caricaturales, il existe un juste équilibre, qui doit d’autant plus être conforté que l’objectif alimentaire est, aujourd’hui plus que jamais, déterminant : on prévoit 9 milliards de bouches à nourrir en 2050 ! Voilà qui impose un niveau de productivité toujours plus élevé, et, contrairement aux clichés, l’obtenir n’empêche pas pour autant le respect du monde végétal et de l’environnement en général.
Un autre point à prendre en compte est le poids économique du secteur des semences et des plants, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de plusieurs milliards d’euros. Cela est d’autant plus vrai pour la France, qui est redevenue l’an dernier, avec 1,2 milliard d’euros d’exportations de semences et de plants, championne du monde dans ce domaine, devant les États-Unis et les Pays-Bas.
La France reste en outre le premier producteur européen de semences.
Il peut être également utile de rappeler l’évolution du métier de semencier.
Longtemps cantonné au monde agricole, composé de PME familiales fondées par des agriculteurs et de coopératives, le métier de semencier s’est ouvert aux investisseurs extérieurs au milieu des années soixante-dix. Des entreprises qui étaient aux antipodes du monde agricole, comme Shell ou Elf, se sont alors ruées sur ce secteur qu’elles considéraient comme porteur.
Dans un second temps, au cours des années quatre-vingt, les entreprises semencières sont devenues la proie des agrochimistes, la complémentarité des deux activités étant alors plus évidente.
Cela m’amène à évoquer la crainte, fondée, exprimée par des agriculteurs, mais aussi par des semenciers européens et français, d’un monopole exercé par certains grands groupes, notamment américains.
Aujourd’hui, deux tiers des semences du monde font l’objet d’un commerce. Elles sont vendues par une dizaine de firmes spécialisées, dont certaines bénéficient d’un quasi-monopole – Monsanto, Bayer ou DuPont de Nemours sont les plus connues –, doublé d’un monopole sur l’alimentation animale. Cela signifie donc qu’un tiers seulement est constitué de semences que les « familles paysannes » prélèvent sur leurs récoltes et troquent entre elles ou de semences produites par de petites entreprises d’obtenteurs.
Reste que le développement des entreprises semencières est un atout pour la recherche, et il convient de s’arrêter un instant sur ce point.
En France, le budget de recherche dans le secteur des semences est d’environ 250 millions d’euros, pour 72 entreprises, ce qui représente 13 % à 20 % de leur chiffre d’affaires. À titre de comparaison, le seul budget recherche de Monsanto est de l milliard d’euros : une seule firme américaine dispose donc d’un budget de recherche cinq à six fois supérieur à la somme des budgets recherche des 72 entreprises françaises spécialisées en la matière !
Il ne s’agit évidemment pas de prendre Monsanto pour modèle et de tomber dans l’excès, mais de montrer que le poids de la recherche en France reste marginal, voire dérisoire dans certains cas. Or il me semble important de donner les moyens à nos chercheurs pour qu’ils créent les variétés de demain.
Globalement, la France est le troisième marché pour les semences dans le monde, après les États-Unis et la Chine, qui, de leur côté, font de la recherche une priorité.
Ma région, l’Aquitaine, abrite de grands groupes qui sont des fleurons de la recherche dans ce secteur : Maïsadour et Pau Euralis. Et cette région n’est pas une exception ! La France ne doit pas se laisser dominer, non seulement parce que nous avons les connaissances et les capacités techniques et d’ingénierie pour rivaliser, mais aussi parce que nous ne devons pas laisser les autres pays maîtres de l’alimentation de demain.
Pour concilier l’impératif de recherche et la liberté des agriculteurs, le Parlement a légiféré dans le domaine des semences.
M. Christian Demuynck, quand il était sénateur, avait déposé une proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale. Cette dernière, cosignée par nombre de sénateurs centristes, notamment M. Deneux, a été adoptée par le Sénat et l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2011, au terme d’un débat extrêmement animé.
À mon sens, ce texte a permis des avancées intéressantes et nécessaires.
Il assure tout d’abord la transposition en droit français de la convention internationale UPOV de 1991, confortant les spécificités du certificat d’obtention végétale.
Il offre ensuite un cadre juridique aux semences fermières pour certaines espèces et rend ainsi possible la rémunération de l’obtenteur de semences, tout en permettant à l’agriculteur de ressemer ses propres semences.
Il met enfin la France en conformité avec les textes européens, qui sont d’ailleurs en cours de révision.
La loi de 2011 constitue selon moi un bon compromis, à la fois pour les agriculteurs et les semenciers, tout en harmonisant la législation française avec celle de l’Union européenne, ce qui est gage de plus d’efficacité.
Mais, pour une parfaite mise en œuvre de cette loi, les décrets d’application sont extrêmement importants, monsieur le ministre. Or, actuellement, onze décrets sont encore en attente de publication. Notre vigilance doit donc être maintenue, car le contenu de ces décrets est loin d’être négligeable, ce débat en témoigne.
À la suite de l’adoption de cette loi, pourtant équilibrée, des associations se sont constituées qui y sont très hostiles ; ainsi, Semons la Biodiversité milite pour son abrogation, principalement au nom de la défense du revenu des agriculteurs. Mais, si les agriculteurs conservent et replantent leurs propres semences, sans aucune protection ni redevance pour les semenciers, la recherche ne peut que disparaître, emportant avec elle toute la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à l’agriculture.
Quant à l’argument de la souveraineté alimentaire, souvent invoqué par ces associations qui se disent protectrices de la liberté des agriculteurs, il ne peut être soutenu puisque, sans recherche, justement, nous perdrons notre souveraineté alimentaire au profit d’autres États.
Toutes ces critiques ont amené certains élus à déposer de nouvelles propositions de loi. Je ne les évoquerai que brièvement, car, à mon sens, elles versent dans l’excès.
En juin 2012, certains de nos collègues ont déposé une proposition de loi en faveur de la défense des semences fermières et de l’encadrement des obtentions végétales. Elle me semble aller trop loin.
À l’Assemblée nationale, une proposition de loi encore plus radicale a également été déposée, le 12 décembre 2012, par le député Jean-Jacques Candelier, avec pour unique but d’abroger la loi de 2011. Les motifs sont clairs et malheureusement excessifs : la loi de 2011 viserait uniquement à protéger les intérêts des semenciers contre ceux des agriculteurs, ce qui me paraît inexact.
Nous serons peut-être amenés à examiner ces deux propositions de loi dans les mois qui viennent, si la grande réforme de l’agriculture que vous prévoyez, monsieur le ministre, ne revient pas sur cette question…
En vérité, deux grands modèles coexistent aujourd’hui : d’une part, le certificat d’obtention végétal, choisi par la France et les pays regroupés au sein de l’UPOV ; d’autre part, le brevet, choisi par les États-Unis, l’Australie ou encore le Japon.
Si les entreprises européennes ont accru leurs dépôts de brevets, 2012 étant une année record pour l’Office européen des brevets, comme le montre le rapport annuel de cet organisme en date du 6 mars dernier, ce système de protection ne paraît pas constituer, au sein de l’Union européenne, une solution opportune dans le domaine des semences agricoles.
Le certificat d’obtention végétale semble, en revanche, être une solution satisfaisante, et cela pour plusieurs raisons.
Au sélectionneur il garantit la protection de la dénomination de l’invention ainsi qu’une relative exclusivité sur la vente des semences pendant une durée de vingt à trente ans.
À l’agriculteur le COV laisse le droit de prélever une partie de sa récolte pour la ressemer, en payant un montant réduit : c’est ce que l’on appelle le « privilège de l’agriculteur » – peut-être faudra-t-il d’ailleurs revenir sur cette terminologie.
De plus, la mise au point d’une nouvelle variété à partir d’une variété protégée par un COV est permise et cette nouvelle variété peut être mise sur le marché sans que son inventeur doive quoi que ce soit au détenteur du COV. Il faut cependant que la nouvelle variété puisse se perpétuer indépendamment de la première variété. C’est l’exemption en faveur de l’obtenteur.
Enfin, il faut souligner que l’exemption de la recherche permet aux chercheurs d’utiliser gratuitement la variété protégée dans leurs travaux.
Ces caractéristiques distinguent bien le COV du brevet car, tout en reconnaissant la performance intellectuelle de l’inventeur et en garantissant à celui-ci un retour sur investissement, il met le savoir à la disposition de tous.
Contrairement aux variétés protégées par un COV, les variétés brevetées ne peuvent être librement utilisées à des fins de sélection par tous.
Le brevet est ainsi beaucoup plus contraignant, au point de constituer pour les agriculteurs un véritable handicap. C’est pourquoi les procès opposant les « géants des semences » à de « petits agriculteurs » se font de plus en plus nombreux.
Ce constat ne fait que renforcer l’idée selon laquelle le COV est une solution intermédiaire bien adaptée.
Je terminerai en évoquant les OGM, car les amalgames peuvent être faciles : défendre la recherche, préconiser un juste milieu entre la liberté des agriculteurs et la protection de la recherche, ne signifie pas prôner les OGM.
La recherche vise avant tout à faire évoluer les variétés en vue d’un meilleur rendement, d’une productivité accrue, sans toutefois s’écarter des processus normaux et naturels de sélection. Les OGM sont donc, à mon sens, un tout autre sujet, sur lequel nous aurons certainement un jour l’occasion de débattre, tout comme nous devrons sans doute distinguer, dans nos futurs débats, les espèces autogames des espèces hybrides, ces dernières ayant un rapport plus lointain avec nos discussions d’aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de réitérer en quelque sorte le débat que nous avions eu en décembre 2011.
Comme cela a été rappelé avant moi, ce débat fait en effet directement référence à la loi Demuynck sur les certificats d’obtention végétale adoptée en décembre 2011.
Élu du Maine-et-Loire, et scientifique de surcroît – j’accumule les défauts ! (Sourires.) –, vous le comprendrez, je pouvais difficilement ne pas intervenir ce soir.
Mon département abrite en effet, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner lors de nos précédents débats, de nombreuses structures, mondialement connues, spécialisées dans l’obtention et la sélection de variétés végétales : l’Office communautaire des variétés végétales, l’OCVV, la Station nationale d’essais de semences, la SNES, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, ce dernier regroupant à la fois le ministère de l’agriculture, l’INRA et le groupement national interprofessionnel des semences et plants.
Tout le Val-de-Loire, y compris dans sa partie nord, cher Rémy Pointereau, est réputé pour son climat clément : je n’ai pas besoin de vous rappeler les vers qui célèbrent « la douceur angevine », ni de vous dire que, moi aussi, je peux préférer « mon petit Liré » au mont Palatin ! (Sourires.) C’est en partie pourquoi ce territoire contribue aujourd’hui au développement de ce secteur stratégique pour la France – notre pays est le deuxième exportateur mondial de semences – et essentiel pour le reste du monde, dont il faudra assurer et sécuriser l’alimentation.
Je voudrais souligner le rôle primordial des COV dans la protection de la recherche.
Contrairement au modèle du brevet, défendu par les États-Unis, l’Australie et le Japon, le système du COV autorise l’usage des variétés créées pour tout nouveau programme d’amélioration végétale. L’amélioration des plantes étant un processus continu, le droit de propriété conféré au créateur d’une nouvelle variété végétale ne concerne pas l’utilisation de cette variété pour en créer de nouvelles, en particulier en recherche et développement. Ainsi, une nouvelle variété, même si elle fait l’objet d’un COV, peut servir de base au développement de nouvelles variétés sans qu’il y ait de droit à payer ; c’est le modèle des logiciels libres, si l’on veut faire une analogie avec l’informatique.
Ce caractère ouvert offre la meilleure garantie de non-appropriation du vivant. Il existe, entre le brevet et le COV, une divergence quant à l’appropriation, et je considère que le COV reste la meilleure parade contre la brevetabilité du vivant.
En 2011, j’avais soumis au rapporteur de la proposition de loi Demuynck un amendement qu’il avait eu l’amabilité de reprendre et qui mettait en avant la notion de variété découverte, laquelle exclut toute valeur ajoutée apportée par le découvreur. Il est bien évident que, par exemple, le fer se trouvant dans la nature, on ne va pas breveter le fer en vertu de ses propriétés magnétiques ! C’est le même raisonnement concernant les variétés végétales.
Le maintien d’une liberté totale d’accès à la variété protégée, en tant que ressource génétique, est ce qui différencie fondamentalement le certificat d’obtention végétale du brevet. Les COV participent donc de la défense du bien commun en nous prémunissant contre la mainmise de certaines entreprises sur le patrimoine génétique mondial et en garantissant par ailleurs – c’est l’autre bout de la chaîne – le financement de la recherche et développement. Nous savons en effet combien le processus est long avant d’obtenir une nouvelle variété : peu importe la technique utilisée, que ce soit la mutagénèse ou la transgénèse, cela prend du temps et cela a un coût.
Vous l’aurez compris, les COV sont pour moi un modèle qu’il convient absolument de défendre sur le principe, tant au niveau français que sur le plan européen et mondial.
Je ne dresserai cependant pas un panégyrique de la loi de décembre 2011. Certes, elle a permis de mettre enfin en conformité notre droit interne avec la réglementation européenne, notamment en matière de semences de ferme et de variétés essentiellement dérivées. Toutefois, elle n’a pas réglé le problème, loin s’en faut, évoqué par plusieurs orateurs, de l’autoconsommation et de la nécessaire défense du droit des agriculteurs en la matière. Elle n’a pas non plus résolu la question du financement de la recherche publique. Autrement dit, elle n’a pas assuré l’indispensable prise en compte du pluralisme dans les interprofessions non plus que la protection des variétés anciennes.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’aucun texte d’application, à l’exception de celui de juillet 2012, n’est encore paru. Le chantier est ouvert ! Nous sommes dans l’attente d’au moins dix textes réglementaires de toute nature : décrets en Conseil d’État, décrets simples, arrêtés…
Nos amendements avaient permis, en collaboration avec le rapporteur, M. Pointereau, d’améliorer le texte initial.
Nous avions ainsi obtenu que soit précisée, dans la loi, l’interdiction d’octroyer un COV pour les variétés existantes simplement découvertes et n’ayant donc fait l’objet d’aucun travail de recherche ou d’innovation de la part du candidat obtenteur.
S’agissant de la rémunération éventuelle des semences de ferme, nous avions obtenu que son montant soit forcément inférieur à celui de la rémunération payée sous licence, ce qui, pour certains, ne semblait pas aller de soi.
Nous avions aussi progressé sur la difficile question des variétés essentiellement dérivées. Ne disposant ni d’un écran, ni d’un tableau noir, ni d’un vidéoprojecteur, je ne me lancerai pas ici dans un cours sur les VED (Sourires.), notion extrêmement complexe et qui n’est toujours pas éclaircie. Qu’est-ce en effet qu’une variété essentiellement dérivée ? Même en prenant les critères DHS, nous ne savons pas jusqu’où remonter. Si, à partir d’une variété A, une variété B puis une variété C sont obtenues, à qui les droits d’auteur sont-ils dus ? Doit-on remonter jusqu’à A, ou seulement jusqu’à B ?
Rassurez-vous, mes chers collègues, je n’ai pas l’intention de vous soumettre à une interrogation écrite à la sortie de l’hémicycle – j’allais dire de l’amphi… (Nouveaux sourires.) – mais reconnaissez que tout cela mériterait d’être clarifié.
Quoi qu’il en soit, nous avions obtenu que le droit exclusif du titulaire s’étende aux variétés essentiellement dérivées d’une autre variété sauf lorsque cette variété est elle-même essentiellement dérivée d’une autre variété – et je m’arrêterai là, car on peut aller jusqu’à l’infini !
Mme Annie David. Nous dérivons en effet beaucoup ! (Sourires.)
M. Daniel Raoul. Je sais, monsieur le ministre, que vous n’attendez pas le projet de loi d’avenir agricole pour travailler sur le sujet et que vous avez d’ores et déjà engagé une large concertation. Je tiens cependant à attirer une nouvelle fois votre attention sur le fait qu’une dizaine de textes sont en attente.
S’agissant de la question de la rémunération des semences de ferme, je souhaite pour ma part – il me semble d’ailleurs qu’il s’agit de la procédure retenue par le Gouvernement – que nous prenions exemple sur l’accord blé tendre de juin 2001. Ce dernier a démontré que des solutions pouvaient être trouvées, dans le cadre des interprofessions, entre obtenteurs et agriculteurs. Il faut donner la priorité à ces accords collectifs sur les modalités de fixation de la rémunération des obtenteurs.
En revanche, il faut que le cadre interprofessionnel permette à tous les syndicats d’agriculteurs représentatifs d’être associés à ces accords et qu’il leur donne la possibilité de s’exprimer. Cette remarque est valable, dans le secteur des semences, non seulement pour le GNIS mais aussi pour toutes les interprofessions agricoles.
Il me semble indispensable d’étendre la liste des espèces concernées par les semences de ferme en fonction des besoins exprimés par les agriculteurs. La convention UPOV vise l’ensemble des espèces végétales mais, pour l’instant, le règlement communautaire de base limite la dérogation à vingt et une espèces, auxquelles s’ajoute une espèce fourragère protégée seulement – on se demande pourquoi – au Portugal. Il faut absolument faciliter l’accès des agriculteurs à l’information sur les COV ainsi que sur les droits dus, en améliorant l’étiquetage des semences.
Je souhaite également que les contributions volontaires obligatoires – il fallait tout de même le faire pour trouver un tel concept ! (Sourires.) –, bref, que les COV récoltées permettent de soutenir la recherche publique. Lors des débats de 2011, nous avions évoqué l’idée qu’un tiers des fonds collectés soient fléchés vers les laboratoires publics. Je pensais, évidemment, à l’INRA en particulier, mais d’autres laboratoires publics travaillent sur les semences et l’obtention de nouvelles variétés végétales.
Le soutien à la recherche publique est d’autant plus indispensable que les firmes privées ont parfois tendance à privilégier des variétés qui peuvent, certes, répondre aux impératifs de productivité de l’industrie agroalimentaire, mais qui ne favorisent pas particulièrement la sobriété en matière d’intrants, ces deux aspects n’étant pas nécessairement corrélés ! Il y a pourtant en la matière d’importants progrès à faire. À cet égard, l’échec « annoncé » du plan Écophyto 2018 ne peut que nous encourager à redoubler d’efforts.
Dans mon département, par exemple, l’INRA travaille actuellement sur des semences nécessitant trois fois moins d’intrants à l’hectare pour une production offrant un rendement acceptable. Des solutions existent donc, à condition d’investir dans la recherche et développement sur de nouvelles variétés.
Il faudra entériner le fait que l’on ne peut demander aux agriculteurs de payer des royalties sur des récoltes produites à partir de semences de ferme quand ils autoconsomment sur l’exploitation ces productions, et, en disant cela, je me tourne vers le rapporteur de la loi de 2011 ! (M. Rémy Pointereau opine.) Il faut arrêter l’hypocrisie : sachant que cette pratique est courante et que l’on est incapable d’exercer le moindre contrôle, ce sera plus sain pour tout le monde !
Certes, lorsque les productions sont autoconsommées pour l’alimentation animale, il peut y avoir un risque de concurrence éventuellement déloyale s’il s’agit de bétail mis ensuite dans le commerce, mais le problème se pose en tout cas de façon certaine lorsqu’il s’agit de cultures destinées à protéger l’environnement. Je pense évidemment aux fameuses bandes enherbées de cinq mètres le long des cultures. Demander aux agriculteurs de payer des royalties dans ce cas, c’est pousser le bouchon un peu trop loin et il nous faudra au moins corriger ce point.
Il faudra aussi assurer les conditions d’accès des agriculteurs à des variétés tombées dans le domaine public, car sont actuellement seules commercialisées des variétés protégées. À défaut, le marché des semences protégées pourrait être considéré comme captif !
À titre d’exemple, je prendrai le cas d’un agriculteur que je connais et à qui vous pourriez d’ailleurs rendre visite, monsieur le ministre ! (Sourires.) Il est installé dans la commune de Savennières, où ne pousse pas que de la vigne. Il cultive des variétés anciennes de légumes, plus par loisir que par intérêt économique. Or, bien qu’il contribue à la préservation du patrimoine phytogénétique, il ne peut, théoriquement, donner ces variétés contre rémunération à un organisme de recherches tel que l’INRA. Heureusement, la proximité géographique de la station de l’INRA, située à Angers, lui permet peut-être, le week-end, de s’en approcher et de s’égarer en quelque champ… (Sourires.)
Il serait cependant tellement plus simple que toute personne physique ou morale puisse disposer d’un libre accès à un tel patrimoine. Cet agriculteur remplit en fait le rôle de conservatoire de variétés anciennes.
La procédure d’inscription au catalogue officiel des variétés anciennes devrait être simplifiée ; les frais d’inscription pourraient, malgré les contraintes budgétaires, être pris en charge et la liste des variétés anciennes étendue.
Pour conclure, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité – et je sais pouvoir compter, monsieur le ministre, sur votre engagement résolu – de veiller au maintien d’une exception COV pour le végétal, mais dans le cadre d’un brevet européen unique. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux saluer l’initiative du groupe CRC, qui nous permet de rouvrir ce débat bien nécessaire.
Les réglementations en matière de semences et d’obtentions végétales s’établissent dans un cadre européen et international. Or le cadre actuel, complexe, est particulièrement complaisant avec les aspirations des grosses firmes semencières.
En France, la loi relative aux certificats d’obtention végétale, publiée le 8 décembre 2011, n’est pas satisfaisante et, si elle permet d’éviter la brevetabilité du vivant, il faut constater qu’elle a provoqué une très vive émotion dans une partie du monde agricole et de la population, mais aussi dans une partie non négligeable de la communauté scientifique.
Privilégiant nettement les droits des obtenteurs, cette loi nie un des droits fondamentaux des agriculteurs en leur interdisant d’utiliser leur propre récolte de variétés protégées par un COV comme semences. Cette interdiction vaut pour la majorité des espèces cultivées à l’exception de vingt et une d’entre elles, dont l’utilisation est soumise au paiement de royalties lors de chaque ensemencement.
Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, la loi ne se contente pas d’adapter le droit français au regard de nos engagements européens et internationaux : elle renforce les droits des obtenteurs bien au-delà de ce qui est exigé par ces engagements.
Une loi équitable et équilibrée aurait prévu une juste part de revenus pour l’obtenteur d’un COV, mais pas plus. La loi de 2011 reconnaît en effet le travail « d’obtention », c’est-à-dire le travail qui consiste à reproduire une variété végétale en la sélectionnant de manière à ce qu’elle devienne « distincte, homogène et stable », travail qui mérite rémunération, mais la légitimité de la rémunération de l’obtenteur doit se limiter au service qu’il ajoute à un bien commun : pas moins mais, surtout, pas plus !
Or cette loi est dangereusement déséquilibrée. Je ne citerai que quelques exemples.
Premièrement, elle refuse aux agriculteurs le droit, désormais réservé aux seuls obtenteurs, d’utiliser une variété protégée pour en sélectionner une autre.
Deuxièmement, elle généralise aux vingt et une espèces concernées par la loi dite COV le paiement de la contribution volontaire obligatoire blé tendre, alors que cette contribution vise aussi les agriculteurs qui utilisent les dernières variétés non protégées par un COV encore disponibles ou des semences paysannes qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées et renouvelées.
Troisièmement, elle ouvre la porte aux brevets français et européens qui interdisent l’utilisation de toute semence de ferme ou paysanne porteuse de gènes brevetés sans la volonté de l’agriculteur.
Quatrièmement, elle ouvre également la porte à un nouveau brevet unitaire européen qui menace d’interdire toutes les semences de ferme de toutes les espèces.
In fine, qu’offre cette loi ? Elle garantit la distinction, l’homogénéité et la stabilité des semences et, de ce fait, contribue à leur uniformisation.
Il faut l’admettre, elle permet à un certain type d’agriculture, qui a son importance, d’orienter clairement sa production. Mais cela convient surtout aux firmes semencières, aux firmes productrices d’intrants et aux firmes publicitaires chargées de promouvoir les nouveaux produits.
Cette loi conduit ainsi à l’uniformisation et à la réduction des variétés de plantes et de graines comestibles, ce qui ne va ni dans le sens de l’intérêt général ni dans celui de l’intérêt supérieur de l’humanité.
À titre d’exemple, la perte de biodiversité cultivée est estimée à 75 % ces cinquante dernières années par une étude de la FAO. Or l’humanité a besoin de cette diversité, qui est un facteur d’adaptation aux climats, aux sols, aux terroirs, aux différents milieux.
Toujours selon la FAO, cinq grandes compagnies semencières contrôlent aujourd'hui 75 % de la semence potagère mondiale. Or le vivant n’est pas un secteur dans lequel le marché doit faire la loi.
Il a fallu 3,5 milliards d’années d’interactions du vivant pour engendrer la diversité génétique. Puis les sociétés successives ont identifié, sélectionné, échangé cette matière durant plusieurs milliers d’années. Ce bien commun naturel, mais aussi culturel, est patrimoine de l’humanité. Il nous a été transmis et nous avons le devoir de le léguer aux générations futures.
C’est pourquoi nous trouvons inacceptable que la loi entrave les autres pratiques culturales, c’est-à-dire celles des paysans qui échangent régulièrement leurs semences, renouvelant ainsi la variabilité et la diversité des populations indispensables à l’adaptation aux milieux.
Il est de la responsabilité des politiques de lutter contre la mainmise de quelques-uns sur la biodiversité, de garantir le respect des droits de l’ensemble des acteurs, qu’ils soient petits ou grands, ainsi qu’un modèle agricole soutenable et solidaire, à l’échelle tant nationale que mondiale. Cela implique notamment de soutenir le métier de paysan, et non de le fragiliser plus encore.
La loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011 doit donc être ajustée. Elle donne un droit exclusif à l’obtenteur sur la production, la reproduction et la commercialisation des semences ou des plants de sa propre variété, ainsi que sur l’utilisation commerciale de sa dénomination.
La loi, en excluant les semences de ferme et les variétés de ferme, en fait de facto des contrefaçons des variétés commerciales. Pourtant, ces semences « illégales » jouent un rôle que ne peuvent pas remplir les semences commerciales d’obtenteurs : adaptation locale des cultures, limite de la dépendance aux intrants, préservation des populations d’insectes pollinisateurs et de l’ensemble de la biodiversité.
Les semences et les variétés de ferme sont un complément irremplaçable et non un concurrent qu’il faut opposer aux semences d’obtenteurs.
C’est pourquoi nous, écologistes, demandons que soient prises en compte les populations variables ou évolutives multipliées en pollinisation libre ou en sélection massale par les agriculteurs.
Cet élargissement ne peut se faire uniquement par décret, car il nécessite la modification de l’article L. 623.1 du code de la propriété intellectuelle. Cependant, un décret pourrait être pris rapidement afin de mieux protéger les semences de ferme et les semences anciennes.
Parmi les décrets attendus, il en est un en projet sur l’amélioration de la politique des semences. Il met en œuvre l’article 117 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement et l’article 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
Sa publication avait été bloquée par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Il vous appartient de le rendre d’actualité et cela en procédant, comme à votre habitude, à de larges consultations, afin d’évoluer vers une meilleure protection de la biodiversité culturale et de la biodiversité globale, qui constituent, je le répète, un patrimoine inestimable pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRC, qui ont pris l’initiative de ce débat sur le droit de semer et la propriété industrielle.
Ces deux notions sont apparemment contradictoires puisqu’il s’agit, dans un cas, de reconnaître le droit des agriculteurs de ressemer librement une partie de leur récolte et, dans l’autre, de récompenser l’effort de recherche et d’innovation des semenciers par un droit exclusif sur les variétés végétales.
Ces notions sont-elles néanmoins conciliables ? Cette question a été au cœur des débats sur la loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011. Celle-ci devait garantir l’équilibre des droits entre les différents acteurs, en étendant la portée des COV et en autorisant, dans le même temps, l’utilisation de semences de ferme sur la même exploitation, sous réserve d’une indemnisation de l’obtenteur.
Le groupe du RDSE avait choisi de soutenir ce texte, considérant qu’il consolidait un modèle de protection de la propriété industrielle « moins pire » que celui du brevet, qui verrouille de façon dramatique la recherche mais a malheureusement ses partisans.
Le COV est à la génétique ce que le logiciel libre est à l’informatique : c’est une manière d’innover sans bloquer l’innovation chez les utilisateurs puisqu’il laisse la variété protégée librement disponible pour toute sélection d’autres variétés. Ce dispositif est donc une alternative efficace au brevet.
Par ailleurs, la France ayant été pionnière dans la mise en place de ce certificat, adopté maintenant par soixante-neuf pays, il était assez paradoxal qu’elle n’ait pas encore adapté sa propre législation aux standards internationaux.
Cela étant, nous l’avions dit à l’époque, notre position se voulait constructive dans l’attente d’un traitement satisfaisant de la question des semences de ferme au cours de la navette parlementaire.
À nos yeux, il fallait étendre l’autorisation au-delà des vingt et une espèces recensées à l’échelon européen et, au minimum, exonérer de la contribution volontaire obligatoire les agriculteurs utilisant des semences de ferme à des fins d’autoconsommation pour des cultures réalisées en application d’obligations environnementales ou en cas de perturbations sur le marché des semences. Notre collègue Daniel Raoul s’était d’ailleurs battu en ce sens.
C’était bien naïf de notre part puisque le Gouvernement a obtenu un vote conforme à l’Assemblée nationale, nous privant ainsi de revenir sur cette question ! Il est vrai que, entre-temps, le Sénat avait changé de majorité et qu’une navette aurait pu être fatale à l’adoption définitive de la loi…
En réalité, cette question va au-delà de la préservation des capacités de la recherche. Si l’enjeu était celui-là, nous serions tous d’accord.
Chacun a bien conscience que, pour conserver une recherche dynamique dans ce secteur, dans lequel la France est déjà en pointe, les entreprises de semences et de plants doivent pouvoir espérer un juste retour de leurs efforts d’innovation et disposer des mêmes droits que les entreprises concurrentes.
Encore faut-il savoir de quelle recherche on parle : dans quel but, pour quel développement agricole et par qui ?
Il est clair que l’obtention doit sanctionner un réel travail de recherche, en d’autres termes l’innovation. Sur ce point, la loi relative aux certificats d’obtention végétale semble satisfaisante.
Mais l’orientation de cette recherche n’est pas toujours adaptée au contexte actuel. Des blés de pays d’il y a 150 ans au blé tendre d’aujourd’hui, la recherche a fait évoluer les variétés, entraînant une amélioration spectaculaire de la production céréalière nationale, toutes espèces confondues, avec des hausses de rendement considérables. L’apport d’engrais, de produits phytosanitaires, le machinisme, la technique, le savoir-faire et la volonté patiente de l’agriculteur ou encore ses choix de rotation ont aussi largement contribué à cette progression.
Le défi alimentaire impose, certes, de conserver un niveau élevé de productivité, mais il faut aussi prendre en compte les nouvelles aspirations gustatives, le changement climatique et les objectifs de durabilité afin de préserver la capacité de la terre à nous nourrir demain.
De surcroît, certaines grandes firmes ont décidé d’orienter 100 % de leurs programmes de recherche vers des variétés hybrides, non reproductibles à la ferme. Va-t-on donc assister au contrôle de la totalité des semences et de la nourriture par une poignée de multinationales ?
Prenons garde à ce que le droit que nous construisons n’ôte pas aux agriculteurs le rôle de sélectionneurs qu’ils ont toujours joué dans l’histoire de l’agriculture, et ce depuis la révolution néolithique.
Ils ont contribué non seulement à la conservation in situ des semences, mais aussi à la préservation et surtout au renouvellement de la biodiversité cultivée. Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO, approuvé par la France en 2005, reconnaît la considérable contribution, passée, présente et future, des agriculteurs.
En limitant la reproduction aux seuls champs des semenciers, on met la poule aux œufs d’or en danger, car il n’y a aucune commune mesure entre la diversité produite spontanément par des millions de paysans et celle qui résulte industriellement de quelques firmes agro-semencières, dont le mode de fonctionnement est fondé sur l’économie d’échelle et la standardisation.
La loi relative aux certificats d’obtention végétale introduit une nouvelle définition de la variété, issue de la convention de 1991 de l’UPOV, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales, laquelle s’impose pour tout enregistrement et exclut les variétés population, caractérisées par une large diversité génétique. En effet, seules les lignées pures ou les hybrides F1 sont admis.
Ces variétés standardisées ne peuvent pas s’adapter à la diversité des terroirs et à la variabilité des climats sans recours important aux intrants chimiques. Leur monopole est un frein considérable au développement des agricultures paysannes et biologiques, qui utilisent la diversité et la variabilité intravariétales pour adapter leurs cultures.
Peut-on négliger de préserver le patrimoine génétique que représentent les variétés anciennes sachant que, d’après la FAO, 75 % de la diversité génétique présente dans l’agriculture a déjà disparu au XXe siècle ?
Puisqu’il faudra nourrir 9 milliards d’humains en 2050, il y aura de la place pour des modèles culturaux et culturels divers. Nous devons reconnaître le droit fondamental des agriculteurs à être les inventeurs de leurs choix agronomiques.
Il vous appartient, monsieur le ministre, de prendre les décrets d’application de la loi relative aux certificats d’obtention végétale.
S’il apparaît légitime que la protection conférée à l’obtenteur par un COV s’étende à toute commercialisation de semences de la variété qu’il a sélectionnée, est-il justifié qu’elle s’étende également à la récolte et aux semences produites par l’agriculteur lui-même ? La question est posée.
Il est vrai qu’une grande part des semences de ferme ne reproduit pas l’ensemble des caractères distinctifs de la variété initiale et produit des récoltes vendues sans aucune référence à une variété protégée par un COV.
Quoi qu’il en soit, cette loi ne règle pas la juxtaposition du brevet et du COV, qui reste un problème majeur. Elle ne prévoit rien sur la présence au catalogue des semences libres de droit. Elle ne reconnaît pas les variétés dites « variétés population ».
Il nous paraît donc indispensable d’engager une large consultation des parties prenantes afin d’apporter des réponses à ces différents points lors de l’élaboration des décrets.
Envisagez-vous, monsieur le ministre, de proposer une modification de la législation pour que les semences anciennes et nouvelles appartenant au domaine public et librement reproductibles sortent du champ d’application de la législation actuelle sur le commerce des semences ?
Enfin, qu’entendez-vous faire pour donner les moyens à la recherche publique de relever le défi alimentaire à venir ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à saluer, comme je l’avais déjà fait à l’occasion d’un débat sur la ruralité, la qualité de vos interventions sur un sujet que vous abordez, j’ai pu le constater, en spécialistes.
Les questions relatives aux semences, au végétal, au brevetage du vivant ont été présentées comme des sujets de société et des enjeux éthiques, et, effet, beaucoup de choix devront être faits dans l’avenir afin de déterminer quelle conception de l’agriculture, mais aussi de la société, nous souhaitons promouvoir.
Ce soir, je vais d’ailleurs laisser de côté l’aspect technique, trop vaste pour le cadre de ce débat, et m’en tenir aux grands principes et aux objectifs politiques qui en découlent.
La première question qui est posée porte sur le choix majeur entre le brevetage et l’obtention. Je tiens à dire de manière très claire que je suis, et cela depuis longtemps déjà, pour l’obtention face au brevetage du vivant…
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Rémy Pointereau. Ce n’est déjà pas si mal…
M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles il est préférable de choisir l’obtention plutôt que le brevetage du vivant. Vous l’avez dit, il y a derrière ce choix la préservation d’une liberté essentielle. Le brevetage de l’innovation entraîne une captation qui nous rend directement dépendants non pas des chercheurs, mais de ceux qui se rémunèrent sur la recherche. Il y a là un véritable enjeu.
En tant que ministre de l’agriculture, je tiens donc à défendre l’obtention végétale par rapport au brevetage du vivant.
Mme Catherine Tasca. Très bien !
M. Ronan Kerdraon. Il est excellent !
M. Rémy Pointereau. C’est déjà ça !
M. Stéphane Le Foll, ministre. À partir de là, des questions se posent sur l’application des règles qu’entraîne ce choix, sachant notamment que la France dispose d’un secteur économique des semences qui fait d’elle un pays reconnu et présent à l’échelle internationale dans ce domaine.
J’ai rencontré, il y a quelques semaines, le ministre ukrainien de l’agriculture. Il m’a parlé de beaucoup de choses, à propos desquelles, d’ailleurs, je n’ai pas forcément répondu. Une question l’intéressait plus particulièrement, celle des semences. Il s’adressait au ministre de l’agriculture français parce qu’il savait que, derrière lui, toute une industrie était susceptible de lui apporter des garanties et les moyens de développer la production céréalière dans son pays.
Il y a donc bien là un enjeu économique.
Il se trouve, en outre, que l’on a, dans ce secteur, ce que l’on recherche dans beaucoup d’autres : un tissu de PME-PMI. D’ailleurs, leur nombre crée par lui-même de la diversité dans le choix des semences. C’est aussi, à mon sens, un élément dont il faut tenir compte.
J’ajoute que, d’après les chiffres que l’on m’a donnés, il s’agit d’un secteur qui investit de 13 % à 15 % de son chiffre d’affaires dans la recherche, ce qui en fait l’un des secteurs qui consacre le plus de fonds à celle-ci. Il finance ainsi la recherche privée, bien sûr, mais également la recherche publique, comme l’a dit M. Raoul.
On a là les éléments sur la base desquels je souhaite que l’on discute : un choix stratégique, celui de l’obtention, un secteur économique qui s’appuie sur un tissu de PME-PMI et une recherche qui trouve à se financer au travers du système mis en place.
Une seconde question se pose ensuite, qui est liée elle à l’histoire de l’agriculture et au rôle qu’ont eu les paysans et les agriculteurs au cours des siècles dans l’amélioration des semences végétales. Ainsi, entre les premiers épeautres et les blés actuels, des modifications majeures se sont produites ; résultat de la sélection empirique, de l’expérience et de la transmission de celle-ci, l’amélioration des semences a ensuite été permise aussi par la recherche académique et scientifique.
Je voudrais donc que l’on abandonne l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté la science, qui ferait avancer les choses, et, de l’autre, un monde agricole qui en serait dépendant. À cet égard, Michel Griffon, défenseur de l’agriculture écologiquement intensive, utilise une notion intéressante, celle de la « science implicative ». Les chercheurs cherchent, bien entendu, mais ils peuvent également s’appuyer sur l’expérience des agriculteurs. Il y a là un effet dialectique qui peut être tout à fait fructueux et permettre d’avancer de manière globale.
C’est tout le sens du débat entre Gérard Le Cam et Joël Labbé, dont les positions diffèrent sur la sélection des semences opérée par les agriculteurs eux-mêmes. Mais, au-delà, chacun a conscience, et c’est ce qui m’a frappé, de la nécessité de préserver un équilibre qui, personnellement, me semble positif. Or, basculer dans un sens ou dans l’autre pourrait le remettre en cause.
C’est ce qui m’amène au second principe : il faut préserver l’équilibre entre, d’une part, notre capacité à disposer d’un secteur économique de production de semences qui fonctionne et à financer une recherche qui permet à notre pays d’être reconnu à l’échelle mondiale, et, d’autre part, la liberté laissée aux agriculteurs de faire des choix.
Voilà les deux grands principes sur lesquels je veux que s’appuie la concertation que nous allons ouvrir au sein du ministère de l’agriculture pour aboutir aux fameux décrets en suspens. D’après ce que l’on me dit d’ailleurs, ce sont non pas dix, mais quatre décrets et un arrêté qui seraient en attente de publication,…
M. Daniel Raoul. Ni quatre ni dix, mais onze !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … publication qui pourrait intervenir d’ici à la fin du premier semestre 2013.
Au cours de cette concertation, nous allons donc tenter, sans l’abroger ni la remettre en cause, d’améliorer la loi afin de parfaire cet équilibre auquel je suis attaché. C’est, je le répète, la ligne que je souhaite voir retenue.
La concertation pourra, bien sûr, porter aussi sur plusieurs des points qui ont été évoqués ce soir.
Ainsi, s’agissant de l’autorisation des espèces pour les semences de ferme, il faudra évidemment augmenter le nombre d’espèces autorisées.
S’agissant de la rémunération, il me semble que l’on pourrait s’appuyer sur le principe d’une médiation pour conclure des accords interprofessionnels dans ce domaine, sur le modèle de ce qui a été fait pour le blé tendre.
M. Richard Yung. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ces accords doivent permettre d’engager le débat sur la biodiversité et de trouver des solutions pour le financement de la recherche, tout en préservant la possibilité d’avoir recours à des semences de ferme.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il faudra cependant que notre réflexion sur l’ensemble des variétés de semences, et en particulier sur les variétés anciennes, reste au sein du cadre actuel. Il faut, certes, que nous soyons ouverts et que ces variétés continuent à pouvoir être utilisées, mais elles doivent l’être dans le cadre que nous connaissons, c'est-à-dire celui du catalogue. Je le précise, je suis favorable à l’extension des espèces autorisées.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Agir dans un cadre, ce serait être corseté, sortir du cadre, ce serait être libre ? On peut très bien évoluer librement dans le cadre général et c’est en tout cas l’objectif que nous visons !
S’agissant de la question spécifique de la recherche, je suis attaché à un système de financement qui permette demain, comme c’est le cas aujourd’hui, d’avoir recours aussi bien à la recherche publique qu’à la recherche privée, car l’une et l’autre peuvent et doivent concourir à l’amélioration des semences.
J’évoquerai encore un point, d’ordre législatif. Je réfléchis au moyen d’encourager les échanges de semences de ferme entre agriculteurs et je pense que les groupements d’intérêt écologique et économique que nous allons mettre en place avec la loi d’avenir agricole nous permettront de le faire. Il ne s’agit pas d’ouvrir territorialement la possibilité de ces échanges, car se poserait immédiatement la question du niveau du tonnage ou du territoire sur lequel il s’applique, mais, dès lors que l’on s’engage dans ce processus collectif, il ne devrait y avoir aucun problème.
Tels sont les enjeux que je retiens du débat de ce soir, même s’il porte aussi sur d’autres questions, comme celles des semences paysannes. Différentes des semences de ferme, elles ne répondent cependant pas, du fait de leur variabilité, à l’exigence de stabilité, qui fait partie des critères pour l’obtention végétale. Si toutefois des semences paysannes étaient stables, aucune raison ne s’opposerait à ce qu’elles entrent dans ce cadre.
En conclusion, nous devons être ouverts, et c’est ce à quoi le ministère s’engage, tout en gardant le cadre fixé par loi de 2011 et nous devons avoir pour objectif, je le répète parce que c’est fondamental, de défendre le système de l’obtention par rapport à celui du brevetage.
Que les États-Unis, l’Australie et le Japon aient opté pour le système du brevetage alors que la France et l’Allemagne ont défendu celui de l’obtention dans la négociation qui a eu lieu à l’échelle européenne est symptomatique de l’enjeu stratégique qui s’attache à ce choix.
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je suis donc satisfait de cette discussion, mesdames, messieurs les sénateurs, et ouvert au débat qui va s’engager. J’ai bien compris que la loi de 2011 avait suscité de nombreuses questions. Elle permet toutefois des améliorations et fixe des objectifs que son rapporteur a rappelés. En cela, elle constitue une base que nous pourrons améliorer et adapter, tout en restant dans le cadre qu’elle fixe, car c’est ce cadre qui, tout en garantissant la liberté des agriculteurs, permet de financer la recherche et de préserver un secteur économique. Il doit en effet continuer à faire de la France un leader dans le secteur de l’agro-écologie tout en assurant la performance, c’est-à-dire la viabilité, économique et écologique de notre agriculture, pour ne pas dire de nos agricultures !
En matière de semences, des champs, si je puis dire, sont ouverts…
M. Daniel Raoul. Jolie formule !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … et ils sont immenses : les chercheurs comme les agriculteurs y ont toute leur place ! (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 28 mars 2013 :
De neuf heures à treize heures :
1. Proposition de loi relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance (n° 350, 2012-2013) ;
Rapport de M. Ronan Kerdraon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 433, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 434, 2012-2013).
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
3. Proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage public (n° 3, 2012-2013) ;
Rapport de Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 439, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n°°440, 2012-2013).
4. Question orale avec débat n° 2 de Mme Aline Archimbaud à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les droits sanitaires et sociaux des détenus.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quinze.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART