M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, le projet de loi dont nous commençons l’examen est sans doute la traduction d’une réforme majeure de ce quinquennat.
En séparant les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi de leurs opérations spéculatives, comme s’y était engagé le Président de la République, il apporte une réponse structurelle à la crise financière de 2008, la plus grave depuis celle de 1929, dont nous payons encore aujourd’hui les conséquences en matière de croissance, d’emploi et d’endettement excessif.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Pierre Caffet. Souvenons-nous qu’en trois ans nous avons constaté la destruction d’environ 1 000 milliards de dollars de richesse, la progression du chômage à hauteur de 13 millions de personnes dans la zone OCDE et une augmentation moyenne de 80 % des déficits publics.
Je ne reviendrai pas longuement sur les racines de cette crise, mais il est clair pour nous que cette dernière est étroitement corrélée à la déréglementation des marchés financiers au cours des trente dernières années et à la complexification des produits financiers dont plus personne ne peut mesurer aujourd’hui les risques qu’ils comportent.
J’y ajoute le développement de certaines pratiques financières comme la titrisation, qui a favorisé une extrême interdépendance entre bilans des établissements de crédit, et donc accru le risque systémique, ainsi que les effets de levier de certaines opérations menées hors bilans bancaires qui ont été ignorés par les régulateurs.
Pendant toutes ces années d’hypertrophie des activités financières, la réponse des pouvoirs publics, tant en France qu’au niveau communautaire ou international, s’est concentrée sur le renforcement des normes prudentielles, notamment avec l’élaboration des règles dites « Bâle » ou « Solvabilité » : Bâle II, Bâle II et demi, Bâle III, Solvabilité I, Solvabilité II.
En d’autres termes, les pouvoirs publics ont cru que la régulation des activités de transformation d’une banque, c’est-à-dire l’octroi de crédits à partir de dépôts, les dispensait de réguler les activités d’intermédiation, c’est-à-dire les interventions des banques sur les marchés financiers.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jean-Pierre Caffet. Ce fut une funeste erreur.
M. Jean Desessard. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Caffet. Et ce n’est que très récemment que les réflexions ont dépassé ce cadre strictement prudentiel pour aborder les questions plus globales des structures mêmes des banques et de la relation aux marchés financiers.
C’est tout le sens des rapports Volcker aux États-Unis, Vickers au Royaume-Uni et Liikanen pour notre continent. En témoignent également les nombreuses discussions menées aujourd’hui au niveau européen, notamment autour des projets de directive portant sur la supervision des établissements de crédit et la résolution de crises bancaires éventuelles.
C’est donc dans ce cadre nouveau que s’inscrit ce projet de loi, qui suscite notre fierté, je tenais à vous le dire, monsieur le ministre, dans la mesure où la France sera le premier pays à se doter d’une telle législation, faisant ainsi figure de pionnière en Europe.
Ce cadre que j’évoquais à l’instant vise quatre objectifs principaux : premièrement, la réduction du risque systémique ; deuxièmement, la limitation de l’aléa moral, c’est-à-dire la garantie implicite de l’État et donc du contribuable aux banques, bref un système bien connu dans lequel les profits sont privatisés et les pertes nationalisées ;…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. … troisièmement, le meilleur financement possible de notre économie, que ce soit pour les particuliers ou les entreprises dans un contexte français, j’insiste sur ce point, où les crédits sont structurellement supérieurs aux dépôts – dans une telle situation, vouloir interdire strictement aux banques de dépôts l’accès aux marchés financiers serait à tout le moins contre-productif – ; enfin, quatrièmement, et vous avez tenu à traiter cet objectif, monsieur le ministre, alors que rien ne vous y obligeait, la protection des consommateurs.
Sur l’ensemble de ces problématiques, ce texte amendé par l’Assemblée nationale et par notre rapporteur en commission des finances nous semble équilibré. Il ne compromet pas le nécessaire financement de l’économie tout en nous prémunissant contre les excès auxquels la finance nous avait malheureusement habitués au cours des années passées.
Cela étant dit, notre groupe considère que, si les grands équilibres trouvés ne doivent pas être remis en cause, des améliorations peuvent encore être apportées sur un certain nombre de dispositions concernant les objectifs que je viens de rappeler.
Il reste quatre sujets sur lesquels nous souhaiterions avancer.
Il s’agit, en premier lieu, des relations de la société mère avec les organismes de placement collectif, notamment les hedge funds. Il nous semble que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution devrait avoir le pouvoir de s’assurer de la réalité des garanties apportées par ces derniers dans les relations qu’ils nouent avec les banques.
Il s’agit, en deuxième lieu, des opérations sur instruments financiers à terme dont l’élément sous-jacent est une matière première agricole. Certes, il est difficile de distinguer les opérations de couverture liées à une activité réelle, donc légitimes, des opérations spéculatives pures dont nous savons qu’elles ont des effets sur les prix en les tirant à la hausse et nuisent gravement aux pays en développement. Mais, en tout état de cause, nous ne pouvons ignorer ce problème.
C’est pourquoi nous soutiendrons les initiatives visant à ce que les établissements de crédit rendent compte régulièrement de ce type d’opérations à l’Autorité des marchés financiers et que cette dernière puisse, le cas échéant, imposer des limites de position sur de tels instruments.
Il s’agit, en troisième lieu, de la lancinante question des rémunérations des dirigeants des banques et de certaines professions. Le niveau parfois invraisemblable des sommes en question n’est pas étranger aux risques insensés pris, et ce sans considération pour la stabilité du système bancaire mondial.
Nous savons que l’Europe avance sur cette question et qu’une solution limitant significativement les parts variables de ces rémunérations est sur le point d’être atteinte dans le cadre du projet de directive CRD IV. Cependant, sans attendre, nous souhaitons que l’ACPR vérifie dès à présent que ces rémunérations n’encouragent pas des prises de risques dénuées de tout lien avec les objectifs assignés aux unités opérationnelles des départements bancaires.
En quatrième lieu, enfin, il s’agit de la question des paradis fiscaux, à laquelle, je vous sais, monsieur le ministre, très sensible.
Avec l’accord du Gouvernement, l’Assemblée nationale a entériné une avancée considérable sur le front de la transparence,…
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Jean-Pierre Caffet. … en imposant aux banques françaises la publication d’informations concernant leur activité – à savoir leurs implantations, leur chiffre d’affaires et leurs effectifs – dans l’ensemble des pays et des territoires de la planète.
Dès lors que se dessine - et peut-être est-il déjà acquis ? - un consensus européen sur le sujet majeur que constitue la transparence financière, nous pourrions compléter ces obligations d’information au cours de nos débats, afin de mieux lutter contre l’optimisation fiscale ou le blanchiment d’argent.
Pour ce qui concerne l’objectif de limitation de l’aléa moral couvert par les titres II et IV du présent texte, nous ne pouvons que souscrire aux mesures prévues en matière de prévention et de résolution des crises bancaires, concernant la structure et le fonctionnement mêmes des banques.
Nous sommes parfaitement en phase avec les attributions étendues confiées à l’APCR, notamment quand il s’agit du pouvoir de faire peser les pertes d’une banque sur ses actionnaires et ses créanciers et non plus, comme auparavant, sur les contribuables et les déposants. Nous saluons également la faculté de révoquer des dirigeants lorsqu’ils ont failli au point de mettre leur entreprise en danger.
Toutefois, il nous a semblé utile d’étendre les attributions de l’ACPR au contrôle des prises de participation ou des acquisitions auxquelles les établissements bancaires français pourraient se livrer, notamment hors de l’espace économique européen. De fait, à quoi serviraient ces nouveaux mécanismes de prévention et de résolution des crises si les établissements de crédit pouvaient contourner la réglementation en se développant sans aucun contrôle à l’international ?
Avant de conclure, je me dois de souligner que le titre VI est, à nos yeux, le bienvenu. De fait, il traduit une réelle avancée et tire les conséquences des limites auxquelles se sont heurtées les réglementations antérieures en faveur du consommateur de produits bancaires.
Bien entendu, nous approuvons la généralisation du plafonnement des commissions bancaires à l’ensemble des clients, ainsi que l’obligation faite aux banques de proposer aux personnes en situation de fragilité financière une offre spécifique permettant de « limiter les frais supportés en cas d’incidents ».
Néanmoins, nous souhaitons aller plus loin encore en inscrivant dans la loi que, non seulement pour les bénéficiaires de cette offre spécifique mais aussi pour les clients disposant des services bancaires de base, les commissions seront fixées à un niveau inférieur à celui du plafond général.
Mes chers collègues, au-delà des nuances d’appréciation que nos débats pourront mettre au jour, ce projet de loi, profondément équilibré, devrait recueillir un large assentiment sur toutes les travées de cet hémicycle.
Ce texte permet en effet un financement plus sain de notre économie.
Il confie des pouvoirs très étendus et coercitifs aux autorités de contrôle du système bancaire, sans pour autant lancer une expédition punitive contre un secteur d’activité dont les comportements et les excès ont souvent suscité les critiques et parfois même l’indignation.
Il protège les déposants et les épargnants et réduit l’aléa moral : à cet égard, il contribue sans doute à restaurer la confiance de nos concitoyens dans leurs banques, confiance sans laquelle toute réforme serait vaine, comme M. Placé l’a souligné il y a quelques instants.
Enfin, il tient compte des populations les plus fragiles – ce n’est pas accessoire, en ces temps de crise – et permet ce faisant de mieux répartir l’effort collectif.
Pour l’ensemble de ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste voteront en faveur de cette réforme, avec la conviction qu’elle influera sur les discussions en cours à Bruxelles et à Strasbourg.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous remercier de la qualité de votre écoute et de la disponibilité des équipes de Bercy, qui nous ont donné le sentiment d’un véritable travail de coproduction législative lors de l’élaboration de cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi, destiné à brider la spéculation et à mieux financer l’économie, s’inscrit dans la continuité des réformes menées par les gouvernements précédents, déterminés à protéger les dépôts des épargnants et l’ensemble des contribuables.
Comme M. le ministre de l’économie et des finances, les sénateurs du groupe UDI-UC abordent ce débat dans un esprit d’ouverture et d’écoute.
Si la démarche engagée va dans le bon sens, elle appelle néanmoins des réserves et des interrogations de notre part. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements, auxquels, nous l’espérons, le Gouvernement réservera un accueil positif.
Avant tout, comme je le répète inlassablement dans cet hémicycle, il convient de changer cette atmosphère démoralisante de défiance qui prévaut aujourd’hui dans notre pays, et qui fait fuir à la fois nos entrepreneurs et nos futurs cadres.
La déclaration du candidat Hollande – « Mon adversaire, c’est la finance » –,…
M. Aymeri de Montesquiou. … est stupéfiante. Elle est tout aussi atterrante que les propos de certains dirigeants du XIXe siècle, qui qualifiaient les ouvriers de « classes dangereuses » !
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Les banques sont des entreprises, et elles emploient près de 400 000 salariés.
Monsieur le ministre, vous en êtes convaincu comme nous tous, je l’espère : les banques sont des entreprises indispensables à toute activité économique. M. Moscovici l’a du reste souligné il y a quelques instants.
Toutefois, une part du métier de banquier n’est pas totalement dépourvue de risques pour les acteurs économiques. À cet égard, l’activité bancaire doit être encadrée par une réglementation adaptée, comparable aux normes Seveso, comme toute industrie à risque.
M. Jean Desessard. Bien vu !
M. Aymeri de Montesquiou. Redonnez l’envie, redonnez confiance. La confiance, c’est le moteur de l’économie et la condition de notre compétitivité. C’est un élément indissociable de la croissance.
Or, désormais, la croissance est devenue la priorité de chacune et de chacun d’entre nous. Toute modification législative concernant l’économie ou la finance doit concourir à la restaurer. À cette fin, il faut se départir de tout dogme et de toute idéologie.
Le présent projet de loi, à l’ambition modeste, est le reflet édulcoré du septième engagement du candidat Hollande.
Un sénateur du groupe socialiste. Depuis élu Président de la République !
M. Aymeri de Montesquiou. C’est indéniable, cher collègue !
À ce titre, nous ne pouvons manquer d’exprimer certaines réserves.
M. Richard Yung, rapporteur. Il faudrait savoir : soit vous adhérez, soit vous critiquez !
M. Aymeri de Montesquiou. Premièrement, le dispositif prévu risque de pénaliser nos établissements par rapport aux banques étrangères et de les affaiblir dans la compétition mondiale en leur enjoignant de révéler des informations stratégiques. Nous avons déposé des amendements à l’article 4 bis en vue de prévenir de tels risques.
À cet égard, prenons garde de ne pas fragiliser cette industrie vitale par un encadrement trop rigide. L’amélioration des stress tests, qui ont révélé leurs insuffisances, ne constitue-t-elle pas à elle seule une première étape ?
Deuxièmement, l’ACPR se voit confier un pouvoir singulier : cette instance aura pour ainsi dire droit de vie et de mort sur de nombreuses activités bancaires,…
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Eh oui !
M. Richard Yung, rapporteur. C’est précisément ce qu’il faut mettre en œuvre !
M. Aymeri de Montesquiou. … en vertu d’une procédure dont la conformité à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est discutable.
Il s’agit, en l’espèce, d’opérations d’un montant de plusieurs milliards d’euros : cette disposition est-elle compatible avec la liberté du commerce et de l’industrie ? Pour notre part, nous présenterons des amendements destinés à garantir le respect de ce principe fondamental.
Troisièmement, et enfin, nous nous interrogeons sur la capacité de ce texte à nous préserver d’un nouveau « Lehman Brothers ».
Gardons à l’esprit que, pour ce qui est de la filialisation, les activités spéculatives des banques agissant pour leur compte propre ne représentent que 2 % de leur activité.
Monsieur le ministre, quelle sera la position du Gouvernement lors de l’entrée en vigueur de la directive issue du rapport Liikanen, attendue pour l’été prochain ? Ne légiférons-nous pas trop tôt ?
M. Jean Desessard. Non !
M. Aymeri de Montesquiou. Votre volonté de voir la France jouer un rôle précurseur ne doit pas nous conduire à placer nos banques en position de faiblesse par rapport à leurs concurrentes étrangères. L’Allemagne a engagé une réforme parallèle à la nôtre : quelle concertation menez-vous avec votre homologue allemand sur le sujet ?
M. Richard Yung, rapporteur. Nos deux réformes sont strictement identiques !
M. Aymeri de Montesquiou. Au surplus, les délais d’application de ces réformes constituent une question centrale. Les Britanniques visent 2019, date de la mise en œuvre des accords de Bâle III. Dans un souci de positionnement et de coopération à l’échelle européenne, nous proposons quant à nous l’échéance de 2017.
Le Gouvernement a annoncé que le présent projet de loi visait non seulement à changer les structures, mais aussi et surtout à peser sur les comportements. C’est un point fondamental – je vous l’accorde –, car les banques ne peuvent plus se conduire comme elles l’ont fait par le passé, surtout de l’autre côté de l’Atlantique. Dans ce cadre, il est indispensable que le ministère de l’économie commandite une étude d’impact.
La responsabilité des banques, voire leur éthique même, sera désormais engagée. Du reste, une grande banque a très récemment organisé un colloque pour faire face à la mutation des métiers bancaires et définir leur juste place dans le monde de demain.
Mes chers collègues, lors de son discours devant l’Assemblée nationale, M. Moscovici a cité Sénèque et Dumas.
M. Richard Yung, rapporteur. Bonnes références !
M. Aymeri de Montesquiou. Pour clore mon propos sur un texte austère, je conclurai pour ma part par une foucade rafraîchissante d’un aïeul controversé, l’inclassable Robert. (Exclamations amusées sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.) Ce dernier avait coutume de répondre, lorsqu’on lui donnait un conseil : « Je ne saurais l’écouter mais je l’entendrai toujours. » Quant à nous, nous souhaitons que le Gouvernement entende et écoute à la fois les conseils et les interrogations du groupe UDI-UC. Notre vote dépend de sa réponse. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. Mme Frédérique Espagnac et M. Jean-Jacques Mirassou applaudissent également.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, étant donné le temps de parole dont je dispose, je me contenterai de revenir sur les enjeux du présent projet de loi, et sur le paysage bancaire dans lequel il s’inscrit.
Plusieurs orateurs l’ont déjà rappelé, à la fin de l’année 2012, le bilan agrégé du système bancaire français représentait quelque 9 000 milliards d’euros, soit plus de quatre fois le PIB de la France, vingt-huit fois les recettes et vingt-quatre fois les dépenses prévus dans le cadre de la loi de finances pour 2013. Or seulement 2 400 milliards d’euros correspondent à des prêts aux entreprises et aux particuliers, soit un peu plus de 25 % du volume total : avouez que c’est peu, pour des institutions censées assurer essentiellement par leurs prêts le financement de l’économie.
Pourtant, c’est au nom de la sauvegarde des dépôts et de l’économie tout entière que l’État protégera le système bancaire de la faillite en lui accordant sa garantie en cas de crise, que celle-ci soit petite ou grande, sectorielle ou générale. C’est ce qui s’est passé en octobre 2008, l’État apportant une garantie de 320 milliards d’euros aux échanges interbancaires, paralysés, et consacrant une somme de 40 milliards d’euros à la recapitalisation des banques. On aura remarqué que ce montant est supérieur à ce que représentait alors le budget de l’État. « L’État ne laissera aucune banque faire faillite » annoncera, en ces circonstances, Nicolas Sarkozy.
La machine redémarrera cahin-caha et, au total, pour un coût moins élevé que pour d’autres pays. Je note tout de même que la facture ne se limite pas réellement aux 12 milliards d’euros de Dexia, cette affaire n’étant absolument pas soldée.
Mais les dégâts collatéraux en termes économiques, tant sur le front de l’emploi qu’en matière d’endettement public, seront, eux, énormes. En cinq ans de crise, de janvier 2008 à janvier 2013, le nombre de chômeurs de catégorie A en France aura augmenté, de fait, de 1,1 million de personnes - pour les catégories A, B et C confondues, cette augmentation s’élève à 1,6 million de personnes – cependant que l’endettement de l’État aura, lui, augmenté de 500 milliards d’euros.
Ajoutons que le groupe BNP Paribas, premier vecteur de propagation du virus des subprimes en Europe, sera quant à lui sauvé par les 18 milliards de dollars du groupe AIG, lui-même secouru par l’État américain.
Incontestablement, le système bancaire français a bien résisté à la crise,…
M. Jean Desessard. Oui !
M. Pierre-Yves Collombat.… les victimes de ces rêves de profit illimité, un peu moins !
Une question me vient : si, dans quelques mois, en 2014 ou en 2015, le système se bloquait à nouveau ? L’hypothèse est crédible au vu de la quantité de titres bizarres encore présents dans les bilans, comme de l’état de la zone euro. Combien de centaines de milliards d’euros l’État pourra-t-il alors mettre sur la table ? Et sur quels moutons prendra-t-il la laine ?
D’autant que notre pays est particulièrement vulnérable à une crise financière systémique. Le bilan de notre plus gros établissement bancaire, BNP-Paribas, est de l’ordre du PIB national, soit 2 000 milliards d’euros. Celui de nos cinq banques systémiques équivaut à 335 % de ce même PIB. Par comparaison, les bilans agglomérés des huit plus grandes banques des États-Unis représentent seulement 61 %, du PIB du pays. L’Allemagne ne compte, elle, qu’une seule « méga-banque » et 1 500 banques de proximité finançant le réseau des PME. Le renflouement de cette « méga-banque » a d’ailleurs coûté pas mal d’argent à l’État allemand.
Et, contrairement à ce que j’ai entendu tout à l'heure, nos financiers n’entendent nullement renoncer à leurs pratiques si juteuses. Voici un exemple tiré du dernier bilan de Crédit Agricole SA, dont on connaît les exploits. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Entre 2011 et 2012, donc en pleine crise, ses actifs financiers spéculatifs augmentent de 130 milliards d'euros, soit de 26,5 %. Dans le même temps, les prêts baissent de 70 milliards d’euros, soit de 21 %. Baissent également les capitaux propres, qui n’atteignent même plus 2,5 %, ce qui n’empêche pas le matelas des produits dérivés d’augmenter de 70 milliards d’euros, soit de 20 % !
Durant la crise, la fête spéculative continue !
Le véritable enjeu est donc non pas de séparer les activités bancaires utiles à l’économie réelle et celles qui ne le seraient pas, comme le prévoit le projet de loi, mais bien d’éviter que la prochaine crise systémique n’entraîne l’État et les déposants dans la débâcle de ceux qui l’auront provoquée, les chiffres cités parlent d’eux-mêmes. Je ne dis pas « éviter la crise », car bien malin qui dira comment y parvenir, mais éviter que, de catastrophe, elle ne tourne au cataclysme.
Comment ? Tout d’abord en séparant les banques de dépôts des banques d’investissement. Les auteurs du projet de loi préfèrent, eux, la filialisation d’une partie infime - quelques pour cent, selon les premiers intéressés -, des activités de marché des banques universelles, ce qui non seulement ôte tout intérêt au texte, mais aggrave la situation en créant une fausse impression de sécurité.
Or, en l’état actuel du texte, les difficultés des filiales directes pourront se transmettre à la maison mère. Vous me direz que, si elles n’en représentent qu’un à deux pour cent, ce n’est pas bien grave !
Contrairement à ce que l’on entend dire, une telle séparation serait bénéfique pour les banques de dépôts qui, délestées des risques inhérents à leurs activités spéculatives, pourraient se refinancer à meilleur compte. Contrairement aussi à ce qui se colporte ici ou là, la taille des établissements d’investissement français issus de cette séparation les rendrait très concurrentiels.
BNP-Paribas Investissement, c’est 830 milliards d’euros, plus que Goldman Sachs, première banque d’investissement américaine, qui pèse 740 milliards d’euros à la fin de 2011. Pour les seconds rôles, Goldman Sachs et Morgan Stanley, les chiffres sont respectivement de 524 milliards d’euros et 600 milliards d’euros, soit des ordres de grandeur très comparables.
Séparer strictement les établissements de crédit des banques d’investissement est donc non seulement une obligation de prudence, c’est aussi souhaitable pour le système bancaire lui-même et c’est donc parfaitement viable ! De là découle la série d’amendements que nous avons déposés pour palier les étonnantes déficiences de ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste. ― M. Éric Bocquet applaudit également)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, cela a été dit à plusieurs reprises, ce projet arrive dans un contexte favorable.
Aux États-Unis, en 2010, la règle Volcker interdit la spéculation pour compte propre. Au Royaume-Uni, en 2011, c’est la règle Vickers qui prône une filialisation des activités de dépôts en vue, certes, d’une application en 2019. Au sein de la Commission européenne, en 2012, le rapport Liikanen propose le cantonnement de nombreuses activités spéculatives.
Plus récemment encore, George Osborne, chancelier de l’Échiquier, assure que son gouvernement « séparera les activités de détail et d’investissement des banques en les cloisonnant, pour protéger l’économie britannique et les contribuables, en s’assurant qu’aucune d’entre elles n’est trop grosse pour faire faillite ».
Ajoutons la refonte de la directive européenne MiFID, concernant les marchés d’instruments financiers, qui intègre déjà la transparence sur les paradis fiscaux, ainsi que la décision du Parlement européen de produire un rapport d’initiative s’inspirant du rapport Liikanen, en vue d’une proposition législative de la Commission européenne à l’été.
L’environnement est donc favorable, et, surtout, l’attente des citoyens est forte. Ils sont en effet échaudés, scandalisés, inquiets, devant la succession des scandales financiers, l’impossibilité d’obtenir des crédits pour monter leurs projets et leur mise à contribution pour sauver de banquiers « too big to fail », trop gros pour tomber, mais qui jouent au casino pour ne pas assumer les conséquences de leurs actes.
Alors oui, cette réforme bancaire s’inscrit dans une réelle dynamique ! Elle sera également la première à être opérationnelle en Europe.
M. Richard Yung, rapporteur. Très bien !
M. Jean Desessard. La loi française servira d’étalon, elle se doit donc d’être ambitieuse ! (M. Francis Delattre s’exclame.)
Si les crises bancaire et financière nous invitent à une régulation permanente du secteur, elles nous renvoient à une question simple : quel est le rôle des banques dans l’économie ? On aimerait répondre, simplement : « financer l’activité économique des entreprises et des particuliers ». Pourtant, tous les acteurs de l’économie dite « réelle » s’accordent pour dénoncer l’assèchement du crédit.
Sur les 8 000 milliards d’euros d’actifs de bilan cumulés de nos banques françaises, soit quatre fois le PIB de la France, seuls 10 % servent au financement des prêts aux entreprises et 12 % au financement des prêts aux particuliers. M. Bocquet l’a dit, les 78 % restants correspondent à des opérations de marché dont, selon la Banque des règlements internationaux, seulement 7 % mettent en jeu un opérateur de l’économie réelle.