Mme Catherine Tasca. La dramatisation avec laquelle vous venez de présenter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, madame Garriaud-Maylam, n’a d’égale que la réelle passion avec laquelle vous exercez votre mandat ! Toutefois, les arguments que vous avez invoqués ne nous ont absolument pas convaincus. J’espère, quant à moi, persuader la Haute Assemblée que cette motion n’est nullement fondée.
D’abord, la prorogation porterait atteinte aux droits des électeurs, mais aucune démonstration n’étaie ce point de vue. La prorogation proposée est clairement encadrée et justifiée par la réforme d’ensemble de la représentation des Français établis hors de France. Si le projet de loi en cause procède à une seconde prorogation, après celle qui a été réalisée par la loi du 15 juin 2011, rien n’indique que cette mesure serait pour autant contraire à la Constitution.
Ensuite, cette prorogation créerait une discrimination entre les élus de la série A et ceux de la série B. Encore une fois, elle répond, comme l’exige le Conseil constitutionnel, à une nécessité d’intérêt général, en l’occurrence la mise en œuvre de la réforme précitée, dont nous sommes tous convenus qu’elle est non seulement nécessaire, mais aussi urgente. Nous ne comprenons donc pas votre appel à renvoyer cette réforme à plus tard et la présente motion nous paraît tout à fait dilatoire.
La prorogation s’impose d’elle-même, puisque l’AFE est renouvelée par moitié tous les trois ans, ses membres étant répartis en deux séries. Il fallait bien mettre fin à cette particularité pour passer au système proposé.
Enfin, votre troisième argument, madame Garriaud-Maylam, nous invite à légiférer le plus rapidement possible. En effet, si le calendrier est d’ores et déjà source de problèmes pour le fonctionnement durable d’une AFE renouvelée, plus nous allongerons les délais, plus nous mettrons tardivement en place la réforme, ce qui n’est guère sérieux.
Nous pensons, à l’inverse, que cette réforme de la représentation est absolument nécessaire, utile et attendue. Comme différents orateurs l’ont rappelé tout au long de la discussion générale, elle est demandée depuis longtemps tant par l’AFE que par les Français établis hors de France et il faut passer aux actes ! Le maintien pur et simple des mandats en cours ne conduirait qu’à la différer sine die. Nous espérons pouvoir bientôt en débattre sur le fond. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Madame Garriaud-Maylam, cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité permet de mettre les points sur les « i » à propos d’une question de droit qui mérite d’être précisée. Par conséquent, je vous remercie de l’avoir déposée ! Après l’avoir examinée avec attention, la commission des lois a émis un avis défavorable, ce qui ne vous surprendra pas.
Comme vous l’avez rappelé et comme je l’ai moi-même indiqué dans le rapport que j’ai établi au nom de la commission, la prorogation tout comme l’abréviation des mandats électifs sont encadrées par des règles constitutionnelles. En abrégeant ou en prorogeant un mandat, la loi en détermine « en creux » la durée ; cette faculté est donc réservée au législateur, en vertu de l’article 34 de la Constitution.
Selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la prorogation ou l’abréviation des mandats doivent être exceptionnelles, transitoires et limitées, car est en jeu le respect de l’article 3 de la Constitution. Aussi doivent-elles être fondées sur un motif d’intérêt général.
Ma chère collègue, vous soulignez que la prorogation du mandat des conseillers à l’AFE de la série B intervient après celle de 2011 qui ne portait que sur une année. J’attire votre attention sur le fait que cette nouvelle prorogation ne fixe pas mécaniquement un délai d’un an : il s’agit d’une durée maximale ! Plus tôt ces élections interviendront, mieux la jurisprudence constitutionnelle sera respectée. Au lieu d’un mandat de six ans, les élus de la série B exerceront exceptionnellement un mandat de plus de sept ans, lequel ne pourra cependant pas excéder huit ans.
Par ailleurs, les débats que nous avons eus au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger, voilà deux ou trois ans, sur le couplage entre les élections législatives et le renouvellement de l’AFE nous avaient conduits à nous interroger sur la date de ce renouvellement. Fallait-il simplement découpler les deux élections et reporter au mois de juin 2013 le renouvellement de l’AFE ou se donner le temps d’élaborer une réforme d’ampleur ? Votre majorité n’a pas choisi cette dernière option. Aujourd’hui, il est nécessaire de disposer de temps pour conduire cette réforme.
S’agissant de l’abréviation du mandat des conseillers à l’AFE de la série A, situation douloureuse pour certains d’entre eux, j’en conviens, je rappellerai que ce mandat avait été prorogé d’une année en 2011. De ce fait, le raccourcissement de deux ans proposé revient, in fine, à une réduction d’une seule année du mandat, ce que le Conseil constitutionnel a admis en 2007, par exemple, pour le mandat des membres de l’Assemblée de la Polynésie française.
Quant à la différence de traitement entre les deux séries, cette situation résulte mathématiquement du renouvellement partiel de l’AFE. Un tel cas de figure s’est déjà présenté en 2010, avec l’abréviation du mandat d’une seule série de conseillers généraux pour permettre le renouvellement intégral des conseils généraux, et il n’a pas donné lieu à une censure du Conseil constitutionnel.
Enfin, la prorogation de mandat qui nous est soumise doit, de manière pragmatique, être adoptée au plus vite – cela justifie l’engagement de la procédure accélérée sur le présent projet de loi – afin d’écarter l’échéance électorale qui devrait avoir lieu, mais qui conduirait à élire des élus dont le mandat prendrait fin quelques mois plus tard. C’est cette situation qui serait inconstitutionnelle, en plus d’être absurde, car elle serait illisible pour les électeurs et incompréhensible pour les candidats. De surcroît, elle alourdirait la charge de notre réseau consulaire.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, la commission vous demande de ne pas adopter cette motion. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée. Madame la sénatrice, si nous avions retenu la solution que vous avez évoquée, la réforme aurait été retardée non pas de quelques mois, mais de trois ans.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mais non !
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée. Le motif d’inconstitutionnalité que vous soulevez réside dans la prorogation du mandat des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.
La réforme proposée par le Gouvernement vise à favoriser la participation électorale. Elle répond pleinement aux exigences du Conseil constitutionnel…
M. Christian Cointat. On verra !
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée. Ainsi, dans sa décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, ce dernier a admis la prolongation d’un mandat en cours, car celle-ci s’inscrivait dans le cadre d’une réforme visant à établir la concomitance du renouvellement intégral des conseillers régionaux et des conseillers généraux.
Le Conseil constitutionnel estime ainsi, dans son dix-septième considérant, que les distinctions en cause, dont la modification du calendrier électoral, « apparaissent comme la conséquence d’une réforme qui répond à la volonté du législateur d’assurer une participation accrue du corps électoral aux élections tant des conseils généraux que des conseils régionaux ; que les différences de traitement qui en résultent […] trouvent ainsi une justification dans des considérations d’intérêt général ».
Par ailleurs, il admet que les modifications apportées à la durée des mandats en cours « revêtent un caractère exceptionnel et transitoire ; que, dans cette mesure, [elles] n’apparaissent contraires ni au droit de suffrage garanti par l’article 3 de la Constitution ni au principe de la libre administration des collectivités territoriales ».
De plus, saisi de la loi du 16 février 2010, qui modifiait également la durée des mandats des conseillers régionaux et généraux, le Conseil a une nouvelle fois confirmé que « la concomitance des scrutins peut également trouver une justification dans l’objectif de favoriser une plus forte participation du corps électoral à chacune de ces consultations ».
La réforme proposée par le Gouvernement s’appuie donc sur une jurisprudence constante.
Cela étant, en prolongeant d’une durée raisonnable – un an – le mandat des conseillers à l’AFE, le Gouvernement n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de suffrage.
Enfin, il a entendu préserver l’intelligibilité du scrutin, car celui-ci aurait manifestement été faussé si une élection avait été organisée alors que le Parlement est saisi d’une réforme en profondeur des modalités de représentation des Français établis à l’étranger.
Quant à l’amputation du mandat des conseillers de la série A, la mise en place d’une nouvelle structure vous est présentée. Dès lors, tous les mandats des membres de l’AFE prendront fin lorsque seront élus les conseillers consulaires.
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de voter contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. La motion de procédure présentée par nos collègues de l’opposition est manifestement destinée à empêcher la mise en œuvre d’une réforme du mode de représentation politique de nos compatriotes expatriés, réforme certes limitée, mais qui a au moins le mérite d’exister.
Les arguments invoqués sont un peu forts, si j’ose dire, et disproportionnés. Ce projet de loi porterait atteinte aux droits des électeurs tels qu’ils sont garantis par l’article 3 de la Constitution. La prorogation d’un mandat aurait un caractère discriminatoire en ce qu’elle violerait l’égalité des élus devant la loi. Enfin, elle conduirait purement et simplement à violer la législation en vigueur.
Comme cela a été dit, la jurisprudence constitutionnelle admet la prorogation des mandats lorsqu’elle est justifiée par un motif d’intérêt général et que l’allongement de la durée du mandat n’est pas manifestement inapproprié. Or il me semble que le dispositif qui nous est soumis répond à ces exigences.
Par conséquent, il n’est pas juridiquement sérieux ni intellectuellement honnête de reprocher au Gouvernement de ne pas laisser aux parlementaires le temps de discuter de cette réforme importante. À mon sens, c’est en raison de l’importance de cette réforme, que tout le monde a soulignée, que le Gouvernement a décidé de dissocier les deux projets de loi.
Enfin, notre commission ayant adopté un amendement limitant explicitement la prorogation aux mandats des conseillers de l’AFE de la série B et aux personnalités qualifiées nommés concomitamment, il n’y a plus lieu de contester la conformité à la Constitution du projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l’AFE. Notre groupe ne souhaitant pas se prêter à une manœuvre fondée sur des arguties juridiques, il ne votera pas cette motion.
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa, pour explication de vote.
M. Christophe-André Frassa. Le suspense ne sera pas très long : je voterai cette motion. Je la voterai parce que, comme l’a expliqué Joëlle Garriaud-Maylam, ce projet de loi manque à trois exigences constitutionnelles qui nous semblent fondamentales : le texte remet en cause le droit des électeurs à exprimer leur suffrage selon une périodicité raisonnable ; la prorogation proposée revêt un caractère discriminatoire ; la discussion du texte risque d’entrer en contradiction avec la loi actuelle et de contraindre le pouvoir législatif à la violer, en supprimant le droit du suffrage universel par le cumul de mesures de prorogation.
Mes chers collègues, vous me direz que, en matière électorale, tout s’est toujours fait et de tout temps… Peut-être ! Il n’en reste pas moins que nos concitoyens vivant à l’étranger, que je représente dans cet hémicycle – comme la plupart de nos collègues présents aujourd’hui –, sont inquiets. Ils le sont à juste titre, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a rappelé que la prorogation des mandats devait avoir un caractère exceptionnel et transitoire : elle doit être limitée dans le temps et strictement nécessaire à la réalisation de l’objectif de la loi. En outre, le Conseil constitutionnel ne s’est encore jamais prononcé sur une succession de prorogations accompagnée d’une amputation du mandat d’une partie des élus.
La situation inédite introduite par votre projet de loi, madame la ministre, sème le doute chez les électeurs, qui n’ont plus aucune certitude quant à la durée effective du mandat des candidats pour lesquels ils votent. Comme l’a souligné Joëlle Garriaud-Maylam, cette prorogation remet en cause le principe de sincérité du suffrage, par son caractère abusif, et le principe de l’égalité des élus devant la loi, du fait de son caractère discriminatoire. L’adoption de ce projet de loi en l’état aboutirait en effet à la prorogation du mandat des élus de la série B pour la deuxième fois, tandis que le mandat des élus de la série A serait amputé de près de deux ans. Vous comprendrez que nous ne puissions que dénoncer une telle différence de traitement.
Par ailleurs, comme notre rapporteur l’a remarqué dans l’excellent rapport qu’il a rédigé à l’issue d’un travail approfondi, « l’adoption définitive de cette prorogation pourrait même, malgré l’engagement de la procédure accélérée demandée par le Gouvernement sur ce projet de loi, » – nous savons tous pourquoi ! – « intervenir au cours du délai de 90 jours précédant le jour du scrutin ». En effet, nous sommes aujourd’hui précisément à 90 jours du scrutin, puisque le terme des mandats en cours est fixé au 18 juin à minuit. Cela signifie qu’il ne reste que quelques heures à M. Fabius pour publier l’arrêté de convocation des électeurs car, en application de l’article 31-1 du décret n° 84-252 du 6 avril 1984 – cette précision est également mentionnée dans le rapport –, l’arrêté du ministre des affaires étrangères doit convoquer les électeurs au moins 90 jours avant la date du scrutin.
Vous comprenez donc aisément notre inquiétude. L’adoption de ce projet de loi validerait une illégalité commise sciemment par le Gouvernement, alors même que celui-ci a l’obligation constitutionnelle d’appliquer la loi. Madame la ministre, comment pouvez-vous accepter de bafouer autant de principes constitutionnels en légalisant une situation aussi ubuesque ? Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité citer Léon Jozeau-Marigné, qui a déclaré en 1982 au sujet de la réforme du Conseil supérieur des Français de l’étranger, le CSFE, qu’elle allait « dans le sens d’une plus grande démocratisation ». L’AFE a d’ailleurs adopté à l’unanimité, en septembre 2012, un avis dans lequel elle souhaitait « une évolution démocratique de son statut ». C’est véritablement dans cet esprit que nous avons abordé la discussion de ce projet de loi, mais nous ne pouvons rester insensibles aux inquiétudes légitimes de nos compatriotes quant au respect de la Constitution.
C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué dès le début de mon intervention, je soutiens cette motion qui, je l’espère, permettra au Gouvernement d’envisager des modalités de démocratisation conformes à l’esprit de notre norme juridique supérieure. Le groupe UMP votera donc cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Puisque selon vous, chers collègues de l’UMP, il existe un doute quant à la constitutionnalité du projet de loi, le mieux serait que vous saisissiez le Conseil constitutionnel. Il vous répondra quand vous aurez déposé votre recours. Afin d’obtenir cette réponse que j’attends avec angoisse, je voterai contre la motion ! (M. Richard Yung applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe UMP et, l’autre, du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 110 :
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 159 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 176 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures cinquante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Nomination d’un membre d’un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que la commission des lois a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Patrick Courtois membre du conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, créé en application du décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 18 mars 2013, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du V de l’article L. 224-1 du code de l’environnement (Mesures techniques nationales de prévention de la pollution atmosphérique et d’utilisation rationnelle de l’énergie) (2013-317 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
Prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger. – Représentation des Français établis hors de France
Suite de la discussion en procédure accélérée de deux projets de loi dans les textes de la commission et adoption du premier projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi portant prorogation du mandat des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger et du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France.
Nous en sommes parvenus à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France.
Exception d’irrecevabilité sur le projet de loi n° 426 rectifié
M. le président. Je suis saisi, par Mme Garriaud-Maylam, d’une motion n° 79.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France (n° 426 rectifié, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la motion.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, deux dispositions du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France portent atteinte à des principes constitutionnels. Il s’agit, d’une part, de l’amputation du mandat des conseillers à l’AFE de la série A et, d’autre part, des nouvelles modalités de scrutin pour l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger.
Concernant la question de la manipulation de la durée des mandats, j’ai exposé tout à l’heure les motifs pour lesquels la prorogation du mandat des élus de la série B me semblait inconstitutionnelle. J’ai notamment souligné la gravité d’une prolongation du mandat d’une moitié des élus d’une assemblée, dans le contexte spécifique où celui de l’autre moitié se trouvait amputé. Je n’y reviendrai donc pas maintenant.
Je voudrais seulement préciser quelques éléments concernant le raccourcissement du mandat des élus de la série A, tel qu’il est prévu à l’alinéa 2 de l’article 37 du projet de loi.
Je suis choquée par le flou entourant cette amputation du mandat de 79 conseillers élus au suffrage universel.
Alors qu’un projet de loi spécifique a été consacré à la prorogation du mandat des élus de la série B, aucune des deux études d’impact jointes aux deux projets de loi dont nous sommes en train de débattre ne prend la peine d’analyser les fondements ni les conséquences juridiques du raccourcissement du mandat des élus de la série A.
Ces silences traduisent la gêne bien compréhensible du Gouvernement sur cette question. De surcroît, les réponses apportées par M. le rapporteur qui, lui, semble bien conscient de l’existence d’un problème constitutionnel, me semblent bien rapides eu égard à l’importance des enjeux.
Lors de son audition par la commission des lois de l’AFE, le directeur de cabinet de Mme la ministre déléguée a éludé le problème en expliquant qu’aucun mandat ne serait amputé, puisque l’assemblée elle-même serait dissoute. Mais une telle dissolution est-elle vraiment constitutionnelle ?
En effet, cette possibilité n’est prévue ni dans la loi du 7 juin 1982 ni dans le décret n° 84-252 du 6 avril 1984 portant statut de l’Assemblée des Français de l’étranger.
En revanche, nous pouvons, par analogie, examiner l’article L. 3121-5 du code général des collectivités territoriales, applicable aux conseils généraux, selon lequel une dissolution n’est justifiée que « lorsque le fonctionnement d’un conseil général se révèle impossible ». Il y est même précisé que « la dissolution ne peut jamais être prononcée par voie de mesure générale ».
C’est d’ailleurs cette « impossibilité de fonctionner » qui a conduit le Conseil constitutionnel à valider la dissolution de l’Assemblée de Polynésie, en 2007, du fait de « l’instabilité chronique » y prévalant. Or il est difficile de diagnostiquer une situation semblable à l’AFE, où de nombreuses résolutions sont votées à l’unanimité. Mme la ministre déléguée aux Français de l’étranger a d’ailleurs, lors de chacune de ses interventions devant cette assemblée, tenu à rendre un hommage mérité au travail de ses élus.
La réforme n’est légitimée que par la volonté d’améliorer un certain nombre de dispositifs et ne revêt donc aucun caractère d’urgence susceptible de justifier une cessation anticipée des activités de l’assemblée, mesure assimilable à une dissolution de fait.
Comme je l’ai indiqué dans mon intervention précédente, il aurait été tout à fait possible d’éviter de manipuler les durées des mandats, en mettant en œuvre la réforme de l’AFE à partir de 2016, à l’expiration du mandat des élus de la série A.
Présentée dans l’urgence, sans concertation véritable, sans tenir compte de l’avis des personnes qui connaissent le mieux le système de représentation des Français de l’étranger, cette réforme est manifestement impropre à atteindre l’objectif affiché par le Gouvernement, à savoir renforcer la démocratie de proximité et la participation électorale.
Venons-en maintenant au second problème d’ordre constitutionnel soulevé par ce projet de loi. Il concerne une nouvelle modalité du scrutin pour les élections sénatoriales, présentée à l’alinéa 3 de l’article 33 octies.
Il s’agit d’autoriser le vote des électeurs français de l’étranger « sous enveloppe fermée, remise en mains propres, à un ambassadeur ou chef de poste consulaire de leur circonscription d’élection, au plus tard le deuxième jeudi qui précède le scrutin ».
Comme l’a très justement fait remarquer Christian Cointat, cette proposition nous ramène en 1977 ! Un pareil système de transfert des enveloppes de vote de l’étranger à Paris avait en effet été proposé pour les élections législatives. La commission des lois du Sénat avait alors estimé que ce système de transfert des bulletins de vote était dangereux, car il ne permettait pas d’assurer le respect du secret du vote. L’Assemblée nationale l’avait purement et simplement supprimé, le président de la commission des lois ironisant même sur ces urnes dotées d’ailes. Drôle de réforme de modernisation de l’AFE, qui nous ferait adopter aujourd’hui des dispositions déjà jugées archaïques et anticonstitutionnelles il y a près de quarante ans !
Notre commission des lois elle-même reconnaît ce risque puisqu’elle « formule les plus grandes réserves à l’égard du vote par remise en mains propres ». Mais, au lieu d’en tirer toutes les conséquences en demandant la suppression de ce mode de votation hasardeux, elle se contente d’indiquer qu’elle a souhaité « de manière pragmatique », conserver « la faculté du vote par correspondance, mais à titre de modalité subsidiaire ». Que de contorsions sémantiques, mes chers collègues ! Soit ce mode de vote est dangereux, et il faut donc le supprimer ; soit il ne l’est pas, auquel cas il doit être conservé au même titre que le vote à l’urne, et non à titre subsidiaire !
La commission prétend mieux encadrer cette modalité, mais se contente de prévoir la remise d’un récépissé à l’électeur et de renvoyer à un décret au Conseil d’État le soin de déterminer par décret les conditions d’enregistrement et de conservation des enveloppes de vote. La rédaction actuelle de cet alinéa, malgré les modifications marginales apportées en commission, ne me semble nullement en mesure de garantir le secret du vote ni la sincérité du scrutin.
Si les isoloirs et les urnes ont été inventés, c’est bien pour remédier aux lacunes du vote « de la main à la main ». Accepterait-on, en France, que les enveloppes de vote soient remises au préfet au lieu d’être glissées dans l’urne ?
Je ne doute pas une seconde de l’intégrité morale des ambassadeurs et chefs de poste consulaires auxquels ces enveloppes de vote seraient confiées.
M. Robert del Picchia. Quand même !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cependant, il ne me semble pas judicieux d’instituer un dispositif susceptible de créer la suspicion et de multiplier les recours. De même, je note qu’aucune garantie d’intégrité et de sauvegarde des enveloppes de vote n’est apportée en ce qui concerne leur transport jusqu’au bureau de vote central, à Paris.
Il est tout de même paradoxal que le projet de loi supprime la possibilité de vote par correspondance pour les élections des élus locaux des Français de l’étranger – ce dont le rapporteur de la commission des lois se félicite – et la rétablisse, sous une forme abâtardie, pour les élections sénatoriales !
Cette situation est d’autant plus absurde qu’une autre solution existe : celle d’un vote électronique ou sur machine à voter à partir des consulats. S’abriter derrière le surcoût que la mise en place d’un tel dispositif engendrerait est absurde, l’essentiel de l’investissement ayant déjà été réalisé à l’occasion de la préparation des législatives de juin 2012.
Une fois encore, au lieu de prendre le temps de mettre en place des mesures de bon sens garantissant la sincérité du scrutin, le Gouvernement opte pour le coup de force, au mépris de notre Constitution.
Au nom du respect dû au suffrage universel, auquel nous sommes tous également attachés sur ces travées, je vous demande, mes chers collègues, de voter en faveur de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (M. Christophe-André Frassa applaudit.)
M. Christophe-André Frassa. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, contre la motion.