M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. J’aimerais d’abord répondre à M. le ministre, dont l’agressivité m’a stupéfié. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Hervé Maurey. Il a tenu des propos extrêmement désagréables sur les centristes, insinuant qu’ils ne seraient pas courageux.
M. Hervé Maurey. C’est sans doute la vôtre, mais ce n’est pas la mienne, et ceux qui me connaissent me prêtent rarement le défaut de manquer de courage.
M. Didier Guillaume. Mais vous manquez peut-être de modestie !
M. Hervé Maurey. Sur le fond, il est évident qu’un découpage est nécessaire : je n’ai jamais dit le contraire. Il n’est pas acceptable que le chiffre de la population cantonale puisse varier de 1 à 40. Pour autant – je rejoins sur ce point Gérard Longuet, et je ne vois d'ailleurs pas très bien en quoi nous ne sommes pas d’accord (M. Claude Bérit-Débat rit.) –, il faut aussi prendre en compte la dimension territoriale.
Ce que je reproche, sur ce plan, à votre projet de loi, monsieur le ministre, c’est qu’il vise à mettre en œuvre un redécoupage des cantons sur une base uniquement démographique ou presque. Un conseiller général ou départemental ne doit bien sûr pas représenter seulement une population, mais également un territoire. Or si demain des cantons comptent soixante ou quatre-vingt communes, il s’agira alors de circonscriptions, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je pense effectivement qu’il vaut mieux tendre vers la parité plutôt que de l’atteindre de manière absolue immédiatement, comme vous le proposez, en sacrifiant la ruralité par la création de cantons qui ne seront pas à taille humaine.
Enfin, je pense que Gérard Longuet n’a pas tout à fait compris le sens de mon amendement, car je suis tout à fait d’accord avec ce qu’il a dit. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Il convient en effet de distinguer population et territoire, élu législatif et élu départemental. Je propose simplement, afin de permettre le maintien du mode de scrutin actuellement en vigueur tout en favorisant la parité, d’étendre aux élections cantonales le système de pénalités qui s’applique aujourd’hui pour les élections législatives.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 177 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article L. 191 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 191. – Les électeurs de chaque canton du département élisent au conseil départemental deux membres de sexe différent, qui se présentent en binôme de candidats dont les noms sont ordonnés dans l’ordre alphabétique sur tout bulletin de vote imprimé à l’occasion de l’élection. »
M. le président. La parole est à M. Christian Namy, sur l'article.
M. Christian Namy. À mes yeux, le principal reproche que l’on puisse faire à ce projet de loi, c’est de méconnaître complètement la réalité de la vie locale.
Bien sûr, le mode de scrutin proposé donne bonne conscience : en faisant élire un homme et une femme dans chaque canton, il résout la question de la parité dans les assemblées départementales ; en maintenant le canton comme cadre d’élection, il donne à penser que l’on conserve un lien entre l’élu et son territoire.
La réalité sera malheureusement tout à fait différente.
La création d’un binôme d’élus sera source de confusion et de complexité. (Mme Gisèle Printz fait un signe de dénégation.) Comment les électeurs pourront-ils comprendre que deux élus seront chargés du même territoire, des mêmes dossiers, des mêmes projets ?
On maintient certes les cantons, mais en imposant leur redécoupage selon le seul critère démographique. Au mépris de la réalité des territoires, on provoque la création de très grands cantons en milieu rural, dont la taille ne permettra plus l’établissement de relations de proximité entre l’élu et les habitants. Comment le conseiller départemental pourra-t-il jouer son rôle de « facilitateur », de médiateur, d’animateur des forces vives locales lorsque le nouveau canton regroupera, comme ce sera le cas dans mon département, trois, quatre ou cinq des cantons actuels ?
Alors que la discussion parlementaire, que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, aurait dû nous rassurer, elle n’a cessé de faire émerger de nouveaux problèmes, de soulever de nouvelles questions, de mettre en exergue de nouvelles difficultés quant au fonctionnement des futurs binômes.
De même que l’on n’a jamais vu deux directeurs à la tête d’une même entreprise, deux généraux à la tête d’une même armée ou deux ministres de l’intérieur place Beauvau, avec la meilleure volonté du monde, on ne voit pas comment pourront cohabiter deux conseillers départementaux dans le même canton. Le mode de scrutin proposé est mauvais et, s’il n’a pas d’équivalent dans le monde, c’est parce qu’il est bancal, ubuesque et quasiment impraticable.
C’est la raison pour laquelle je demande la suppression de l’article 2 et le maintien du mode de scrutin actuel pour les élections cantonales, qui seul permet l’établissement d’un véritable lien, direct et profond, entre l’élu départemental et les habitants de son canton. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, sur l'article.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, les centristes se succèdent !
Je suis de ceux qui se sont prononcés en faveur du changement de dénomination de l’élu départemental. Monsieur le ministre, quel nom donnera-t-on au canton ? Lui donnera-t-on celui de la plus grande commune ? Il ne s’agit pas pour moi d’ouvrir une polémique, ce n’est pas dans ma nature, mais je m’étonne que ce sujet, qui me semble fondamental, ne soit pas abordé.
M. Bruno Sido. C’est un vrai sujet !
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, un responsable n’a pas le droit d’être désespéré, mais il a le droit de dire ce qu’il pense. Sous le précédent gouvernement, j’avais dit que les conseillers territoriaux seraient des voyageurs kilométriques. Aujourd’hui, je vous dis très franchement que la mise en place du scrutin binominal entachera votre image : comme l’a indiqué M. Namy, ce binôme ne fonctionnera pas ! Je le pense profondément. Des expériences de cet ordre ont été tentées dans le monde associatif de mon département : elles ont échoué.
La mise en place de ce mode de scrutin est présentée comme une innovation.
M. Roland Courteau. Eh oui, il faut innover !
M. Jean Boyer. Mais pour innover, monsieur le ministre, il faut avoir réalisé quelques expériences, regardé comment les choses se passent ailleurs ! Très franchement, je crois qu’il y aura chevauchement de responsabilités. Les conseillers généraux votent le budget départemental, mais ils représentent aussi un territoire et sa population.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Jean Boyer. Avec l’instauration du binôme, cette représentation du terrain risque de ne plus être effective. Je le dis très sincèrement, en ayant conscience de ne pas détenir toute la vérité.
J’ajoute, monsieur le ministre, que les simulations font apparaître que les futurs cantons couvriront entre 3 500 et 70 000 hectares : de telles différences ne sont pas raisonnables.
En conscience, je ne pourrai voter l’article 2. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet article est incontestablement le plus important et le moins consensuel du projet de loi ; je dirais qu’il est inutilement non consensuel.
Au nom de la représentation des territoires et de la parité, le Gouvernement nous propose d’adopter, pour l’élection des conseillers départementaux, un mode de scrutin si original que personne n’en a voulu jusqu’à présent… Plus la discussion avance, plus on s’aperçoit que, le premier moment d’amusement bienveillant passé, il y a quelques raisons à cela !
Que ce mode de scrutin ne permette pas la représentation des territoires dans leur diversité, leur chair, je pense l’avoir montré il y a un instant ; je n’y reviendrai donc pas. Mais qu’en est-il de la parité ?
Je commencerai par un petit rappel historique. Cette idée a été pour la première fois agitée au Sénat, lors de la discussion sur le mode de scrutin pouvant être appliqué à l’élection du conseiller territorial. Son premier promoteur fut notre ancien collègue Charles Gautier, alors sénateur de Loire-Atlantique, que ses petits camarades n’ont d'ailleurs pas réinvesti… (Sourires. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Mme Michèle André a proposé ce mode de scrutin à la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui l’a suivie,…
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. … mais il s’agissait alors d’apporter un correctif au mode de scrutin retenu par le gouvernement de l’époque pour l’élection du conseiller territorial. Dans une telle logique, on pouvait effectivement adopter cette façon de voir.
Ici, on remet tout sur la table, et l’on peut donc chercher d’autres moyens de faire respecter le principe de parité. À cet égard, sans partager tous les reproches qui sont adressés au mode de scrutin proposé, je constate qu’il existe tout de même des différences entre la position de la Délégation aux droits des femmes du Sénat hier et celle de l'Assemblée nationale aujourd’hui.
Cela étant, l’essentiel est ailleurs : comment assurer un ancrage de la parité ? J’ai la faiblesse de penser qu’appliquer la représentation proportionnelle à l’échelon de circonscriptions infra-départementales – j’ai proposé que leurs limites coïncident avec celles des intercommunalités, mais on pourrait éventuellement trouver d’autres solutions – serait un moyen d’atteindre cet objectif.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous dire, comme vous l’avez fait à deux reprises, qu'il n'y a pas d'autre solution que la proportionnelle départementale ?
M. Roland Courteau. Parce que c'est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Mais non ! Il existe d'autres solutions. Si l’on avait pris la peine d’approfondir la réflexion, on aurait pu mettre au point un mode de scrutin qui permette d'assurer à la fois l'ancrage territorial des élus et la parité.
M. Roland Courteau. Comment ?
M. Pierre-Yves Collombat. Je suis persuadé que l'on aurait pu y parvenir, mais on n’a pas essayé !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il faudrait nous expliquer !
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur Mirassou, je sais bien que vous êtes dans votre rôle, le doigt sur la couture du pantalon (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), mais il n’est pas interdit de faire preuve de temps en temps de bonne foi !
C'est peut-être la logique de la Ve République, mais, à mes yeux, ce n'est pas ce que celle-ci nous a apporté de mieux ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Michel Savin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé, sur l’article.
M. Vincent Eblé. Mes chers collègues, observons que les critiques les plus vives à l’égard du scrutin majoritaire binominal portent en réalité non pas sur le mode de scrutin lui-même, mais sur les conséquences liées au redécoupage rendu obligatoire par l'épisode malheureux du conseiller territorial.
M. Bruno Sido. Pas du tout, vous n’avez rien compris !
M. Vincent Eblé. Vous voulez supprimer l'article 2. Cela ne nous exempterait pas pour autant d'avoir à redessiner la carte des cantons, ce qui ne manquera pas, comme l’ont souligné différents intervenants, de soulever des difficultés. D'ailleurs, nous aurions également dû le faire pour le conseiller territorial, car le gouvernement précédent s'était, dans son grand courage, arrêté en chemin…
On nous dit que le futur conseiller départemental ne pourra pas assurer la représentation d'un trop vaste territoire cantonal ; le conseiller territorial, lui, y serait bien entendu parvenu, alors même que l’effectif des élus départementaux aurait parfois été bien moindre – dans mon département, nous serions passés de quarante-trois élus à trente-deux, pour 1,3 million d’habitants ! – et qu’il aurait eu la charge supplémentaire de gouverner l'institution régionale. Permettez-moi de souligner l'incohérence d’un tel propos…
Il est paradoxal que ce soit ici, au Sénat, que la critique portant sur la difficulté de représenter de vastes territoires soit aussi vive. Nous sommes, par définition, élus par l'ensemble des représentants de notre département, à la majorité ou à la proportionnelle d'ailleurs. Ceux qui sont élus à la proportionnelle exercent concurremment à leurs collègues, y compris de la même liste, leurs responsabilités, sans que cela pose, me semble-t-il, de difficulté majeure en termes de représentation.
Enfin, je voudrais rappeler à ceux qui prônent un mode de scrutin mixte que la distinction entre l'urbain et le rural recouvre une différence sociologique, et donc une différenciation politique, comme chacun de nous a pu l’observer.
Proposer la proportionnelle pour les territoires urbains et le mode de scrutin majoritaire pour les zones rurales, c'est bien évidemment proposer un marché de dupes ! Là où je domine, je prends tout grâce au scrutin majoritaire ; là où tu domines, on partage grâce la proportionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Trop malin pour être honnête ! Ce n’est plus un mode de scrutin, c’est un hold-up !
Mes chers collègues, le mode de scrutin binominal majoritaire à deux tours présente de nombreux avantages, en particulier pour la ruralité. Par son caractère de scrutin de circonscription, il préserve l'indispensable lien entre l’élu et le territoire. Ne mésestimez pas les courants qui, à l'intérieur de la société, voudraient dissoudre ce lien, que je souhaite pour ma part conserver.
Ce mode de scrutin est également extrêmement précieux pour l'exercice des compétences départementales, à savoir la solidarité sociale et la solidarité territoriale. Il permet de différencier nos conseils généraux des assemblées régionales, pour lesquelles le scrutin proportionnel a tout son sens au regard de leurs compétences stratégiques : le développement économique et la réalisation des grandes infrastructures.
La diversité des modes d'élection, c'est la richesse de notre République décentralisée et la garantie d'une complémentarité de nos collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, sur l’article.
M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, j'ai entendu, tout au long de cet après-midi, s’exprimer un certain nombre de craintes sur divers sujets, comme la ruralité ou le mode de scrutin. À mon sens, il faut examiner avec sérénité comment nous pourrions faire en sorte que les territoires puissent continuer à être représentés et les départements à exister, ce qui est notre objectif commun à tous dans cet hémicycle.
Plusieurs d'entre vous ont fait remarquer qu’il y avait d'autres priorités. C'est évident ! C'est d’ailleurs bien pour cela que nous avons instauré le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi et créé la Banque publique d'investissement, les contrats de génération et les emplois d’avenir. Nous travaillons maintenant sur la question de la lutte contre le chômage, qui est bien sûr pour nous la première des priorités : si elle l’est également pour vous, alors rejoignez-nous ! Si nous mettons aujourd'hui en place un nouveau mode de scrutin, c'est tout simplement parce que c’est nécessaire à un peu plus d'un an des prochaines élections départementales.
Nous avons également entendu dire que la ruralité allait être mise à mal, que l’on opposait l'urbain au rural. Or c’est tout l'inverse que nous sommes en train de faire ! (Protestations sur les travées de l'UMP.) Si le conseiller territorial avait été mis en place, l’effectif des élus départementaux aurait pratiquement été divisé par deux et le nombre de cantons aurait diminué : dans mon département, il serait passé de trente-six à vingt-cinq. J’ai combattu ce projet parce que montrer du doigt les élus, diminuer leur nombre, c'est faire de la démagogie et du populisme. Nous avons besoin des représentants territoriaux !
J’en viens à autre un point important, celui du choix du mode de scrutin. Hormis deux groupes de notre assemblée, nous sommes pour la plupart opposés au scrutin proportionnel, qui ouvre la voie à l’élection d’apparatchiks, à la désincarnation de la représentation cantonale, à la fin des territoires.
Mme Éliane Assassi. Alors il y a de nombreux apparatchiks, ici !
M. Didier Guillaume. Qu’il soit organisé à l’échelon départemental ou infra-départemental, c'est la même chose. En revanche, nous souhaitons que l'ensemble des courants politiques soient représentés. C'est un point très important.
Certains ont affirmé que deux élus représentant un même territoire ne parviendraient pas à travailler ensemble. Je constate pourtant que, en général, les sénateurs d’un même département, qu’ils aient été élus à la proportionnelle ou au scrutin uninominal, s’entendent globalement bien, même quand ils ne sont pas du même bord politique.
M. François Zocchetto. Surtout dans ces cas-là !
M. Didier Guillaume. À tout le moins, ils essaient de s'entendre.
Ce qui est essentiel pour nous, c'est de maintenir le lien de proximité entre les élus et leur territoire, conformément à la vocation des conseils départementaux. Il y aura certes moins de cantons, mais autant d’élus, voire davantage. Avec deux élus par canton, le travail pourra être fait. Si l’on ajoute les deux suppléants, cela fait quatre personnes pour s’occuper d’un canton : on ne peut pas parler d’un éloignement des élus !
Je veux saluer le travail de la commission et remercier le ministre de l'intérieur de son écoute et des propos qu’il a tenus au début de la discussion générale. Des avancées peuvent encore être obtenues, le texte peut encore être amélioré. Ainsi, je serais assez favorable à ce que l’écart maximal de la population cantonale par rapport à la moyenne départementale passe de 20 % à 30 %. Si les exceptions géographiques, démographiques et territoriales inscrites à l’article 23 sont maintenues, alors les craintes qui se sont exprimées concernant la représentation de la ruralité ne seront plus fondées.
Quel mode de scrutin voulons-nous ? On le voit bien, il est difficile de maintenir celui qui est actuellement en vigueur, car la parité ne serait pas assurée : on ne ferait que tendre vers elle, ce qui n’est pas suffisant à nos yeux. Avec la création du conseiller territorial, avec le mode de scrutin actuel, un redécoupage aurait également été nécessaire. Nous essaierons de faire les choses le mieux possible.
Enfin, certains ont reproché à ce mode de scrutin d’être unique au monde. Or, dans la plupart des pays européens, pour toutes les élections, c’est la proportionnelle à un tour qui prévaut,…
M. Pierre-Yves Collombat. Eh oui !
M. Didier Guillaume. … et non pas le scrutin uninominal à deux tours. Mais nous pensons qu’il est bon de maintenir le lien entre l’élu et le territoire, la proximité, c’est pourquoi nous ne voulons pas de la proportionnelle. Le scrutin binominal permettra au département de passer dans l'ère de la modernité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article.
M. Jean-Jacques Mirassou. Manifestement, deux visions différentes de l'action départementale s'expriment dans ce débat.
Chers collègues de l’opposition, la défense de la ruralité n’est nullement votre monopole : nous y sommes attachés au moins autant que vous. Je vous soupçonne de nourrir quelques arrière-pensées électoralistes… (Murmures sur les travées de l’UMP.)
Vous n'hésitez pas à opposer la politique rurale à la politique urbaine. Or, si le conseiller général est avant tout comptable des intérêts du canton qu'il représente, nous estimons pour notre part qu’une politique départementale ne doit pas être la simple juxtaposition de celles des cantons qui le composent.
Vous avez – je le pense très sincèrement ! – une vision quelque peu passéiste du département. C'est la raison pour laquelle vous vous opposez au scrutin binominal, seul à même de garantir la parité tout en sauvegardant la proximité entre élus et territoires, au contraire de la proportionnelle. La légitimité du binôme de conseillers territoriaux tient à l’élection au suffrage universel.
M. le ministre l’a dit, des ouvertures sont envisageables. En ce qui concerne le redécoupage des cantons, j’espère que de sérieuses avancées pourront être réalisées par rapport au texte initial. Cependant, pour cela, il faudrait que vous vous débarrassiez de vos pesanteurs, chers collègues : je le répète, vous n'avez pas le monopole de la défense de la ruralité ; nous en sommes aussi soucieux que vous.
Nous avons la prétention de penser que mener une politique urbaine n'est pas incompatible avec la conduite d’une politique rurale. La démonstration en est faite quotidiennement dans mon département.
De grâce, essayons de nous tourner vers l'avenir, vers l’institution de conseils départementaux véritablement modernes, élus selon un mode de scrutin garantissant à la fois la parité et la proximité. Je crains, mes chers collègues, pour filer la métaphore sportive, que vous ne vous inspiriez du système de défense pratiqué hier soir par le Milan AC contre le Barça : on sait comment le match s’est terminé ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l'article.
M. Bruno Retailleau. Sur d’autres travées, j’ai entendu affirmer que la République s’enrichirait à proportion de la diversité de ses modes de scrutin. Si tel était réellement le cas, la France serait assise sur un tas d’or !
M. Michel Delebarre, rapporteur. Elle l’est, sur le plan démocratique !
M. Bruno Retailleau. Plus sérieusement, je souhaiterais exprimer de la manière la plus sereine et la plus objective possible les deux craintes que nous inspire cet article 2.
Notre première crainte concerne le principe même du nouveau scrutin. À cet égard, je me garderai bien de parler de modernité, notion que l’on invoque à tort et à travers. Un mode de scrutin n’est pas une fin en soi, ce n’est qu’un moyen : il s’agit de faire en sorte que, demain, l’échelon départemental fonctionne bien, si possible mieux qu’aujourd’hui.
La représentativité est une, elle ne peut être divisée, sauf à l’affaiblir. N’est-ce pas ce qui risque d’advenir avec l’instauration du binôme ? C’est une question de principe importante. Concrètement, tous les tandems qui seront élus demain fonctionneront-ils de manière satisfaisante ?
M. François Zocchetto. Non !
M. Bruno Retailleau. On sait très bien que, pour certains de nos concitoyens, il sera tentant de se tourner vers le second membre du binôme si le premier n’a pas donné une suite favorable à leur demande… On risque d’assister à des dysfonctionnements quand le tandem ne sera pas suffisamment fort.
Notre seconde crainte a trait aux conséquences de la mise en place de ce mode de scrutin : en effet, chers collègues de la majorité, le système du binôme vous donne les moyens d’opérer, par le biais d’un décret en Conseil d’État et non d’une loi, un redécoupage cantonal sans précédent, en enjambant par exemple les limites des circonscriptions, que les deux précédents redécoupages avaient respectées.
C’est là notre inquiétude majeure. Monsieur le ministre, il faut nous rassurer sur ces points. Si, par malheur, l’article 2 devait subsister, la proposition que nous avions formulée en première lecture de créer des sections cantonales, reprise par Bruno Sido via un de ses amendements, permettrait de clarifier les choses et de garantir le maintien du lien de proximité unissant l’élu à son territoire, que M. Guillaume appelle lui aussi de ses vœux.
Par ailleurs, je pense que porter à 30 %, au lieu de 20 %, l’écart maximal de la population cantonale par rapport à la moyenne départementale permettrait de beaucoup mieux préserver la représentation de la ruralité, à laquelle nous sommes tous attachés.
Mme Frédérique Espagnac. Sur ce point, nous sommes d’accord !
M. Bruno Retailleau. Telles sont nos préconisations si l’article 2, auquel nous sommes bien sûr opposés, devait être adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, sur l'article.
M. Yves Krattinger. Certains intervenants semblent parfois perdre de vue la réalité des questions qui nous sont posées. Elles sont, selon moi, au nombre de trois : l’égalité des suffrages, la représentation des territoires – dans les limites imposées par le principe de l’égalité des suffrages ! –, le respect de la parité.
Concernant l’égalité des suffrages, tout le monde a fauté, puisque personne n’a réellement redécoupé les cantons.
M. Michel Delebarre, rapporteur. Exact !
M. Yves Krattinger. On a ainsi abouti à une situation complètement inacceptable : dans certains départements, la population des cantons peut varier de 1 à 47. Il est donc de fait que le principe d’égalité des suffrages n’est pas respecté.
Pour autant, faut-il redécouper les cantons afin qu’ils comptent tous la même population et que chaque conseiller départemental représente le même nombre d’électeurs ? Tous, nous répondons « non » !
Mme Gisèle Printz. Tout à fait !
M. Yves Krattinger. Il convient, dans le respect des limites définies par nos règles constitutionnelles, d’admettre la possibilité d’un écart par rapport à la moyenne départementale, sur l’étendue duquel nous débattons aujourd’hui. M. le ministre propose qu’il soit de plus ou moins 20 % et a accepté en outre, ici puis à l’Assemblée nationale, que cette règle puisse être assortie de dérogations, afin de pouvoir tenir compte de spécificités démographiques ou géographiques, par exemple. À mon sens, cela est nécessaire.
Aujourd’hui, une ouverture supplémentaire se dessine : il est envisagé de porter l’écart admissible à plus ou moins 30 %. Bien sûr, cela peut sembler beaucoup au regard du principe d’égalité des suffrages, puisque, à l’extrême, la population des cantons pourra varier presque du simple au double. Pour ma part, je l’accepte volontiers, pour garantir la représentation des territoires.
Jusque-là, il me semble que nous sommes entièrement d’accord, même si personne n’a envie de manier les ciseaux, au risque de se voir reprocher d’avoir « charcuté » la carte des cantons.
Chers collègues de la majorité, j’observe d’ailleurs que, lors de la création du conseiller territorial, vous vous étiez bien gardés de définir le ressort d’élection de celui-ci. Que serait-il advenu si la réforme instaurant le conseiller territorial n’avait pas été abrogée ? Il y aurait aujourd’hui quelque 2 000 cantons, c’est-à-dire autant que ne le prévoit le présent texte.
M. Jean-Jacques Hyest. Non !
M. Rémy Pointereau. C’est faux !
M. Yves Krattinger. J’ai fait tous les calculs, l’écart est faible, ne le niez pas !
M. Pierre-Yves Collombat. Cela dépend des endroits !
M. Yves Krattinger. C’est vrai en moyenne ! La seule différence, de taille, est qu’il n’y aurait qu’un seul élu par canton, au lieu de deux, investi de surcroît d’une double mission ! Ainsi, le projet du Gouvernement va dans le bon sens en matière d’égalité des suffrages et de représentation des territoires. Je crois que nous sommes nombreux à être d’accord sur ce point, même si certains se refusent à l’avouer.
En fin de compte, ce qui fait débat aujourd’hui, c’est la question de la parité. Elle se conjugue d’ailleurs à celle de la représentation des territoires peu peuplés, dont les élus actuels craignent de perdre leur siège : ne nous voilons pas la face ! Sur le terrain, des élus m’objectent que leur nombre passera de six à deux avec la mise en œuvre de notre projet. Quand je leur réponds que si le conseiller territorial avait été créé, leur territoire n’en aurait élu qu’un seul, ils me font alors observer que, avec l’application de la parité, cela revient au même, puisqu’ils sont six hommes !