M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès le lendemain de mon élection au Sénat en septembre 2011, j’ai adressé un courrier au président Jean-Pierre Bel, dans lequel je demandais qu’une délégation parlementaire puisse se rendre dans mon département, à Mayotte, afin de constater sur place une situation sociale extrêmement difficile.
L’île tout entière était alors en proie à un mouvement de grève générale sans précédent.
Le 15 novembre suivant, le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, décidait d’y envoyer une mission. À l’issue de très nombreuses visites et rencontres sur place, celle-ci a remis un rapport d’une grande qualité, en date du 18 juillet dernier.
Depuis quelques mois, le regard sur ce département semble changer. L’organisation d’un débat lui étant exclusivement consacré est l’un des signes forts et encourageants d’une prise de conscience de la situation spécifique et particulièrement délicate de Mayotte. Je tiens, à ce titre, à remercier le président de la commission des lois, ainsi que tous ceux qui ont bien voulu y prendre part.
Je salue également le groupe socialiste, auquel j’appartiens, pour la solidarité qu’il a su témoigner. Merci, chers collègues, de ne pas avoir laissé entre mes seules mains la « patate chaude » de Mayotte ! (Sourires.)
Il est vrai que de nombreux rapports ont été commandés ces dernières années. Cependant, le temps de l’action est venu, et je souhaite que le débat d’aujourd’hui pose les bases d’un engagement réel et concret de la force publique dans le devenir du 101e département. Car à Mayotte, il n’est pas un seul secteur qui ne soit une priorité !
L’imbrication des problématiques provoque une situation apparemment inextricable et si nous ne voulons pas établir un énième cahier de doléances impossible à satisfaire, il convient d’analyser les causes premières des difficultés afin de déterminer la nature des actions à mener et de les prioriser.
J’identifie deux aspects majeurs, qui préfigurent les enjeux programmatiques de notre débat.
Le premier est lié au fait que Mayotte est un tout jeune département, et que son accession à ce statut le 31 mars 2011 n’a pas été accompagnée des moyens suffisants pour que ce territoire se développe normalement, à l’instar d’autres départements d’outre-mer plus anciens, structurellement mieux équipés et plus expérimentés.
En somme, beaucoup – presque tout, serait-il plus judicieux de dire – reste à faire à Mayotte pour que le statut dont l’île vient d’hériter ne soit pas une « coquille vide » dépourvue de moyens, d’outils et de compétences au service des citoyens.
Le Gouvernement a récemment assuré que la mise en place de la fiscalité propre serait effective au 1er janvier 2014. La réussite du passage de Mayotte dans la fiscalité de droit commun repose, en grande partie, sur le succès de la fiabilisation du cadastre.
Or ce chantier n’est toujours pas bouclé, et la loi de finances pour l’année 2013 ne prévoit aucun crédit pour résoudre le problème.
Nous appelons tous de nos vœux l’instauration de cette fiscalité locale, mais il faut impérativement expliquer en amont aux Mahorais les conséquences que celle-ci aura sur le pouvoir d’achat de ceux qui seront effectivement imposables. Car, je le rappelle, le revenu moyen à Mayotte est inférieur à 1 000 euros par mois !
Par ailleurs, cet état de fait appelle une question simple : si les communes ne peuvent compter que sur un nombre réduit de contribuables, de quoi vivront-elles ?
Aujourd’hui, alors même qu’elles bénéficient de dotations de l’État, onze communes sur dix-sept sont placées sous tutelle de la chambre régionale des comptes...
Une compensation budgétaire sera donc incontournable. À combien s’élèvera-t-elle ?
Il me paraît opportun de formuler, ici, une proposition globale, dont je souhaite que nous puissions débattre sérieusement tant sur le fond que sur les modalités de son éventuelle mise en œuvre.
Aussi, pour répondre à toutes ces difficultés, et instaurer les bases d’une véritable départementalisation, des dispositifs spécifiques ne pourraient-ils pas être créés, à l’instar de ce qui avait été fait pour l’état civil ?
Malgré un bilan en demi-teinte, la Commission de révision de l’état civil, la CREC, a abattu un travail, certes incomplet, mais indispensable. Il lui avait été, notamment, reproché l’absence de campagne d’information et de sensibilisation à destination de la population concernant les enjeux de cette réforme.
Tenant compte des critiques qui ont été formulées, des commissions ad hoc pourraient permettre de structurer et de former durablement les services des collectivités mahoraises.
La ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu, dont la venue à Mayotte semble être annoncée à la fin du mois, précisera, je l’espère, le calendrier et les modalités de la fiscalité propre, ainsi que l’avenir institutionnel de ce territoire.
Le second point névralgique, c’est l’immigration clandestine massive et incontrôlée à laquelle le département doit faire face, et qui n’est d’ailleurs pas sans lien avec le statut de département dont Mayotte a voulu se doter.
Cette pression migratoire exceptionnelle affecte lourdement tous les pans de la société. Sur 30 000 reconduites à la frontière par an au niveau national, 20 000 à 25 000 migrants clandestins sont reconduits par an de Mayotte vers les Comores, pour un coût estimé – vous l’avez souligné, monsieur le président Sueur – entre 50 millions et 70 millions d’euros.
Les immigrés clandestins retentent inlassablement leur chance, au péril de leur vie. Le dernier recensement faisait état de 212 600 habitants sur notre territoire, auxquels il convient d’ajouter quelque 85 000 immigrés clandestins, soit 40 % de la population totale !
Lorsqu’ils sont arrêtés, beaucoup font le choix d’abandonner leurs enfants dans un eldorado factice, pensant ainsi leur offrir une vie meilleure. Mais quelle vie ? Une vie d’errance, de misère, de délinquance, de prostitution...
Nous revient alors la lourde responsabilité de nous occuper de ces enfants, dont le nombre oscille entre 6 000 et 8 000, alors même que le département ne dispose pas des moyens d’accueillir et de scolariser ses propres enfants dans des conditions décentes.
Les solutions que nous inventons pour remédier à cette difficulté, telles que le système de rotation, les redoublements injustifiés, sont tout bonnement intolérables et sont en partie à l’origine d’un chiffre inacceptable : 73 % des jeunes ont de grandes difficultés pour la lecture et l’écriture ! Je vous laisse imaginer le ressenti des parents mahorais devant les initiatives, souvent louables, qui sont prises en faveur des étrangers.
Le Défenseur des droits, présent aujourd’hui dans nos tribunes et que je tiens à saluer, a chargé Mme Yvette Mathieu, préfète à l’égalité des chances, d’examiner le dossier relatif à ces mineurs isolés. Un rapport devrait être remis au Gouvernement début mars. Il faudrait, monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur les principales préconisations contenues dans ce rapport, dont vous avez sans doute eu la primeur.
D’autres secteurs, comme celui de la santé, sont également touchés par cette pression migratoire insensée.
Avec une activité record de 8 000 naissances par an, le centre hospitalier de Mamoudzou est la première maternité de France. Sept femmes sur dix qui y accouchent sont des clandestines.
L’hôpital de Mayotte doit également faire face à de nombreux cas d’étrangers en situation irrégulière présentant des maladies graves et nécessitant des soins urgents – certains d’entre eux étant amenés en kwassa kwassa, ces embarcations de fortune, depuis Anjouan dans un état dramatique, d’autres effectuant des allers-retours réguliers pour prendre un traitement mensuel, afin de soigner une maladie chronique.
Cette charge sanitaire induite par l’immigration clandestine est lourde pour les infrastructures médicales déjà fragiles de Mayotte.
Malgré le dévouement des personnels médicaux, cette situation conduit à réduire la disponibilité des équipements pour le reste de la population, augmentant de ce fait le ressentiment des Mahorais envers les étrangers.
Pas plus tard qu’hier, dans une commune du Sud, des mères de famille excédées sont allées dans une école retirer des enfants étrangers, en réaction à un problème de délinquance.
Vous voyez combien le problème de l’immigration se déploie immédiatement dans les champs où une action est nécessaire.
Nous devons donc considérer la résolution de ce problème dans sa globalité, et comme une condition sine qua non à l’efficacité de tout projet de développement.
C’est à ce titre qu’il a été confié, en août dernier, à Alain Christnacht, conseiller d’État, la mission d’évaluer la situation globale des flux migratoires sur ce territoire et de préconiser des solutions à long terme afin d’endiguer cette pression excessive.
Les orientations retenues, à savoir la modernisation des moyens maritimes et aériens de la police ainsi que la coopération avec l’Union des Comores, notamment, vont dans le bon sens.
Je rappelle cependant que, en dépit du contentieux entretenu par l’Union des Comores, il n’est pas question de revenir sur le choix exprimé par les Mahorais, qui ont affirmé à trois reprises, à une très large majorité, leur volonté de rester Français, tandis que les trois autres îles de l’archipel des Comores accédaient à l’indépendance.
Cette coopération ne se fera qu’à cette condition.
La démarche engagée est bonne, car il est primordial que nous puissions disposer d’une meilleure visibilité sur la gestion des flux migratoires, pour envisager plus sereinement la question des infrastructures propres au département.
Mais, au risque de me montrer impatient, je souhaiterais savoir si un échéancier a été arrêté pour la mise en œuvre des préconisations de M. Christnacht en matière d’immigration.
Enfin, je me permets d’alerter le Gouvernement sur un autre des problèmes majeurs de Mayotte : le logement.
L’INSEE a relevé lors de son dernier recensement que les logements augmentaient moins vite que la population, et pour cause, nous venons de le voir !
Madame la ministre des affaires sociales et de la santé a récemment présenté en conseil des ministres une ordonnance créant, en plus de l’allocation de logement familiale qui existait déjà, l’allocation de logement sociale, et prévoyant de l’aligner progressivement sur le droit commun des DOM afin de ne pas bouleverser l’économie mahoraise.
De telles dispositions vont dans la bonne direction mais restent insuffisantes. Le taux arrêté est trop bas, les ménages mahorais ne peuvent assumer les loyers.
Au bout du compte, les logements sociaux existants restent vides et les logements en programmation ne trouveront jamais preneur.
Ce tableau sombre de la situation qui vient d’être dépeinte par mes collègues et moi-même ne doit pas empêcher d’entrevoir un avenir lumineux.
Car Mayotte, c’est avant tout une île au potentiel considérable, une île aux richesses naturelles exceptionnelles.
Son lagon, entouré d’une double barrière de corail, est l’un des plus beaux et des plus grands lagons fermés du monde.
Sa faune diversifiée et sa flore luxuriante lui confèrent des allures de carte postale et devraient en faire une destination touristique prisée ; la jeunesse de sa population devrait lui permettre de devenir une région dynamique.
C’est la raison pour laquelle il est unanimement admis que le tourisme constitue l’un des secteurs d’activités au grand potentiel de création de valeur ajoutée et d’emploi.
Pourtant, le tourisme à Mayotte demeure modeste : la concurrence des îles voisines est rude, les hôtels manquent, le prix du billet d’avion est dissuasif et le projet de construction d’une piste longue autorisant des liaisons attractives est sans cesse retardé.
Une aide de l’État dans la mise en place d’une véritable identité touristique mahoraise, respectueuse de l’environnement, permettrait de lancer cette économie porteuse.
Il me paraît également indispensable de sensibiliser et de mobiliser la population, notamment les jeunes générations, sur la problématique de la préservation de cet environnement exceptionnel mais fragile.
Il faudrait d’ores et déjà mettre en place de nouvelles sources de production qui répondraient à la croissance démographique et économique actuelle et à venir.
Les énergies renouvelables sont peu coûteuses et non polluantes.
Le photovoltaïque, par exemple, est une technique intéressante, car la capacité solaire de l’île est immense. Sa proximité avec l’équateur lui confère 200 heures d’ensoleillement de plus que la Réunion.
Mayotte pourrait ainsi servir de laboratoire et d’exemple à suivre.
Le développement de l’aquaculture, qui connaît des débuts prometteurs, doit également être encouragé.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, l’aspiration des mahorais à l’amélioration de leurs conditions de vie apparaît plus que légitime.
J’ai conscience de l’investissement important que représente l’ensemble de ces missions de rattrapage, mais il est incontournable pour réussir à relever le défi de la départementalisation.
Les nombreuses mesures prises depuis son arrivée au pouvoir démontrent la volonté de ce gouvernement de consolider ce processus de départementalisation et de faire bénéficier les Mahorais de l’ensemble des droits garantis par la Constitution. Je tenais à le préciser en votre présence, monsieur le ministre.
Prises en concertation avec les élus et les acteurs sociaux locaux, les réponses aux difficultés seront sans aucun doute plus efficaces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean-Marie Bockel et Abdourahamane Soilihi applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai un mot, tout d’abord, pour me réjouir de l’organisation du présent débat et féliciter le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et ses deux corapporteurs, nos collègues Christian Cointat et Félix Desplan, de l’excellent et très complet rapport d’information établi sur la situation de Mayotte à la suite de leur déplacement au mois de mars 2012, voilà déjà presque un an. Ce rapport constitue un précieux outil pour mesurer le chemin parcouru et évaluer les défis à relever… qui se font de plus en plus pressants !
Le chemin parcouru est considérable et témoigne d’une belle constance de nos compatriotes mahorais dans l’affirmation de leur appartenance à la France et leur aspiration à un ancrage solide au sein de la République par l’accession au statut départemental.
Après avoir exprimé à une très large majorité son hostilité à l’indépendance lors du référendum du 22 décembre 1974, la population mahoraise a en effet massivement confirmé sa volonté de rester Française lors d’un vote-plébiscite le 8 février 1976 et, deux mois plus tard seulement, elle s’est prononcée lors d’une nouvelle consultation en faveur de la départementalisation. Mais le contexte régional et les tensions avec les Comores ont conduit les autorités politiques françaises à temporiser sur ce dernier point ; et cette situation provisoire a duré en définitive plus d’un quart de siècle : du statut sui generis de « collectivité territoriale de la République » de 1976, qui était un hybride entre DOM et TOM, on a abouti au statut de département à part entière le 7 décembre 2010, après un passage par une curiosité institutionnelle, la collectivité départementale avec le statut de 2001 ! Ce « Canada dry » des institutions avait l’apparence du département, mais sans les attributions.
L’avènement du Département de Mayotte, avec un grand « D », le 31 mars 2011, marque ainsi l’aboutissement d’un processus qui peut paraître long mais qui a connu en réalité une nette accélération à compter de l’accord sur l’avenir de Mayotte de janvier 2000 et du pacte pour la départementalisation de Mayotte de janvier 2009. Ainsi peut-on affirmer que le processus de départementalisation n’est véritablement en marche que depuis une dizaine d’années, avec une période de maturation qui paraît dès lors relativement brève à l’aune des spécificités extrêmement fortes caractérisant la société mahoraise.
Les modifications nécessaires pour rendre compatibles ces spécificités avec les principes fondateurs de la République, en particulier les évolutions concernant le droit de la famille, le rôle des cadis et le poids de la tradition ou encore la réorganisation de l’état civil, ont un impact direct sur l’évolution de la société qui, en parallèle et dans le même laps de temps, tente d’absorber le choc du passage d’une économie traditionnelle vivrière au modèle consumériste dit « moderne ».
À l’instar des autres collectivités ayant longtemps vécu sous le joug colonial et qui ont connu de profonds bouleversements dont elles éprouvent encore le traumatisme, source de séismes sociaux périodiques, Mayotte, tout en présentant une puissante singularité, est à son tour confrontée, avec le renforcement du modèle occidental, aux réalités de la « vie chère » et des mouvements sociaux qui en découlent. Le long conflit de la fin de l’année 2011 et l’explosion sociale qui l’a accompagné ont marqué un tournant : aucun conflit social n’avait jusque-là conduit à un tel déferlement de violence.
Sans doute ces événements trouvent-ils en partie leur origine dans une incompréhension de la population et le sentiment que les évolutions positives concrètes liées à la départementalisation se font attendre ! Il faut dire que l’attente avait déjà été longue pour accéder au statut de département et que, à défaut de démarche pédagogique adaptée, cet aboutissement portait en lui la croyance dans l’avènement d’une égalité sociale immédiate !
Cette égalité sociale, notamment en termes d’éligibilité aux mêmes prestations que dans l’Hexagone, a suivi un long et laborieux cheminement pour les « quatre vieilles » : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion. Il n’est que d’entendre Aimé Césaire dans son intervention de soutien à la question préalable, à l’Assemblée nationale en 1986, sur le projet de loi de programme relative au développement des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte, dont l’article 1er dispose que « l’effort de la nation en faveur des départements d’outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte tend […] à la réalisation en cinq ans […] de la parité sociale globale avec la métropole » !
Récusant l’interchangeabilité des mots « égalité » et « parité », Césaire déclare : « Il y a des mots ombrageux et qui ne supportent pas d’être amoindris par le voisinage d’une quelconque épithète. Le mot « égalité » est de ceux-là. Il n’y a pas d’égalité « adaptée », il n’y a pas d’égalité « globale », l’égalité est ou n’est pas… »
Force est de constater que l’objectif reste loin d’être atteint en dépit d’un mouvement de rattrapage auquel la crise actuelle a d’ailleurs mis un frein. Je vous invite à vous référer aux actes du colloque organisé par la délégation sénatoriale à l’outre-mer sur le développement humain et la cohésion sociale dans les outre-mer, actes publiés aujourd’hui même et que voici ! (L’orateur brandit un exemplaire du rapport d’information.) Vous verrez que le retard sur l’Hexagone en termes d’indice de développement humain, indice qui prend en compte non seulement le PIB par habitant mais également des paramètres en matière de santé et d’éducation, est encore considérable pour les DOM historiques : il est ainsi estimé à une douzaine d’années pour la Martinique et la Guadeloupe, et à 25-30 ans pour la Guyane ; il avoisinerait 40 ans pour Mayotte.
Une politique volontariste, malgré le contexte budgétaire et je dirais même a fortiori, doit être menée. L’action du Gouvernement épousant le cap tracé par le Président de la République répond à cette exigence. Une nette accélération de mise à niveau des prestations sociales pour Mayotte est d’ores et déjà effective.
Il faut également faire face au défi démographique en faisant fructifier l’atout que constitue une population jeune : plus de la moitié de la population mahoraise a moins de vingt ans ! C’est à la fois une chance pour l’avenir et un défi présent qui appelle en urgence une adaptation du système éducatif.
Celui-ci accuse un retard à la fois quantitatif – les chiffres officiels font état de 327 salles de classe manquantes – et qualitatif, car « les écoles mahoraises sont vétustes pour ne pas dire dangereuses » selon la sous-préfète chargée de la cohésion sociale. À Mamoudzou même, 22 des 38 écoles primaires ne répondent pas aux normes de sécurité et d’hygiène.
Ce constat préoccupant doit appeler l’État et les collectivités à se mobiliser, notamment face à la montée de la violence juvénile qui constitue une évolution inquiétante et symptomatique d’un risque de dislocation de la société traditionnelle où les valeurs spirituelles priment sur les valeurs matérielles.
Le développement vers une société moderne ne doit pas se faire au détriment de la cohésion sociale et culturelle, ce qui reviendrait à en saper les fondements. C’est également pour cette raison que doivent être préservés les secteurs d’activité traditionnels, pourvoyeurs d’emploi et de solidarités, et qui contribuent à définir l’identité de « l’île aux parfums » : ainsi, la culture de la vanille et de l’ylang-ylang.
Il ne faut pas manquer le virage dans lequel nous sommes engagés : à cet égard, 2013 est une année décisive, en particulier avec l’accession de Mayotte au rang de région ultrapériphérique. Outre le défi éducatif et l’accueil de la jeunesse, deux autres phénomènes appellent des réponses rapides.
Le premier est l’afflux migratoire qu’il faut endiguer. Cela ne sera possible que par une politique régionale active de codéveloppement, de nature à atténuer l’image d’eldorado qu’a Mayotte et à apaiser les tensions avec les Comores qui connaissent un certain regain.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Serge Larcher. Je conclus, monsieur le président, mais on ne parle pas souvent de Mayotte ; c’est très important pour la République. Permettez au président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer que je suis de s’appesantir quelques instants sur un dossier qui nous interpelle quotidiennement.
Les échanges économiques dans la zone restent insuffisants : moins de 5 % des importations réalisées à Mayotte en 2011 étaient en provenance de l’océan Indien et de l’Afrique de l’Est !
L’autre défi majeur de 2013 pour Mayotte est sa préparation à l’échéance du 1er janvier 2014 à compter de laquelle elle accédera au statut de RUP.
Comme le disait mon collègue Thani Mohamed Soilihi lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, ici même, le 20 octobre 2011 : « La France doit être au rendez-vous de l’espoir qu’elle a fait naître ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Abdourahamane Soilihi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz.
M. Michel Vergoz. « Mayotte, un nouveau département confronté à de lourds défis » : tel est le titre de l’excellent rapport sénatorial d’information rédigé par nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan en juillet 2012. Ces lourds défis sont identifiés, et certains présentent une gravité exceptionnelle.
L’attractivité de Mayotte dans son environnement régional est déjà une réalité : ce constat est clairement établi. Cette attractivité ne peut que se développer et partant accentuer la gravité des situations à affronter, avec l’accession récente de Mayotte au statut de département français, bientôt doublé de celui de RUP.
Je suis doublement concerné par l’avenir de Mayotte, île située à moins de trois heures d’avion de la Réunion, où je vis.
Premièrement, baignées par le même océan, Mayotte et la Réunion se parlent, échangent depuis longtemps. Nous sommes pour ainsi dire liés par une communauté de destin. Nos interrogations respectives sur des questions aussi cruciales que le développement économique et social s’entrecoupent à bien des égards, se rejoignent et font même corps.
Deuxièmement, de même qu’une importante communauté originaire de Mayotte vit à la Réunion, Mayotte accueille de plus en plus de Réunionnais, qui s’y installent. Dès lors, comment imaginer que nous ne partagions pas l’exigence forte de travailler ensemble ?
Je me félicite de l’issue des débats menés durant des décennies par la population mahoraise et ses élus, pour l’intégration de ce territoire à la France. Pour Mayotte, la départementalisation est aujourd’hui acquise dans la loi. Reste à la traduire au quotidien. C’est le long travail qui occupera nos amis Mahorais pendant de nombreuses années, tout comme il a occupé et occupe encore la Réunion, depuis 1946.
Dès lors, dans le principal but de garantir une efficacité optimale à l’action des pouvoirs publics, il apparaît nécessaire de prioriser celle-ci.
Oui, il convient de déterminer l’objectif prioritaire ou les tout premiers parmi tous les lourds défis déjà recensés dans des domaines aussi divers et fondamentaux que la justice, l’éducation, la santé, l’égalité sociale, la vie chère, la fiscalité ou l’immigration illégale. C’est une méthode essentielle.
Chacun l’a compris et tous les orateurs qui se sont succédé à cette tribune l’ont souligné : la tâche est immense. Raison de plus pour l’organiser rigoureusement.
L’immigration massive illégale à Mayotte est la première urgence à traiter. Ce constat vient d’être dressé à plusieurs reprises. En effet, cet enjeu détermine directement tous les autres. La puissance de cette immigration est telle qu’elle est capable de balayer toutes les avancées longtemps attendues et souvent durement acquises. Aucune institution locale ne peut y faire face seule.
Monsieur le ministre, je le souligne, la responsabilité nationale est en première ligne.
Parlons clairement, tenons un langage de vérité : les mesures adoptées jusqu’à présent se sont révélées insuffisantes et inefficaces, même si Mayotte atteint à elle seule près de 50 % de l’objectif national des reconduites à la frontière.
De même, ces mesures n’ont empêché ni les drames en mer qu’ont évoqués ceux qui m’ont précédé à cette tribune, ni les véritables tragédies qui ont causé des milliers de victimes au cours des dernières années. Il est à craindre que nous ne soyons bientôt de simples témoins, passifs, face à la banalisation de ces catastrophes à répétition.
Une autre politique de contrôle des flux migratoires est nécessaire et même indispensable. Parallèlement, des moyens à la hauteur des enjeux doivent être mobilisés.
Ces enjeux concernent certes Mayotte et la Réunion dans leur environnement régional, mais, là aussi, parlons clairement, ils touchent également l’Hexagone : on connaît la sensibilité de l’opinion publique métropolitaine aux questions ayant trait à l’immigration !
Cette nouvelle politique de contrôle des flux migratoires à Mayotte doit faire l’objet d’une large concertation, au plus haut niveau de l’État, avec la représentation nationale mahoraise, afin que les réponses apportées tiennent compte des liens familiaux forts qui unissent les communautés mahoraises et comoriennes. Les Mahorais eux-mêmes ont à éclairer un chemin dans cet important dossier.
Nous devons agir en responsabilité et refuser l’hypocrisie, avant que les incompréhensions ne prospèrent et que la facilité de la stigmatisation ne prenne le dessus.
Toutefois, si une autre politique d’immigration à Mayotte est incontournable, elle ne peut, à elle seule, réunir les conditions du succès si la France ne se mobilise pas pour nouer un dialogue respectueux et pragmatique avec les Comores, sur la base d’initiatives nouvelles. Nombreux sont ceux qui l’ont également souligné. Je rappelle simplement ce fait pour mémoire : la France mobilise 20 millions d’euros pour la coopération bilatérale avec les Comores, quand elle dépense entre 50 millions et 70 millions d’euros par an pour les reconduites à la frontière depuis Mayotte.
De même, en février et mars 2011 – c’était hier ! –, 10 000 personnes interpellées par les autorités françaises à Mayotte ont été libérées, car les autorités comoriennes refusaient de les accueillir sur leur sol.
Enfin, dans le principal souci de recherche d’un développement mutuel dans la zone de l’océan Indien, la Commission de l’océan Indien, la COI, qui réunit Maurice, les Seychelles, Madagascar – île qui compte plus de 20 millions d’habitants ! – les Comores et la Réunion, doit jouer un rôle primordial également dans le cadre d’actions de codéveloppement dans lesquelles chacun doit trouver son compte. La COI est un outil précieux au sein de cette zone, mais insuffisamment mobilisé.
Monsieur le ministre, je tiens à conclure mon intervention par une demande pressante au Gouvernement. La réponse à y apporter ne coûte rien financièrement mais demande une exigence sans faille quant à la défense des valeurs qui fondent notre République.
En février 2011, un fonctionnaire de l’État, vice-recteur en poste à Mayotte, déclarait : « Le rythme des constructions scolaires ne pourra jamais suivre le rythme des utérus des Mahoraises. »
En mai 2011, le même fonctionnaire de l’État récidivait en affirmant : « Les jeunes Mahorais ont une problématique d’accent. Un accent que les jeunes Mahorais devraient gommer devant la société, ce qui leur donnerait un travail. »
Il a fallu attendre août 2012 et le nouveau gouvernement pour que ce fonctionnaire soit muté et remplacé.
À l’heure où Mayotte s’apprête à fournir tous les efforts possibles pour ouvrir une nouvelle page de son histoire – et ces efforts seront bien nécessaires –, puisse le Gouvernement lui faciliter la tâche en nommant des serviteurs de l’État exemplaires, nourris d’une haute idée des valeurs fondamentales de la République, et qui respectent les outre-mer à défaut de les aimer ! Je sais que de tels fonctionnaires sont nombreux. Il suffit et il importe de bien les choisir. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Abdourahamane Soilihi applaudit également.)