M. Henri de Raincourt. Tout à fait !
M. Arnaud Montebourg, ministre. En guise de conclusion, je veux vous lire un extrait du discours prononcé, en 1883, par Jules Ferry, alors ministre de l’instruction publique, dans un lycée d’enseignement professionnel de Vierzon : « Oui, messieurs, sur le champ de bataille industriel comme sur l’autre, les nations peuvent tomber et périr : sur ce champ de bataille comme sur l’autre, on peut être surpris, on peut, par excès de confiance, par adoration de soi-même ou par l’inertie des pouvoirs publics, perdre en peu de temps une supériorité jusqu’alors incontestée ; c’est à ce grand danger que doit parer l’enseignement professionnel dans notre pays ; il n’est pas d’intérêt national plus considérable, et je puis dire et répéter ici, sans crainte d’être démenti par personne : à l’heure qu’il est, messieurs, relever l’atelier, c’est relever la patrie ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est l’esprit patriotique dans lequel le ministère du redressement productif et le Gouvernement travaillent. Nul doute que nos efforts seront couronnés de succès, mais, dans cette œuvre collective, nous avons besoin de chacun.
La France a besoin de toutes les énergies. Merci de lui donner la vôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe.
(M. Jean-Pierre Bel remplace M. Jean-Patrick Courtois au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
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Hommage à un soldat mort au Mali
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux rendre hommage au sergent-chef Harold Vormezeele, du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi, tué hier dans le nord du Mali, lors d’un accrochage violent avec des forces terroristes. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Le Sénat tout entier salue le courage de ce sous-officier de la Légion étrangère, engagé aux côtés des forces africaines dans le combat pour que le Mali retrouve sa souveraineté.
Nous nous associons à la douleur de sa famille et de ses proches.
Mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir observer une minute de silence à la mémoire de ce soldat. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
La parole est à M. le ministre.
M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez au Gouvernement de s’associer à l’hommage que la Haute Assemblée vient de rendre à Harold Vormezeele, qui, vous le savez, était âgé de trente-trois ans et père de famille.
Nous compatissons à la peine de la famille de ce soldat.
Un hommage solennel lui sera rendu lundi, aux Invalides, par le ministre de la défense.
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Débat sur la situation à Mayotte
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la situation à Mayotte, organisé à la demande de la commission des lois.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis, à la demande de la commission des lois, pour débattre de la situation à Mayotte, à la suite de la mission que Christian Cointat, Félix Desplan et moi-même y avons menée.
Je salue les sénateurs de Mayotte, qui sont bien sûr présents parmi nous aujourd'hui.
Monsieur le ministre, je tiens à dire que nous savons combien vous êtes attentifs à la situation de ce cent unième département français, qui est cher à notre cœur, qui fait partie de notre nation et que nous avons accueilli parce que ses habitants en ont ainsi décidé.
Mayotte est un département à part entière. C’est pourquoi il est légitime que puissent y être mises en œuvre des décisions qui s’appliquent partout ailleurs.
Comment dès lors comprendre la situation atypique de ce département dont le conseil général a si peu de dépenses sociales à mettre en œuvre alors que, d’évidence, il y a beaucoup à faire, comme notre collègue Thani Mohamed Soilihi, qui a fondé une association qui vient en aide à beaucoup les jeunes Mahorais, le dira mieux que moi ?
Comment ne pas comprendre qu’il est normal qu’à Mayotte la scolarité soit de la même qualité qu’ailleurs ? Beaucoup de nos concitoyens ignorent que, par manque de locaux, une moitié des enfants de Mayotte sont scolarisés le matin, l’autre l’après-midi !
Nous connaissons aussi les problèmes qui se posent en matière de justice. Ainsi, le fait que les instances judiciaires de Mayotte dépendent de celles de la Réunion n’est pas sans créer des difficultés, à la fois pour les magistrats, pour les personnels du ministère de la justice et pour les justiciables.
Enfin, nous savons que 3 000 mineurs vivent isolés et nous sommes conscients de la nécessité de prendre en considération ces jeunes privés de repères et de soutien.
Il y a donc beaucoup à faire, et je ne doute pas que mes collègues évoqueront tous ces sujets.
Quant à moi, je veux me concentrer sur une question : celle de l’immigration, que nous devons aborder avec vérité.
Je l’ai dit, avec Christian Cointat et Félix Desplan, nous nous sommes rendus sur place ; nous avons reçu M. Christnacht, qui a rédigé un rapport pour le ministère de l’outre-mer, le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères.
Mes chers collègues, nous ne pouvons accepter que la situation actuelle perdure. Elle est insupportable pour les personnes qui en sont victimes. Elle est insupportable pour les Mahorais, qui en subissent les conséquences.
Cette situation, tout le monde la connaît.
D’après le rapport de M. Christnacht, 90 000 étrangers, souvent en situation irrégulière, sont présents à Mayotte et environ 25 000 reconduites à la frontière sont recensées chaque année. Certes, un tel chiffre peut faire bel effet dans les statistiques, mais ce n’est pas ce qui nous préoccupe !
La réalité, c’est que beaucoup d’habitants des Comores, tout particulièrement d’Anjouan, veulent, pour quantité de raisons, venir à Mayotte – pour devenir français, pour résider sur le territoire de l’Union européenne, pour pouvoir se soigner ou encore pour bénéficier d’une éducation… –, ce qui donne lieu à un trafic incessant, parfaitement irrégulier, mais connu de tous, sur les kwassa kwassa, ces petits bateaux, souvent dirigés par des mineurs, où s’entassent une cinquantaine de personnes, naturellement pour le plus grand profit des passeurs.
Les moyens douaniers et policiers ayant été renforcés, pour tenter de parvenir, si je puis dire, « à bon port », les kwassa kwassa doivent franchir des passes dangereuses, notamment des barrières de coraux. Souvent, dans la presse, un entrefilet nous apprend qu’il y a eu un naufrage, quelques morts, des morts que l’on est incapable de dénombrer précisément... On dit qu’il y en a eu plus de dix mille en une vingtaine d’années, mais sans doute y en a-t-il eu davantage, hélas !
Lorsque les passagers de ces bateaux parviennent à atteindre Mayotte, il peut arriver qu’ils ne soient pas interceptés ; ils restent alors, dans des conditions plus ou moins précaires, à Mayotte, où le logement, notamment, est un problème aigu – il y a, on le sait, des cités insalubres.
Souvent, ils sont arrêtés par les autorités françaises, puis placés dans un centre de rétention que nous avons visité. Ce centre comprend deux pièces, l’une destinée aux femmes et aux enfants, l’autre aux hommes. Lorsque nous sommes arrivés, tous se sont dirigés vers nous, nous faisant part de leur misère et demandant à être traités dignement. Mais tout a été dit sur ce sujet, notamment, avec beaucoup d’éloquence, par Jean-Marie Delarue et par Dominique Baudis…
Le centre de rétention va donc être reconstruit, ce qui est incontestablement positif, comme l’est d’ailleurs aussi le fait que des travaux vont être entrepris à la maison d’arrêt de Mamoudzou.
Cela ne change cependant rien à la réalité : après avoir passé un jour et une nuit en centre de rétention les personnes arrêtées sont ramenées aux Comores – je l’ai dit, il y a 25 000 reconduites à la frontière par an –, puis, après quelques jours, peut-être quelques semaines, beaucoup reviennent – s’il n’y a pas de naufrage… – pour retenter leur chance à Mayotte, mais plus souvent pour retrouver le centre de rétention et être à nouveau renvoyées !
Ces reconduites à la frontière coûtent chaque année entre 50 millions et 70 millions d’euros à la France.
Face à une telle situation, ne devrait-on pas, par simple humanité, songer à utiliser ces 50 millions d’euros autrement ? C’est pourquoi nous plaidons, comme le fait aussi M. Christnacht, en faveur d’une coopération avec les Comores.
Je sais bien que c’est difficile, car les Comores ne reconnaissent pas et ne veulent pas reconnaître Mayotte comme un département français. Mais, lorsqu’on regarde le vaste monde et sa longue histoire, on voit bien des exemples de contentieux qui, à force de bonne volonté, ont pu être aplanis. Alors mettons tout en œuvre pour parvenir à un accord avec les Comores !
Nous préconisons une coopération policière et douanière, solution peut-être plus intelligente que ces reconduites onéreuses pour mettre un terme à l’activité néfaste des passeurs et, surtout, pour éviter tant de morts.
Investissons dans le développement de Mayotte et celui des Comores, œuvrons, par exemple, pour les hôpitaux et pour les écoles avec cet argent finalement tout à fait improductif puisque les gens reviennent…
Enfin, piste sur laquelle nous a mis Christian Cointat, nous proposons de revoir le visa Balladur et d’adopter une approche plus rigoureuse. Magnifique dans sa lettre, le dispositif actuel est censé empêcher toute immigration irrégulière, mais c’est une véritable passoire puisque l’immigration clandestine se chiffre par milliers.
Le mieux serait donc de parvenir à un accord qui permette de maîtriser ces flux désastreux tout en étudiant la possibilité d’autoriser une certaine immigration, pour raisons de santé ou de famille, qui serait justifiée et maîtrisée.
Je crois que, pour le bien de ce cent unième département que nous aimons, il y a là quelque chose d’urgent, de nécessaire, d’indispensable. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mayotte a besoin de nous et je suis heureux que ce débat nous permette de manifester à ce département français et à ses habitants notre intérêt, notre attachement et notre affection. L'« île hippocampe » se dresse fièrement dans les eaux bleues de son lagon et porte avec force les couleurs de la France !
Nous ne devons jamais oublier, mes chers collègues, que Mayotte fait partie des rares territoires français d'outre-mer qui ont non pas été conquis mais qui ont librement choisi leur appartenance à la France. Certes, leur choix n'était pas sans intérêt puisque les Mahorais réclamaient à l'époque la protection du roi de France contre les exactions de ses voisins. Comme l'a déclaré le commandant Passot, premier gouverneur de Mayotte, le 13 juin 1843, lors de sa prise de fonction : « Louis-Philippe Ier, roi des Français, a bien voulu accepter l'offre que vous lui avez faite de la cession en toute propriété de la souveraineté de l'île Mayotte, et son représentant à Bourbon m'a envoyé vers vous pour vous commander et vous protéger contre vos ennemis. »
Ainsi, Mayotte devint française une cinquantaine d'années avant le reste de l'archipel des Comores. Il convient de souligner que, lorsque les Comores passèrent sous pavillon français, le territoire ainsi formé avec Mayotte prit le nom de « Mayotte et dépendances » et non celui de « Comores », comme ce fut le cas plus tard.
Ce bref rappel historique n'est pas sans intérêt, car il montre que, depuis au moins deux siècles, les relations entre Mayotte et les autres îles de l’archipel des Comores sont difficiles, voire conflictuelles. Pourtant, ces relations sont fréquentes, voire vitales, car la géographie oblige ces îles à vivre ensemble. « Je t'aime, moi non plus », pourrait-on dire ! En fait, tout le problème est là.
La situation de Mayotte est en plus assez paradoxale. D’un côté, le niveau de vie y est presque dix fois inférieur à celui de la métropole et, de l'autre côté, il est presque dix fois supérieur à celui des Comores. Ainsi, aussi curieux que cela puisse paraître, au sein de l'archipel des Comores, Mayotte a des relents d'Amérique ! Elle apparaît comme une forme d'Eldorado en dépit des sérieuses difficultés économiques, sociales et financières dont elle souffre.
Mayotte est ainsi devenue le point de mire de ses voisins, qui veulent, par tous les moyens – y compris au péril de leur vie, comme vient de le rappeler le président de la commission des lois –, s'y rendre pour trouver de meilleures conditions de santé, d'étude ou de formation, bref, pour trouver un meilleur avenir.
Pourtant, les infrastructures locales de Mayotte ne peuvent faire face à un tel afflux d'immigrés. Mayotte a donc besoin – j’y insiste, monsieur le ministre – de la solidarité nationale.
Pour affirmer leur identité française, les Mahorais ont eu beaucoup de courage. Ils ont accepté de modifier leurs traditions, de remodeler leur culture, d'adapter leur religion. Ils ont ainsi dû choisir un état civil modifiant leurs vocables traditionnels et leur imposant un nom et un prénom, mettre au point un cadastre, abandonner la justice musulmane…
On ne soulignera jamais assez l'ampleur de la révolution culturelle et personnelle qu’ils ont dû accomplir afin d'être comme les autres Français. Ces efforts impliquent maintenant un retour sur investissement. Aussi faut-il une accélération du rattrapage économique et social avec le reste de la nation.
Cela suppose parallèlement que la France s’engage résolument dans une reconstruction des relations avec les Comores, car il ne peut y avoir de développement durable de Mayotte sans une coopération sereine et fructueuse avec ses voisins.
Le niveau d'immigration clandestine a largement dépassé le seuil de dangerosité supportable. Les jeunes en déshérence seront de véritables bombes pour l’avenir s'ils ne sont pas pris en main sur le plan social et sur celui de la formation.
Leur nombre est tel que l'on est obligé d'avoir, comme l’a rappelé le président de la commission des lois, des écoles du matin et des écoles du soir, faute d'équipements suffisants ! On est confronté, en quelque sorte, au phénomène des « chaises chaudes », par analogie avec les « lits chauds » de l'industrialisation du XIXe siècle ! C’est totalement inacceptable à notre époque.
Force est de constater qu’en dépit des équipements de surveillance, des mesures administratives, des contrôles de plus en plus draconiens pour lutter contre l’immigration clandestine et d’un visa délivré au compte-gouttes, rien, absolument rien n'a empêché l'invasion de Mayotte par ses voisins !
Mes chers collègues, quand une politique ne marche pas, ou l’on ferme les yeux et l’on se donne bonne conscience, mais les choses iront encore moins bien, ou l’on ouvre grand les yeux pour mieux voir où cela coince.
C’est le second choix que nous devons faire, parce que cela coince : le visa Balladur, s’il a constitué une excellente décision en son temps et est parfait en lui-même, n’est absolument plus adapté puisqu’il n’empêche en rien l’immigration clandestine.
Tout le monde le sait parfaitement, même si l’on ne veut pas toujours se l'avouer, rien de bien solide et de pérenne ne peut se faire à Mayotte sans une participation active des Comores.
Il convient donc de rétablir la confiance avec ce voisin – n’oublions pas qu’il fut autrefois français ! – en lui démontrant que, pour autant que l'on en ait la volonté, cette coopération lui sera tout aussi profitable qu’à nous-mêmes. Il est impératif de l'inviter et de lui permettre d'aborder cette question délicate la tête haute, car chacun doit pouvoir sauver la face. Seul un « gagnant-gagnant » peut aboutir. Sinon, mes chers collègues, ce sera un « perdant-perdant » ! Il faut donc un geste fort et habile de la part de la France.
Dans le rapport d'information de la commission des lois, des pistes sont évoquées, et je n'y reviens donc pas ; il suffit de les prendre en compte. D’ailleurs, nous n’avons rien inventé. Nous avons beaucoup écouté, échangé et réfléchi.
Je me limiterai simplement à dire en conclusion que le département de Mayotte ne pourra prendre son véritable essor que dans un archipel où une libre circulation sereine, confiante, contrôlée et maîtrisée sera rétablie dans l’intérêt de tous.
Alors, oui, mes chers collègues, l’hippocampe s’élèvera au-dessus du lagon. Il deviendra Pégase et, comme lui, sera en mesure de vaincre les chimères ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Félix Desplan, rapporteur.
M. Félix Desplan, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parmi les défis majeurs auxquels le département de Mayotte est confronté, il en est un qui est particulièrement lourd, mais aussi porteur d'espoir : celui de sa jeunesse.
Dans cette île très peuplée – la plus densément peuplée du sud-ouest de l'océan Indien –, plus d'un habitant sur deux est âgé de moins de vingt ans. En moyenne, une femme a cinq enfants. À cette explosion démographique mahoraise s'ajoute une forte présence clandestine de mineurs étrangers.
Comme nous l'avions souligné dans le rapport, cette situation atypique renforce considérablement les besoins en matière de scolarisation et de formation. Ainsi, il faudrait ouvrir une classe par semaine.
Les locaux existants sont souvent vétustes, insalubres, voire dangereux. La moitié des élèves en primaire sont accueillis par rotation, ce qui diminue le temps nécessaire à l'acquisition des connaissances. Les livres, les cahiers manquent. À la rentrée 2012, il aurait fallu plusieurs centaines d’enseignants supplémentaires.
Les besoins sont d’autant plus grands que l’enfant de Mayotte vit dans une culture orale où l’écrit a peu de place et qu’il maîtrise mal le français, la plupart des familles étant non francophones.
Les enfants étrangers, qui formeraient jusqu’à 70 % du public scolaire de Mamoudzou, ont un niveau scolaire très faible. Nombre d’entre eux vivent dans des conditions d’hygiène déplorables et sont souvent sévèrement malnutris. Certains n’ont d’ailleurs même pas accès à l’école, les mairies les refusant en l’absence de représentant légal, d’extrait de naissance ou de vaccinations à jour.
Dans le secondaire, les personnels enseignants et de direction sont presque tous métropolitains, avec une rotation très rapide. Aucun établissement n’est classé en ZEP. Le tissu économique reste un obstacle au développement des CAP et des bacs professionnels, qui seraient pourtant très utiles pour le développement de l’île, parce que les stages ne peuvent se trouver qu’en métropole ou dans les îles voisines.
En raison du faible niveau scolaire, mais aussi de la non-préparation à un environnement culturel différent, les bacheliers peinent souvent par la suite à continuer leurs études quand ils doivent les faire hors du territoire.
Des progrès importants ont été réalisés, il faut le souligner. À présent, l’ensemble d’une classe d’âge mahoraise est scolarisée dans le premier degré, et de plus en plus d’élèves ont accès au second degré.
D’excellentes initiatives ont été prises récemment.
Le Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte, créé à la fin de l’année 2011 et dont le directeur a été nommé en décembre dernier, assure désormais des formations jusqu’au niveau bac plus deux. Dès son adoption par le Parlement, 60 des 180 étudiants en L2 ont demandé et obtenu d’intégrer le dispositif des emplois d’avenir professeur et 325 postes d’emplois d’avenir ont été accordés.
Il y a aussi une montée en puissance du Groupement du service militaire adapté, qui offre à une partie de la jeunesse en difficulté, sous statut de volontaire dans les armées, la possibilité d’un nouveau départ dans la vie avec un comportement citoyen et une vraie employabilité ; 400 jeunes devraient être concernés en 2013, et plus de 500 en 2015. Cependant, l’insertion de ces jeunes s’avère d’ores et déjà difficile. D’une part, l’offre d’emplois est limitée sur l’île : elle est d’environ 600 par an, alors que, chaque année, 4 500 jeunes arrivent sur le marché de l’emploi. D’autre part, se pose un problème de qualité de suivi de ces jeunes, qui quittent parfois l’entreprise peu de temps après y être entrés.
Monsieur le ministre, la tâche reste immense.
Dans notre rapport d’information, Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et moi-même avions suggéré un programme de construction de 600 classes supplémentaires d’ici à 2017, un programme qui ne peut être réalisé sans la participation de l’État, la situation des communes et du Syndicat mixte d’investissement pour l’aménagement de Mayotte, le SMIAM, ne permettant pas de l’assumer. Les mairies n’ont même pas les ressources suffisantes pour entretenir les locaux existants ou mettre en place une restauration scolaire. Pourriez-vous nous préciser, monsieur le ministre, si de nouvelles classes ont été ouvertes et si la dotation spéciale de construction et d’équipement des établissements scolaires allouée aux communes mahoraises pourra être prorogée au-delà de 2013 ? Selon les syndicats, au moment où nous avions rédigé notre rapport, seul le quart de cette dotation avait été utilisé.
Construire des classes est nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant. Ne faudrait-il pas que notre système éducatif s’adapte à la situation de Mayotte, et ce dès la petite enfance ? Ne conviendrait-il pas de préscolariser les enfants pour qu’ils appréhendent mieux la langue française, de créer des garderies publiques, car la plupart des garderies sont privées et n’accueillent que des enfants d’un niveau social moyen ou élevé ? Pour les élèves plus âgés, pourquoi ne pas instaurer des cours de soutien en français et en mathématiques pendant les vacances scolaires comme à la Réunion, ou développer, compte tenu des problèmes de transport, un système d’internat, mais aussi créer des classes de transition entre le secondaire et le supérieur, ou encore assurer une formation continue aux enseignants du primaire, qui, pour certains, ne sont pas francophones ?
Des propositions semblables avaient été évoquées pendant les États généraux de 2009. Il avait été noté, à cette occasion, que la maîtrise du français renvoyait à une question plus vaste, celle de la coexistence des langues, officielle et maternelle, dans la société mahoraise. La langue et la culture françaises peuvent paraître aux jeunes Mahorais très éloignées de leur quotidien, tout en étant désormais indispensables pour poursuivre des études et trouver leur place dans la société. Il faudrait éviter, toutefois, le sentiment d’une occultation d’une partie de leur identité – comme ce qui a pu se passer autrefois aux Antilles –, alors même que les Mahorais ont consenti à des changements culturels considérables pour devenir citoyens à part entière de la République française.
La société mahoraise est de plus en plus confrontée à une immigration illégale considérable, comme viennent de le souligner mes collègues, immigration qui provoque des effets de déstructuration et de fragilisation, peu favorables au développement économique et au rattrapage social de l’île.
Cette immigration repose en partie sur le souhait des familles comoriennes de faire bénéficier leurs enfants d’un accès aux soins et à l’éducation. Mais, comme je vous l’ai dit, la situation de ces enfants est en réalité catastrophique. Il n’existe pas à Mayotte de foyer de l’enfance, et les familles d’accueil et les personnels spécialisés locaux sont en petit nombre et mal formés. Ces jeunes, livrés à eux-mêmes, développent une délinquance de survie, mendient, volent, parfois en bandes organisées.
D’autres adolescents, mahorais mais sans formation ni travail, dérivent aussi vers la violence. Ils sont considérés par la population comme trop souvent impunis. La justice, avec peu de ressources, fait de son mieux. Des médiations-réparations, des travaux d’intérêt général sont mis en place ; mais sans outils statistiques, on ne peut pas évaluer leur efficacité.
On en revient toujours, monsieur le ministre, à une question de moyens, il est vrai peu commodes à mobiliser en ces temps difficiles où la maîtrise des dépenses publiques doit être privilégiée.
La question est d’autant plus préoccupante qu’au 1er janvier 2014, c’est-à-dire demain, Mayotte entrera dans la fiscalité de droit commun. Dans notre rapport, nous nous inquiétions du niveau des futures recettes fiscales dont disposeront le département et les communes. Le cadastre n’est toujours pas fiabilisé et les Mahorais propriétaires ne disposent pas tous de revenus pour s’acquitter des taxes inhérentes à ces biens.
Or ces collectivités sont d’ores et déjà dans une situation financière très dégradée. Il est à craindre qu’elles ne pourront assumer toutes leurs charges. En métropole, l’aide sociale et l’aide sociale à l’enfance représentent entre 40 % et 70 % du budget des départements ; à Mayotte, les dépenses sociales ne représentent que 3 % du budget du conseil général, qui est consacré à 80 % aux dépenses de fonctionnement.
Nous avons formulé trois propositions dans notre rapport : engager une réflexion sur la répartition du produit fiscal issu de l’application du droit commun ; aménager une transition réaliste pour l’application de ce droit commun ; prévoir une subvention d’équilibre de l’État aux collectivités territoriales pour financer un plan de redressement qui apparaît indispensable afin de faire face à des difficultés ciblées et circonscrites.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer où en est la préparation de ce basculement fiscal et nous assurer qu’il permettra aux collectivités mahoraises d’assumer toutes leurs obligations ?
Les attentes des Mahorais sont fortes ; ils ont placé leurs espoirs de vie meilleure dans la départementalisation et dans leur attachement à la France. L’État doit être à leurs côtés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire des quarante années passées montre clairement que les Mahorais ont fait le choix de la France. Entre Mayotte et la métropole, je crois pouvoir le dire sans me tromper, c’est une histoire d’amour. C’est la France qui a protégé le territoire depuis cinquante ans, et les habitants ont conscience que, sans cette aide et sans cette considération, Mayotte ressemblerait aujourd’hui aux Comores, avec toutes les difficultés économiques, sociales et de sécurité que cela suppose. Cette situation, évidemment, implique des devoirs.
Le processus de départementalisation doit désormais être poursuivi. Vous avez ainsi présenté l’année dernière, monsieur le ministre, un certain nombre d’ordonnances concernant les secteurs de l’emploi et de la formation professionnelle, de l’action sociale et de la famille, du code rural et de la pêche maritime. Malgré cette marche en avant vers de nouvelles structures institutionnelles et administratives, force est de constater que la situation de l’île reste complexe, voire préoccupante, et son intégration difficile.
Pour devenir un département, Mayotte a connu au cours des dix dernières années des évolutions nécessaires mais profondes. C’est le cas, par exemple, pour le statut civil de droit local, qui a dû évoluer afin d’être compatible avec les droits et libertés consacrés par notre Constitution. De même, la mise en application du droit commun et la mise en place d’une nouvelle organisation judiciaire et de l’état civil constituent de véritables révolutions culturelles, parfois difficiles à faire accepter alors que le droit coutumier reste très prégnant sur l’île.
Comme les autres départements d’outre-mer, Mayotte doit par ailleurs faire face à des difficultés économiques et au problème récurrent de la vie chère. L’économie mahoraise est largement tournée vers l’agriculture, l’industrie y étant peu développée. Il y a bien un secteur agroalimentaire, qui fournit par exemple des produits laitiers, mais ses activités sont réduites. Or les taxes liées aux importations fragilisent beaucoup l’économie de l’île.
Les événements de 2011 ont tragiquement rappelé cette réalité.
La tension sociale, alimentée par un essor démographique spectaculaire, est très forte. La population a été multipliée par huit en cinquante ans et plus de 60 % des Mahorais ont moins de vingt-quatre ans. Si nous n’y prêtons pas attention, cette jeunesse causera, nous en sommes tous conscients, de plus en plus de troubles dans les prochaines années.
Le fort taux de chômage et les difficultés économiques de la population entraînent de nombreux problèmes de financement des aides sociales, notamment du RSA.
Enfin, le problème de l’immigration clandestine est, à Mayotte plus qu’ailleurs, difficile à résoudre. Le nombre des migrants venus des Comores dans des barques de fortune, dans des conditions souvent dramatiques, se multiplie. Ces flux de populations massifs et incontrôlables créent des situations tragiques, comme celle des mineurs isolés : les femmes des Comores, en quête d’un avenir meilleur pour leur enfant, viennent accoucher sur l’île et certaines d’entre elles repartent, hélas sans lui…
Partant de ce constat alarmant, nos collègues Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan ont eu le mérite de pointer dans leur rapport les nombreux défis auxquels Mayotte est aujourd’hui confrontée, tout en esquissant des pistes de réflexion. Je souhaiterais revenir sur les aspects qui me paraissent les plus importants.
Au sujet du statut et de la vie chère, tout d'abord, il est important que Mayotte devienne une région ultrapériphérique aux yeux de l’Union européenne : elle pourra enfin accéder aux fonds européens d’aide sectorielle pour le développement régional, la pêche, l’agriculture, la recherche, le commerce, l’éducation et la formation.
De ce côté-là, bien sûr, nous pouvons raisonnablement être optimistes puisque l’île a obtenu ce statut par décision du Conseil européen en juillet dernier. Nous vous faisons confiance, monsieur le ministre, pour veiller à ce qu’il soit rendu effectif d’ici au 1er janvier 2014.
L’aboutissement de ce processus pose cependant la question plus générale du devenir des régions ultrapériphériques dans le cadre du budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020, fortement sous tension, comme chacun a pu le constater. Il me semble utile d’aborder également cet aspect de la question.
En définitive, face au phénomène de la vie chère, inextricablement lié à la condition ultramarine de Mayotte, nous devons trouver des solutions contre les monopoles de fait, qui font augmenter les prix, et diminuer les taxes d’importation des produits de première nécessité.
Dans le domaine de la justice, permettez-moi de souligner tout le travail qui a été réalisé par le tribunal de Mayotte, lequel n’a été créé que le 1er avril 2011, soit voilà moins de deux ans. Les échanges avec la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion sont importants. Ils permettront d’avancer rapidement vers une homogénéisation du droit. Mais cela ne suffit pas.
Il convient également de renforcer la formation des officiers d’état civil pour gérer le retard pris dans la transcription de l’état civil mahorais. Il faut également intégrer les surveillants pénitentiaires au même grade de la fonction publique que les autres surveillants.
La disparition de la justice cadiale, une des expressions les plus manifestes de l’attachement de Mayotte à ses traditions, mêlant droit musulman et coutumier, au profit de la seule justice de droit commun mérite également toute notre attention pour éviter un ébranlement la société mahoraise.
Enfin, la question migratoire est l’un des principaux défis auquel ce département doit faire face et auquel nous sommes collectivement confrontés.
Les recommandations de la mission confiée à Alain Christnacht étaient très attendues. La nécessité de favoriser le développement des échanges de Mayotte avec son environnement régional, notamment avec l’Union des Comores, spécifiquement dans les secteurs de la santé et de l’éducation est tout particulièrement mise en avant.
Si le type de coopération ainsi prônée est clairement indispensable pour résoudre à moyen et à long terme les problèmes d’immigration rencontrés par Mayotte, ces derniers restent lancinants à court terme.
Ne faudrait-il pas dès à présent s’atteler aux conditions des demandeurs d’asile et des personnes en situation irrégulière, monsieur le ministre ?
Jean-Pierre Sueur a longuement évoqué cette question. Plusieurs d’entre nous – tel n’est pas mon cas – se sont rendus sur place. Nous écoutons donc leurs témoignages avec beaucoup d’attention. Pas plus que d’autres, je n’ai de solution et je ne détiens pas la vérité. Toutefois, il est certain que renoncer à investir dans des bâtiments plus grands, plus adaptés et plus humains pour le centre de rétention administratif n’est pas une bonne chose. S’il n’y a pas de solution alternative crédible à la rétention pour maîtriser les flux migratoires, la solution ne peut pas être de ne pas prévoir de moyens d’action.
Le dispositif existant, avec tous les problèmes qu’il occasionne, a tout de même un effet dissuasif, même si, comme cela a été fort bien dit, beaucoup de gens passent au travers. Il faut tout de même que nous ayons, dans le respect bien sûr des règles de la République, un dispositif un tant soit peu organisé. J’aimerais connaître votre opinion sur ce sujet, monsieur le ministre, mais, en ce qui me concerne, je pense, et je le dis de manière très humble, qu’il faudra y réfléchir à deux fois avant d’abandonner les investissements dévolus au centre de rétention.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que constater que beaucoup de chemin reste à parcourir pour que les Mahorais bénéficient de l’ensemble des droits garantis par notre Constitution. Alors que la naissance officielle du département de Mayotte n’a bien entendu pas résolu l’ensemble des problèmes auxquels l’île doit faire face, ce bouleversement institutionnel implique néanmoins une plus grande mobilisation des pouvoirs publics.
Gardons à l’esprit que le développement de Mayotte et des outre-mer, certes semé d’embûches, constitue un atout pour la France dans la mesure où elle saura l’accompagner. Je crois que les satisfactions mutuelles que nous pouvons attendre du travail extrêmement difficile dans lequel notre pays et le département de Mayotte sont engagés seront à l’échelle des espérances, notamment celles des populations au service desquelles nous sommes. (Applaudissements.)
(M. Jean-Patrick Courtois remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)