M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l’écotaxe poids lourds, créée par la loi de finances de 2009, à la suite du Grenelle de l’environnement, est au cœur de ce projet de loi, même si celui-ci n’a pour objet que d’en préciser les modalités d’application.
Cette écotaxe a pour atouts principaux de réduire les impacts environnementaux du transport routier et de financer de nouvelles infrastructures. Elle devrait en effet dégager en année pleine 1,2 milliard d’euros de recettes, reversées à hauteur de plus de 1 milliard d’euros à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Pour ma part, je suis favorable à cette taxe et aux modalités d’application que vous proposez, monsieur le ministre, même si le « signal prix » ainsi envoyé aux chargeurs sera très insuffisant pour compenser l’écart de prix entre le transport routier et le fret ferroviaire.
Même si, bien entendu, je voterai le projet de loi, je vous demande, monsieur le ministre, de nous soumettre un programme d’aide à l’achat de camions moins polluants, à l’instar de ce qui a été fait en Allemagne.
Je vous demande en outre de nous présenter un véritable plan de développement du fret ferroviaire.
Enfin, puisqu’il est question de l’AFITF, je veux vous faire part du sentiment unanime des élus franc-comtois, alsaciens et bourguignons quant à la nécessité d’achever la branche est du TGV Rhin-Rhône. Cette deuxième tranche, longue de trente-cinq kilomètres entre Belfort et Mulhouse et de quinze kilomètres entre Genlis et Villers-les-Pots, a fait l’objet, en 2002, de la même déclaration d’utilité publique que la première tranche, achevée en décembre 2011. Les études et les acquisitions foncières ont été réalisées, un engagement a été pris par le précédent Président de la République et une convention d’intentions signée en janvier 2012, prévoyant le démarrage des travaux au plus tard en 2014.
Les collectivités territoriales, qui se sont mises d’accord sur une clé de répartition, ont accepté un phasage : le tronçon nord serait réalisé d’abord, puis le tronçon sud. Le tronçon nord est prioritaire parce qu’entre Belfort et Mulhouse, de nombreux TER et convois de fret circulent, ce qui force les TGV à ralentir considérablement. Le coût des travaux est modeste : 850 millions d’euros, pour une infrastructure qui fera gagner vingt-cinq minutes sur les trajets nord-sud entre Strasbourg et Lyon et près de vingt minutes sur les trajets est-ouest entre Zurich et Paris.
La réalisation de cette deuxième tranche permettra d’affirmer la double fonctionnalité du TGV Rhin-Rhône : selon l’axe nord-sud, de l’Allemagne du Sud-Ouest vers le Midi de la France et la Catalogne, et selon l’axe est-ouest, de la Suisse vers Paris, Bruxelles et Londres. Le TGV Rhin-Rhône est un TGV européen par excellence, puisqu’il relie des régions françaises, suisses, allemandes et espagnoles. D’ailleurs, la Commission européenne a fait savoir qu’elle était prête à financer substantiellement cette deuxième tranche, à hauteur de 25 % environ, sur l’enveloppe de 725 millions d’euros affectée au réseau transeuropéen de transport pour la période 2007-2013.
La branche est du TGV Rhin-Rhône est l’un des rares projets, sinon le seul, dont le caractère européen est incontestable. Dans ces conditions, autant je puis comprendre que la réalisation des branches sud et ouest soit soumise à la concertation, autant tout retard dans celle de la deuxième tranche de la branche est me semblerait préjudiciable et contraire à l’esprit même du projet. Comme l’a signalé M. Charles Buttner, président du conseil général du Haut-Rhin, un tel retard constituerait un gaspillage des crédits publics déjà engagés.
Les présidents des trois régions directement concernées venant d’intervenir dans le même sens auprès du Premier ministre, je me permets d’insister, monsieur le ministre, pour que les engagements de l’État soient respectés et qu’une nécessaire continuité prévale dans la réalisation d’une infrastructure européenne dont les fonctionnalités est-ouest et nord-sud sont indissociables.
Mon insistance sur la nécessité d’achever la branche est du TGV Rhin-Rhône n’implique bien sûr en aucune manière un relâchement du soutien que j’apporte par ailleurs à la poursuite des engagements de l’État au-delà du 31 décembre 2014 en ce qui concerne la ligne n° 4 Paris-Troyes-Chaumont-Vesoul-Belfort, desserte de ville à ville qui répond pleinement aux nouvelles orientations de la SNCF et de la politique d’aménagement du territoire. Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant !
Monsieur le ministre, les élus de la majorité présidentielle sont ouverts au débat sur tous les sujets et attachés au respect des engagements de l’État, mais ils voteront le projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transport. En particulier, vous pouvez compter sur le soutien des membres du groupe RDSE, que mon collègue Alain Bertrand vous renouvellera tout à l’heure en s’exprimant davantage sur le fond. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le présent projet de loi traite de nombreuses questions, même si notre débat porte surtout sur la mise en place de l’écotaxe. Permettez-moi, avant d’en venir à ce dernier sujet, d’aborder brièvement les autres, sans prétendre être exhaustif.
L’article 23 du projet de loi marque une véritable avancée en matière de droit social des gens de mer. En effet, les conditions sociales et de sécurité françaises, applicables jusqu’ici au seul équipage, seront élargies à l’ensemble du personnel navigant, sur tous les navires utilisés pour fournir une prestation de services dans les eaux françaises.
En imposant ces règles aux navires étrangers, le projet de loi améliorera la protection de l’emploi de tous les marins, français ou étrangers. Nous nous réjouissons qu’il reprenne les propositions pertinentes de notre collègue Évelyne Didier, rapporteur de la proposition de loi relative aux conditions d’exploitation et d’admission des navires d’assistance portuaire et au cabotage maritime, et à l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes de cabotage. Nous tenons à saluer ce travail parlementaire du groupe CRC.
En matière de marées noires, le projet de loi vise à rendre notre droit de la responsabilité conforme à nos engagements internationaux. Il améliorera la protection des victimes de marées noires en posant explicitement le principe de la responsabilité du propriétaire du navire. Pour un Breton né à Brest, qui a connu à 15 ans le naufrage de l’Amoco Cadiz et participé, un peu plus de vingt ans plus tard, à la tentative de sauvetage un peu désespérée de dizaines de milliers de guillemots mazoutés, c’est évidemment une question importante !
Il aura fallu beaucoup trop de temps et de catastrophes pour aboutir à un encadrement juridique qui commence à organiser un régime de responsabilité propre à assurer une réparation correcte des préjudices causés par les marées noires, et par conséquent à encourager en amont les responsables à faire de la sécurité une priorité. Nous aurons l’occasion de débattre plus longuement de ce sujet lors de l’examen prochain de la proposition de loi visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil, mais je tenais à signaler les progrès déjà permis par ce projet de loi.
Je m’attarderai surtout sur l’article 7 du projet de loi, consacré à l’écotaxe poids lourds, qui est le thème principal de notre débat.
La mise en place d’une fiscalité écologique est, aux yeux des écologistes, un levier fondamental en vue de la transition écologique que nous appelons tous de nos vœux. Elle est un outil au service de l’évolution de nos modes de vie, pour préparer notre économie à un monde où les ressources seront rares et où nous devrons nécessairement limiter notre impact sur le climat et la biodiversité.
Lors de la conférence environnementale, en septembre dernier, le Président de la République, François Hollande, a tenu les propos suivants : « L’écologie n’est pas une punition, c’est ce qui doit nous permettre d’être plus forts ensemble. Dès lors, il nous faudra changer des modes de prélèvement et surtout peser sur les choix, taxer moins le travail, plus les pollutions ou les atteintes à la nature ; dissuader les mauvais comportements ; encourager les innovations ; stimuler les recherches ; accélérer les mutations. »
La France est aujourd’hui classée au vingt-sixième rang parmi les vingt-sept États de l’Union européenne en matière de fiscalité écologique. Cette situation reflète les atermoiements constants des précédents gouvernements. Pour rattraper son retard sur les autres pays européens, la France devrait lever près de 20 milliards d’euros de recettes au titre de la fiscalité écologique ; ce chiffre mérite d’être relevé, car il correspond au coût du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Alors que l’écotaxe est directement issue de la concertation du Grenelle de l’environnement, en 2007, et que son entrée en vigueur était initialement programmée en 2011, le décret la concernant a seulement été publié le 6 mai 2012. Encore a-t-il suscité bien des oppositions, le système mis en place étant jugé trop complexe.
La nouvelle formule prévue par le présent projet de loi a été mieux accueillie que le décret du 4 mai 2012, comme notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx le fait observer dans son rapport pour avis. Il est prévu une modulation de l’assiette de la taxe en fonction des caractéristiques écologiques des véhicules, selon la classe « Euro », ce qui était évidemment nécessaire.
Le projet de loi simplifie aussi la répercussion de la taxe sur les chargeurs, dont le principe avait été arrêté par le Grenelle de l’environnement. Il instaure une majoration forfaitaire en pied de facture, qui prend en compte les frais de gestion pour les entreprises concernées.
Fervent partisan d’une fiscalité écologique efficace, je suis d’avis que si nous mettons en place des « usines à gaz » –soit dit sans mauvais jeu de mots –, le système ne prendra pas, voire se grippera. Or c’est un fait que le dispositif défini par le décret du 4 mai 2012 aurait posé des problèmes de gestion très complexes aux entreprises de transport routier, dont plus de 80 %, je le rappelle, comptent moins de dix salariés.
Comme vous, monsieur le ministre – mais peut-être un peu moins tout de même –, nous avons été alertés sur les risques potentiels que fait peser cette taxe sur la viabilité de plusieurs filières professionnelles. S’il faut toujours être très attentif à de telles observations, notamment à celles qui portent sur la complexité de la mise en œuvre du dispositif, il n’est pas question de transiger sur le principe « pollueur-payeur », que la taxe poids lourds vise à mettre en application.
Il est possible, en revanche, que nous péchions dans la pédagogie et l’explication de l’écotaxe, en ne mettant pas assez en évidence ses bénéfices induits pour nos industries et pour l’emploi. Pour les illustrer, je prendrai deux exemples : le transport de courte distance et le transport de longue distance.
Pour les courtes distances, un calcul rapide de l’incidence de l’écotaxe pour un poids lourd servant à la distribution de proximité permet d’envisager un surcoût de 5 000 euros environ, la marge d’incertitude étant extrêmement large, compte tenu de la diversité des situations. Réparti sur un nombre important de clients, ce surcoût représente seulement quelques dizaines d’euros par magasin. Pourtant, il peut constituer, pour les chargeurs, une incitation forte à développer des alternatives, lesquelles sont actuellement inexistantes ou presque. Je pense en particulier à un système que nous avions étudié au sein de la communauté urbaine de Nantes Métropole, à l’époque où j’en étais vice-président : faire des livraisons par tramway au petit matin, avant que les rames ne servent au transport des personnes se rendant à leur travail. D’autres modes de transport irriguant les agglomérations peuvent aussi être utilisés, ainsi que des véhicules électriques, sachant qu’actuellement une trentaine de petits poids lourds seulement roulent à l’électricité. Un constructeur de tels véhicules existe bien, mais, en raison de la faiblesse de la production, les coûts de fabrication sont extrêmement élevés, ce qui empêche cette solution de se développer. Il y a là un beau défi industriel à relever, ce que nous ferons d’autant mieux que nos industriels y seront incités : je rejoins là les propos tenus par Jean-Pierre Chevènement. L’écotaxe pesant bien moins lourdement sur les véhicules électriques, l’utilisation de ceux-ci bénéficiera d’une incitation extrêmement forte : la différence avec un poids lourd ordinaire se montera à plusieurs milliers d’euros sur la durée d’amortissement du véhicule.
Le développement du recours à des poids lourds roulant à l’électricité renforcerait en outre l’engagement des villes à améliorer la qualité de l’air et à réduire les nuisances liées aux transports : il s’agit là d’enjeux majeurs de santé publique.
L’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds peut et doit donc donner naissance à un nouveau modèle économique, qui rende plus compétitif le transport moins polluant sur courtes distances : cette évolution apportera de réels bénéfices à l’ensemble de la société.
En ce qui concerne le transport sur longues distances, le système d’une écotaxe kilométrique permet de faire contribuer les poids lourds ne faisant que transiter par la France. À notre avis, ce transport de transit devrait être fortement surtaxé, afin de rendre attractives les alternatives au transport routier.
J’ai déjà eu l’occasion de mentionner, notamment dans mon rapport pour avis sur les crédits du programme « Transports routiers » de la mission « Écologie, développement et aménagement durables » du projet de loi de finances pour 2013, la possibilité de créer une quasi-obligation d’utiliser les infrastructures alternatives à la route, telle l’« autoroute » ferroviaire entre la frontière espagnole et le Luxembourg. Ne faut-il pas profiter de l’instauration de l’écotaxe pour rendre plus coûteuse la traversée de notre territoire sur les parcours où une alternative à la route existe ?
Une telle décision bouleverserait l’équilibre économique de l’infrastructure ferroviaire et permettrait la réalisation d’opérations aujourd’hui impossibles pour des raisons budgétaires. En effet, on dégagerait une recette certaine par l’instauration d’une écotaxe dissuasive sur un certain nombre d’itinéraires pour lesquels il existe une alternative ferroviaire, maritime ou fluviale. C’est une proposition que nous devrions davantage examiner dans le cadre du débat sur le schéma national des infrastructures de transport, qui, loin de se limiter à établir une hiérarchisation entre priorités de transport et priorités financières, doit porter aussi sur les recettes envisageables selon les infrastructures.
La taxe poids lourds a vocation à financer la politique de développement intermodal des transports ; c’est l’un de ses aspects majeurs, entériné à l’issue du Grenelle de l’environnement. Ainsi, le produit de l’écotaxe est reversé en grande partie à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et aux collectivités territoriales. Nous ne pouvons pas nous priver de ce levier financier essentiel et nous ne devons pas en retarder la mise en œuvre. En effet, il contribuera à financer les investissements très élevés nécessaires à l’instauration d’un système de transport intermodal efficace.
En Allemagne, d’ailleurs, les recettes de l’écotaxe poids lourds qui existe depuis le 1er janvier 2005 sont affectées à l’agence fédérale de financement des infrastructures. Appliqués aux véhicules de plus de 12 tonnes, les droits de péage sont prélevés sur près de 13 000 kilomètres d’autoroutes, sur lesquelles les poids lourds parcourent chaque année 28 milliards de kilomètres, la part des véhicules étrangers dans ce trafic étant de 35 %. Les recettes de cette taxe allemande font rêver, si j’ose dire : elles atteignent 3,6 milliards d’euros par an ! Si nous pouvions disposer de 3 milliards à 4 milliards d’euros chaque année pour financer les projets prévus dans le cadre de notre schéma national des infrastructures de transport, cela changerait quelque peu les termes du débat…
Cela donne une illustration supplémentaire du fait que la mise en place d’une écotaxe est nécessaire, mais pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’autres mesures de politiques publiques pour garantir le report modal du transport des marchandises, par le développement d’une offre alternative de qualité. Je rejoins, là encore, les propos de Jean-Pierre Chevènement.
Le groupe écologiste appelle donc à une montée en puissance progressive du dispositif. Des dérogations régionales existent, ainsi qu’un abattement de 10 % en cas de souscription au système d’abonnement. Dans le projet de loi, il est prévu que les taux de la taxe seront réévalués annuellement par arrêté ministériel. Nous veillerons à ce que ces arrêtés constituent la traduction d’un renforcement régulier de l’écotaxe. En effet, il y va de l’intérêt collectif, de la santé publique, de la lutte contre le changement climatique.
Il convient d’ailleurs de relativiser les conséquences sur les prix à la consommation, et donc le pouvoir d’achat, de la mise en œuvre de cette écotaxe.
Au regard de l’expérience de la Suisse et de l’Allemagne, remontant à 2005, l’écotaxe aura une incidence sur les prix de l’ordre de 0,1 % à 0,2 %. Il ne s’agit pas de nier les difficultés des chargeurs, mais elles ne sont pas liées à la mise en place de cette écotaxe.
Comme cela est indiqué dans l’étude d’impact, l’écotaxe est surtout un outil destiné à adresser un « signal prix », qui doit permettre de soulever la question sociétale de la nécessité de transporter mieux, c’est-à-dire moins loin et avec une optimisation des modes de transport. La diminution des distances de transport et l’amélioration du taux de remplissage des poids lourds devraient, au final, avoir une incidence positive sur les prix à la consommation et largement compenser la hausse annoncée. C’est en tout cas ce qui s’est produit en Suisse et en Allemagne.
Je conclurai en soulignant quelques points sur lesquels nous serons extrêmement vigilants.
Monsieur le ministre, vous avez autorisé les poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux. Au départ, c’était à titre dérogatoire, pour les approches « transports combinés » autour des ports et des gares, dans un rayon de 100 kilomètres. Ensuite, cette distance a été portée à 150 kilomètres, puis finalement ce fut la généralisation de l’autorisation des poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux !
Nous voyons se profiler une nouvelle difficulté du même ordre avec la demande, formulée par certains, que soit autorisés les poids lourds de 25,25 mètres. Je me permets de rappeler que le produit de la taxe sert aussi à l’entretien des routes. Dès lors, il serait totalement contre-productif, pour ne pas dire contradictoire, d’instaurer l’écotaxe d’un côté, et, de l’autre, d’autoriser, après les poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux, les véhicules de 25,25 mètres, qui dégradent particulièrement la voirie de notre pays.
Notre vigilance portera également sur le report de trafic vers les autoroutes concédées que provoquera l’introduction de cette taxe. On estime aujourd’hui entre 250 millions et 400 millions d’euros la hausse de revenus que ce report procurera aux concessionnaires. Un relèvement de la redevance domaniale correspondant s’imposera à un moment donné. Le groupe socialiste présentera un amendement prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement, avant le 1er septembre 2014, un rapport sur les effets de cette taxe ; c’est une bonne chose. La remise de ce rapport interviendra donc en amont de la discussion budgétaire, ce qui permettra, le cas échéant, de faire évoluer la taxe. Nous souhaitons que, dans l’intervalle, le Gouvernement, comme il l’a annoncé, continue la discussion avec les concessionnaires d’autoroutes, qui doivent participer davantage à l’effort national en faveur du report modal.
Le groupe écologiste soutient le Gouvernement sur ce point et votera ce projet de loi, dans la mesure où il instaure un prélèvement qui, par nature, renforcera la fiscalité écologique. Nous espérons que ce n’est là qu’un début dans l’instauration d’une fiscalité écologique à la hauteur des enjeux : c’est dans l’intérêt des finances de la France, de nos filières industrielles, de la protection de l’environnement ; il n’y a donc aucune raison de s’en priver ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord faire une observation concernant la procédure.
Monsieur le ministre, alors que le Président de la République s’était, à l’inverse de son prédécesseur, engagé à laisser aux parlementaires du temps pour effectuer un travail législatif de qualité, la procédure d’urgence a une nouvelle fois été engagée pour ce texte.
Certes, cela peut se comprendre, puisque, d’une part, la mise en œuvre du dispositif est prévue pour le 20 juillet, et que, d’autre part, les entreprises doivent bien sûr avoir le temps de s’y préparer. Toutefois, je le regrette, car même si les dispositions que comporte ce texte devraient recueillir un large assentiment, il n’en demeure pas moins que les questions abordées sont vastes et complexes, du fait qu’elles touchent tous les modes de transport.
Ce projet de loi n’est certes pas la pierre angulaire de la réforme de la politique du transport que nous appelons de nos vœux, surtout en matière ferroviaire. Cette question sera l’objet de nombreux débats à venir, à l’occasion de la discussion tant du prochain projet de loi sur la réforme du système ferroviaire que vous avez annoncé, monsieur le ministre, que du texte portant acte III de la décentralisation.
Toutefois, le présent texte a le mérite d’apporter des clarifications, des précisions à la législation existante, de renforcer les capacités de contrôle de la puissance publique en matière de transport maritime et de permettre enfin la mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds votée en 2009.
Il a été prévu, lors du Grenelle de l’environnement, que les modes de transport alternatifs à la route devraient représenter 25 % du fret à l’horizon 2025 ; nous sommes encore bien loin du compte, monsieur le ministre !
La prééminence de la route dans le transport des marchandises, au détriment du rail, du ferroutage et du réseau fluvial, n’a pas connu de remise en cause. Ainsi, le transport routier assure près de 90 % du transport des marchandises et, malgré un pétrole cher, le fret ferroviaire a reculé en France de près de 40 %, passant de 57 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 34 milliards en 2011. Dans le même temps, la part du transport combiné ferroviaire a diminué d’environ 70 %. On ne peut, dès lors, s’étonner que la route représente 94 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.
Dans ces conditions – ce n’est qu’un premier exemple –, la possibilité d’utiliser des poids lourds de 44 tonnes, qui donne un avantage concurrentiel certain à la route et entraîne de surcroît de nombreuses nuisances et une plus forte dégradation des routes, doit être remise en question.
Le rail n’est pas seulement un mode de transport complémentaire ; y recourir peut permettre aussi – le projet Euro Carex en témoigne – de réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien, même si cela demande des investissements importants.
Nous savons que l’acheminement routier reste indispensable : les destinataires sont nombreux, les lieux de livraison dispersés, et le train ne permettra jamais de déposer les marchandises à la porte de chaque client. Il n’empêche que le rail et le fleuve pourraient délester le réseau routier d’une part importante des véhicules qui le sillonnent chaque jour, le transport routier intervenant plutôt à la fin de la chaîne de la livraison. Le présent projet de loi peut être un outil pour favoriser une telle complémentarité.
Le développement des autoroutes ferroviaires permet de parcourir de grandes distances sans rupture de charge, améliore la rapidité et la sécurité des trajets, ce qui est une bonne chose. Toutefois, ces autoroutes doivent êtres complétées par une activité fret de proximité. C’est pourquoi – c’est une demande émanant de nombreux professionnels – il est essentiel de maintenir le wagon isolé, seule option possible lorsque des entreprises ne peuvent remplir un train complet.
Mais le schéma directeur de la SNCF, qui fixe les axes de développement du transport ferroviaire de marchandises pour les années à venir, va à rebours de la promotion du wagon isolé, qui représente 42 % du volume du fret ferroviaire et recèle un important potentiel de développement. Il consacre en effet l’abandon de cette activité à hauteur de 60 %. Aussi demandons-nous que celle-ci soit déclarée d’intérêt général, afin de permettre son subventionnement.
Parallèlement, il faut que les crédits alloués au transport combiné soient renforcés. Il est temps que l’État s’engage de nouveau sérieusement en faveur du développement du fret de proximité, pour améliorer l’aménagement et l’attractivité de nos territoires.
Dans le même ordre d’idées, permettre le rééquilibrage modal, c’est également mettre un terme aux suppressions d’emplois dans le secteur du transport fluvial, la dernière loi de finances ayant supprimé cent vingt-huit postes au sein de Voies navigables de France, et respecter l’engagement qui a été pris de financer nos voies navigables à hauteur de 840 millions d’euros.
En ce qui concerne la lutte contre le dumping social et fiscal, il s’agit tout d’abord de renforcer les conditions sociales dans le secteur du transport routier, qui est aujourd’hui dans une situation difficile, comme vous l’avez souligné lors de votre audition, monsieur le ministre. Ce texte va dans le bon sens à cet égard, puisqu’il prévoit un renforcement des contrôles du respect de la réglementation.
Plus largement, il faut également agir sur la qualité des conditions de travail dans le secteur routier. Aujourd’hui, celles-ci sont déplorables et la jurisprudence est de plus en plus défavorable. Certes, l’encadrement de ces conditions de travail est, pour la majeure partie, fixé à l’échelon européen, mais il faut que la France s’engage à soutenir au plus haut niveau l’exigence d’une harmonisation sociale par le haut. Nous comptons sur vous pour cela, monsieur le ministre.
De plus, il faut agir sur le secteur du transport routier, notamment sur les dispositifs fiscaux existants, qui sont particulièrement favorables aux transporteurs. Ainsi, à titre d’exemple, les exonérations de taxe intérieure sur les produits pétroliers coûtent chaque année 330 millions d’euros au budget de l’État. Il serait opportun de remettre ces avantages fiscaux sur la table.
J’en viens maintenant au cœur de ce projet de loi : l’écotaxe poids lourds.
Votre texte constitue une réelle avancée, que nous apprécions. En effet, depuis l’adoption du principe de cette taxe, il est prévu que les transporteurs pourront la répercuter sur les chargeurs. Or, telles qu’elles sont définies dans un décret pris par l’ancien gouvernement, les modalités de cette répercussion sont particulièrement complexes. Le présent projet de loi permet de simplifier les choses, en prévoyant de fonder le dispositif sur une majoration du coût de transport différenciée selon les régions.
Pour notre part, nous sommes d’accord avec ce mode de répercussion, qui est plus simple, plus lisible et ne changera rien au volume de recettes escompté, ni au principe devant guider la définition de cette taxe, c’est-à-dire son affectation au financement du rééquilibrage modal. Nous nous félicitons que, après de nombreuses années d’attente, cette taxe entre enfin en vigueur. Nous veillerons, tout au long des débats, à ce que toute sa force soit conservée à cette écotaxe, qui doit pouvoir répondre à une finalité que, je crois, nous approuvons sur l’ensemble des travées.
Toutefois, la mise en place de cette taxe nous contraint encore une fois à remettre en question le mécanisme des partenariats public-privé. En effet, alors que l’on estime que la taxe poids lourds devrait rapporter 1,2 milliard d’euros, les recettes de la société Ecomouv’ – filiale notamment d’Autostrade per l’Italia –, à qui a été confiée la collecte de cette taxe par l’ancien gouvernement, s’établissent à quelque 230 millions d’euros. Un tel prélèvement apparaît bien disproportionné ! Encore une fois, un partenariat public-privé se révèle particulièrement coûteux pour la collectivité. Nous aurions, quant à nous, préféré à l’inverse que l’on fasse le pari de la performance du secteur public, en l’occurrence du service des douanes, même si nous reconnaissons la complexité de mise en œuvre de cette taxe. En tout état de cause, 750 millions d’euros seront ainsi versés chaque année à l’AFITF pour assurer le financement des infrastructures. Cela est bien, mais ne doit pas empêcher, par ailleurs, le Gouvernement de s’engager dans la voie du désendettement de RFF, première condition d’une meilleure efficacité des réseaux ferroviaires.
Monsieur le ministre, l’instauration de cette écotaxe est une formidable occasion de terminer enfin la mise à deux fois deux voies de la route Centre-Europe-Atlantique, la plus meurtrière de France.
En ce qui concerne les dispositions relatives au secteur maritime, les articles concernant les navires abandonnés, la clarification des procédures applicables en matière de constitution du fonds de limitation imposée au propriétaire en cas de marée noire ou encore les visites des navires et l’enquête nautique sont à l’évidence utiles et n’appellent pas de commentaires particuliers de notre part.
Je voudrais revenir ici sur l’article 18 du projet de loi, qui vise à rétablir les habilitations des agents des affaires maritimes à la suite de la fusion des corps des inspecteurs et des contrôleurs.
Comme vous le savez, nous considérons que cette politique de fusion de ces corps de fonctionnaires ne s’est pas faite à moindre frais et qu’atteindre les objectifs fixés en matière de mobilité des personnels pose des difficultés particulières, en raison de la spécificité des missions de contrôle dans le secteur maritime.
En effet, la spécificité du travail à bord des navires, en raison de l’existence d’un corpus de droit spécial abondant, l’imbrication des prescriptions sociales et des prescriptions techniques relatives au navire et à la navigation, la dimension internationale de plus en plus affirmée des conditions d’intervention des autorités de contrôle appellent une spécialisation de ces autorités. Or la politique de fusion des inspections du travail apparaît difficilement compatible avec la conservation des savoir-faire, de l’expertise et des expériences des personnels chargés d’assurer ces missions.
Dans son rapport de 2007 intitulé La sécurité des navires et de leurs équipages : des résultats inégaux, un contrôle inadapté, la Cour des comptes constate que les contrôles sont affaiblis au niveau local et insiste sur l’intérêt d’une approche intégrée et cohérente.
Aujourd’hui, les contrôles de sécurité du flotteur et ceux du suivi des équipages dépendent de deux administrations différentes. Cela ne va pas sans poser des problèmes, eu égard à l’importance de la dimension humaine de la sécurité.
Monsieur le ministre, vous avez dit en commission que vous étiez nostalgique du service des affaires maritimes tel qu’il était organisé auparavant. Il serait essentiel que le Gouvernement s’empare de la question de l’effectivité des contrôles dans le secteur maritime, afin de répondre aux inquiétudes des marins, des personnels à terre et des gens de mer en général.
Cela m’amène naturellement à évoquer l’article 23 du projet de loi, qui vise à élargir le champ d’application des conditions de l’État d’accueil à l’ensemble des personnels à bord. L’objectif du Gouvernement est de garantir des conditions de concurrence équitables entre sociétés maritimes opérant sur une même ligne et pratiquant le cabotage ou assurant des liaisons dans les eaux intérieures et territoriales.
L’article 23 tend à permettre aux gens de mer, qui ne bénéficient pas, dans la majorité des cas, d’une inscription au premier registre du pavillon français, d’avoir les mêmes droits que les salariés détachés. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, ce qui a pour conséquence de les soumettre aux réglementations sociales de pavillons de complaisance. Avec cet article, le Gouvernement dit aller au bout de ce que permet le droit communautaire. En effet, selon l’analyse du ministère, les règlements européens de 1986 et de 1992 précisent que, pour être admis à l’activité dans un État membre, il suffit au navire d’être immatriculé dans n’importe quel État membre. En résumé, le principe de la libre prestation de services et celui du libre établissement interdiraient une « réserve de pavillon ».
Nous défendons, quant à nous, l’idée d’instituer un pavillon européen qui serait équivalent au premier registre du pavillon français. Au-delà de la législation sociale, cela permettrait également de se prémunir contre tout dumping fiscal. De plus, nous restons très circonspects quant à l’effectivité des droits garantis au titre de l’État d’accueil. À ce sujet, Éric Bocquet a demandé, au nom de notre groupe, qu’un rapport d’information sur le détachement des salariés européens puisse être réalisé dans le cadre de la commission des affaires européennes.
Monsieur le ministre, ce texte s’inscrit concrètement dans la mise en œuvre de l’une des préconisations du Grenelle de l’environnement. Saluant votre volonté, nous voterons bien sûr ce projet de loi, que nous considérons équilibré et courageux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)