M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis devrait constituer, je le crois, un modèle de ce qu’est le travail parlementaire. En effet, elle a été rédigée à l’initiative de notre collègue député Odile Saugues, dont je salue le travail, appuyé sur une grande connaissance du dossier de la sécurité aérienne. Cette excellente initiative a ensuite fait l’objet d’une réflexion sérieuse et approfondie de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. Puis, le 18 novembre 2010, nos collègues députés ont adopté ce texte à l’unanimité des groupes politiques et avec l’approbation du précédent gouvernement.
J’apporterai un seul bémol à ce satisfecit : nous avons dû attendre jusqu’à ce 6 février 2013, soit plus de deux ans, pour que le Sénat discute cette proposition de loi. Mais nous connaissons les contraintes du calendrier parlementaire !
Pour autant, la commission du développement durable du Sénat s’est saisie de ce texte, sous la houlette de son président Raymond Vall et de son rapporteur, Vincent Capo-Canellas, avec lequel nous avons travaillé en bonne entente. Nos travaux se sont déroulés dans un état d’esprit constructif et en bonne intelligence collective, au-delà de tout clivage : voilà pourquoi je parlais d’un modèle de travail parlementaire et voilà pourquoi je suis particulièrement confiant quant à l’issue de notre discussion.
Pour commencer, je tiens à souligner toute la pertinence et la nécessité de cette proposition de loi dans son principe. Il s’agit, bien entendu, de développer une réflexion sur le renforcement de la sécurité pour les passagers des compagnies aériennes. Monsieur le ministre, je sais que c’est là un enjeu auquel le Gouvernement attache une grande importance, et cela n’a d’ailleurs rien de surprenant.
Si la sécurité aérienne demeure très heureusement une préoccupation constante, les améliorations techniques et la réglementation juridique sont soumises à des évolutions permanentes.
Sur le plan technique, soyons bien conscients que les progrès en matière de sécurité ne sont pas linéaires et ne sauraient être considérés comme des acquis. Ainsi, la DGAC diagnostique depuis plusieurs années un ralentissement significatif de l’amélioration du niveau de sécurité aérienne, alors que la progression avait été quasiment continue au cours des décennies précédentes.
Très récemment, les pannes de batteries constatées sur l’aéronef Dreamliner, conçu par la société Boeing, sont venues nous rappeler que les avancées technologiques ne sont pas systématiques, mais requièrent une vigilance et un travail constants.
Pour toutes ces raisons, il convient, en matière de réglementation aérienne, de poser des niveaux d’exigence drastiques. Car, quand bien même l’avion reste statistiquement le moyen de transport le plus sûr au monde, on ne peut oublier que chaque accident est potentiellement dramatique. Les tragédies que nous avons connues, et dont nous gardons toutes et tous en mémoire les images, doivent nous le rappeler : je pense à la catastrophe de Charm el-Cheikh en 2004, où l’accident d’un appareil de la compagnie Flash Airlines fit 148 morts, ou encore au crash de la Yemenia qui, en 2009, coûta la vie à 152 passagers.
Bien sûr, il est inutile de noircir le tableau, mais, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, nous devons demeurer extrêmement vigilants sur la définition et l’application de la réglementation en matière de sécurité aérienne.
Dans ce domaine, l’OACI joue depuis sa création, en 1944, un rôle incontournable de régulateur global. Mais ce rôle reste partiel, quand on sait que seulement 57 % des normes qu’elle édicte sont effectivement appliquées par les États qui en sont pourtant membres. Les règles de l’OACI sont donc, à très juste titre, complétées par des dispositions locales, notamment européennes, par le truchement de l’AESA. Évidemment, la création de la liste noire de l’Union européenne, en 2006, a constitué un pas important en faveur de l’information et de la sécurité des passagers.
Dans ce contexte, le dispositif introduit par la proposition de loi vise à combler une grave lacune d’information, et susceptible de faire peser ses effets de manière croissante, dans le commerce des titres de transport aérien. Tel est en effet l’objet de la proposition de loi de notre collègue Odile Saugues. Il ne s’agit pas de résoudre tous les problèmes de sécurité : il s’agit simplement d’apporter une solution pratique et concrète à un problème bien spécifique, se posant de plus en plus souvent.
Alors que la liste noire de l’Union européenne permet à tout un chacun d’identifier des compagnies aériennes « à risques », et donc de les éviter, il n’en reste pas moins que certaines de ces compagnies peuvent rester « hors des écrans radars ». Il s’agit des vols, dit de « bouts de ligne », empruntés en fin de voyage dans des pays situés hors de l’Union européenne.
La DGAC identifie, en fonction de critères d’accidentologie grave, certaines zones plus exposées que d’autres à ces compagnies ne répondant pas aux critères de sécurité fixés par l’Union européenne, mais auxquelles il est localement permis d’opérer : parmi ces zones figurent en premier lieu l’Afrique subsaharienne, puis le Moyen-Orient et, enfin, l’Afrique du Nord .
Ces vols de « bouts de ligne » sont, qui plus est, bien trop souvent vendus sans que l’usager en ait été préalablement informé. Ce défaut d’information est accentué par le développement du commerce proposé par les voyagistes électroniques.
La présente proposition de loi vise donc à remédier à ce problème, qui est à ce jour aggravé par l’existence d’un vide législatif, que nous devons bien sûr combler.
Dans le texte initial de sa proposition de loi, Odile Saugues envisageait d’inscrire dans le code pénal une sanction à l’encontre des voyagistes commercialisant des titres de transport sur des vols de compagnies figurant sur la liste noire de l’Union européenne. Cette pratique aurait alors été assimilée à la mise en danger de la vie d’autrui et aurait, par conséquent, était constitutive d’un délit.
Ce n’est pas l’option qu’a finalement retenue l’Assemblée nationale, celle-ci ayant préféré s’appuyer sur les dispositions du code des transports. La proposition de loi prévoit donc une obligation d’informer les passagers du fait qu’ils voyageront sur une compagnie inscrite sur la liste noire.
L’interdiction pure et simple de la vente ne paraît pas possible, notamment parce que, dans certains cas et en certains lieux, il peut ne pas exister de solution de rechange – je pense, mais ce n’est qu’un exemple, à certaines îles indonésiennes. En revanche, lorsqu’une solution de transport de remplacement existe, la loi ferait obligation au voyagiste de la faire connaître.
Par ailleurs, la proposition de loi assortit le dispositif d’une peine d’amende significative, qui a été fixée à 7 500 euros par billet, doublée en cas de récidive.
Enfin, bien entendu, rien ne saurait empêcher, en dehors du dispositif ainsi élaboré, de mettre en œuvre des poursuites pénales dans le cadre de la mise en danger de la vie d’autrui.
Notre commission du développement durable a donc examiné ce texte, issu des travaux de l’Assemblée nationale, et proposé un certain nombre de dispositions complémentaires. Je veux saluer, à ce titre, le travail de notre rapporteur, Vincent Capo-Canellas. Il a lui-même évoqué des amendements, qui, sans dénaturer aucunement le texte, ont pour objectif, au contraire, de le renforcer, de le rendre plus effectif et de contribuer utilement à l’information et à la sécurité des passagers.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Philippe Esnol. Certaines de ces propositions me paraissent tout à fait intéressantes et j’invite notre assemblée à les prendre en compte, comme l’a fait notre commission.
L’un de ces amendements vise notamment à préciser la rédaction du texte, afin de s’assurer que l’obligation d’information faite au voyagiste est bel et bien préalable à la réalisation de l’acte de vente. C’est bien le moins ! En effet, cette nouvelle rédaction semble d’autant plus utile que le développement du commerce numérique a sensiblement transformé la nature de l’acte d’achat : le législateur que nous sommes doit aussi en tenir compte.
Enfin, le rapporteur propose d’ajouter un délai d’entrée en vigueur des présentes dispositions. Il s’agit de permettre aux professionnels de procéder aux mises à jour nécessaires de leurs systèmes de vente informatiques, notamment pour ceux qui exploitent des sites de vente en ligne.
Sur tous ces sujets, il nous appartiendra, mes chers collègues, de poursuivre la réflexion pour parvenir au texte le plus satisfaisant possible.
Le groupe socialiste soutient la présente proposition de loi, qui est non seulement utile et importante dans son principe, mais résulte en outre d’un travail parlementaire exemplaire et non partisan. Je souhaite donc qu’elle puisse rapidement apporter à nos concitoyens un surcroît d’information et de sécurité dans leur utilisation des voyages aériens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a maintenant plus de deux ans, en novembre 2010, cette proposition de loi, déposée par la députée Odile Saugues,…
M. Alain Néri. Du Puy-de-Dôme ! (Sourires.)
Mme Mireille Schurch. … était adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale. C’est donc un texte particulièrement consensuel qui arrive en discussion dans notre hémicycle.
Cette proposition de loi aborde une question fondamentale, celle de la sécurité aérienne.
Le transport aérien, en plein essor, est considéré comme le mode de transport le plus sûr, devant le rail ou la route. Pourtant, il s’agit d’un secteur spécifique dans lequel la moindre défaillance peut avoir des conséquences tragiques, aux forts retentissements médiatiques. Nous avons, hélas, tous en tête le souvenir d’accidents dramatiques.
La question qui se pose est donc de savoir pourquoi, en dehors des facteurs humains, de tels drames surviennent et, surtout, quelle législation serait en mesure de les prévenir, même si nous savons tous que le risque zéro n’existe pas.
De manière subsidiaire, nous pouvons également nous interroger sur l’efficacité de la liste noire établie au niveau européen depuis l’adoption du règlement communautaire de 2005.
La présente proposition de loi est intéressante en ce sens qu’elle prévoit l’information pleine et entière des voyageurs qui achètent un billet pour un vol effectué par une compagnie aérienne figurant sur la liste noire de l’Union européenne ainsi que la sanction du défaut d’information.
Les débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale ont fait évoluer le texte de manière notable : d’une interdiction pure et simple de commercialisation, dans sa forme initiale, on est passé à une simple obligation d’information des voyageurs.
Sur le fond, nous devons dès lors être très clairs : la présente proposition de loi n’empêchera aucunement les avions dangereux de voler et de transporter des centaines de passagers par jour.
De plus, au regard des compagnies figurant sur la liste noire, et puisque nous parlons essentiellement des liaisons dites « de bout de ligne », il faut savoir que, la plupart du temps, les passagers n’auront pas d’autre choix, à défaut d’alternatives fiables, que de recourir à la compagnie figurant pourtant sur la liste noire.
Il n’est donc pas suffisant de faire peser la responsabilité de la prise de risque uniquement sur le passager, bien trop souvent captif.
Enfin, remarquons que ce qui est sanctionné par le présent texte, ce sont non les compagnies, mais les tours operators et autres intermédiaires qui ne justifieraient pas de la délivrance de cette information auprès des passagers.
La responsabilité des transporteurs n’est donc aucunement engagée par le présent texte, ce que nous trouvons contestable. Aussi appelons-nous, monsieur le ministre, le Gouvernement à agir auprès des instances européennes.
Nous confirmons donc, à l’instar de nos collègues de l’Assemblée nationale, que nous entendons, pour notre part, plutôt voir sanctionnée directement la commercialisation sur le sol français de billets d’avion « de bout de ligne » avec une compagnie apparaissant sur la liste noire, comme le texte initial le prévoyait.
Il me semble que nous agirions dans le cadre de notre souveraineté nationale, puisque rien ne nous interdit d’édicter des règles s’appliquant sur le sol français, et cela même si nous avons conscience que cette législation serait facilement contournable, notamment par le recours aux achats sur internet. Cependant, la portée symbolique serait plus forte.
Je souhaiterais également revenir, puisque c’est également de cela dont il est question, sur l’action de l’Europe en matière de transport aérien.
Si une liste noire des compagnies aériennes est édictée depuis 2006, elle est pour le moins incomplète, voire lacunaire.
Ainsi, comme mes collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je déplore le manque de fermeté de l’Union européenne à l’égard de compagnies pouvant utiliser des aéronefs défaillants, notamment de la compagnie Yemenia. Deux ans après, nous regrettons encore que cette compagnie, dont nous connaissons tous les manquements en matière de sécurité, ne fasse toujours pas partie de la liste noire européenne.
Depuis dix ans, la volonté d’instaurer un ciel unique n’a pas permis de parachever un espace aérien européen sécurisé, comme le reconnaissait d’ailleurs récemment le commissaire européen en charge de ces questions. En revanche, les politiques de libéralisation sont engagées depuis des dizaines d’années.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, comment pensez-vous faire rimer libéralisation des transports et sécurité aérienne ?
Telle est la question de fond, mes chers collègues, en même temps que la contradiction qu’il nous faut bien résoudre.
La libéralisation de cette activité a entraîné la multiplication des vols sur les mêmes itinéraires et une course aux économies de la part des compagnies, nationales ou privées, sur les frais de personnels, de maintenance, de formation et de contrôle.
La forte concurrence qui s’exerce a poussé les compagnies – toutes les compagnies, non pas seulement celles qui figurent sur la liste noire, mais également les low cost, comme les compagnies régulières – à faire des économies sur la sécurité en rationalisant les dépenses de maintenance et de mise aux normes des appareils.
Aujourd’hui, le risque en termes de sécurité est un risque calculé de manière économique, puisqu’il faut l’avouer, les normes de sécurité coûtent bien trop cher aux yeux des actionnaires.
À l’inverse, les réglementations internationales édictées au niveau de l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale, ne sont que très partiellement respectées par les États. Nous pouvons, d’ailleurs, déplorer le manque de sécurité des compagnies de pays dits pauvres, mais nous pouvons également nous interroger sur un recours à la solidarité internationale qui leur permettrait d’accéder à des flottes sécurisées, ainsi qu’à un haut niveau de formation des personnels.
Toutes ces questions doivent, à mon sens, être posées et méritent que nous trouvions le cadre juridique adéquat aux échelons européen et international pour garantir un transport aérien de qualité. Les derniers exemples de la politique européenne en la matière ne sont cependant pas vraiment encourageants.
L’Agence européenne de la sécurité aérienne a notamment publié le 1er octobre dernier sa proposition finale de réglementation sur le temps de vol des pilotes et navigants commerciaux, texte qui mettrait en danger la sécurité des vols et des passagers selon plusieurs syndicats. La Fédération européenne des travailleurs des transports, qui représente plus de 100 000 navigants, a ainsi indiqué que les règles proposées « vont forcer les équipages à voler plus de vingt heures sans repos approprié, et même sans une pause ».
Tout cela devrait manifestement nous conduire à repenser les bases de la libéralisation pour garantir réellement la sécurité des passagers comme des personnels. C’est à un cadre de haute sécurité et de haut niveau de formation qu’il faut que l’Europe et le gouvernement français travaillent, et cela de manière urgente.
Comme cette proposition de loi entame néanmoins un pas en direction d’un meilleur encadrement pour la sécurité des passagers, nous la voterons. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mers chers collègues, sans aucun doute, l’existence de la liste noire de l’Union européenne a contribué à l’amélioration de la sécurité aérienne en Europe.
L’instauration de cette liste noire, établie pour la première fois en 2006, ainsi que la création de l’Agence européenne de sécurité aérienne se sont accompagnées d’un renforcement des normes de sécurité, notamment d’un renforcement de la prudence par l’interdiction ou la restriction de certaines compagnies à risque pour les vols au départ et à destination de l’Europe.
Le texte que nous examinons vise à indiquer clairement à l’acquéreur d’un billet d’avion qu’une partie de son voyage, dite « de bout de ligne », sera réalisée par une compagnie aérienne figurant sur la liste noire au départ d’un pays tiers qui l’autorise.
Elle instaure donc une obligation d’information qui incombe au vendeur avant la conclusion du contrat de vente, obligation sanctionnée par 7 500 euros d’amende en cas de non-respect.
Si l’acquéreur souhaite tout de même voyager sur la compagnie en question, il sera ainsi en mesure de prendre cette décision en connaissance de cause. Cette mesure garantit donc que le vendeur et le client se sont bien entendus sur l’objet du contrat.
Combien de fois avons-nous voyagé sur des compagnies aériennes qui figuraient sur la liste noire sans le savoir ? Il ne vient pas à l’esprit de tout le monde de consulter une liste qui, pourtant, est actualisée régulièrement.
La présente proposition de loi accorde donc au consommateur le droit de savoir que la sécurité de l’avion n’est pas garantie selon les normes retenues par l’Agence européenne de sécurité aérienne.
Les travaux du rapporteur, notre excellent collègue Vincent Capo-Canellas, ont permis d’améliorer le texte de l’Assemblée nationale et de trouver des solutions à certains problèmes.
Je pense, notamment, à la suppression de l’obligation pour le vendeur de proposer des modes de transport alternatifs. Ce dernier ne peut, en effet, connaître tous les itinéraires d’autobus, d’autocar, de ferries et autres, à moins d’avoir fait le voyage de lui-même. En outre, comme cela a été souligné, ces modes de transports ne sont pas plus sûrs.
Ce dispositif requiert quelques adaptations pratiques. Ainsi, un délai d’un an est accordé pour la mise en place de l’obligation d’information afin d’actualiser les logiciels de réservation. Peut-être une simple obligation de fournir la liste des compagnies aériennes avant l’achat d’un billet d’avion avec confirmation de la réception par écrit de l’acquéreur aurait-elle été aussi efficace et bien moins compliquée à mettre en œuvre…
Pour autant, cela veut-il forcément dire que les avions des compagnies figurant sur liste noire ne sont pas sûrs ?
La liste noire présente clairement des limites. Elle met au même niveau des compagnies aériennes qui ne sont pas comparables. Par exemple, figure en annexe A de la liste noire, c’est-à-dire en interdiction totale d’exploiter, la compagnie Philippines Airlines. On la trouve également sur la liste noire américaine de la Federal Aviation Administration. Cela n’empêche pas cette compagnie d’effectuer des vols quotidiens directs vers les États-Unis, le Japon ou l’Australie !
Ainsi, nous avons sur une même liste, d’une part, des compagnies plus sérieuses avec de très rares accidents, causant moins de morts que certaines grandes compagnies, mais qui demeurent en liste noire, d’autre part, une myriade de petites compagnies composées de quelques aéronefs, parfois possédées par des milliardaires locaux, et qui subissent des accidents beaucoup plus graves et plus fréquents.
Il est plus facile de sortir de la liste noire que d’y entrer ! Cela pose des problèmes aux pays dont le tourisme est entravé par l’impossibilité de fournir un service considéré comme sûr.
Parallèlement, peut-on dire que les compagnies aériennes qui ne figurent pas sur la liste noire sont sûres ? Rien n’est moins démontré, car certaines demeurent hors liste, alors que des irrégularités ont été constatées.
De très nombreux facteurs interviennent lors d’un accident, et aucune compagnie ne peut être à l’abri : le risque zéro n’existe pas, cela a déjà été dit !
Le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile, autorité française des enquêtes de sécurité sur les accidents et les incidents aériens, a bien relevé que la formation des pilotes présentait quelques défauts lors de l’examen des circonstances de l’accident du vol AF 447 Rio-Paris du 1er juin 2009, qui avait causé la mort de 228 passagers.
Bien entendu, il est impossible pour les autorités de contrôle de surveiller tous les avions avant le décollage.
Cependant, en dépit de l’impact très mesuré de la proposition de loi sur la sécurité aérienne proprement dite, de telles dispositions permettront de mieux garantir les droits des consommateurs. Elles contribueront sans aucun doute à la surveillance des compagnies douteuses, celles que j’appelle parfois, pour des raisons évidentes, les compagnies « Air Inch’Allah », et d’éviter ainsi que des voyages de rêve ne deviennent des destinations de cauchemar !
Cette proposition de loi constitue donc, monsieur le ministre, un progrès indéniable que le groupe RDSE ne peut que soutenir ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre, chers collègues, je parle en remplacement de mon collègue Roland Dantec, en ce moment extrêmement mobilisé par les questions relatives à l’énergie.
Le texte soumis à notre vote a été adopté par l’Assemblée nationale sur la base d’un consensus large entre l’ensemble des groupes politiques.
C’est un premier motif de satisfaction pour le groupe écologiste, car, au cœur même de la mission qui nous anime, il y a notre capacité à nous retrouver, au-delà des clivages politiques, sur des textes qui constituent de réelles avancées. En l’occurrence, ce sont la sécurité et l’information des consommateurs qui vont être renforcées.
C’est au niveau de l’Union européenne qu’a été créé le premier encadrement juridique des compagnies aériennes à risque, l’établissement de la fameuse « liste noire » des compagnies aériennes faisant l’objet d’interdiction ou de restriction d’exploitation dans l’Union européenne ayant été prévu par un règlement de 2005, qui a également créé une obligation d’informer les voyageurs sur l’identité du transporteur aérien effectif.
La présente proposition de loi complète le règlement européen. En effet, des difficultés peuvent encore exister sur les vols de « bout de ligne ». Il s’agit des cas dans lesquels les passagers, au départ ou à l’arrivée de certains pays situés hors de l’Union européenne, doivent emprunter une correspondance locale pour commencer ou terminer leur trajet, et n’ont pas d’autre choix que de voyager avec une compagnie classée sur la liste noire. L’interdiction d’exploitation européenne ne peut pas s’appliquer dans ces situations, puisqu’elle n’a de valeur juridique que dans le ressort territorial de l’Union.
La création d’une interdiction de commercialisation de ces billets d’avion aurait été un coup d’épée dans l’eau. En effet, à l’heure d’internet, interdire la commercialisation de ces titres de transport en France n’aurait fait qu’inciter les passagers français à acheter leurs billets d’avion auprès de prestataires de voyages établis hors de notre pays.
M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. C’est clair !
M. Joël Labbé. La création d’une obligation d’information nous semble donc pertinente et plus réaliste. Mieux vaut une information garantie au consommateur plutôt qu’une interdiction sans effet.
La commission du développement durable du Sénat a apporté des modifications à cette proposition de loi afin de la rendre plus effective. C’est pour nous un deuxième motif de satisfaction.
La commission a ainsi précisé que l’obligation d’information devait intervenir avant l’achat du billet, et non au moment de la confirmation d’achat. Cette modification nous semble particulièrement pertinente pour garantir au consommateur une information qui lui permette d’effectuer un achat éclairé.
Pour sanctionner la violation de cette obligation d’information, une amende de 7 500 euros, doublée en cas de récidive, nous semble suffisamment dissuasive.
Ainsi que l’indique le rapport, nous devrions examiner cette année un projet de loi sur la consommation, qui sera présenté par M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Ce texte inclurait notamment des dispositions sur l’action de groupe, les clauses abusives et le renforcement des dispositifs de sanction.
Sachez que nous soutiendrons toute initiative en ce sens, le déséquilibre entre consommateurs et professionnels étant bien trop souvent extrêmement défavorable aux premiers.
Cette proposition de loi est positive. Pourquoi donc avoir attendu aussi longtemps pour s’en saisir ? Surtout, pourquoi prévoir qu’elle n’entrera en vigueur que dans douze mois ?
On justifie ce délai par la nécessité de laisser aux professionnels le temps de s’adapter. Certes, mais l’examen de ce texte n’a déjà que trop tardé. Quant aux professionnels, ils demeurent évasifs sur les difficultés qu’ils pourraient rencontrer lors de sa mise en œuvre. Vous l’indiquez vous-même, monsieur le rapporteur : « Il n’est pas clairement établi que ces craintes sont fondées. »
Nous comprenons que les professionnels aient besoin d’un peu de temps pour s’adapter à des obligations nouvelles. Pour autant, la décision de différer l’entrée en vigueur prise par la commission du développement durable est peut-être une illustration du déséquilibre qui apparaît lorsqu’il s’agit de prendre en compte les intérêts des consommateurs et ceux des professionnels. Nous parlons là de sécurité, et celle-ci devrait primer sur toute autre considération, même si le risque zéro n’existe bien évidemment pas.
Le groupe écologiste votera cependant pour ce texte, qui constitue une avancée en matière de sécurité et d’information précontractuelle des consommateurs passagers dans le domaine du transport aérien. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre.
M. Jean-Jacques Lasserre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons d’un texte qui semble faire l’unanimité, aussi bien à l’Assemblée nationale, où il a été adopté par tous les groupes politiques, qu’au sein de la commission du développement durable, qui y a seulement apporté quelques modifications techniques.
À ce titre, je souhaite remercier tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de ce texte consensuel, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, et notamment son rapporteur, Vincent Capo-Canellas, fin connaisseur du secteur des transports aériens.
Même si les transports aériens sont considérés comme les plus fiables, la volonté de renforcer toujours davantage les niveaux de fiabilité et de sécurité afin d’éviter au maximum les accidents ne peut être que positive. Dans ce domaine, les conséquences d’un défaut de précautions sont trop graves.
Ce texte, qui s’intitulait initialement « proposition de loi visant à sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne » et qui a été rebaptisé par nos collègues, en commission, « proposition de loi visant à renforcer l’information des voyageurs lors de la commercialisation de titres de transports sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne », relève donc du bon sens.
Il vise principalement à garantir une meilleure information des usagers, donc davantage de transparence, et une meilleure protection des usagers, donc plus de sécurité dans les transports aériens. Tous ces éléments enrichissent l’éventail des outils existants, qui s’appuient principalement sur la prévention, le contrôle et la sanction.
Cette proposition de loi vient en effet renforcer, à juste titre, ce que le règlement européen de décembre 2005 avait mis en place.
Depuis 2005, la Commission européenne a instauré la fameuse « liste noire » des compagnies interdites d’exploitation en Europe, qu’elle actualise régulièrement – la dernière fois en décembre dernier –, ainsi qu’un ensemble de dispositions créant une obligation d’informer les voyageurs sur l’identité du transporteur aérien effectif. Plus aucun vol, régulier ou charter, au départ ou à l’arrivée de l’Union européenne, ne peut donc se faire sur un appareil manifestement non conforme aux exigences minimales de sécurité.
Une difficulté demeurait – et c’est là que cette proposition de loi trouve tout son intérêt – concernant les vols « de bout de ligne ».
Il arrive que des usagers soient amenés à utiliser des transports figurant sur la liste noire et qu’ils n’aient même souvent pas d’autre choix. Cette situation se produit lorsque, au départ ou à l’arrivée de certains pays tiers de l’Union européenne, les passagers doivent emprunter un appareil d’une compagnie aérienne locale pour commencer ou terminer leur trajet.
Dans un tel cas, l’interdiction d’exploitation européenne ne peut évidemment pas s’appliquer, puisqu’elle n’a de valeur juridique que dans le ressort territorial de l’Union européenne.
On cite fréquemment l’exemple de Yemenia, dont le nom est associé au crash de 1999. Cette compagnie aérienne dispose d’un accord privilégié avec l’Union des Comores, qui en fait quasiment un transporteur national, et aux termes duquel « tout nouveau transporteur souhaitant exercer à Moroni devra d’abord consulter Yemenia ».
L’accord de 1999 a été renforcé par un arrêté du ministère comorien des transports accordant à Yemenia l’exclusivité du transport des pèlerins vers La Mecque. Les passagers ne peuvent donc éviter de voyager sur cette compagnie dangereuse, la seule à desservir la destination choisie.
Face à de tels cas, il faut responsabiliser les professionnels du secteur. La présente proposition de loi permet ainsi avec raison, et dans la marge de manœuvre assez réduite dont dispose la France au regard du droit européen, d’aller au-delà des normes minimales fixées par l’Europe en matière d’information précontractuelle. Certes, elle n’empêchera pas les avions dangereux de transporter des voyageurs ; des propositions en ce sens mériteraient d’ailleurs d’être formulées.
La proposition de loi rend obligatoires deux informations : l’une, écrite et explicite, mentionnant le fait qu’un transporteur figure sur la liste noire européenne ; l’autre, relative aux solutions de substitution qui pourraient exister. Ce faisant, ce texte va beaucoup plus loin que le règlement européen, qui « se contente » de l’obligation de communiquer l’identité du transporteur aérien effectif au passager, lequel doit lui-même vérifier si le transporteur figure ou non sur la liste noire.
Grâce à cette proposition de loi, les niveaux de sécurité des vols et d’information des passagers seront renforcés. Une sanction de 7 500 euros d’amende par titre de transport vendu en cas de non-respect du droit à l’information du consommateur participe à sa bonne application et à son efficacité.
Je tiens par ailleurs à saluer la modération et la justesse qui caractérisent cette proposition de loi. La tentation était grande, en effet, d’interdire aux compagnies placées sur la liste noire la vente de titres de transports. Or cette mesure radicale aurait été, à mon sens, inapplicable dans de nombreuses parties du monde, les alternatives de transports étant souvent réduites, voire nulles.
Plutôt qu’une logique d’interdiction de la commercialisation en France des vols à risque dans des pays tiers, c’est une logique de renforcement de l’information précontractuelle, écrite et explicite, des voyageurs qui a été choisie. Les usagers ne peuvent plus acheter ce type de billets sans avoir une idée claire et précise du risque qu’ils encourent.
Au regard de tous ces éléments, l’ensemble du groupe UDI-UC ne peut que voter cette proposition de loi visant à renforcer l’information des voyageurs lors de la commercialisation de titres de transports sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne.
Si notre pays a été un précurseur en matière d’établissement d’une liste noire des compagnies aériennes, il serait bon que ce texte, protecteur pour les consommateurs, soit également l’amorce d’une réglementation européenne. (Applaudissements.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique du texte de la commission.
Article unique
I. – La section 1 du chapitre Ier du titre II du livre IV de la sixième partie du code des transports est complétée par un article L. 6421-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 6421-2-1. – Toute personne physique ou morale commercialisant un titre de transport sur les vols d’un transporteur aérien effectif figurant sur la liste des transporteurs aériens faisant l’objet dans l’Union européenne d’une interdiction d’exploitation doit informer de manière claire et non ambiguë l’acquéreur et le passager de cette situation et l’inviter à rechercher des solutions de transport de remplacement.
« Il lui est indiqué par écrit, avant la conclusion de la vente, qu’il voyagera sur une compagnie figurant sur la liste européenne des transporteurs aériens faisant l’objet dans l’Union européenne d’une interdiction d’exploitation.
« Le fait de se livrer ou d’apporter son concours à la commercialisation d’un titre de transport sans respecter les mesures ordonnées en application du présent article est passible d’une amende administrative de 7 500 € par titre de transport, doublée en cas de récidive, sans préjudice des poursuites pouvant être engagées au titre de l’article 121-3 du code pénal. »
II (nouveau). – La présente loi entre en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard un an après sa promulgation.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Capo-Canellas, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
l’acquéreur et le passager
par les mots :
le passager ou l’acquéreur, si celui-ci n’est pas l’utilisateur du billet,
La parole est à M. le rapporteur.