compte rendu intégral
Présidence de Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Secrétaires :
M. Marc Daunis,
M. Alain Dufaut.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date du 28 janvier 2013, le Gouvernement a demandé le retrait de l’ordre du jour du projet de loi autorisant l’approbation du protocole commun relatif à l’application de la convention de Vienne et de la convention de Paris, dont l’examen était prévu le mardi 5 février 2013.
Acte est donné de cette communication.
En conséquence, l’ordre du jour du mardi 5 février 2013 s’établit comme suit :
Mardi 5 février 2013
À 9 heures 30 :
1°) Questions orales
Ordre du jour fixé par le Gouvernement :
À 14 heures 30 :
2°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI) relatif à l’établissement d’un bureau de l’IPGRI en France et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (n° 582, 2011-2012) ;
3°) Projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 187 de l’Organisation internationale du travail relative au cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail (n° 375, 2011-2012) ;
4°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Agence spatiale européenne relatif au Centre spatial guyanais et aux prestations associées (n° 451 rectifié, 2011-2012) ;
5°) Projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à la construction et à l’exploitation d’un laser européen à électrons libres dans le domaine des rayons X (n° 527, 2011-2012) ;
6°) Projet de loi autorisant l’approbation de la convention relative à la construction et à l’exploitation d’une infrastructure pour la recherche sur les antiprotons et les ions en Europe (n° 606, 2011-2012) ;
7°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française, le Gouvernement du Royaume de Belgique, le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg concernant la mise en place et l’exploitation d’un centre commun de coopération policière et douanière dans la zone frontalière commune (n° 665, 2011-2012) ;
8°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg relatif à la coopération dans leurs zones frontalières entre les autorités de police et les autorités douanières (n° 664, 2011-2012).
(Pour ces sept projets de loi, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée. Selon cette procédure, les projets de loi sont directement mis aux voix par le président de séance. Toutefois, un groupe politique peut demander, au plus tard le lundi 4 février, à dix-sept heures, qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle.)
9°) Suite éventuelle de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;
10°) Projet de loi portant création du contrat de génération (n° 289, 2012-2013).
(La conférence des présidents a fixé :
- à deux heures trente la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe ; les inscriptions de parole devront être faites à la division de la séance et du droit parlementaire avant le lundi 4 février, dix-sept heures ;
- au lundi 4 février, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements en séance.
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements le mardi 5 février, à quatorze heures.)
De 18 heures 30 à 19 heures 30 :
11°) Débat, sous forme de questions-réponses, préalable à la réunion du Conseil européen des 7 et 8 février 2013.
(La conférence des présidents a décidé que les sénateurs pourront, pendant une heure, prendre la parole – deux minutes maximum – dans le cadre d’un débat spontané et interactif comprenant la possibilité d’une réponse du Gouvernement. La première question sera posée par le président de la commission des affaires européennes.)
À 21 heures 30 :
12°) Suite du projet de loi portant création du contrat de génération.
3
Création des zones d'exclusion pour les loups
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe du RDSE, de la proposition de loi visant à créer des zones d’exclusion pour les loups, présentée par M. Alain Bertrand (proposition n° 54, texte de la commission n° 276 rectifié, rapport n° 275).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi.
M. Alain Bertrand, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à créer des zones de protection renforcée contre le loup ; telle est la modification pertinente proposée par la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire.
Il ne s'agit pas bien sûr, comme je l’ai entendu, d’éradiquer le loup de nos territoires. Il s’agit, au contraire, d’une proposition de loi de bon sens et d’équilibre tendant à protéger le loup là où il doit vivre et l’agropastoralisme là où il doit subsister. C’est donc un texte de protection et même de double protection : du loup et de l’homme.
On peut aussi dire que cette proposition de loi permettra la présence du loup là où elle est souhaitable et acceptable, et la limitera fortement là où elle n’est pas souhaitable.
D’ailleurs, ce texte reprend complètement les possibilités précisées et décrites dans la convention de Berne, le traité sur l’Union européenne de 1992 et le code de l’environnement quand – et seulement dans ces cas-là – surviennent des dommages importants à l’élevage et qu’il n’existe pas de « solution satisfaisante » face à ces dommages.
Les dommages causés à l’élevage sont-ils ou non importants ? C’est la première question à se poser.
Si l’on en croit les derniers chiffres connus, notamment ceux de 2008, 2009, 2010 et 2011 émanant de la préfecture de région Rhône-Alpes, qui s’occupe du plan loup, les attaques indemnisées – et elles seules ! – sont passées, pour la France, de 736 en 2008 à 979 en 2009, puis à 1 090 en 2010, pour exploser à 1 415 en 2011, soit une augmentation de 92 % entre 2008 et 2011.
Les victimes de ces attaques sont essentiellement les ovins : brebis, moutons, béliers. Mais, parmi les victimes, on compte aussi des caprins, des bovins, des équins et même des chiens. Le loup n’épargne pas ses frères ! Le nombre des victimes des attaques de loup – les attaques officielles, cela s’entend – est ainsi passé de 2 680 en 2008 à 4 920 en 2011, soit une augmentation de 83 %.
Bien sûr, cette tendance n’est pas acceptable. Et elle ne reflète qu’une partie des dégâts !
En effet, il y a non seulement des bêtes tuées, dévorées totalement ou en partie le plus souvent, mais aussi des bêtes traumatisées, apeurées, déstabilisées à la vue du carnage et du loup, qui, plus tard, lors des agnelages notamment, perdront leur fécondité – seront vides, comme l’on dit à la campagne ! – ou donneront naissance à des agneaux non viables, faibles ou mal formés !
Je rappelle ici qu’un troupeau est la construction et la recherche, souvent étalées sur plusieurs dizaines d’années, d’une qualité d’animaux adaptés à leur terrain, à leur production par de subtils renouvellements et dosages ! Vingt ans de travail, parfois trente, peuvent ainsi s’envoler à la suite d’une seule attaque de loup !
Mes chers collègues, quel chef d’entreprise accepterait de voir légalement saccager son outil de travail au quotidien sans avoir le droit ni la possibilité de le protéger ? Aucun, bien sûr !
M. Robert Tropeano. Eh oui !
M. Alain Bertrand. C’est pourtant ce que subissent de nombreux agriculteurs, éleveurs ovins aujourd’hui.
Les dommages sont donc importants – les chiffres sont éloquents ! –, le nombre des attaques explose et, au surplus, selon les derniers chiffres du réseau loup – des chiffres officiels ! –, la population de loups s’élevait à 250 durant l’hiver 2011-2012, ce qui correspond à un accroissement en tendance de 17 % par rapport à l’hiver 2010-2011, le calcul résultant de formules mathématiques spécifiques et non d’un simple comptage des loups – on est beaucoup plus prudent ! Le réseau loup précise que, compte tenu de l’hiver peu neigeux et peu rigoureux, ces chiffres sont des minima. Autrement dit, ils sont certainement supérieurs !
Par ailleurs, les fameuses zones de présence permanente, les ZPP, là où le loup est établi en quelque sorte, augmentent, elles aussi, en nombre et en territoire.
Le constat est simple : une situation alarmante, amplifiée et, bien sûr, insupportable, avec une augmentation dramatique des dégâts subis par les agriculteurs et les éleveurs de nos départements.
Sachant qu’il n’est possible de déroger à la protection du loup que si les dommages sont importants – et ils le sont ! – et s’il n’y a pas d’autre solution satisfaisante pour protéger les éleveurs et les élevages, existe-t-il à l’heure actuelle une solution efficace pour protéger l’élevage ?
Si l’on en juge par l’accroissement des dommages, non !
Si l’on juge par la « saga médiatique » consistant à montrer, dans les Alpes ou les Pyrénées, des troupeaux ou des regroupements de troupeaux gardés, enclos temporairement et « armés » de chiens patous, on pourrait dire peut-être ! Malheureusement, ce scénario, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, n’est pas reproductible hors des alpages d’altitude.
En effet, l’agropastoralisme extensif est caractéristique des zones de piémont ou de moyenne montagne, comprises entre 700 mètres et 1 500 mètres, c’est-à-dire des zones pauvres en nourriture. Il consiste en la gestion de plusieurs lots de brebis par exploitation, avec des sorties de nuit pour permettre aux bêtes de se nourrir en cas de fortes chaleurs diurnes. On a donc recours à plusieurs enclos avec une brebis à l’hectare, ce qui est très faible. On a affaire à des territoires étendus, à des petits troupeaux, et, corrélativement, à un agropastoralisme qui rend impossible la surveillance permanente des troupeaux. C’est donc tout le contraire de ce qui se passe dans les alpages d’altitude, caractérisés par un pacage d’été ponctuel, une nourriture abondante, des températures diurnes ne nécessitant pas le pacage nocturne, le regroupement de tout un troupeau ou, souvent, de plusieurs troupeaux.
Il n’existe donc pas de solution adaptée pour protéger l’élevage de nos moyennes montagnes et, madame la ministre, ce n’est pas le plan loup qui démontrera le contraire.
Le plan d’action national sur le loup 2008-2012 prévoyait l’abattage de onze loups en 2012. Cinq d’entre eux ont été abattus, mais les chiffres diffèrent : peut-être ne s’agit-il que de quatre d’entre eux, de trois, de deux, voire d’un seul ! Je ne ferai aucun commentaire sur ce point !
Par ailleurs, les agriculteurs et les éleveurs, ces hommes que nous évoquons ici, travaillent déjà douze heures par jour…
M. Charles Revet. Eh oui, et ils sont maltraités !
M. Alain Bertrand. … pour parvenir à la livraison de produits souvent bio et/ou transformés de grande qualité.
Dans ces conditions, le chimérique recours à un arsenal de clôtures, de murs, de tranchées, de chiens patous inadaptés au terrain nécessiterait qu’ils ne dorment plus, ni leurs épouses ni leurs enfants d’ailleurs.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Tout à fait !
M. Alain Bertrand. Ces gens courageux, dans des territoires souvent peu habités, servent l’aménagement du territoire, l’économie locale et la vie de nos campagnes.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Robert Tropeano. Eh oui !
M. Alain Bertrand. Ils ne souhaitent pas, parce qu’ils ont les pieds sur terre, que des sommes pharaoniques soient engagées du fait que l’arrivée du loup n’est pas contrôlée. Ils condamnent, par exemple, le fait que la Mutualité sociale agricole mette en place des suivis psychologiques pour les agriculteurs victimes du loup ; ils estiment que c’est aberrant, coûteux et inutile.
M. Jacques Mézard. Excellent !
M. Alain Bertrand. Les mesures actuelles sont donc non seulement inefficaces pour la zone de moyenne montagne, mais aussi coûteuses, inadaptées et traumatisantes pour les agriculteurs, qui, par ailleurs, les rejettent massivement.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Alain Bertrand. La zone de protection renforcée est-elle une bonne réponse ?
Oui, il s’agit d’une réponse « territorialisée » différente du plan loup élaboré à l’échelle nationale, qui est nécessaire.
M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Très bien !
M. Alain Bertrand. Cette réponse territorialisée sera pilotée par le ministère de l’écologie et les préfets. Elle sera sécurisée, maîtrisée et adaptée par des arrêtés préfectoraux précis définissant le nombre d’animaux à éliminer, le périmètre de la zone concernée et les modalités de destruction.
Bien entendu, les zones de protection renforcée seront redéfinies annuellement ou après un tir ou des tirs survenus.
Les zones visées sont typiquement des zones de piémont, de moyenne montagne ou de basse montagne, autrement dit des zones de contact avec les zones d’altitude ou d’alpage, lesquelles sont le plus souvent également des zones de présence permanente du loup.
Du point de vue agricole, ces zones peu peuplées et aux sols pauvres se caractérisent par la présence d’un élevage extensif concourant largement à la livraison de produits de qualité.
Cet élevage, le plus souvent ovin, est organisé par la présence de « fermes » disposant de superficies importantes constituées, souvent, d’une succession de petites parcelles. Nous sommes loin des zones d’alpage élevées, où l’on peut regrouper des troupeaux. Aussi devons-nous fournir une réponse adaptée à ces espaces, en créant des zones de protection renforcée.
Pour déroger aux mesures de protection du loup, trois conditions doivent être réunies.
La zone de protection renforcée nuit-elle au « maintien, dans un état de conservation favorable, de cette espèce sur le territoire national » ? Tel est l’objet de l’alinéa 3 de l’article unique de la proposition de loi.
Non, si tel était le cas, nous ne la présenterions pas.
Tout d’abord, les zones de protection renforcée sont territorialisées. Elles regroupent des communes où les dommages et la perturbation de l’activité pastorale sont importants, en dépit des mesures prises dans le cadre général, et elles ne visent ni l’ensemble du territoire ni l’ensemble de la zone de répartition du loup. Le plan loup a une vocation nationale ; les zones de protection renforcée ont une vocation locale.
Ensuite, ces zones sont décidées, pilotées et précisées par arrêté préfectoral et sous le contrôle du ministère de l’écologie.
Par ailleurs, les destructions nécessaires sont contrôlées et donnent immédiatement lieu à une réadaptation des mesures en cours, si cela s’avère opportun.
Enfin, les zones de présence permanente du loup et les populations de loups sont en augmentation. Je vous ai donné les chiffres précédemment, ils sont connus, vérifiés et font l'objet d’un suivi.
Actuellement, le loup est présent de façon permanente dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Hautes-Alpes, des Alpes-Maritimes, du Doubs, de la Drôme, de l’Isère, du Jura, des Pyrénées-Orientales, de Haute-Savoie, de Savoie, du Var, du Vaucluse et des Vosges.
M. Jacques Mézard. Encore ! Encore !
M. Alain Bertrand. J’ai oublié la Lozère, la Haute-Loire, l’Ardèche, l’Aude, la Haute-Saône…
M. Alain Fauconnier. L’Aveyron !
M. Jacques Mézard. Le Cantal !
M. Alain Bertrand. … et le Cantal ! (Exclamations amusées.) Certains élus de ces départements m’ont d’ailleurs téléphoné tout à l’heure pour m’indiquer qu’ils suivaient attentivement nos travaux. Je leur ai répondu que le Sénat prenait des décisions de bon sens et les suivrait.
Bientôt, ce sont les Pyrénées, les Alpes, les Vosges et le Jura, dans leur ensemble, qui seront concernés, puis, avec une augmentation de la population de loups de 17 % par an, la moitié du territoire national ! Telle est la réalité.
D’aucun point de vue, les zones de protection renforcée ne mettent donc en cause la protection globale du loup.
Proposons-nous une bonne proposition de loi au bon moment ?
Vous le savez, certains mettent en avant le futur rapport qui sera élaboré sur le plan loup. Ce plan existe depuis de nombreuses années et perdurera encore, ce qui est très bien. Mais, nous, nous proposons de légiférer sur ce sujet !
Oui, ce texte est bon : quand la loi française, les règlements européens ou encore les conventions internationales ne sont pas bons, il faut les changer, et ce quel que soit le domaine concerné !
M. Charles Revet. C’est du bon sens !
M. Alain Bertrand. Oui, ce texte est bon parce que les dégâts causés et les populations de loups explosent.
Oui, ce texte est bon parce que, comme vient de le souligner notre collègue Charles Revet, il relève du bon sens.
Oui, ce texte est bon parce que les éleveurs sont traumatisés, fatigués, usés et même désespérés !
D’ailleurs, si, par-delà les consignes partisanes, auxquelles je ne crois pas, cette proposition de loi donnait lieu à un vote libre ou libéré, elle serait largement adoptée. Je ne désespère d’ailleurs pas qu’elle le soit !
En outre, madame la ministre, l’argument consistant à attendre de savoir ce que prévoira le nouveau plan loup, qui devrait bénéficier d’une « adaptation dans quelques jours », ne tient pas.
Adoptons cette proposition de loi dès aujourd’hui ! Elle sera ensuite examinée par l’Assemblée nationale, qui aura tout loisir – nous faisons confiance à nos collègues ! – de tenir compte des nouvelles tendances du plan loup.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Alain Bertrand. D’ailleurs, ce texte reviendra probablement en deuxième lecture au Sénat : nous aurons alors, nous aussi, la possibilité d’adapter nos propositions au plan loup ! Mais nous en tenons déjà largement compte dans le texte qui vous est aujourd’hui soumis, mes chers collègues.
M. Roland Courteau. Évidemment !
M. Alain Bertrand. On ne peut maintenir la situation actuelle. Avec l’accroissement annuel décrit par le réseau loup, nous aurons rapidement 500 loups en France, sachant que le décompte est déjà plus que modéré. Pour nos éleveurs, la situation deviendra intenable !
Même si je répugne à évoquer mon modeste département, rendez-vous compte, madame la ministre, mes chers collègues que, en Lozère, même les administrateurs du parc national des Cévennes, j’y insiste, ont voté à une écrasante majorité contre la présence du loup !
Permettez-moi de citer les propos tenus par le directeur général : « Le loup est une espèce dynamique qui va essayer de s’implanter, mais nous n’allons pas l’éradiquer avec la réglementation actuelle. C’est pourquoi nous demandons une révision de la législation. »
Le président du parc a, quant à lui, déclaré : « Nous voulons être reconnus comme une zone d’exclusion pour le loup », c'est-à-dire, pour reprendre les termes mêmes de la proposition de loi, une zone de protection renforcée.
Mes chers collègues, je crois que cette proposition de loi est un texte d’équilibre et de bons sens. Je suis persuadé que son examen intervient au bon moment : avant la guerre dans nos campagnes, si je puis dire, avant que le loup, son image et sa protection même n’en pâtissent.
Nous avons le devoir de protéger les biens et les personnes, de sécuriser les activités humaines, en l’occurrence l’élevage et l’agropastoralisme.
Au total, rien ne s’oppose, mes chers collègues, à l’adoption de cette proposition de loi.
Certains, peu nombreux, il est vrai, pensant défendre le loup, alors qu’ils pourraient bien plutôt faire son malheur, soutiennent un bien curieux argumentaire,…
M. Roland Courteau. En effet !
M. Alain Bertrand. … en décalage total avec ma propre connaissance du problème. Mais sans doute ne puis-je pas tout comprendre !
Permettez-moi de citer quelques-uns de leurs arguments, sans essayer de les réfuter.
Ils affirment que l’impact du loup doit être relativisé, l’État prenant en charge les mesures de protection des troupeaux. L’impact du loup est faible et il ne sert qu’à masquer les difficultés de la profession. Comme je viens de le dire, je ne commenterai pas de tels propos.
Ils affirment que l’élevage est subventionné, à 60 %, précisent-ils, et que le bétail est indemnisé.
Ils affirment que les tueries effectuées par le loup s’ajoutent à d’autres : attaques de chiens, maladies, foudre, chutes, glissades. Le loup en tant que tel ne constitue donc pas une menace.
Ils affirment que la filière ovine connaît, depuis vingt ans déjà, une baisse de production ! Je ne commenterai pas plus…
Ils affirment que la brucellose tue beaucoup plus que le loup.
M. Roland Courteau. Ça, c’est vrai !
M. Alain Bertrand. Ils affirment qu’en moyenne une brebis est vendue à un prix inférieur à l’indemnité de 155 euros octroyée par animal tué par un loup. (Exclamations.) Je rappelle que les agriculteurs ne demandent pas à être indemnisés ; ils veulent simplement ne pas être « massacrés » par le loup.
Ils affirment que les chiens errants sont aussi responsables.
Sur ce point, je me permettrai de faire un commentaire. Les chiens errants ont, de tout temps, existé. Par définition, les agriculteurs ont des chiens de troupeaux. Or il arrive parfois qu’un chien de mauvaise nature ou de mauvaise éducation s’égare. Mais il sera très vite pris en main par le fermier, qui en fera son affaire. Lorsque les dommages augmentent de façon vertigineuse, celui-ci sait très bien reconnaître s’ils sont dus à la présence du loup ou à celle du chien errant.
Autre argument remarquable : ils affirment que, dans de nombreux pays, les éleveurs travaillent dans des conditions autrement plus difficiles, car ils sont confrontés au loup, au grizzli, au puma et au coyote. (Rires.) De quoi nous plaignons-nous ?
Ils affirment que le nombre d’attaques du loup n’augmente pas. Je ne commenterai pas là encore, mais je vous ai donné les chiffres !
Ils affirment que le patou est un chien admirable. J’ai d’ailleurs reçu de nombreuses lettres à ce sujet.
Ils affirment que, certes, la présence du loup augmente la charge de travail des éleveurs, mais que chaque métier a ses contraintes !
Ils affirment que, par rapport aux 11 milliards d’euros accordés aux céréaliers européens pour les soutenir, le loup ne coûte pas cher !
Ils affirment que le loup ne prolifère pas parce qu’un « superprédateur » ne prolifère pas ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Dufaut. C’est nouveau !
M. Alain Bertrand. Ils affirment que seules 26 % des attaques causent la mort de plus de trois ou quatre brebis.
Ils affirment – écoutez bien, mes chers collègues ! – que les brebis tuées par le loup ne souffrent pas et « meurent sur la pâture où elles vivaient ». (Rires.)
M. Pierre-Yves Collombat. C’est la chèvre de M. Seguin ! (Sourires.)
M. Alain Bertrand. Ils affirment que les éleveurs sont loin d’être les seules victimes de la mondialisation.
Voilà, mes chers collègues, ce que l’on peut lire sous la plume de ceux qui croient protéger le loup. Je livre ces arguments à votre réflexion.
Madame la ministre, mes chers collègues, notre République et la Haute Assemblée s’honoreraient à accorder aux éleveurs des zones de haute et moyenne montagne le bénéfice d’une loi permettant de cantonner plus fortement le loup à des territoires spécifiques, souvent d’altitude, peu habités ou inhabités, où sa présence ne remet pas radicalement en cause l’activité pastorale et ne sème pas le trouble et l’insécurité dans les campagnes.
Les éleveurs ne veulent pas de compensation financière ; ils aspirent à vivre en paix de leur métier. Force est de constater que l’arrivée d’un tel animal est un vecteur de discorde dans nos campagnes. La solitude de l’agriculteur est exacerbée par les attaques, car il se sent abandonné et oublié par la société. Les éleveurs n’ont pas vocation à racheter seuls la bonne conscience de la société moderne et de ses errements !
Bien sûr, nous sommes, tout comme vous, attachés à une présence raisonnable du loup. Bien sûr, nous aimons les animaux et la biodiversité ! Mais nous devons concilier conservation des espèces et maintien des activités humaines.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Alain Bertrand. La sécurité des biens est un dû. Là où les dommages causés aux élevages sont trop importants, là où il n’existe pas de solution plus satisfaisante, il faut, par dérogation et sans menacer le principe de l’état de conservation favorable de l’espèce sur le plan national, prendre des mesures. Tel est le sens de la convention de Berne, de la directive européenne de 1992 et du code de l’environnement. C’est pourquoi la création des zones de protection renforcée est une nécessité immédiate.
Enfin, pour conclure, je tiens à remercier notre excellent rapporteur, Stéphane Mazars. En Aveyronnais qui connaît le sujet, il a su convaincre les membres de la commission du développement durable d’adopter ce texte dans une version améliorée et juridiquement plus pertinente, sur la base d’arguments que je lui laisse le soin de développer.
Je souhaite également vous dire, mes chers collègues, que la situation me paraît très claire : soit nous intervenons en adoptant ce texte de gestion, de protection et de simplification, et le loup sera davantage cantonné à ses espaces naturels ; soit nous ne l’adoptons pas, et la situation, déjà alarmante, comme le montrent clairement les chiffres officiels, s’aggravera.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Alain Bertrand. Nous n’avons pas le droit d’infliger à la montagne et à ses éleveurs le maintien d’un handicap cruel et supplémentaire, spécialement lorsqu’il n’existe aucune raison à cela !
J’en appelle donc à votre sagesse, chers collègues des villes et des champs, pour donner un avenir juste et apaisé au loup, mais aussi aux éleveurs. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Mazars, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a été déposé au Sénat le 16 octobre 2012, sur l’initiative de notre collègue Alain Bertrand, sénateur-maire de Mende et membre du groupe du RDSE. D’ailleurs, l’ensemble des membres de ce groupe ont cosigné cette proposition de loi.