M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un bien bel exercice d’exprimer devant vous, et dans cet hémicycle, notre vision du service public ferroviaire. Pour ma part, j’y porte un attachement profond, depuis longtemps. Le rail est l’une des grandes aventures contemporaines et technologiques de notre pays. Au plus profond d’eux-mêmes, les Français y sont sensibles.
De mon point de vue, la SNCF est puissamment attachée à notre histoire : le plus grand réseau ferroviaire d’Europe, le TGV, le monde des cheminots, la Résistance. Plus proche de nous, en 1982, ce fut la LOTI, texte fondamental d’orientation des transports intérieurs.
L’ambition du législateur fut de mettre en place un « système de transports intérieurs qui satisfasse les besoins des usagers dans les conditions économiques et sociales les plus avantageuses pour la collectivité ». Il est même évoqué, dans l’article 2 de ce texte, « un droit aux transports [permettant] aux usagers de se déplacer dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité, notamment par l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public ».
La LOTI a sorti la SNCF de l’ancien syndicat mixte qui prévalait alors, pour en faire un établissement public à caractère industriel et commercial, et elle a consacré la SNCF comme opérateur unique. Cette dimension me convenait très bien.
Mais voilà, la Commission européenne existe et, en matière de transports, je la trouve très impérative. Elle s’est chargée, avec les différents paquets ferroviaires, livres blancs et directives, de modifier tout ce bel équilibre. La libéralisation, telle que l’Europe l’a portée jusqu’à présent, complique à mon avis les grandes problématiques des transports.
Par exemple, la seule contrainte posée par la directive européenne 91/440 du 29 juillet 1991 est la séparation, sur le plan comptable, des activités de gestion des infrastructures de transport et de l’exploitation. La séparation organique ou institutionnelle est facultative, laissant aux États la liberté de choisir leur modèle d’organisation. Les autres paquets ferroviaires qui ont suivi n’ont pas remis en cause cette liberté.
Cela n’a pas empêché, en 1997, le gouvernement de droite de l’époque d’ouvrir une faille dans le service public ferroviaire français en séparant l’infrastructure et l’exploitation, par la création de « Réseau ferré de France » par la loi du 13 février 1997, juste avant la fameuse dissolution.
C’est notre histoire, c’est vrai. Mais il y a eu, de la part du pouvoir de l’époque, un excès de zèle idéologique qui n’a en rien résolu les difficultés du secteur ferroviaire, en particulier l’assainissement de la situation financière.
Nos amis allemands ont suivi une tout autre démarche : assainissement de la dette et création d’une holding avec le succès que l’on connaît. Nous savons, monsieur le ministre, combien vous vous êtes engagé dans une orientation qui nous permettra de revenir à une vision plus propre à nous satisfaire, et surtout à satisfaire les besoins du service public ferroviaire.
La création d’un groupement d’infrastructure unique, qui assurera toutes les fonctions ayant trait à la gestion et à la maintenance du réseau, c’est la nouvelle gouvernance que vous proposez. Nous attendons avec impatience le texte à venir, mais vos propos et vos engagements à Bruxelles portent beaucoup d’espoir.
Évoquant Bruxelles, j’en viens au quatrième paquet ferroviaire. Le commissaire européen aux transports souffle le froid et le chaud, faisant d’abord campagne depuis plusieurs mois pour une séparation stricte, en 2019, entre gestionnaires des réseaux et exploitants. L’idée d’un assouplissement est sans doute due à la pression conjointe de la France – de vous-même, monsieur le ministre – et de l’Allemagne, car une réforme libérale pure et dure constituerait une attaque frontale contre les modèles d’organisation des transports ferroviaires de ces deux pays.
Une version dure, voire très dure, était attendue ; finalement, et je l’espère, c’est un texte adouci qui pourrait être présenté sur des sujets majeurs, à une date encore indéterminée. En effet, outre la gouvernance, le quatrième paquet ferroviaire devrait agir dans deux autres directions : l’ouverture du trafic passager domestique à la concurrence – je ne doute pas que ce projet sera soumis à de nombreuses controverses et confrontations – et la réforme de l’Agence ferroviaire européenne, qui devrait être moins discutée.
Ce quatrième paquet ferroviaire ne revient pas sur le fret ; ce fut l’affaire des paquets ferroviaires précédents. Mais vous savez, monsieur le ministre, que je suis particulièrement attentif, et je ne suis pas le seul parlementaire dans cet état d’esprit – vous l’avez encore entendu cet après-midi –, au transport de marchandises par rail, par canaux et par cabotage maritime.
Mais arrêtons-nous au ferroviaire, service public, service d’intérêt général le plus souvent. En la matière, le rail est malheureusement plutôt en mode descendant. C’est dramatique ! La route a pris l’ascendant sur tous les autres modes. Le rail transporte 4 millions de voyageurs par an ; le fret, lui, est presque totalement affaire de transports routiers. En quinze ans, celui-ci est passé d’environ 80 % de marchandises transportées à plus de 90 % aujourd’hui.
Cet échec considérable va bien sûr à l’encontre de la demande sociale. Celle-ci, nous le constatons le plus souvent, est de plus en plus sensible au transport ferroviaire de marchandises. Nous avons connu dans le passé beaucoup de prospectives très optimistes sur lesquelles je ne reviendrai pas ; elles ont échoué. Les conditions du rééquilibrage modal vers le rail ont également échoué. C’est un lourd héritage, mais il tient aussi pour beaucoup à l’absence d’harmonisation des législations européennes sur les salaires et le temps de travail.
La réflexion sur l’évolution du fret se situe au carrefour des ambitions du Grenelle 1. Les perspectives énergétiques et la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre peuvent et doivent imposer un retour au ferroviaire. Il y va de la responsabilité des pouvoirs publics de ne pas hypothéquer l’avenir.
Si je me félicite de la démarche du Gouvernement d’engager un vaste programme de régénération de 1000 kilomètres de rail par an, il n’en reste pas moins qu’il est urgent de mener une politique globale de rééquilibrage des trafics de la route vers les modes durables.
La tâche est rude, monsieur le ministre, ambitieuse certes, mais tellement urgente. Par exemple, en matière d’efficacité économique et socio-économique, je crois à la nécessité d’engager toutes les formes de transport combiné, comme je crois à celle du ferroutage. L’alliance du camion et du train, voilà une belle ambition abandonnée par les gouvernements successifs ! Non, en fait totalement ignorée. Pourtant, là encore, la demande sociétale est forte. Nos amis suisses et italiens, eux, ne l’ignorent pas.
Je crois au service public ferroviaire : il existe, il fonctionne – ne soyons pas catastrophistes comme certains discours que j’ai pu entendre cet après-midi –, il participe de nos pratiques quotidiennes et au développement des territoires.
Nous sommes à vos côtés, monsieur le ministre, et aux côtés du Gouvernement pour accompagner le renouveau dans lequel vous vous êtes engagé, car le rail, mode de transport avant tout, est aussi un enjeu industriel. En lançant les recherches sur le TGV du futur, en mobilisant des moyens pour donner une impulsion à la construction de nouvelles rames de trains Intercités et de TER, vous créez une dynamique bénéfique pour la croissance, l’emploi, sans oublier l’innovation, avec l’espoir que la grande aventure du rail retrouve un nouvel élan. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès sa mise en place, au XIXe siècle, le chemin de fer fut conçu dans une logique de service public restée depuis une spécificité française.
L’interventionnisme économique de l’État s’est justifié par le besoin d’un contrôle public pour la sécurité et pour le développement des infrastructures.
Cette logique qui a perduré est désormais remise en cause par les directives européennes, qui introduisent la concurrence comme principe d’efficacité.
Aujourd’hui, un « quatrième paquet ferroviaire » préparé par le Parlement européen appelle, dans une nouvelle ouverture à la concurrence, le marché domestique de voyageurs et suscite de nombreuses appréhensions, chez les cheminots notamment, qui sont particulièrement inquiets pour leur statut, et, bien sûr, pour la filière ferroviaire dans son ensemble qui est déjà fortement impactée par le démantèlement subi ces dernières années.
Ainsi, l’organisation mise en place dans le cadre des directives européennes a entraîné d’importants dysfonctionnements opérationnels. Certaines installations, en très mauvais état, nuisent à la qualité du service, et le marché du transport de marchandises, ouvert à la concurrence depuis 2006, s’est effondré.
La mise en place, sans anticipation, d’un système ferroviaire éclaté et le désengagement financier de l’État ont donc particulièrement fragilisé le système ferroviaire français.
Nous sommes attachés à un service public d’intérêt national et, à cet égard, nous rejetons toute scission d’un service qui a toujours fonctionné de manière satisfaisante au nom de l’intérêt général.
Le rapprochement de la Société nationale des chemins de fer français et de Réseau ferré de France va dans la même direction que celui qui est souhaité par l’Allemagne. Un système national unifié répond beaucoup mieux à la notion de service public qui a toujours été retenue à propos de l’organisation ferroviaire.
C’est l’idéologie libérale qui veut le tronçonnement en plusieurs services et, dans le cas du ferroviaire, la scission entre le transport et l’exploitation du service.
En Europe, plusieurs services nationaux peuvent coexister, se coordonner, tout simplement vivre ensemble dans des conditions satisfaisantes.
Ceux qui font de l’idéologie, ce ne sont pas les partisans du service public, ce sont M. Barroso et la Commission européenne qui, d’une manière obstinée, veulent libéraliser et s’attaquer aux services qui expriment la solidarité et la cohésion à l’échelle des nations.
Le précédent gouvernement avait l’intention, malgré les conséquences désastreuses, d’accélérer la libéralisation en avançant la date d’ouverture à la concurrence du marché domestique de passagers.
Je suis heureuse de constater, monsieur le ministre, que vous avez choisi de ne pas précipiter la mise en place de cette directive afin de mieux préparer les entreprises de la filière.
Parce qu’un service public ferroviaire de qualité concourt à la défense de l’industrie européenne, une bonne maîtrise de la filière permettra de sauvegarder des industries telles que Alstom, Siemens, voire les filiales de Bombardier qui préservent notre savoir-faire et notre emploi.
D’ailleurs, vous avez procédé voilà quelques jours, dans le département du Nord, à l’installation du Comité stratégique de la filière ferroviaire.
Accompagné du ministre du redressement productif et de la ministre du commerce extérieur, vous avez à cette occasion confirmé votre stratégie de renforcement de la compétitivité des filières et de relance de la commande publique afin de structurer une véritable équipe de France du ferroviaire chargée de défendre les intérêts de notre industrie et de ses salariés.
Cette annonce conforte la filière ferroviaire, qui est l’un des facteurs clés du développement de la région Nord–Pas-de-Calais, qui se place actuellement au troisième rang mondial dans ce secteur, et qui est, au surplus, pionnière pour ce qui concerne le développement, sur son territoire, du transport ferroviaire.
Forte de plusieurs décennies d’expérience, notre région mesure l’importance des services publics ferroviaires dans l’aménagement du territoire et le développement économique local. En effet, le maintien de la qualité du service public des transports collectifs et l’amélioration du réseau ferroviaire sur tout le territoire régional sont des nécessités structurantes pour l’avenir économique de notre région.
Vous le savez, certaines parties de ce territoire sont plus touchées que d’autres par la détérioration des transports ferroviaires, notamment dans les zones rurales. Or il s’agit justement d’espaces qui subissent déjà de graves difficultés économiques et sociales.
Monsieur le ministre, je compte sur votre soutien et sur l’appui du Gouvernement tout entier pour mener à bien ce chantier capital : construire un service public de transports assurant l’égalité des citoyens et permettre un aménagement du territoire dynamique, de qualité et équilibré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Claude Bérit-Débat. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à indiquer à M. Mézard que j’ai conservé une copie des horaires de train pour aller jusqu’à Aurillac ! (Sourires.) Je répondrai à son intervention, non sans avoir au préalable remercié le Sénat d’avoir organisé ce débat sur le service public ferroviaire. Je songe en particulier au groupe CRC, qui en est à l’initiative. Enfin, je vous remercie, chère Mireille Schurch, des propos que vous avez prononcés.
Ce débat me permet, d’abord, de présenter les positions prises en la matière par le Gouvernement, depuis son entrée en fonctions, et les actions déjà mises en œuvre. Il me permet également de détailler quelques éléments d’actualité, notamment en apportant des précisions relatives au secteur ferroviaire, au niveau européen.
Ainsi, ce débat me permet d’entamer, avec le Parlement, une discussion que j’appelle de mes vœux. De fait, la réforme ferroviaire est en marche. Un certain nombre des orateurs qui se sont succédé à la tribune ont non seulement relevé mais salué cette transformation, eu égard aux avancées qui doivent en résulter.
Cette réforme repose sur des principes qui ont été énoncés. De plus, elle s’appuie sur une mission de concertation, actuellement en cours, et sur un débat parlementaire. Les discussions d’aujourd’hui en sont les prémices, et il se poursuivra, plus précisément, avec la discussion d’un projet de loi à la fin du semestre.
Les diverses interventions de ce débat ont été riches et source d’enseignements et d’engagements. Quelles que soient les positions exprimées, je retiens l’enjeu que représente le domaine ferroviaire, ainsi que la nécessité d’un engagement en la matière. Le ferroviaire constitue en effet une partie de notre patrimoine, au titre des structures industrielles comme de l’aménagement des territoires.
Nos territoires ont à la fois besoin d’une vision et d’une efficacité en termes de politiques publiques. À cet égard, la politique des transports doit faire sienne la volonté d’adapter les structures existantes, afin de répondre aux nombreux enjeux qui s’inscrivent dans nos territoires. Aujourd’hui, M. Mézard ne pourra pas me reprocher d’oublier l’importance de ces enjeux ! Je rappelle à ce titre combien le ministère de l’égalité des territoires comme mon propre ministère ont à cœur de répondre à un certain nombre de questions. Je reviendrai sur ce point.
Les différents orateurs l’ont rappelé : notre système ferroviaire ne peut pas continuer à fonctionner selon le modèle actuel. La qualité du service ne parvient pas à satisfaire l’ensemble de nos concitoyens ; on observe, de surcroît, une dégradation continue des équilibres économiques en la matière.
Ce constat a été dressé, notamment, par M. Le Cam : ce ne sont pas les hommes qui, aujourd’hui, sont mis en cause. M. Teston a du reste souligné l’efficacité de l’ensemble des acteurs du secteur. Nous connaissons l’engagement et le dévouement des cheminots, leur sens du service public.
Ce qui est en cause, c’est précisément un système qui atteint ses limites, et qui doit partant se rénover. Tel est l’enjeu de la réforme que je vous présenterai d’ici à quelques semaines : l’amélioration de la qualité de service, qui exige de transformer en profondeur notre système ferroviaire.
Roland Ries y a fait référence, comme d’autres, et je les en remercie : à l’occasion des soixante-quinze ans de la SNCF, j’ai annoncé les grands axes d’une réforme ferroviaire, qui fait actuellement l’objet d’une concertation poussée, menée par Jean-Louis Bianco, dont je tiens à saluer le travail remarquable. Ses préconisations seront bientôt rendues publiques et devraient être débattues. Je remercie également Jacques Auxiette d’avoir accepté de se pencher sur l’autre pan de cette réflexion, notamment pour ce qui concerne le rôle des collectivités dans notre organisation ferroviaire.
Au reste, plusieurs textes seront soumis au Parlement. Je songe notamment au projet de loi sur la décentralisation, auquel les uns et les autres ont fait allusion. M. Karoutchi a même considéré que l’Île-de-France méritait qu’une part importante de son discours à cette tribune y fasse référence et que l’on souligne l’intérêt des politiques régionales. La décentralisation sera un enjeu, et la répartition des rôles constituera une des réflexions de la politique et du volet « transports » de cette loi de décentralisation.
J’en viens à la réforme de la gouvernance ferroviaire. Il y a quelques instants, j’entendais MM. Karoutchi et Capo-Canellas m’indiquer combien le commissaire Siim Kallas exerçait une influence redoutable.
Monsieur Karoutchi, vous avez même fait du Kallas dans le texte, sans le texte ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) De fait, nous sommes précisément, moi-même et donc vous, confrontés au problème suivant : nous attendons encore le quatrième paquet ferroviaire. Ce dernier est encore en écriture. L’encre n’est pas sèche. Le texte est même, par endroits, appelé à être revu, raturé, révisé.
M. Roger Karoutchi. Si vous avez une gomme…
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Pour m’être longuement entretenu avec le commissaire Kallas, je peux vous affirmer que notre position est fidèle à la valeur sociale et quasi patrimoniale que représente, pour la France, l’organisation du ferroviaire. Mais elle doit également être équilibrée ; elle doit permettre à la France de prendre part au débat. Notre pays ne doit en aucun cas considérer qu’un texte qui ne vous est pas encore soumis, dont vous ne connaissez pas encore les lignes directrices et sur lesquelles nous avons des discussions qui évoluent avec le temps devrait figer la position nationale !
Je l’ai précisé voilà quelques instants, lors des questions d’actualité au Gouvernement. Certes, il était question de la pêche, mais je ne me dédouble pas selon les débats ! Ainsi, cher Vincent Placé, j’adopte la même approche, j’exprime la même volonté lorsque j’interviens, dans cet hémicycle, au titre de mes fonctions maritimes et lorsque je prends la parole, comme ministre des transports, au niveau européen : la France doit défendre sa vision, contribuer aux discussions, amender les textes proposés, faire bouger les lignes.
Monsieur Karoutchi, ce que vous nommez « l’alliance franco-allemande » aurait échoué. Mais à quel échec faites-vous allusion ? Et de quelle alliance parlez-vous ? Non ! La France a sa propre position, qui devra être déclinée.
Concomitamment à ce débat européen, du fait d’un hasard – et, en l’occurrence, d’un heureux hasard – une réforme indispensable est à l’étude en France dans le domaine ferroviaire. Les deux chantiers ne peuvent pas être dissociés : tant mieux ! Faisons en sorte que, parce que nous exprimons la volonté de moderniser notre système ferroviaire, nous puissions nous saisir de cet enjeu, de ce débat et de cette discussion européenne.
Quoi qu’il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en reviens à la réforme de la gouvernance ferroviaire, peut-être pour rassurer certains d’entre vous – la majorité d’entre vous, si j’ai bien compris – et pour exposer la vision du Gouvernement sur ce sujet.
Cette vision a été reprise et parfois même commentée, souvent pour affirmer qu’elle était euro-incompatible alors même que, comme je viens de le préciser, il ne peut pas y avoir d’euro-incompatibilité sur un texte qui n’a pas encore été soumis au débat au niveau européen ! Du reste, en France, notre propre projet de loi n’a pas été présenté au Parlement.
Pour l’heure, et c’est important car il y a un temps pour la concertation et un temps pour la discussion, il est nécessaire d’organiser les rencontres avec les principaux élus des différents territoires, dont les sénateurs font partie. Il faut donner sa chance aux discussions sur cet enjeu majeur pour nos territoires. À ce titre, je retiens les propos tenus et les engagements pris à cette tribune.
Il s’agit, pour nous, d’abord d’adopter une organisation qui, au-delà des dogmes et même des écoles, nous permette de satisfaire une ambition, à laquelle la plupart d’entre vous souscrivent : mieux répondre aux besoins des usagers et des entreprises.
À cette fin, j’ai annoncé la création d’un gestionnaire d’infrastructure unique, un GIU, qui assumera les fonctions aujourd’hui exercées par la Direction de la circulation ferroviaire – la DCF –, par SNCF Infra et par RFF, et qui sera rattaché à la SNCF au sein d’un pôle public.
Tels sont les bases et les principes qui seront soumis à la discussion parlementaire et à l’échange avec les partenaires sociaux.
Cher Roger Karoutchi, cher Vincent Capo-Canellas, sans la moindre obsession, vous affirmez que nous nous sommes inspirés d’une réforme que le précédent gouvernement s’apprêtait à engager, et qu’avaient préfigurée les Assises du ferroviaire, et que nous nous sommes fondés sur ces travaux pour les faire aboutir.
M. Roger Karoutchi. C’est bel et bien le cas !
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué. Sur ce point également, il me semble important de faire preuve de pédagogie et d’apporter des explications.
Au cours de votre intervention vous avez évoqué l’heureux rendez-vous des Assises ferroviaires, appelées à sauver « un système à bout de souffle ». Je suis tenté de terminer votre phrase en précisant que le gouvernement d’alors était lui-même à bout de souffle ! (M. Roger Karoutchi sourit.) En effet, en décembre 2011, il semblait difficile d’engager de grandes réformes. Certes, il était utile de mener de semblables réflexions, il est toujours passionnant de croiser nos analyses au sujet du ferroviaire. Toutefois, il s’agit, en l’occurrence, de réformer concrètement le système ferroviaire.
Il est regrettable que ce chantier ait pris tant de retard, avez-vous dit. Certes ! Mais au moins ce retard nous permet-il de garantir que la réforme, que nous allons engager, répondra aux enjeux d’efficacité. De fait, s’il y a un point sur lequel nous nous accordons, c’est sur la nécessité de simplifier et de réunifier le système existant, en mettant un terme à ce jeu de ping-pong entre la SNCF, SNCF Infra et RFF, tel qu’il existe actuellement. A contrario, il faut assurer une véritable intégration de la gestion des infrastructures, dans la perspective d’une optimisation des moyens.
Cela ne peut se faire en dehors de l’opérateur historique et sans l’existence d’un certain nombre de liens. Il faudra que nous déterminions, ensemble, l’intensité de ces derniers. Des règles existent, qui sont évidemment européennes.
Certains, quand j’ai pris les fonctions qui sont aujourd’hui les miennes, m’enjoignaient d’accélérer la libéralisation, me sommaient de forcer le pas, de libéraliser encore plus vite, dès 2014, alors même que nous n’avions pas encore réfléchi aux conséquences des règles européennes et des trois paquets ferroviaires précédents. De notre côté, nous exigions, avant tout, de faire le bilan de ce que la libéralisation du fret avait apporté.
Notre ambition, très volontariste, telle qu’elle s’exprime dans les conclusions du Grenelle de l’environnement, est de porter à 25 % la part du ferroviaire dans l’ensemble du transport de marchandises, et ce à court terme, à l’horizon 2022.
Or nous avons constaté, comme j’en faisais la réflexion à M. Siim Kallas, que la libéralisation, loin de permettre une augmentation de la part du fret, l’a au contraire diminuée. Je reviendrai sur les chiffres pour répondre précisément aux sénateurs, dont M. Gérard Le Cam, qui ont évoqué cette question en abordant l’ambition du développement du fret ferroviaire.
La création d’un GIU permettra de conférer à une même structure l’ensemble des instruments nécessaires à un pilotage efficace du réseau, en optimisant d’abord la réalisation des travaux, puis la gestion de la circulation, dont nous savons qu’elle est un enjeu majeur en termes d’efficacité.
Le rattachement à la SNCF doit permettre le développement d’une culture professionnelle, mais aussi la mise en commun des métiers et des savoir-faire indispensables au bon fonctionnement du système ferroviaire.
Encore faudra-t-il, comme je l’indiquais, que nous positionnions très précisément le curseur dans ce processus de rattachement. Plutôt qu’une séparation se traduisant nécessairement par une certaine forme d’isolement des acteurs, chacun dans sa sphère, fort de sa propre légitimité, juridique ou financière, nous favorisons une logique de travail en réseau permettant de rendre le système ferroviaire dans son ensemble bénéficiaire du processus.
Un certain nombre d’entre vous ont évoqué les aspects financiers de la réforme : on ne saurait les mésestimer, ni les dissimuler.
Précisément, la nécessité de mettre fin aux dérives financières constitue le deuxième axe, essentiel, de cette réforme.
Je rappelle que ces dérives se traduisent par une augmentation annuelle de la dette de plus de 1,5 milliard d’euros (M. Michel Teston acquiesce.), vous l’avez dit et répété, en particulier Roland Ries et Jean-Vincent Placé et je vois que Michel Teston approuve. Autant d’argent consacré non pas à la modernisation du réseau, mais au service d’une dette qui s’accroît et qui s’accumulera, avec des conséquences terribles, si nous ne bougeons pas les lignes en profondeur !
Il nous faudra d’abord mettre l’accent sur une meilleure priorisation des projets d’investissements et sur la mise en place de règles vertueuses, afin que, progressivement, le système ferroviaire retrouve un équilibre économique. Notre ambition, à ce stade, est au moins de stabiliser un dispositif dans lequel, aujourd’hui, la dette génère la dette, nous privant mécaniquement, automatiquement, de perspectives.
Il nous faut donc retrouver l’équilibre économique nécessaire pour assurer la pérennité du système ferroviaire. Cet effort de restauration nécessitera de repenser les fonctionnements et les organisations, pour qu’ils soient plus efficaces à un moindre coût.
Il nous faudra, en complément de cet effort, examiner les leviers que devront mobiliser tous les acteurs afin d’y contribuer.
Certains ont légitimement évoqué l’enjeu social. En effet, et c’est le troisième axe de la réforme, nous offrirons aux partenaires de la branche ferroviaire l’occasion de conclure un nouveau pacte social. Depuis l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, deux régimes distincts de durée du travail coexistent dans le secteur, entraînant des écarts importants, avec des conséquences non moins importantes, notamment sur l’organisation du travail.
Il ne s’agit pas de revenir sur le statut. Il faut, en revanche, que la SNCF puisse bénéficier des mêmes capacités en matière d’organisation du travail que les autres opérateurs. Il est donc nécessaire de mettre en place un cadre commun à toutes les entreprises de la branche ferroviaire. Elles sont aujourd’hui dix-huit, notamment dans le fret.
Compte tenu du nombre d’opérateurs ferroviaires, il est donc impératif de définir un nouveau cadre devant s’appliquer à tous afin de mettre la SNCF en situation de réussite économique.
Ce nouveau dispositif, intégrant le maintien tant du statut que de la protection sociale, sera fondé sur un décret pris en concertation avec les partenaires sociaux. Roland Ries affirmait que les partenaires sociaux n’étaient pas bloqués mais jouaient bien leur rôle de force de proposition. Pour les avoir déjà reçus, je peux vous dire qu’ils font preuve d’un grand sens des responsabilités.
J’attends beaucoup des discussions que nous aurons avec les partenaires sociaux, j’attends beaucoup de leur vision des choses et de l’enrichissement de la réflexion qu’elle nous permettra.
Ces rencontres permettront de préciser les principaux aspects de l’évolution du temps de travail au regard des exigences de la sécurité comme de la continuité du service public, deux questions qu’ils ont tous évoquées.
L’organisation du travail et l’aménagement du temps de travail relèveront d’une convention collective de branche à négocier par les partenaires sociaux et qui pourra être complétée par des accords d’entreprise.
Voilà donc les grands axes que je souhaite mettre en œuvre et qui font l’objet de la concertation pilotée par Jean-Louis Bianco.
Cette réforme définit également la position que la France défendra dans le futur débat européen relatif au quatrième paquet ferroviaire, qui devra permettre de bâtir une Europe du rail, de même qu’une Europe durable, dont bénéficieront le pôle public et l’industrie ferroviaire.
L’enjeu de l’industrie ferroviaire, sa structuration, ses emplois et l’ambition du Gouvernement à cet égard ont été évoqués par M. Jean-Jacques Filleul et Mme Delphine Bataille. Mais, si nous voulons soutenir nos industries ferroviaires, encore faut-il que nous disposions d’un système ferroviaire efficace qui offre des perspectives et de la lisibilité. Dans ce domaine, c’est aussi cela, le rôle de l’État stratège !
Alors, je négocierai avec la Commission, avec le commissaire Kallas, dont la parole ne saurait s’imposer !