PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume en ces jours de décembre, le texte qui nous est soumis témoigne de la réussite des travaux de la commission mixte paritaire.

La création de la Banque publique d’investissement ne peut cependant pas être considérée autrement que comme la première étape d’un long chemin. De fait, quelques avancées significatives ont été réalisées, qu’il s’agisse des objectifs et des finalités assignés à la BPI, de sa gouvernance ou encore des choix qu’elle sera amenée à opérer dans ses engagements et investissements, sans parler de la place particulière accordée aux problématiques du développement local et régional dans l’activité même de l’organisme, des questions sur lesquelles je ne reviendrai pas, puisque le rapporteur les a évoquées dans son intervention liminaire.

Toutefois, des questions importantes restent en suspens, alors même qu’elles avaient été traitées dans des amendements que nous avions défendus et qui n’ont pas – pas encore, dirai-je ! – été retenus.

La première question tout à fait fondamentale a trait à la manière dont vont collaborer, à l’avenir, des structures aussi différentes que le Fonds stratégique d’investissement, riche de ses soixante-deux collaborateurs, dont treize directeurs et vingt-cinq chargés d’affaires, et OSEO, un établissement de crédit employant 1 800 personnes et fournissant l’essentiel de la « force de frappe » du futur BPI-Groupe.

Nous avons, je dois le dire, quelques craintes de voir ces parties prenantes se placer dans des perspectives différentes, sinon divergentes. Il conviendra sans nul doute d’éviter que les initiatives des uns n’empiètent sur celles des autres.

Ainsi, on nous a récemment rappelé que, dès sa création, le FSI, le Fonds stratégique d’investissement, avait engagé 650 millions d’euros dans le capital de Valeo, peu de temps avant que le groupe équipementier automobile ne décide la mise en œuvre d’un plan social et que son PDG, une fois l’opération lancée, ne se retire de ses fonctions avec un parachute doré.

La deuxième question, tout aussi fondamentale, est relative au fait que BPI-Groupe n’ait pas la qualité d’établissement de crédit et que la BPI ne soit pas, de fait, une banque. Il faudra traiter ce point le plus vite possible.

Cette situation, dont nous avions souligné l’importance lors du débat général comme lors de l’examen des articles, a malheureusement d’ores et déjà trouvé écho dans la presse économique, une dépêche de L’AGEFI, publiée avant-hier, ayant relaté qu’OSEO aurait sans doute plus de mal qu’auparavant à se refinancer sur les marchés. Avec la note AAA de l’État en adossement, cet établissement aurait pu bénéficier d’un taux intéressant pour développer l’activité économique à partir de ses ressources.

Ce renchérissement potentiel des ressources que la BPI serait amenée à mobiliser dans le cadre de son activité rendrait inopérante une grande partie des mesures prévues dans le projet de loi, ce qui est dommage au regard des objectifs poursuivis et des priorités affichées. Aussi, je renouvelle notre inquiétude sur ce point.

S’il revient plus cher à une entreprise de financer la réduction de son empreinte environnementale avec le concours de la BPI plutôt que de continuer à polluer sans entraves, avec un financement bancaire banalisé, nous n’aurons pas avancé d’un pouce.

La question du refinancement de la BPI devra, selon nous, être rapidement traitée.

Enfin, si les ressources de la BPI sont relativement faibles, son impact sur le segment du crédit aux entreprises risque d’être marginal et ne sera pas de nature à modifier la donne.

J’ai cru comprendre, monsieur le ministre, que les ressources de la BPI risquaient d’être obérées par le préfinancement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Dès lors, nous pouvons craindre que les comités régionaux d’orientation n’aient pas suffisamment de moyens pour les diriger vers les choix définis dans le texte qui nous est proposé. Que pèsera la BPI si ses ressources bénéficient au CICE, dont le rythme de croisière se situerait aux alentours de 20 milliards d’euros ?

De plus, les ressources de la banque risquent de se retrouver captées par la seule région Île-de-France, où se trouvent le plus grand nombre d’entreprises éligibles au CICE.

Tout cela montre que la BPI ne saurait, en l’état actuel des choses, constituer la solution définitive et universelle à l’ensemble des questions posées par le renforcement de nos potentiels économiques, le développement de l’emploi et des qualifications ainsi que le recul des inégalités entre territoires. La BPI ne sera que ce que nous en ferons, et il m’apparaît clairement, au terme de ce débat, que les prochains échanges que nous aurons sur la réforme bancaire, le devenir de l’épargne réglementée et d’autres sujets faisant partie du même champ d’investigation seront – en tout cas, je l’espère ! – l’occasion de faire un premier point sur les avancées et les limites de ce texte, afin que nous puissions améliorer les conditions de financement et de fonctionnement de cette institution. (M. Joël Labbé applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou. (M. Joël Bourdin applaudit.)

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC veut mener une opposition constructive. Il attend du Gouvernement des mesures en faveur de la relance de notre économie. C’est donc sans préjugé négatif que nous avions abordé l’examen du projet de loi créant la BPI, car celui-ci portait sur le cœur de notre activité économique, formé par des entreprises très petites, petites, moyennes et de taille intermédiaire.

Représentant 97 % des sociétés françaises et créant 7 millions d’emplois, elles sont les acteurs majeurs, mais aussi les plus fragiles, de notre économie. C’est sur elles que reposent les espoirs de croissance, d’emploi et de compétitivité.

La France affronte une situation particulièrement paradoxale. Notre taux d’épargne est l’un des plus élevés des pays de l’OCDE : 16,3 % en moyenne depuis dix ans. Or nos entreprises peinent à se financer.

Comment parvenir à canaliser cette manne vers le financement de l’économie productive ? C’est un problème de structures et d’institutions qu’il faut résoudre.

La BPI se veut la plateforme de l’expansion des entreprises avec un guichet unique en région. Nous sommes d’accord sur ce point. Tout le monde reconnaît à quel point l’échelon régional est devenu stratégique dans le pilotage de la politique économique.

En revanche, pour le reste, nous ne pouvons qu’exprimer nos inquiétudes, comme l’a fait notre collègue Jean Arthuis lors de son explication de vote en première lecture.

Le texte issu des travaux de la CMP ne vient pas apaiser ces inquiétudes et laisse subsister de nombreuses interrogations.

Interrogation sur la création, par voie législative, d’une structure regroupant OSEO, CDC Entreprises et le FSI, trois organismes qui fonctionnent et qui ont déjà, pour ce qui concerne les deux premiers d’entre eux, des délégations régionales.

Interrogation quant à l’opportunité de rapprocher de cette nouvelle structure Ubifrance et les produits de la COFACE, dont la vocation première est d’accompagner nos entreprises à l’étranger et non de financer l’économie.

Interrogation sur le capital social. Le projet de loi de finances pour 2013 n’abondant pas le capital de la BPI, d’où viendront les liquidités ? S’il s’agit seulement de rassembler les mêmes enveloppes en changeant seulement la couleur du papier cadeau, il n’y a aucune plus-value à créer cette structure !

Interrogation sur l’effet des normes prudentielles, applicables aux structures privées, mais aussi publiques, sur les activités bancaires et de crédit.

Interrogation sur le regroupement sous la même direction d’activités et de métier différents, qui risque de donner lieu à des conflits d’influences. La Cour des comptes l’a d’ailleurs déconseillé ; cette fois encore, il faudrait l’écouter !

Interrogation, enfin, sur la présence d’élus au sein du conseil d’administration, surtout à l’échelon régional : elle n’est pas un gage de bonne gestion et porte en germe des conflits d’intérêts potentiels.

Monsieur le ministre, tels sont, pour l’essentiel, les doutes et les inquiétudes que nous inspire la genèse de la Banque publique d’investissement. Ces doutes sont liés à des failles majeures dans la gouvernance future de la BPI. Comment voulez-vous parvenir à un résultat probant avec une gouvernance pléthorique et percluse de conflits d’intérêts structurels ? Comment s’assurer de la crédibilité de la politique d’une institution qui inclinera naturellement à favoriser des projets déjà préfinancés par les régions ?

Nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas écouté nos propositions en matière de simplification de la gouvernance et de prévention des conflits d’intérêts.

Tous ces doutes et toutes ces failles nous ont conduits, en première lecture, à réviser notre position initiale ; ils nous empêchent, ce soir encore, de voter le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense que nous pourrions tous nous accorder sur l’objectif du présent projet de loi : la création d’une banque publique au service des entreprises, permettant à celles-ci de surmonter les difficultés qu’elles rencontrent pour se financer, innover, grandir et exporter.

Non seulement l’actuelle majorité a donné forme à ce projet, mais elle l’a doté de l’ambition véritable qui faisait défaut à l’esquisse conçue par Nicolas Sarkozy avant son départ. Il est d’ailleurs regrettable que les membres de l’opposition ne perçoivent plus avec la même acuité la nécessité d’un projet qui répond pourtant aux besoins et aux attentes des entreprises.

Le projet de loi étant relativement consensuel, la commission mixte paritaire, réunie le 13 décembre dernier, est parvenue à un accord sans difficulté majeure. Je me réjouis qu’elle ait retenu presque intégralement les modifications apportées au projet de loi par le Sénat ; par les temps qui courent, il faut le souligner !

Après que le projet de loi avait commencé d’être enrichi à l’Assemblée nationale, la Haute Assemblée lui a apporté des précisions utiles, corrigeant aussi certaines erreurs ou oublis parfois graves.

C’est ainsi qu’un amendement de notre rapporteur général, adopté en commission, a eu pour objet de rétablir, à juste titre, la présidence des comités régionaux d’orientation de la BPI par les présidents de conseil régional. Quant au rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, il avait fait évoluer la composition de la BPI en renforçant le poids des représentants des régions et des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. Fort heureusement, toutes ces avancées ont été retenues par les membres de la commission mixte paritaire.

Reste qu’associer les autres collectivités territoriales aux comités régionaux d’orientation, comme nous l’avions proposé en première lecture, n’aurait certainement pas été inutile.

Quant à la composition du comité national d’orientation, un amendement de nos collègues de l’opposition, adopté dans une version modifiée, a prévu que deux députés et deux sénateurs représentant la majorité et l’opposition, ou plutôt, selon les termes retenus, assurant « une représentation pluraliste », siégeraient au sein de cette instance. Cette disposition a également été conservée par la commission mixte paritaire. Je crains toutefois que deux sénateurs ne suffisent pas à représenter comme il se doit le pluralisme de la Haute Assemblée !

Les améliorations apportées par le Sénat à l’article 1er du projet de loi, qui définit les missions de la BPI, ont également été conservées. Je pense, notamment, au principe d’une coopération avec la Banque européenne d’investissement, issu d’un amendement de nos collègues du groupe CRC, et au rôle d’accompagnement confié à la BPI dans la phase d’amorçage des entreprises.

En définitive, le projet de loi relatif à la création de la BPI est ambitieux : il énonce de nombreux principes et confère à la future banque des missions véritablement à la hauteur des enjeux. Il reste maintenant à réussir la mise en place concrète et opérationnelle de la BPI. À cet égard, si les compétences reconnues d’OSEO devraient faciliter le processus, plusieurs questions continuent de se poser.

Tout d’abord, en ce qui concerne la mobilité des personnels, la BPI devant regrouper les services d’OSEO, du FSI et de CDC Entreprises, il importe que la transition prenne en compte les inquiétudes des agents, dont les compétences sont unanimement reconnues.

En outre, je tiens à insister une nouvelle fois sur le problème que mon collègue Jean-Pierre Plancade a souligné en première lecture : les très petites entreprises, les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, vers lesquelles, aux termes de l’article 1er du projet de loi, la BPI « oriente prioritairement son action », s’interrogent sur les outils concrets qui seront mis à leur disposition ; c’est le cas en particulier des TPE, les très petites entreprises, qui rencontrent des difficultés spécifiques.

Enfin, si le fameux guichet unique répond à l’ambition louable de réduire la complexité des dispositifs de soutien aux entreprises, il doit trouver une traduction concrète. En l’état, un certain nombre de questions organisationnelles restent en suspens.

Quoi qu’il en soit, nous pensons que la BPI sera un bon outil. Même si elle ne résoudra pas tous les problèmes d’un coup de baguette magique, sa création marquera une avancée incontestable vers le développement d’un tissu de PME et d’ETI solides et innovantes, dont l’absence actuelle explique en grande partie notre écart de compétitivité avec l’Allemagne.

La BPI aura notamment pour vocation de soutenir les entreprises pour des projets de moyen et de long terme : cette mission est très importante, au moment où les banques privées se concentrent de plus en plus sur les projets dont la rentabilité est assurée à court terme.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, comme en première lecture, la grande majorité des membres du groupe RDSE soutiendront la création de la Banque publique d’investissement. Nous y voyons un geste fort pour nos entreprises et pour nos industries, sans lesquelles rien n’est possible. Que ceux qui prônent encore une économie postindustrielle, alors que nous voyons bien aujourd’hui les affres dans lesquelles la désindustrialisation nous a plongés – un chômage et une pauvreté accrus – y réfléchissent un instant !

Par ailleurs, nous souhaitons que le Gouvernement intervienne vigoureusement auprès des banques pour que les investissements des collectivités territoriales puissent être financés le plus rapidement possible, car ils sont de nature à relancer l’activité de nombreuses entreprises sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention ne sera pas longue, dans la mesure où les sénateurs du groupe écologiste, comme en première lecture, sont particulièrement satisfaits par le présent projet de loi.

Nous estimons que le débat parlementaire a été fructueux et nous nous réjouissons que M. Moscovici se soit montré très à l’écoute des revendications écologistes visant à faire de la BPI un instrument au service des filières d’avenir, notamment de la transition écologique et énergétique. Nous saluons le travail accompli dans chacune des assemblées.

Selon l’opposition, dont c’est un argument récurrent, la future BPI risquerait d’être au cœur de conflits d’intérêts électoralistes, notamment à l’échelon régional, et de faire l’objet de pressions de la part d’élus désireux que soient soutenues des entreprises en difficulté présentes sur leur territoire. Je rappelle que la mission assignée à la BPI est claire : elle devra aider en priorité les entreprises innovantes dans les filières d’avenir, non pas être un fonds de secours aux entreprises en difficulté – bien que celles-ci doivent être soutenues.

Ce risque n’est pas à négliger ; d’ailleurs, il existe déjà pour d’autres institutions, que certains, à l’approche des scrutins, se font même une fierté auprès de leurs électeurs de parvenir à influencer... Une grande vigilance s’imposera donc et des rapports d’étapes précis sur le fonctionnement et les décisions de la BPI devront régulièrement être établis. En accordant un pouvoir important aux parlementaires et aux assemblées régionales dans la gouvernance de la BPI, le projet de loi permettra aux élus de jouer pleinement leur rôle de contrôle.

En définitive, je crois que nous avons abouti à un projet de loi amélioré et équilibré, qui marque une réelle avancée à plusieurs égards.

Tout d’abord, nous nous réjouissons que MM. Moscovici et Hamon soient attachés à la parité, comme les sénateurs du groupe écologiste.

Mme Michèle André. Et les socialistes !

Mme Françoise Laborde. Et les radicaux !

M. Joël Labbé. Comme tous les élus de notre assemblée ! (Sourires.)

La parité n’est pas un gadget, mais une réelle volonté politique à mettre en œuvre au fil des décisions.

Pour ce qui concerne l’écologie, M. Moscovici avait déjà enrichi le texte grâce aux travaux de l’Assemblée nationale. À son tour, le Sénat a confirmé la vocation écologique de la BPI, au service de la transition et des innovations que nous appelons de nos vœux. Ce résultat est très important pour toutes les PME et PMI qui veulent entreprendre dans le domaine du développement durable, qui est un secteur d’avenir.

S’agissant de la gouvernance de la BPI, nous avons eu soin de prévoir une instance dans laquelle seront représentés les actionnaires, les régions et les élus nationaux. Nous avons assuré le respect de la pluralité des opinions, comme le souhaitaient légitimement nos collègues de la droite. Nous avons aussi prévu d’associer à la gouvernance des représentants des personnels et de la société civile, ce qui est important.

Enfin, je crois que nous avons assuré une réelle égalité entre les territoires en incluant les zones rurales, les zones urbaines défavorisées et les outre-mer, mais aussi en incluant davantage les régions dans les instances de décision. La BPI doit être un outil ancré dans les territoires et dans l’économie réelle : nous avons pu constater que c’est autant la volonté des parlementaires que celle du Gouvernement !

Aussi, le groupe écologiste votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.

M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création de la Banque publique d’investissement, première des soixante propositions du projet présidentiel de François Hollande, n’advient pas dans un contexte anodin.

En effet, depuis la signature, le 16 décembre 2010, des accords de Bâle III, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de régulation du système bancaire mondial et, par conséquent, dans une nouvelle ère pour le financement de nos entreprises et de l’investissement. Les mesures prévues dans ces accords visent à accroître les liquidités des banques et à assurer un niveau minimal de fonds propres. Cela n’est pas sans conséquences pour notre économie et pour nos entreprises. Ces mesures induisent en effet un comportement conservateur de la part du système bancaire français et européen, qui ne peut satisfaire la demande de produits financiers des entreprises, et donc les besoins de financement liés aux investissements.

Cette situation est d’autant plus problématique que les États-Unis refusent toujours d’entériner lesdits accords, se livrant ainsi à un dumping bancaire qu’il est difficile de leur reprocher. Car il n’est nul besoin de pointer du doigt nos amis d’outre-Atlantique : ils ne font que maximiser leurs intérêts, conscients que la crise des subprimes est derrière nous et que les dangers potentiels pour nos économies ne sont plus exclusivement bancaires.

Le fait est que nous sommes aujourd’hui au cœur d’une double crise : crise de la dette et crise de la désindustrialisation. En d’autres termes, en plus d’avoir vu leur activité baisser en raison de la crise, nos entreprises connaissent une crise de leur financement, qu’il s’agisse d’abonder leurs fonds propres ou d’emprunter en vue de réaliser des investissements. C’est précisément à cette crise du financement des entreprises que la création de la Banque publique d’investissement est censée répondre.

Mes chers collègues, la question qui se pose est celle-ci : en quoi le dispositif proposé par le Gouvernement constitue-t-il une avancée par rapport à la situation présente ?

Les mécanismes actuels d’aide au financement des entreprises, que le Gouvernement est si pressé de voir disparaître ou d’absorber dans ce grand « machin » qu’est la Banque publique d’investissement, reposent sur une pluralité d’acteurs : OSEO, le Fonds stratégique d’investissement, CDC Entreprises, ainsi que le Médiateur du crédit, que l’on a trop souvent tendance à oublier, mais que les chefs d’entreprise, eux, n’oublient pas.

Or chacune de ces structures peut se targuer d’un bilan très positif.

D’abord, la division du travail opérée entre ces structures est cohérente – par exemple, l’activité de prêt pour OSEO, l’activité de financement en fonds propres pour CDC Entreprises –, de telle sorte que les entrepreneurs identifient immédiatement quel sera le meilleur interlocuteur, le plus adapté à la taille de leur entreprise, au secteur d’activité et, bien sûr, à la nature de la demande.

Chacun, indépendamment de son appartenance politique, reconnaissant les vertus de ces institutions, quelle critique est émise à l’encontre du dispositif ? Cette critique est exclusivement d’ordre quantitatif, et cela rejoint la réflexion antérieure sur l’incapacité des institutions bancaires à remplir leur rôle en raison des nouvelles règles de régulation.

En effet, ces différentes structures d’aide à l’investissement et à la constitution de fonds propres ne sont pas suffisantes pour couvrir l’ensemble du spectre des demandes de financement de nos entreprises.

En définitive, le projet de Banque publique d’investissement n’est pas forcément contre-productif, mais il ne répond pas à la question posée, à savoir celle des moyens d’action disponibles plutôt que celle de la méthode.

Dès lors, mettre sous tutelle des structures dont le comportement a été exemplaire et dont les résultats sont séparément irréprochables, alors que la structure mère n’aura pas un poids financier suffisamment important pour asseoir son autorité, peut être considéré comme un risque démesuré au regard des bénéfices escomptés. Je le répète, le problème ne tient pas tant à la méthode ou à l’articulation du dispositif qu’à son potentiel manque de capacités d’investissement.

Les opérateurs actuels sont, en effet, tout à fait capables d’utiliser avec discernement un surplus de capacités d’intervention, nous en avons la garantie. Au lieu de cela, monsieur le ministre, vous partez du postulat selon lequel le problème est d’ordre organisationnel et non financier, et qu’une simple refondation du dispositif suffira à combler les carences.

Pourtant, la future BPI sera un nouveau dinosaure dont la lourdeur s’ajoutera à une pyramide déjà impressionnante d’aides aux entreprises.

Plus qu’un réel établissement bancaire, ce sera un holding détenu à parité par l’État et la CDC, dont OSEO, par exemple, sera une filiale, une filiale qui possède déjà mille collaborateurs et trente-sept directions régionales !

Les PME, prétendument à soutenir, doivent être promises à la croissance, à l’innovation, aux capacités exportatrices et à d’autres critères imprécis : la BPI va donc se livrer à un travail de banquier qui se fera sur la base de critères théoriques, comme dans toute action étatique, et non sur la base des critères habituels propres aux banquiers.

Ce risque que vous prenez en regroupant diverses structures qui séparément fonctionnent parfaitement en une seule structure pharaonique, vous l’accentuez par le mode de gouvernance que vous avez prescrit.

En effet, décentraliser le dispositif semble être pour vous le moyen de lutter contre une certaine inertie, inhérente à la formation d’une structure de la sorte, les antennes régionales devant ainsi se rapprocher des cibles de votre mesure, les PME et les ETI.

Malheureusement, en confiant aux exécutifs locaux la responsabilité de ces structures, qui auront une sorte de toute-puissance dans nos régions, vous risquez d’induire des critères de sélection subjectifs dans la désignation des entreprises bénéficiaires des prêts et participations.

Cette forte implication régionale peut ouvrir la porte à toutes les intrigues : vingt et un présidents de région seront là pour distribuer souvent l’équivalent de subventions cachées. Il nous est promis que la BPI n’aidera pas de canards boiteux ; dont acte ! En attendant, les arbitrages appartiendront à des conseils régionaux qui, pour vingt et un sur vingt-deux, sont entre les mains d’élus socialistes. Nous avons en mémoire les exemples de la région Lorraine, qui a investi 21 millions d’euros sur un bimoteur, et de la région Poitou-Charentes, qui a investi 5 millions d’euros pour la reprise d’Heuliez,...

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est un procès d’intention !

M. Philippe Dominati. ... avec un objectif de mille unités par mois, alors qu’on en est finalement à quarante unités par mois ! Ce sont des exemples très frappants pour l’opinion publique.

Par conséquent, nous sommes en droit de nous interroger sur la possibilité de pressions nationales et locales qui pourraient modeler l’activité économique de la BPI. Certains conflits d’intérêts sont aussi à redouter.

Un autre problème se pose : la BPI pourra être à la fois actionnaire et prêteuse ; c’est un mélange des genres très dangereux pour une banque ! Les effets, inévitables, risquent d’être destructifs. Du côté de la puissance publique, les coûts de l’immense machinerie vont être gigantesques.

La bataille entre organismes concurrents sera sans pitié. Les délais d’examen des dossiers se surajouteront les uns aux autres. L’implication des régions sera un foyer de complications. Des bureaux devront imaginer les détails du parcours du combattant que devront effectuer les candidats.

Destinée à financer les entreprises de taille intermédiaire, la BPI pourra aussi prendre des participations dans le capital des entreprises. Cela laisse-t-il augurer une gestion efficace de l’argent public ? Non, si l’on se réfère au dernier bilan d’activité de l’État actionnaire. Entre l’été 2011 et l’été 2012, la valeur des sociétés cotées détenues par l’État a reculé de près de 13 %, quand le CAC 40 progressait de 5 %, soit un différentiel de près de 20 % ! Quant aux participations supérieures à 1 % que l’État détient dans une cinquantaine de groupes non cotés, les dividendes sont en recul de plusieurs milliards d’euros, selon un document annexé au budget pour 2013.

En conclusion, nous formons le vœu que la BPI ne soit pas un nouveau Crédit lyonnais. Le libéral que je suis prendra comme référence le leader du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui l’a baptisée la « Banque publique de l’incurie gouvernementale ».

Monsieur le ministre, pour l’ensemble de ces raisons, comme en première lecture, le groupe UMP votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)