M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Monsieur le sénateur, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, qui est retenu au conseil des ministres européens sur la pêche. Vous avez appelé son attention sur le projet de liaison fluviale à grand gabarit Saône-Moselle/Saône-Rhin, ainsi que sur le canal Seine-Nord Europe.
Le ministre des transports souhaite promouvoir la voie fluviale, car elle favorise le transport multimodal de marchandises et le développement durable des territoires, en dynamisant leur économie.
S’agissant plus particulièrement du projet de liaison fluviale à grand gabarit entre les bassins de la Saône et de la Moselle et les bassins de la Saône et du Rhin, il est hors norme, à la fois par ses enjeux et par son envergure. À ce stade, des études pré-fonctionnelles sont conduites par Voies navigables de France.
Permettez-moi maintenant de dire un mot sur les aspects financiers de cette opération, dont le coût est évalué dans une fourchette comprise entre 8,5 milliards d’euros et 11,5 milliards d’euros. Cette opération est inscrite dans le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT. Elle sera donc examinée, comme toutes les autres, dans les prochaines semaines par la commission composée de parlementaires et de personnalités qualifiées mise en place par M. Cuvillier afin de réexaminer le projet de SNIT.
Lorsqu’on fait l’addition du coût de toutes les opérations et des projets divers inscrits dans le SNIT préparé par le précédent gouvernement et devant être réalisés au cours des vingt-cinq prochaines années, on atteint le montant de 245 milliards d’euros. Or aucune priorité, aucune solution de financement ne sont précisées dans le SNIT.
Frédéric Cuvillier, de façon réaliste et pragmatique, a donc mis en place une mission chargée d’établir un diagnostic global sur la pertinence et la faisabilité de ce schéma, au vu de la situation actuelle et des perspectives de nos finances publiques. Il s’agit également de tenir compte de la priorité que le Gouvernement entend donner aux transports du quotidien et à la rénovation des réseaux existants.
Les conditions d’une saisine de la Commission nationale du débat public, à laquelle vous avez fait référence, pour le canal Saône-Moselle/Saône-Rhin seront précisées à l’issue des travaux de cette commission.
Quant au dossier du canal Seine-Nord Europe, contrairement aux annonces du précédent gouvernement, il n’était pas du tout bouclé du point de vue financier. Le coût global de l’opération ayant été sous-évalué et la capacité des partenaires privés à réunir les financements nécessaires étant tout à fait incertaine, Frédéric Cuvillier a demandé à une mission conjointe du Conseil général de l’environnement et du développement durable et de l’Inspection générale des finances de faire un bilan de situation de ce projet, d’en auditer les aspects financiers et de proposer les solutions possibles pour en permettre la réalisation. Ses conclusions sont attendues en début d’année prochaine.
Frédéric Cuvillier, je tiens à le dire ici, a affirmé sa volonté de tout mettre en œuvre afin de rendre ce projet viable et réalisable.
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que M. Cuvillier, de votre réponse. Celle-ci est pleine d’espoir. Toutefois, en tant que vieux routier du Parlement et de la voie navigable, je dois dire que j’ai déjà entendu nombre de paroles d’espoir, sur toutes les travées.
La voie navigable est délaissée en France alors qu’elle se développe dans tous les autres pays, en Europe et dans le monde. Elle continuera de l’être, parce qu’il faut aujourd'hui faire des économies budgétaires. Il y a toujours une bonne raison pour éviter la voie fluviale ! Je suis très déçu, car je considère qu’elle est l’un des principaux outils aujourd'hui de transport de fret. La voie fluviale, je le répète, est à la fois écologique, économique et durable.
situation inquiétante des industriels de l'alimentaire face à la flambée des matières premières
M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler, auteur de la question n° 198, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire.
Mme Esther Sittler. Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur la situation inquiétante des industriels du secteur alimentaire face à la flambée du coût des matières premières.
En raison de la hausse historique des prix des matières premières, notamment des œufs, du blé et du porc, ces industriels ont vu leurs faibles marges se dégrader depuis deux ans. En effet, les dispositions de la loi de modernisation de l’économie, la LME, ne permettant pas de renégocier les contrats avec la grande distribution en cours d’année, de nombreuses entreprises connaissent une très nette dégradation de leur trésorerie et de leurs fonds propres.
Ne conviendrait-il pas d’entamer très rapidement des discussions entre les différents acteurs de la filière agroalimentaire afin de remédier à cette situation de crise ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Je partage votre préoccupation sur la situation de nos PME, en particulier dans le secteur agro-alimentaire. Nous avons d’ores et déjà pris la mesure du problème et des difficultés qu’elles rencontrent et nous avons donc apporté des premières réponses fortes.
À cet égard, le pacte de compétitivité présenté par le Premier ministre est de nature à apporter une véritable bouffée d’oxygène aux entreprises qui sont dans les situations les plus vulnérables. De même, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi permettra de soutenir leurs efforts d’innovation, d’exportation et d’investissement. Les premiers résultats du pacte de compétitivité, qui sera mis en œuvre dès le 1er janvier prochain, se feront sentir rapidement.
Toutefois, le secteur de l’agro-alimentaire se trouve dans une situation spécifique. Nous traitons également ses difficultés et recherchons des solutions.
Pourquoi, quelques années après l’entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie, son bilan n’est-il pas satisfaisant ? Telle est finalement la question que vous posez, madame la sénatrice.
En fait, chacun le constate, nos PME sont prises en étau aujourd'hui entre la hausse du prix des matières premières, qui renchérit les coûts de production, et leur incapacité à répercuter cette hausse dans les prix pratiqués par la grande distribution. Certaines d’entre elles sont donc véritablement dans une situation très difficile.
Toutefois, nous agissons. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, et moi-même avons réuni au ministère, le 21 novembre dernier, l’ensemble des acteurs concernés par l’application de la LME – les producteurs, les transformateurs, mais aussi la grande distribution – afin d’aboutir à un nouvel équilibre entre chacun des maillons de cette chaîne et de faire en sorte que tous puissent s’y retrouver, vivre de leur travail et dégager les marges nécessaires pour avancer, investir et exporter.
Une table ronde a été organisée en présence de M. Benoît Hamon et trois groupes de travail ont été constitués, lesquels sont d’ores et déjà à l’œuvre, afin de concevoir et de proposer les ajustements et les modifications nécessaires à une bonne application de la LME.
Ces modifications pourraient être de nature législative. Comme vous le savez, Stéphane Le Foll, Benoît Hamon – pour le volet consommation –, et moi-même préparons pour la seconde partie de l’année une loi d’avenir pour l’agriculture. Le cas échéant, nous pourrions également procéder aux ajustements qui s’imposent par voie réglementaire. Enfin, nous n’éviterons pas les accords contractuels, afin que les différents maillons de la chaîne soient plus efficaces et plus respectueux des nécessités et des contraintes qui s’imposent aux uns et aux autres. Nous avons une exigence : garantir de la stabilité, bien sûr, mais aussi de la visibilité à nos PME. C’est très important pour que celles-ci retrouvent des marges de manœuvre.
Enfin, les PME de certaines filières, notamment l’aviaire et la porcine, rencontrent des problèmes très urgents. Stéphane Le Foll et moi-même avons donc demandé à Alain Berger, délégué interministériel à l’agro-alimentaire, de nous faire des propositions avant la fin de l’hiver afin de répondre aux besoins et aux difficultés criantes des PME dans ces secteurs.
Faire face à l’urgence, ouvrir des perspectives, promouvoir la concertation tout en agissant sans tarder, voilà le sens du travail que le Gouvernement entend mener. Madame la sénatrice, je ne doute pas que vous nous accompagnerez dans cette voie, qui est celle de l’intérêt général.
M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler.
Mme Esther Sittler. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le ministre.
Je vous souhaite de tout cœur de réussir dans votre action. Il y a urgence, car nos PME souffrent. Face à la grande distribution, la négociation est difficile. J’espère que vous en avez pris la juste mesure.
Certes, la loi de modernisation de l’économie a été votée. Toutefois, vous le savez, en France certaines entreprises ou certaines personnes trouvent toujours un moyen pour contourner la loi ou, du moins, pour ne pas l’appliquer dans le sens voulu par le législateur.
Il y a urgence, je le répète. Nos producteurs ont besoin de prix corrects pour vivre, et nos PME, qui transforment leurs produits, ont besoin de dégager une marge pour assurer leur survie. Ils tentent de faire face à la grande distribution. Vous le voyez, c’est un vaste chantier, monsieur le ministre.
Je vous remercie, encore une fois, de votre intervention. Néanmoins, il faut transformer ces paroles en des projets concrets, indispensables à la survie des PME agroalimentaires.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
impact sur les collectivités territoriales de la réorganisation du temps scolaire
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry, auteur de la question n° 223, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos ne doit pas laisser penser que je ne partagerais pas la conviction de tous les élus de France, pour qui l’enfant, et l’école, doivent être considérés comme l’une des premières priorités – sinon la première – de nos politiques publiques.
Cela dit, les annonces du Gouvernement relatives à la réorganisation du temps scolaire suscitent beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations, en raison de l’impact prévisible que cette réforme entraînera sur l’administration des collectivités territoriales.
Tout d’abord, l’obligation d’accueil de tous les enfants scolarisés en primaire jusqu’à seize heures trente, voire dix-sept heures, alors que le nombre quotidien d’heures de cours sera limité à cinq, requerra une organisation spéciale des activités périscolaires, à la charge des collectivités territoriales.
Ensuite, la mise en place d’une semaine de quatre jours et demi à l’école primaire aura des incidences non négligeables sur le coût des transports scolaires. Ces frais supplémentaires, financés pour l’essentiel par les départements, créeront inévitablement une inégalité de traitement entre les territoires, au préjudice de ceux dont les distances entre domicile et école sont les plus importantes.
Enfin, l’allongement d’une à deux semaines de la durée de l’année scolaire aura des répercussions sur le coût des services périscolaires. Je pense notamment aux transports et à la restauration scolaires, à la garderie périscolaire, ainsi qu’à la surveillance et à la sécurité aux abords des groupes scolaires.
Même si, encore une fois, les élus des collectivités adhèrent très majoritairement au principe d’une meilleure organisation des temps éducatifs de l’enfant, ils demeurent préoccupés par les incidences financières de la réforme sur les budgets locaux, d’autant que la nature des activités organisées hors temps scolaires, les statuts des intervenants, ou encore les normes d’encadrement ne sont, à ce jour, pas définis.
Au-delà de la question du financement de ces mesures, la mobilisation des ressources humaines entraînera des difficultés dans les plus petites communes, rurales et de montagne, dépourvues de personnels compétents, et ne disposant pas de structures sportives et culturelles pour accueillir les écoliers après le temps scolaire.
Dans ces conditions, pourriez-vous m’indiquer, monsieur le ministre, si le Gouvernement a procédé à une étude d’impact des mesures projetées sur l’administration des collectivités territoriales, en matière de moyens tant humains que financiers ?
Quelles sont les dispositions envisagées pour que cette réforme des rythmes scolaires n’induise pas des inégalités excessives entre les élèves scolarisés dans les communes disposant de moyens suffisants et ceux qui sont accueillis dans des communes qui ne seront pas en mesure de leur offrir un niveau d’encadrement équivalent ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir rappelé un objectif auquel nous souscrivons tous, quelle que soit notre tendance politique : le nécessaire retour à la semaine de quatre jours et demi de classe.
Je vous le rappelle, voilà seulement quatre ans que la semaine de quatre jours a été mise en place. Elle cause un préjudice extrêmement grave aux enfants de notre pays et nous place dans une situation unique en Europe. Elle est la manifestation, je dois le dire, d’une forme d’abandon de notre jeunesse. Elle est au cœur de nos préoccupations pour la France. Le constat tiré, semaine après semaine – la semaine dernière encore –, est terrible. Des évaluations internationales montrent à quel point la France est en situation difficile en matière d’apprentissages fondamentaux, inculqués à l’école primaire.
Il faut donc revenir à 180 jours de classe par an, au lieu de 144. Cela suppose un retour à la situation prévalant en 2008, ce qui ne semble pas impossible.
Je tiens également à vous dire, monsieur le sénateur, que vous avez raison : les budgets sont contraints. Nous avons tous des choix à faire. L’État a défini les siens. Ainsi, lorsque nous choisissons, dans la situation budgétaire qui est la nôtre, de donner la priorité aux élèves et aux enfants de France, cela coûte, vous l’aurez observé, un certain nombre de postes à d’autres ministères, sans que cela remette en cause l’objectif de maîtrise des finances publiques. Gouverner, c’est aussi choisir, à l’échelle nationale comme à l’échelle locale.
J’en viens plus précisément à la question que vous posez, monsieur le sénateur. Nous avons reçu l’ensemble des associations d’élus. Désireuses de bien faire, elles peuvent avoir besoin d’être aidées ; la dernière partie de votre question en témoigne également. Pour cette raison, le Président de la République a souhaité la création d’un fonds d’amorçage, dont il a évalué la dotation à 250 millions d’euros.
Le Premier ministre, qui a, lui aussi, rencontré toutes les associations d’élus, fera connaître ses arbitrages dans les quarante-huit heures à venir. Ils se feront dans le souci d’attribuer à chaque commune ce que l’on pourrait appeler une « part universelle », tout en accordant une attention scrupuleuse aux communes, urbaines comme rurales, qui éprouvent des difficultés particulières et qui ont donc besoin d’un supplément d’aide pour articuler les temps scolaire et éducatif de manière satisfaisante.
Ces arbitrages seront rendus dans les jours qui viennent, après une consultation de l’ensemble des élus. Ils garantiront que cette réforme, que tout le monde souhaite mais que personne n’a voulu faire, ce qui fut préjudiciable aux enfants, puisse être mise en œuvre obligatoirement au début de l’année 2013, même si des dérogations seront possibles jusqu’en 2014. À cette date, cependant, tous les enfants de France auront des semaines de classe de quatre jours et demi. C’est leur intérêt et celui de la France.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos explications et des perspectives que vous ouvrez.
Je veux simplement souligner un point : le fonds annoncé par le Président de la République est une dotation dont les effets seront limités dans le temps, alors que les dépenses seront permanentes, surtout pour les collectivités les moins riches. C’est un souci que je partage avec les élus, que l’annonce d’une réduction des dotations de l’État aux collectivités territoriales pour les trois années à venir ne vient pas apaiser.
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que la situation puisse susciter des interrogations. Les élus ont besoin d’avoir des garanties, surtout à un moment où il est de bon ton de mettre les collectivités territoriales sur la sellette et de considérer que la nécessaire réduction de la dépense publique doit commencer par elles.
Je tiens également à souligner que la perspective de la scolarisation à partir de deux ans peut aussi accroître les charges des collectivités.
Je souhaite que le Gouvernement veille à inclure ces questions au sein des projets de loi sur l’école et sur les collectivités territoriales, dont on nous annonce l’examen prochain. Il faudrait également les intégrer à la réflexion sur le numérique à l’école. En effet, nous ne voudrions pas que cet enjeu majeur puisse être un facteur supplémentaire de déséquilibre et de rupture de l’égalité des chances, entre, pour faire simple, les jeunes issus des centres urbains et ceux qui sont implantés dans des secteurs plus éloignés, où, nous le savons, le réseau numérique aura plus de difficultés à parvenir.
conséquences de la prescription quinquennale pour les victimes de l’amiante ayant subi un préjudice d’anxiété
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 156, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis des années, les victimes de l’amiante et leurs familles, soutenues par leurs associations et les syndicats, mènent un combat exemplaire face au drame de santé publique qui les touche et qui coûte la vie à plus de dix personnes par jour dans notre pays.
Dans ce combat, qui revêt une dimension sociale aussi bien que juridique, elles ont obtenu, par un arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mai 2010, le droit à une indemnisation financière, devant être versée par leurs anciens employeurs, au titre de la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété.
Le préjudice d’anxiété recouvre ainsi la « situation d’inquiétude permanente » éprouvée par toutes les personnes qui ont travaillé au contact de l’amiante, sans que la maladie se soit encore déclarée, dans les entreprises figurant sur une liste fixée par arrêté, leur donnant droit au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA.
Pour les salariés, le préjudice d’anxiété se manifeste par la crainte d’avoir dans les poumons des fibres d’amiante dormantes, qui peuvent causer des maladies graves. Ces salariés vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Or, si rien n’est fait très prochainement, le rideau va se rabattre sur la reconnaissance de la réparation du préjudice d’anxiété : sous l’effet de la loi du 17 juin 2008 instaurant une prescription de principe de cinq ans en matière civile, la porte de nos tribunaux va se fermer, le 17 juin prochain, pour tous les salariés de l’amiante qui ont quitté leur entreprise depuis plus de cinq ans, soit la quasi-totalité d’entre eux.
Ainsi les industriels de l’amiante vont-ils une fois de plus passer entre les mailles du filet judiciaire, alors que leur procès pénal se fait attendre depuis seize ans.
Pourtant, selon le rapport annuel de 2011 de la Cour de cassation, la reconnaissance de ce préjudice et son indemnisation, accordée par les juridictions prud’homales et financée par les employeurs fautifs, vont dans le sens d’une amélioration de la prévention et de la sécurité au travail, ce dont l’ensemble des acteurs sociaux et professionnels, ainsi que l’État, devraient se féliciter. Cela peut permettre de faire de réelles économies à notre protection sociale, grâce à la raréfaction des pathologies professionnelles.
Maintenir la prescription pour l’anxiété reviendrait à remettre une nouvelle fois en cause, par la loi, des décisions des cours d’appel, de la chambre sociale de la Cour de cassation, ainsi que l’analyse de l’étude publiée dans ce même rapport, pourtant si importante pour la prévention et la réparation des préjudices subis par les personnes concernées.
C’est pourquoi il me semble nécessaire de modifier la loi du 17 juin 2008, en lui ajoutant une dérogation pour tout ce qui concerne les questions d’anxiété au travail ou découlant du travail de la contamination par l’amiante en particulier.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale. Madame la sénatrice, vous me permettrez de vous répondre au nom de ma collègue Christiane Taubira, retenue à l’Assemblée nationale pour un débat.
Mme la garde des sceaux est particulièrement sensible à la nécessité d’apporter une réponse efficace aux demandes légitimes des victimes du drame de l’amiante, non seulement celles qui ont développé des pathologies, mais aussi celles qui vivent aujourd’hui dans la crainte permanente d’être atteintes d’une maladie liée à l’amiante encore non déclarée.
Le préjudice d’anxiété dont elles peuvent de ce fait souffrir est, vous le savez, réparable depuis les arrêts du 11 mai 2010 de la chambre sociale de la Cour de cassation.
Vous vous inquiétez du sort des victimes au regard des règles de prescription applicables depuis la réforme intervenue en cette matière en 2008, et vous souhaitez qu’une dérogation en faveur de celles-ci soit introduite. Après examen, il ne semble pas nécessaire de s’engager dans cette voie, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, il convient de le rappeler, lorsque le préjudice d’anxiété est la conséquence d’une pathologie déclarée, le délai de prescription de l’action en réparation de ce préjudice est non pas de cinq ans, mais de dix ans, en application de l’article 2226 du code civil, issu de la réforme du droit de la prescription introduite en 2008.
Le point de départ de ce délai étant la date de la consolidation du dommage, en pratique, l’action de la victime pourra, dans bien des cas, être engagée plus de dix ans après l’apparition de la pathologie.
Deuxièmement, il est vrai, en revanche, que lorsque ce préjudice d’anxiété n’est pas la conséquence d’une pathologie déclarée, la prescription décennale applicable aux demandes d’indemnisation des dommages corporels ne peut pas jouer. L’action en réparation de ce préjudice est alors soumise à la prescription quinquennale de droit commun, introduite par la loi du 17 juin 2008.
Lorsque l’ancienne prescription de droit commun de trente ans n’est pas acquise, ce nouveau délai de prescription de cinq ans court à compter de l’entrée en vigueur de la loi.
Troisièmement, on ne peut toutefois considérer que l’ensemble des actions en réparation de ce préjudice d’anxiété seront prescrites à compter du 17 juin 2013, sans préjuger des décisions qui pourraient être rendues à l’avenir.
En effet, selon l’article 2224 du code civil, les actions ne se prescrivent qu’« à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Le juge a un large pouvoir pour apprécier le point de départ du délai de prescription et, en l’espèce, pour déterminer le jour où le titulaire d’un droit était à même d’agir.
Ainsi, le juge devra apprécier, au cas par cas, en fonction des éléments produits aux débats et de la situation individuelle de chacune des victimes, la date à retenir pour faire courir ce délai de prescription, en envisageant également les faits qui seraient susceptibles d’interrompre ou de suspendre la prescription, ou d’en reporter le point de départ.
C'est la raison pour laquelle il n’apparaît pas nécessaire de prévoir une règle dérogatoire au bénéfice des victimes de l’amiante ayant subi un préjudice d’anxiété. Il paraît en revanche essentiel de veiller à l’information des personnes concernées, pour qu’elles soient en mesure de faire pleinement valoir leurs droits dans les meilleurs délais. C’est ce à quoi le Gouvernement s’attachera.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Je remercie M. le ministre et, par son intermédiaire, Mme la garde des sceaux de cette réponse extrêmement détaillée et argumentée, que je vais examiner avec beaucoup d’attention en compagnie des associations, afin de voir si elle est de nature à apaiser leurs craintes.
dotation compensatoire aux communes liée à l'établissement des passeports biométriques
M. le président. La parole est à M. Michel Houel, auteur de la question n° 253, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Michel Houel. Monsieur le ministre, conformément à la réglementation européenne, depuis la fin du mois de juin 2009, quelque 2 074 communes délivrent au public les passeports biométriques.
Ainsi, 3 506 stations d’enregistrement ont été installées dans les mairies concernées, celles qui se sont engagées dans ce nouveau service au public.
Trois ans plus tard, ces communes constatent une montée en puissance des demandes et déplorent l’insuffisance de la dotation annuelle de compensation attribuée par l’État.
Par exemple, dans ma commune, 1 500 passeports ont été réalisés en 2011, sachant qu’il faut en moyenne une demi-heure pour enregistrer la demande et dix minutes pour délivrer le document. La dotation de l’État ne s’élève depuis 2010 – elle est restée constante – qu’à 5 030 euros par an et par station en fonctionnement dans la commune. Ce montant ne couvre donc pas le coût réel de ces stations.
Nous savons également que cette offre de service va prochainement s’accroître avec la création de la carte nationale d’identité électronique.
Par conséquent, monsieur le ministre, j’aimerais savoir quelles mesures vous comptez mettre en place pour améliorer l’indemnisation des communes. Celle-ci a aujourd'hui un caractère forfaitaire. Ne pourrait-elle pas être remplacée par une indemnisation au prorata des titres délivrés ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les dotations accordées aux communes pour la délivrance des passeports biométriques.
Comme vous l’avez souligné, le principe du versement d’une indemnité forfaitaire annuelle par station d’accueil et d’enregistrement des demandes de passeport biométrique aux communes volontaires est acquis depuis le lancement du projet. Il s’agit d’une indemnité, et non de la compensation financière d’un transfert de compétence. Cette indemnité est liée au traitement des demandes de titres présentées par les usagers extérieurs à la commune d’implantation.
La loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 a ainsi créé une dotation annuelle de fonctionnement, appelée « dotation pour les titres sécurisés », en faveur des communes équipées d’une ou plusieurs stations d’enregistrement des demandes de passeports. Son montant a été fixé à 5 000 euros par an et par station en fonctionnement dans la commune au 1er janvier de l’année 2009.
Pour 2013, le montant de cette indemnité annuelle forfaitaire a été fixé à 5 030 euros par station.
Les audits réalisés en 2010, à la fois par l’Inspection générale de l’administration et par la Cour des comptes, qui a été saisie par le Sénat, ont établi que les communes bénéficiaient collectivement d’une indemnité moyenne par demande supérieure aux coûts de traitement. Ainsi, en 2009, les communes équipées ont reçu, en moyenne, 25 euros pour les demandes des non-résidents, pour un coût brut de l’ordre de 16 euros par titre. Cependant, sur les 2 079 communes équipées, 69 avaient une charge supérieure à l’indemnisation.
Ce sujet a été abordé lors des réunions organisées avec l’Association des maires de France, dans le cadre de la préparation de la mise en place de la carte nationale d’identité électronique, à laquelle vous avez fait allusion. Tirant les conclusions de ces réunions de travail, le rapport de l’Inspection générale de l’administration de juin 2011 a envisagé différents nouveaux modes de calcul de la dotation pour les non-résidents.
Compte tenu de la décision du 22 mars 2012 du Conseil constitutionnel sur le projet de loi relatif à la protection de l’identité, le Gouvernement souhaite – j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet – qu’une étude soit menée afin de déterminer s’il y a lieu de reprendre le processus législatif. Il a donc missionné au mois de novembre dernier l’Inspection générale de l’administration, en lui demandant de rendre son rapport sous quatre mois.
En conséquence, dans l’attente de la reprise éventuelle d’un nouveau dispositif législatif relatif à la carte d’identité électronique, les modalités actuelles d’indemnisation des communes volontaires participant à la délivrance des passeports biométriques ne devraient pas être modifiées.