Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Pourtant, cela existe !
M. Pierre-Yves Collombat. Quelle justice y a-t-il à faire supporter par les seuls ménages cette solidarité contrainte ? Car, faute d’une prise en charge du risque dépendance par un dispositif de financement largement partagé, c’est bien de cela qu’il s’agit. Actuellement, c’est sur l’augmentation de la taxe foncière sur les propriétés bâties, seul levier fiscal dont disposent les départements, que repose l’équilibre du système. Si vous trouvez cela juste, vous nous l’expliquerez !
Toute la question est là : soit on met en place dans les mois qui viennent un dispositif de financement du risque dépendance assis sur l’ensemble des contribuables – la tentative en fut deux fois différée sous le précédent quinquennat –, soit on se limite à des dispositions qui, pour être jugées partielles, n’en ont pas moins le mérite de répondre à l’urgence.
La présente proposition de loi est examinée après une autre, déposée en 2010 par le RDSE conjointement avec les groupes socialistes et CRC, d’intérêt plus général, puisqu’elle était relative à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements. L’objet du texte que je vous présente aujourd'hui est, vous l’avez compris, d’apporter une réponse immédiate à un problème immédiat.
Il est certainement perfectible, s’agissant en particulier de la définition du seuil d’exonération, bien que la somme de 150 000 euros soit supérieure au niveau du patrimoine moyen détenu au cours de la dernière partie de la vie, évalué à 148 000 euros, comme le rappelait récemment le ministre délégué chargé du budget. Si de meilleures solutions existent, nous en sommes preneurs, mais à la condition de nous dire quand, de bonnes intentions, elles deviendront réalité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jacques Mézard et les membres du groupe du RDSE que nous examinons aujourd’hui vise à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie sur les patrimoines supérieurs à 150 000 euros.
Il s’agit là d’un sujet complexe sur lequel la Haute Assemblée a eu l’occasion de se pencher à plusieurs reprises au cours de ces dernières années.
En première analyse, deux arguments pourraient justifier la mise en place d’un dispositif de recouvrement sur la succession des bénéficiaires de l’APA.
Tout d’abord, la situation financière des conseils généraux, et cela a été évoqué à l’instant.
Elle est aujourd’hui telle que leur capacité à continuer de verser la prestation dans des conditions satisfaisantes paraît obscurcie à plus ou moins long terme.
Je ne rappellerai pas les chiffres relatifs à la progression des dépenses réalisées au titre de l’APA depuis sa création et à celle de la charge nette qui pèse sur les départements, nous les connaissons malheureusement trop bien. Reste que si le principe d’un partage égal du financement de l’APA entre l’État et les départements qui, il est vrai, n’a jamais été inscrit dans la loi, était aujourd’hui respecté, la CNSA devrait compléter le montant de son concours actuel à hauteur d’environ un milliard d’euros.
Le second argument relève davantage de la justice sociale. L’APA est une prestation ouverte à l’ensemble des personnes en situation de perte d’autonomie. Ne serait-il pas plus équitable, au-delà des dispositifs de ticket modérateur déjà existants, de faire davantage participer au financement de la prestation les bénéficiaires dont les capacités contributives, appréciées par le biais du montant de leur patrimoine, sont les plus élevées ?
Ces arguments sont légitimes et ils doivent être entendus. Mais la commission des affaires sociales a estimé que la réponse apportée dans la proposition de loi n’était pas adaptée. Quatre raisons principales justifient cette position.
En premier lieu, le texte proposé n’apporte qu’une réponse partielle et prématurée à la question du financement de la perte d’autonomie.
Nous avons l’assurance, et Mme la ministre nous apportera certainement des précisions sur ce point, qu’un projet de loi sera prochainement présenté sur le sujet. C’est dans le cadre de ce texte global, qui a vocation à s’articuler autour des trois volets que sont la prévention, l’adaptation et l’accompagnement, que pourra alors être étudiée la question d’une meilleure prise en compte du patrimoine des bénéficiaires dans le financement de l’APA et d’un partage plus équilibré des charges entre l’État et les départements.
Adopter dès à présent une mesure partielle et isolée risquerait, à mon sens, d’obérer les débats que nous aurons prochainement et qui doivent permettre une confrontation ouverte et équitable de l’ensemble des solutions envisageables pour le financement de la perte d’autonomie.
Nombreux sont les travaux qui ont déjà été menés. Plusieurs d’entre eux ont étudié la piste du recouvrement sur succession avant de la rejeter. C’est notamment le cas du rapport effectué dans le cadre de la préparation du débat national sur la dépendance par le groupe de travail relatif à la stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées ou du rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la dépendance des personnes âgées, tous deux publiés au mois de juin 2011.
En revanche, d’autres pistes de financement, que nous pourrons étudier le moment venu, ont été envisagées. Je pense notamment à la mise en place d’un prélèvement général, mais à un taux limité, sur l’ensemble des mutations à titre gratuit, ainsi qu’à l’alignement progressif du taux de CSG applicable aux pensions de retraite sur le taux de droit commun.
En deuxième lieu, la mise en place d’un recouvrement sur succession pose certaines questions de principe qui mettent en cause les fondements mêmes de l’APA.
Historiquement, les dispositifs de recours sur le patrimoine, tout comme l’obligation alimentaire, découlent du caractère subsidiaire des prestations d’aide sociale par rapport à l’exercice de la solidarité familiale.
Je pense ainsi à l’aide sociale à l’hébergement, l’ASH, dont l’objet est de couvrir une partie du tarif hébergement pour les personnes âgées dépendantes prises en charge en établissement, qui est soumise à la fois à l’obligation alimentaire et à la récupération sur succession dès le premier euro.
L’APA diverge cependant des dispositifs d’aide sociale classiques. Il s’agit, et il est bon de le rappeler, d’une prestation universelle destinée à la couverture d’un risque identifié : la dépendance. En ce sens, la couverture du risque dépendance par l’APA se rapproche de celle du risque maladie.
Dès lors que la perte d’autonomie, tout comme la maladie, constitue un risque auquel sont potentiellement confrontées l’ensemble des personnes en situation de vieillissement, introduire un dispositif de recours sur le patrimoine pour le seul risque dépendance revient à créer une iniquité entre les individus selon les pathologies dont ils souffriront à la fin de leur vie.
Personne ne songerait à prélever sur le patrimoine d’un patient les dépenses d’assurance maladie correspondant au traitement d’un cancer. Pourquoi envisager une telle solution pour la prise en charge spécifique de la situation de dépendance d’une personne confrontée à la maladie d’Alzheimer ?
En outre, si l’APA est une prestation universelle, les ressources de la personne dépendante, notamment son patrimoine dormant, sont d’ores et déjà prises en compte dans la définition des plans d’aide. Le dispositif est certainement perfectible. Mais une appréciation plus fine de la capacité contributive de chaque bénéficiaire doit avant tout passer par la révision des modes de calcul des tickets modérateurs plutôt que par la mise en place d’un recouvrement sur succession.
Il est parfois avancé que la récupération sur succession constitue un moyen de responsabiliser les familles, d’éviter une forme de désengagement qui devrait être ensuite supportée par la puissance publique. J’incline à penser tout le contraire. L’implication des aidants auprès des bénéficiaires de l’APA est aujourd’hui considérable et contribue pour beaucoup au maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. Réintroduire un mécanisme de recouvrement sur succession constituerait un très mauvais signal envoyé aux familles des bénéficiaires en faisant peser sur elles une charge démesurée.
En troisième lieu, instaurer le recouvrement sur succession risque d’évincer un nombre non négligeable de bénéficiaires potentiels de l’APA. En effet, plutôt que de prendre le risque de transmettre un patrimoine en partie amputé à leurs héritiers, certaines personnes choisiront de ne pas demander le bénéfice de la prestation.
Cet effet d’évincement, s’il est difficile à quantifier, se vérifie actuellement pour l’ASH, dont le nombre d’allocataires n’a quasiment pas augmenté au cours de la décennie passée.
Il s’est également manifesté au moment de la mise en œuvre de la PSD, à laquelle l’APA a succédé. Cette prestation était en effet soumise à un prélèvement effectué sur la part du patrimoine excédant un seuil de 300 000 francs et pour les dépenses supérieures à un plancher fixé à 5 000 francs.
Dans la rédaction initiale du projet de loi créant l’APA, le Gouvernement avait prévu un dispositif du même type applicable à partir d’un seuil d’un million de francs. Mes chers collègues, c’est l’intervention du Parlement qui a permis d’exonérer l’APA de toute forme de recouvrement sur succession.
Si l’on ne prend en compte que les Francis Giraud, 1 à 3, on s’aperçoit que 140 000 personnes bénéficiaient de la PSD à la fin de l’année 2001 tandis qu’elles étaient plus du double à percevoir l’APA un an plus tard.
De toute évidence, quelque chose s’est débloqué avec la mise en place de l’APA, ce qui a incité les personnes en perte d’autonomie à demander à bénéficier de la prestation : aujourd’hui, elles sont près de 1,2 million à percevoir l’APA, soit quasiment deux fois plus nombreuses qu’en 2002.
Sans renoncer à la récupération sur succession, faudrait-il envisager de relever le seuil de recouvrement prévu par la proposition de loi, afin de ne toucher que les bénéficiaires de l’APA les plus aisés ? Une telle mesure ne serait que partiellement efficace, car l’expérience montre que l’effet psychologique sur les allocataires potentiels est sensiblement le même quel que soit le seuil choisi. C’est donc moins le niveau du seuil que son existence même qui conduit un individu à renoncer à demander le bénéfice de la prestation.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. L’effet d’évincement lié à la mise en place du recouvrement sur succession pourrait en outre avoir une incidence collatérale non négligeable sur le secteur des services d’aide et d’accompagnement à domicile. En effet, nous savons que 90 % des montants des plans d’aide à domicile sont utilisés pour financer le recours à un aidant professionnel. Si le nombre d’allocataires de l’APA diminue, il est à craindre que ce secteur, déjà très fragilisé, ne soit confronté à des difficultés accrues.
M. Roland Courteau. Évidemment !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. En période de chômage élevé, ce serait un très mauvais signal envoyé aux demandeurs d’emploi.
En quatrième lieu, le dispositif proposé présente certaines limites techniques qui rendent difficiles à appréhender les conséquences pratiques qu’engendrerait l’application du texte.
Aux termes de l’article 1er, le recouvrement des sommes versées au titre de l’APA s’effectuera automatiquement sur la part de l’actif successoral net excédant 150 000 euros. Il s’agit là d’un mécanisme très différent de ce qui avait été envisagé en 2010 par la Haute Assemblée dans le cadre de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance.
Celle-ci recommandait en effet la création d’un gage d’un montant maximal de 20 000 euros pour la seule APA versée à domicile. Au moment de l’entrée en dépendance, la personne aurait eu le choix entre recevoir une allocation réduite de moitié, mais exempte de toute forme de recours, et bénéficier d’une allocation à taux plein assortie d’une mise en gage.
Outre qu’elle ne définit aucun seuil ni plafond pour encadrer le montant des sommes recouvrables, la proposition de loi ne prévoit pas l’exercice d’un droit d’option. Si le bénéficiaire potentiel refuse le principe du recouvrement, il devra tout bonnement renoncer au versement de la prestation.
En outre, l’article 2 fixe la date d’entrée en vigueur de la loi au premier jour du sixième mois suivant sa publication pour l’ensemble des successions. Un dispositif plus juste aurait consisté à ne rendre la loi applicable qu’aux seules personnes entrant en dépendance une fois celle-ci publiée. De cette façon, aucun bénéficiaire ne se serait trouvé en situation d’être soumis au recouvrement sur succession sans avoir été pleinement informé de l’existence d’un tel dispositif au moment de son entrée en dépendance.
Autre difficulté, l’exposé des motifs de la proposition de loi n’indique nulle part combien de personnes seront concernées par le recouvrement sur succession.
Si l’on se fie aux derniers chiffres fournis par la Cour des comptes, le seuil de 150 000 euros proposé correspond à peu près au patrimoine médian des ménages de 70 ans et plus. Est-on riche lorsqu’on dispose de 150 000 euros de patrimoine ? Je ne le crois pas : 150 000 euros, c’est le prix d’une maison dans ma commune des Côtes-d’Armor…
M. Jean Desessard. Les prix ont bien augmenté, en Bretagne !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Une telle mesure toucherait la très grande majorité des personnes en situation de dépendance propriétaires de leur logement, et pas nécessairement les plus nantis. Les estimations doivent être maniées avec prudence, mais on peut penser qu’environ 40 % des bénéficiaires de l’APA seraient concernés par l’instauration du recouvrement sur succession.
De plus, alors que l’objectif – louable – des auteurs de la proposition de loi est d’améliorer la situation financière des départements, aucune information n’est fournie sur les ressources qui pourraient être récoltées. Or cette donnée est essentielle, en particulier parce qu’elle doit être mise en regard des coûts potentiels qu’engendrera l’application de la mesure. L’expérience de l’aide sociale à l’hébergement, l’ASH, montre que les conseils généraux peuvent être confrontés à des coûts de gestion non négligeables pour la mise en œuvre du recouvrement. Il pourrait en être de même pour l’APA.
Par ailleurs, si le phénomène d’évincement que j’ai évoqué précédemment se vérifie, les sommes non dépensées par les départements risquent de l’être à un autre niveau, notamment par l’assurance maladie, lorsque les personnes dépendantes, trop tardivement accompagnées, auront recours au système de soins.
Sur ma recommandation, la commission des affaires sociales a décidé, la semaine dernière, de rejeter la proposition de loi. Elle n’a donc pas établi de texte, et nous examinons aujourd’hui la proposition de loi dans sa rédaction initiale.
Je tiens à le dire, la position de la commission rejoint celle de l’ensemble des personnes que j’ai pu auditionner en tant que rapporteur ou dont j’ai recueilli le témoignage écrit. Je pense en particulier à l’Assemblée des départements de France, pourtant concernée au premier chef par la proposition de loi.
En invitant le Sénat à rejeter le texte qui nous est présenté aujourd’hui, la commission ne cherche absolument pas à nier les difficultés des conseils généraux. Il s’agit plutôt de ne pas adopter dans l’urgence un dispositif dont nous maîtrisons mal les implications, notamment l’incidence sur les finances départementales, mais dont nous entrevoyons clairement les effets pervers potentiels.
Mes chers collègues, le Gouvernement a clairement montré qu’il était attentif à la situation des départements. Ainsi, dès 2013, un fonds de 170 millions d’euros sera mis en place pour soutenir les collectivités les plus en difficulté et des solutions pérennes doivent être trouvées, à compter de 2014, pour assurer un partage plus équitable du financement des prestations de solidarité entre l’État et les départements.
Oui, je le reconnais, la situation est urgente.
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Pour autant, il serait contreproductif d’agir dans la précipitation : ne confondons pas urgence et précipitation !
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Ronan Kerdraon, rapporteur. La réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie, qui a été trop longtemps retardée, sera prochainement discutée par la Haute Assemblée. C’est à cette occasion que nous pourrons confronter nos idées, partager nos expériences et définir ensemble les grandes lignes d’une meilleure prise en charge de nos aînés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’est très bien dit !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit lors de nos débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et sur la proposition de loi présentée par M. Roche, les relations entre l’État et les départements doivent être fondées sur la confiance, le partenariat et la complémentarité : c’est la condition d’une alliance entre proximité et égalité territoriale, et, si l’on va plus au fond, entre démocratie et République.
Cela répond plus que jamais à la volonté du Gouvernement et du ministère qui m’a été confié, s’agissant en particulier du projet qui est le nôtre d’élaborer une loi à la mesure du défi que constitue la révolution de l’âge.
C'est la raison pour laquelle je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi, qui représente un premier pas vers ce « travailler ensemble » dans un esprit de confiance auquel nous aspirons.
Le Gouvernement a pleinement conscience des difficultés des conseils généraux, que nous sommes nombreux à avoir partagées ou à partager encore. Le Président de la République l’a lui-même exprimé de manière très concrète, à l’Élysée, aux représentants des conseils généraux, toutes tendances confondues, en prenant dix engagements élaborés, dont celui de mobiliser un fonds d’urgence de 170 millions d’euros au profit des départements les plus en difficulté.
Le premier de ces dix engagements est de définir ensemble, à l’horizon 2014, des ressources pérennes qui permettront à tous de mieux financer les allocations de solidarité. Dans ces conditions, la présente proposition de loi perd déjà de son acuité.
Cependant, au-delà de ce contexte que je tenais à rappeler, ce sont des raisons liées à la justice sociale, à l’éthique, à l’emploi sur nos territoires et à la nécessaire prévention de la perte d’autonomie qui m’amènent à être défavorable à cette proposition de loi.
L’APA, instaurée par la loi du 20 juillet 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin et grâce à l’impulsion de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, se distingue de la prestation spécifique dépendance, la PSD, instituée par Alain Juppé en 1997, notamment par la suppression de tout recours sur succession.
L’APA, qui a permis à nombre d’âgés de rester plus longtemps à domicile, est aujourd’hui perçue par plus de 1,2 million d’allocataires, alors que le nombre des allocataires de la PSD plafonnait à 148 000. Dès 2002, le passage de la PSD à l’APA s’est accompagné d’une forte progression du nombre des bénéficiaires, passé de 145 000 en 2001, au titre du premier dispositif, à 357 000 en 2002, soit plus du double, pour le second.
D’après l’Inspection générale des affaires sociales, 110 000 ayants droit n’auraient pas demandé la PSD en raison du recours sur succession. Instaurer celui-ci risquerait donc, nous le savons, de dénaturer gravement l’APA et, ce qui est pis, de constituer un frein psychologique, voire psychique et affectif.
Dans cette période d’inquiétude et de fragilité qu’est le grand âge, chacun s’interroge sur la trace qu’il laissera derrière lui et sur les biens qui reviendront à ceux qui lui sont chers : faut-il ajouter à ces tourments la crainte de voir ces biens réduits et leur répartition compromise ?
Il suffit d’ailleurs d’observer le fonctionnement d’autres dispositifs, tels que l’aide sociale à l’hébergement, pour constater les mêmes effets.
Par ailleurs, tout recours sur succession, que le gage ait un caractère volontaire, comme le proposait Mme Rosso-Debord dans son rapport en 2010, ou pas, constitue une rupture d’universalité de l’aide personnalisée à l’autonomie. Or l’APA a été écartée en 2001 du régime de l’aide sociale : il s’agissait d’en faire une prestation de « solidarité nationale », notion centrale de la campagne de François Hollande.
Instaurer le recours sur succession pour l’APA créerait de facto deux catégories de bénéficiaires. Nous ne souhaitons pas, ni vous non plus, je le crois, opposer les Français les uns aux autres, surtout sur une question existentielle comme celle de l’âge.
Le niveau de seuil que vous proposez est également problématique, car s’il était retenu, le recours sur succession concernerait très directement les propriétaires de leur résidence principale, et pas uniquement ceux de la commune de M. Kerdraon ! On sait que 75 % des retraités sont propriétaires de leur logement et que, en 2010, le patrimoine médian était de 220 000 euros pour les 60-69 ans et de 159 000 euros pour les plus de 70 ans. La croissance de la valeur des patrimoines pourrait faire tripler ce montant à l’horizon de 2040.
Le nombre d’ayants droit renonçant à demander l’APA est donc susceptible d’augmenter très fortement, en raison de l’obstacle que créerait la mise en place d’un recours sur succession. Mesdames, messieurs les sénateurs, non seulement cette mesure toucherait de très nombreuses personnes, mais en outre elle ne constituerait en aucun cas une mesure de justice sociale : bien au contraire, elle renforcerait les inégalités entre ceux pour qui le gage représenterait un fort pourcentage de leur patrimoine et ceux pour lesquels il n’en constituerait qu’une infime partie.
Avec un seuil fixé à 150 000 euros, le recours sur succession frapperait pleinement les classes moyennes. On ne peut, comme certains d’entre vous l’ont fait, reprocher au Gouvernement de mettre en place une contribution additionnelle de solidarité pour les retraités imposables – qui, par définition, exempte les moins aisés – et, parallèlement,…
M. Alain Bertrand. Ne dites pas n’importe quoi ! Nous avons voté cette contribution !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Certains, sur toutes les travées, l’ont refusée ! Je me permets de le rappeler.
M. Pierre-Yves Collombat. Qui ça, « certains » ? « Certains », c’est personne !
M. Alain Bertrand. Nous sommes favorables à plus de justice fiscale ! Ne nous confondez pas avec l’UMP !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, vous m’avez mal entendue ! Je m’adresse à vous tous, sans distinction !
M. Alain Bertrand. Eh bien distinguez, madame, distinguez !
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Peu attentifs et très machistes ! Ils ne se permettraient pas un tel comportement si c’était un homme qui s’exprimait à la tribune !
Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Je disais donc que l’on ne peut reprocher au Gouvernement de mettre en place la contribution additionnelle de solidarité et, parallèlement, proposer d’instaurer une récupération socialement injuste, qui ne serait pas à la hauteur des enjeux. Ce ne serait ni cohérent, ni lisible, ni transparent pour les Français.
Par ailleurs – en tant que médecin hospitalo-universitaire, c’est sans doute ce qui m’inquiète le plus –, la maladie et la perte progressive d’autonomie peuvent toucher chacun d’entre nous, aisé ou non, dans une période déjà lourde d’inquiétudes et de questionnements. La dépendance représente une douleur pour l’âgé et pour sa famille, quelle que soit leur condition sociale. Il serait aussi scandaleux et contraire à nos principes de récupérer les prestations servies au titre de l’APA sur la succession des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou souffrant d’une grande perte d’autonomie que d’expliquer aux personnes atteintes d’un cancer et à leurs familles que l’assurance maladie récupérera le coût des hospitalisations et des chimiothérapies. Ce serait une double peine pour l’âgé, pour sa famille et les aidants, qui, eux aussi, souffrent quotidiennement de la situation.
De surcroît, tous les grands âgés sont polypathologiques. Pourquoi ne ferions-nous pas pour eux, alors même que le pronostic est fatal à brève échéance, ce que nous faisons pour les malades du cancer, pris en charge à 100 %, sans récupération ?
Vers la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre des solidarités et de la cohésion sociale, avait émis sur le recours sur succession des réserves d’ordre éthique qui transcendent tout clivage. Le 12 janvier 2011, auditionnée par la mission commune d’information sur la dépendance, elle avait ainsi déclaré : « À titre personnel, j’ai des réserves à l’égard du recours sur succession : il serait injuste de l’appliquer aux personnes mourant de la maladie d’Alzheimer, et non à celles qui décèdent à l’hôpital d’un cancer. Ce serait faire deux poids deux mesures. La piste d’un relèvement de la fiscalité sur le patrimoine n’est toutefois pas exclue. Il n’est pas anormal qu’une personne âgée disposant d’un patrimoine élevé sans avoir des revenus importants participe au financement de sa dépendance. »
Visiblement, sur ce point au moins, Mme Bachelot-Narquin et moi avons la même position ! Du reste, je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que, comme moi, vous avez été à juste titre interpellés par la Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles sur le risque lié à l’adoption de cette mesure.
Par ailleurs, le non-recours à l’APA en raison du frein constitué par le recouvrement sur succession aurait des conséquences directes sur l’emploi dans le secteur de l’aide à domicile, au plan local.
En effet, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision d’attribution de la prestation, le bénéficiaire de l’APA doit déclarer au conseil général le ou les salariés ou le service d’aide à domicile qu’il rémunère grâce à l’allocation qui lui est versée. Il est en outre tenu de fournir les justificatifs de cette rémunération. L’emploi dans les services d’aide à domicile est donc très lié à cette prestation. Dans vos territoires, vous avez tous entendu parler, parfois en termes assez durs, des difficultés récemment posées par la réduction des plans d’aide élaborés par les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail – les CARSAT – au profit des personnes classées en GIR 4 et 5 : les réactions des bénéficiaires et des services d’aide à domicile montrent l’importance des enjeux humains et financiers liés à l’universalité de l’APA.
En 2011, le nombre d’emplois dans le secteur de l’aide à domicile, qui avait déjà perdu quelque 5 400 salariés en 2010, a baissé de plus de 2 % : les effectifs de l’aide à domicile sous forme associative auront ainsi diminué de 5 % en deux années. Dans les territoires ruraux, où le secteur associatif est parfois en situation de monopole, ces difficultés frappent des personnes sans qualification – le plus souvent des femmes –, qui auront le plus grand mal à retrouver un emploi. Le nouveau fonds de restructuration, doté de 50 millions d’euros, dont j’ai défendu la création dans le cadre de l’élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, doit permettre de sauver plusieurs milliers d’emplois dans ce secteur et de nous préparer à répondre aux besoins qui se manifesteront à l’horizon de 2020 : selon la DARES, 300 000 emplois devront être créés. La mise en place du recours sur succession irait à rebours de cet effort indispensable, alors que les besoins sont croissants.
Surtout, la grande perte d’autonomie n’est pas inéluctable et découle souvent d’une accumulation de fragilités ou de ruptures dans les prises en charge, parfois aggravées par la dégradation ou la disparition de tout lien social.
À cet égard, l’APA à domicile constitue un outil de prévention, permettant l’élaboration d’un plan d’aide personnalisé, avec évaluation des besoins et mise en place d’une aide humaine sur mesure. L’anticipation est nécessaire pour réduire la grande perte d’autonomie par la palliation des petites pertes d’autonomie successives. Ainsi, l’APA constitue indéniablement un outil du maintien à domicile, que nous souhaitons privilégier. Dès lors, en affaiblissant cet outil de prévention, les départements, dont certains d’entre vous sont aussi des élus, feraient un mauvais calcul, sur le plan non seulement humain, mais aussi financier : ils seraient d’autant plus mis à contribution que les personnes non prises en charges dans le cadre de l’APA devront l’être, à terme, au sein d’un EHPAD, avec un degré de perte d’autonomie plus important.
Enfin, avec l’accroissement de l’espérance de vie, le recours sur succession impliquerait nécessairement un décalage dans les recettes des départements. En cela, une telle disposition ne répond pas aux besoins de court terme.
En conclusion, je tiens à rappeler, pour répondre à la légitime préoccupation de beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement travaille activement à apporter aux départements les réponses qui leur permettront de continuer à remplir leurs missions de proximité dans les meilleures conditions.
La mise en place des groupes de travail sur la réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie et sur la recherche de ressources pérennes pour 2014 est le signe de la confiance mutuelle entre les départements et l’État. Je vous demande de ne pas altérer cette confiance en adoptant une mesure socialement injuste, qui ne serait pas à la hauteur de la question. Par conséquent, je vous invite à ne pas voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)