M. Jean-Pierre Sueur. C’est extrêmement aimable, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est ainsi que je le ressens, monsieur Sueur, je vous l’assure !
À l’occasion du débat que nous avons eu, une nuit, sur la carte judiciaire, je vous ai dit que je menais une réflexion sur la redéfinition des périmètres de contentieux dans la justice civile, de façon à procéder aux ajustements nécessaires les plus pertinents possible pour améliorer, comme s’y est engagé le Président de la République, le fonctionnement de nos juridictions en termes d’accessibilité, de proximité, d’efficacité, et donc de diligence.
Une telle réforme suppose, selon les ressorts et la nouvelle configuration issue du redécoupage de la carte judiciaire, que nous mettions en place des dispositifs adaptés, pertinents. Cela implique éventuellement, dans certains cas, une réouverture de juridictions, et, dans d’autres, une expérimentation des guichets uniques de greffe dans les tribunaux de première instance. A également été évoquée l’hypothèse, que je sais controversée, d’audiences foraines, sans parler des maisons de justice et du droit, qualifiées de « nouvelle génération », dont les critères de définition sont encore en suspens. Toute une palette de réponses s’offre donc à nous, la meilleure des possibilités devant être choisie selon le ressort considéré. Nous sommes bien dans la réflexion sur l’organisation judiciaire.
J’ai saisi l’Institut des hautes études sur la justice de la réalisation d’une étude. Celle-ci devra porter, notamment, sur la mission et le périmètre d’intervention du juge, ainsi que sur l’exercice de son office, c’est-à-dire également sur l’équipe qui intervient autour de lui : non seulement les greffiers, mais aussi les assistants, spécialisés ou non. En effet, nous voyons bien que, pour certains contentieux, nous avons un besoin réel et urgent d’assistants spécialisés. Au-delà, s’agissant de l’office même du juge, les textes votés ces dernières années ont confié aux magistrats nombre de tâches, qui ont relativement dilué sa mission en l’obligeant à se disperser. Cela nous conduit à mener une véritable réflexion sur le sujet.
Considérant qu’il nous faut également profiter de l’expérience des magistrats et des greffiers, j’ai par ailleurs demandé à la direction des services judiciaires de mettre en place deux groupes de travail avec ces derniers pour nous aider dans notre réflexion, non seulement sur la mission du juge, mais aussi sur l’organisation judiciaire. Cela nous permettra de tenir compte, notamment, de l’évolution du métier de greffier.
Ces travaux en cours devraient aboutir au premier trimestre 2013. Nous disposerons alors d’éléments nous permettant de prendre des décisions éclairées pour que, à l’échéance que vous nous proposez, monsieur Sueur, une nouvelle organisation de la justice soit prête, fondée sur la proximité et l’efficacité. Il s’agira de faire en sorte que la justice civile, si nécessaire dans des périodes difficiles puisqu’elle traite du surendettement, de la famille, des pensions, du handicap ou de l’aide sociale – bref, c’est la justice du quotidien de nos concitoyens –, soit performante. Ce nouveau délai devrait nous permettre de réussir la réforme.
Je rappelle qu’une expérimentation concernant le seul contentieux de la famille, c’est-à-dire le droit de garde des enfants et les contributions afférentes, sera menée de début 2013 à fin 2014 dans les juridictions d’Arras et de Bordeaux. Là aussi, nous devrions récolter des éléments nous permettant d’apprécier les conditions dans lesquelles la médiation peut soulager les juridictions. Si la justice n’est pas diligente, c’est non pas parce que les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires ne travaillent pas assez ou assez vite, mais parce que les contentieux de masse se développent, engorgeant nos juridictions.
Il y a plusieurs façons convergentes sinon de désengorger, du moins de dégonfler le contentieux. Cela passe, bien évidemment, par le recrutement de magistrats et de greffiers, ce que nous sommes en train de faire. L’informatisation permet également, d’une part, de dégager du personnel de tâches fastidieuses pour l’affecter à d’autres opérations plus élaborées, ce qui améliore la qualité du service rendu aux magistrats et aux greffiers, et, d’autre part, d’accélérer et de sécuriser les procédures.
Par ailleurs, nous devons nous interroger sur la judiciarisation croissante de la société, laquelle se traduit par une demande de justice de plus en plus massive. C’est particulièrement visible en période de crise, avec une hausse importante des contentieux.
Il faut d’abord poser comme principe qu’une telle demande est légitime. Il est normal qu’un citoyen, se trouvant devant une difficulté pour laquelle il n’a pas de solution à sa portée, en appelle à l’État pour résoudre son litige. C’est par la justice que l’État lui répond.
En même temps, nous devons concevoir qu’un certain nombre de litiges puissent être réglés autrement que par le biais de procédures judiciaires lourdes, sans pour autant que l’équité et l’efficacité des décisions prises en soient affaiblies.
C’est en ce sens que les études, les groupes de travail et les expérimentations que je viens de citer vont contribuer à éclairer notre réflexion.
Si nous reconnaissons le travail fourni par les juges de proximité, nous considérons qu’il faut améliorer le contenu et les conditions de leur formation, et réfléchir très précisément aux moyens de rendre ces magistrats encore plus utiles dans nos tribunaux d’instance et de grande instance.
Madame la rapporteur, j’ai d'ores et déjà adressé aux magistrats une première circulaire pour les alerter sur les effets à attendre de cette proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur, car il faut notamment faire très attention au traitement des contentieux en cours. Une fois que le texte sera adopté, j’adresserai évidemment une autre circulaire pour tirer très précisément toutes les conséquences du report de deux ans de l’échéance concernant les juridictions de proximité. Il n'y a donc aucun risque de modification ou de translation, dirai-je, s’agissant des limites de contentieux, mais vous avez eu raison de soulever la question.
Les juges de proximité, qui ont déjà une expérience judiciaire et juridique, doivent acquérir une formation en vue de s’adapter aux nouvelles méthodes de travail, à des exigences particulières, aux procédures, à la complexité de nos textes. Ils sont nommés pour sept ans, et leur formation présente donc plus d’utilité que celle des citoyens assesseurs qui, rémunérés à la vacation comme les juges de proximité, sont tirés au sort et formés pour la seule période durant laquelle ils sont appelés à siéger. La formation des juges de proximité ne se résume donc pas à un éternel recommencement !
Les juges de proximité contribuent à l’efficacité de la justice, car le risque est faible qu’ils alourdissent les audiences ou retardent les procédures. S’ils ont toute leur utilité, ils doivent être encore plus performants, ce qui passe par la formation. Dire cela n’enlève bien évidemment rien au rôle que nous leur reconnaissons et aux services qu’ils rendent.
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se réjouit de l’initiative prise par M. Jean-Pierre Sueur, salue la qualité du travail conduit par Mme Klès dans le cadre du rapport écrit et souhaite que le débat d’aujourd'hui nous permette d’amorcer très concrètement et très sérieusement la réorganisation judiciaire en matière de justice civile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par cette proposition de loi, M. Jean-Pierre Sueur nous évite une augmentation du désordre. Je l’en remercie !
La justice mérite en effet mieux que des processus législatifs chaotiques et contradictoires. Comment appliquer sereinement la loi quand cette dernière ignore la ligne droite, quand la nation qui a créé le code civil a perdu l’esprit de la codification et privilégié l’empilement de textes sans cohérence globale ? Ces derniers n’ont eu pour but essentiel que de répondre aux demandes et aux besoins immédiats de l’administration et de contraintes budgétaires ayant rarement privilégié le budget de la justice.
En 2002, l’actuelle majorité, alors opposition, contestait la création des juges de proximité. Aujourd'hui, elle souhaite les maintenir, alors que l’ancienne majorité elle-même avait décidé, voilà quelques mois, de les supprimer.
M. Jean-Jacques Hyest. Pas tout à fait !
M. Jacques Mézard. Prenons le temps de synthétiser une vision moderne de la justice, de l’appareil judiciaire au niveau de la première instance dans ses différents aspects : civil, pénal, commercial, social. Là se situe le grand niveau de la proximité, celui qui préoccupe au premier chef nos concitoyens et dont l’importance ne nous a pas échappé, à nous qui sommes majoritairement des élus locaux et pouvons, de ce point de vue, apporter au Sénat l’expérience du terrain ; du moins tant qu’il nous sera permis de le faire… (M. Jean-Jacques Hyest sourit.)
Le niveau d’après, autrement dit les cours d’appel, n’est plus celui de la proximité. Il doit être traité différemment.
Sur ce sujet de la justice de proximité, je ne vois pas de meilleur exemple d’incohérence que la politique menée ces dernières années.
Cela commença en 2002, année de la création des juridictions de proximité, pour pallier l’insuffisance du nombre de magistrats d’instance.
Cela se poursuivit en 2010, avec la mise en place de la réforme de la carte judiciaire, conduisant à la suppression de 178 tribunaux d’instance, donc de la proximité.
J’espère, madame la garde des sceaux, que l’avenir ne se résumera pas simplement à la réouverture du tribunal de grande instance de Tulle ! (Sourires.) Puisse être retenue une vision un peu plus large.
Cela se termina par la loi du 13 décembre 2011, laquelle emporta la suppression de la juridiction de proximité, mais, effectivement, pas celle des juges de proximité.
M. Jacques Mézard. Pour ceux-ci fut prévu un déploiement vers les tribunaux de grande instance et, surtout, vers les tribunaux correctionnels, au moment même où le précédent gouvernement créait les citoyens assesseurs. C’était pour le moins illogique.
Ce fut une politique de gribouille, une déclinaison partielle, hachée et bégayante de plusieurs rapports de commissions confiés à d’éminents spécialistes ; inutile d’en dire davantage.
Aujourd'hui, c’est l’incohérence qui caractérise la situation procédurale.
Au début de 2011, 12 % des juridictions de proximité se trouvaient sans juge de proximité, le juge d’instance assurant une double fonction. Outre que cela rendait la situation ubuesque, la démonstration était faite que la justice ne fonctionnait pas de la même manière selon le territoire considéré.
En 2012, le nombre de juges de proximité est passé de 672 à 460. Nombreuses sont les nouvelles juridictions qui en sont désormais dépourvues.
On nous expose qu’il faudrait l’équivalent de 110 emplois temps plein de magistrats pour compenser la suppression des juridictions de proximité. On en conclut que mieux vaut gagner du temps et réfléchir pendant encore deux ans pour permettre au système de fonctionner. Voilà ce que j’appelle une politique de gribouille.
Mes chers collègues, le but initial était de recruter des magistrats professionnels peu rémunérés pour pallier les carences budgétaires et l’inflation des contentieux, qu’il s’agisse des injonctions de payer, de la gestion des tutelles, du traitement des surendettements. Telle est la réalité que vous avez rappelée, madame la garde des sceaux. C’est du replâtrage, du colmatage, du bricolage ; cela ne fait pas une politique judiciaire.
Nous avons besoin de magistrats de proximité. Je ne partage d’ailleurs pas tout à fait l’opinion de notre excellent rapporteur, qui déclara devant la commission : « L’humanité, les juges d’instance n’en ont pas le temps. » Au vu du nombre d’affaires, les juges de proximité sont soumis à la même cadence que les autres, sans avoir ni la même compétence ni la même expérience. Pour ce qui est de l’humanité, en fait, on l’a dans son être ou on ne l’a pas.
L’essence même de la première instance, c’est la conciliation, madame la garde des sceaux. C’est ce vers quoi doivent tendre nos magistrats, d’abord et surtout à ce niveau, celui, je le répète, de la proximité.
Mme Nathalie Goulet. Il faut en envoyer à l’UMP ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Dois-je une nouvelle fois rappeler ne serait-ce d’ailleurs que les dispositions des articles 829, 830, 831 et suivants du code de procédure civile ? Par une citation devant le tribunal d’instance, on cite à fin de conciliation et, à défaut, de jugement. Il est même possible de convoquer en conciliation sans citation.
C’est cela qu’il faut restaurer tout autant que la spécificité de la procédure. Ce n’est plus le cas aujourd'hui : conciliateurs de justice, juges de proximité, juges d’instance, délégués du procureur, médiateurs de tous poils, associations parajudiciaires ; la coupe est pleine, elle déborde !
Oui, je suis un peu – peut-être beaucoup – jacobin,…
Mme Esther Benbassa. Beaucoup !
M. Jacques Mézard. N’oublions pas, madame Benbassa, que c’est ainsi que la République a fonctionné. Il est temps de revenir à certains fondamentaux.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien ! (M. Jacques-Bernard Magner s’exclame.) Eh oui, je ne suis pas girondin !
M. Jacques Mézard. Madame la ministre, regardez Portalis, dont la statue se dresse devant vous, revenez aux fondamentaux : c’est d’une belle et grande loi d’organisation judiciaire que nous avons besoin.
Nous voterons l’excellente proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur, dans l’attente d’un texte encore meilleur : je veux parler d’un projet de loi mettant en place une organisation enfin pérenne de la justice ; il faut que ce soit fait dans les deux ans à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après ces paroles hautement républicaines de M. Mézard, je n’ai quasiment plus rien à dire !
Comme vous le savez, en 1790, l’assemblée constituante, prenant en compte le besoin de proximité des citoyens avec la justice, instaura les juges de paix, symboles d’une justice rapide, accessible, gratuite et équitable. Ceux-ci avaient pour ressort territorial le canton et pour principale mission de régler les petits litiges de la vie quotidienne, dans une démarche conciliatrice.
Les juges de paix furent supprimés par l’ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958 et remplacés par les tribunaux d’instance, juridiction d’exception dont le ressort, plus vaste, est fixé par décret. Cette extension de la taille des ressorts, associée à la professionnalisation du juge et à l’accroissement des compétences dévolues par le législateur, a fait perdre à cette juridiction le caractère de proximité qui avait assuré le succès du bon vieux « juge cantonal ».
Or cette judiciarisation de la société n’a pas tout résolu et certainement pas le problème de l’égalité des citoyens devant l’accès au droit. C’est ce souci, ancien et maintes fois réaffirmé, de rapprocher les citoyens de leur justice qui a poussé le législateur à créer, en septembre 2002, les juridictions de proximité, celles des petits litiges du quotidien.
Selon les chiffres donnés par la Chancellerie, on comptait, en 2011, 672 juges de proximité. Ils traitèrent cette année-là 90 000 affaires nouvelles en matière civile et 370 000 affaires en matière pénale.
Le contentieux est donc important et concerne les citoyens dans leur rapport premier avec la justice, celle de tous les jours.
En 2011, la loi du 13 décembre relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles a prévu, pour le 1er janvier 2013, la suppression des juridictions de proximité et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance.
Plusieurs arguments ont alors été avancés pour justifier ce changement : d’abord, l’existence de deux juridictions de première instance, qui complexifie manifestement l’organisation judiciaire puisque, en l’absence de juge de proximité dans un ressort, le tribunal d’instance retrouve sa compétence initiale ; ensuite, le faible nombre de juges de proximité, qui ne parvient pas à désengorger les tribunaux de manière significative ; enfin, la présence de membres de la société civile dans l’institution judiciaire.
En un mot, les juridictions de proximité auraient donc échoué à rapprocher les citoyens de la justice et à simplifier la juridiction de première instance.
Malgré ces reproches, dont certains sont justifiés, la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Sueur, que nous examinons aujourd’hui en petit comité, vise à reporter la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2015. Si le texte était adopté, les juridictions de proximité bénéficieraient donc d’un sursis de deux années encore.
Les réformes de ces dernières années n’ont fait qu’ébranler un peu plus la confiance des citoyens en leur justice et leurs juges. À cet égard, la réforme de la carte judiciaire, initiée en 2007 par Mme Rachida Dati, alors ministre de la justice, est emblématique : manque de méthode, absence de concertation,… On se souviendra longtemps des manifestations de magistrats et d’avocats !
En outre, si le délai imposé par la loi du 13 décembre 2011 est respecté, c’est tout le contentieux qui sera transféré aux tribunaux d’instance, alors que leurs moyens n’ont pas été augmentés, loin s’en faut, et que la dernière réforme de la carte judiciaire a abouti à la suppression de 178 d’entre eux.
Une réforme ambitieuse ainsi que l’apport de moyens financiers et humains plus importants seront nécessaires dans les années à venir. En fait, c’est tout l’appareil judiciaire de première instance qu’il faudrait revoir. Mais pour que cette réforme ne constitue pas un énième rendez-vous manqué, nous devons nous donner du temps : le temps de la réflexion mais, surtout, celui de la concertation.
Ce délai de deux années supplémentaires nous paraît, dès lors, raisonnable et utile. Voilà pourquoi les écologistes voteront ce texte.
Je veux profiter de l’optique de la réforme pour vous dire, madame la ministre, en poursuivant sur le mode lyrique employé par M. Mézard, que les écologistes – bien que n’étant pas jacobins, nous n’en sommes pas moins de gauche – sont convaincus que l’accès au droit est un rempart contre la précarité et un outil indispensable pour plus de dignité et de cohésion sociale. Nous considérons que l’accès au droit de tous doit constituer une priorité pour notre gouvernement. En effet, si nul n’est censé ignorer la loi, tous les citoyens doivent être égaux devant elle. Le temps est donc venu de rétablir la confiance des Français dans leur justice, qui n’est ni laxiste ni incompétente !
Pour conclure, je reprendrai simplement les mots du candidat Hollande, qui faisait de la justice de proximité celle des « oubliés, des humbles, des accidentés de la vie, cette justice du travail, de l’aide sociale, du handicap, des pensions, des allocations familiales qui concerne chaque année environ 250 000 personnes ». Je vous dirai aussi tout l’espoir que nous, écologistes, avons dans la réforme à venir. Et nous comptons sur vous, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, M. Sueur a bien fait de proposer le report de la suppression des juridictions de proximité. Comme Mme la garde des sceaux l’a démontré à l’envi, l’état d’impréparation de cette réforme rend pratiquement impossible son application au 1er janvier 2013. Il fallait donc faire quelque chose, sinon la situation des tribunaux d’instance s’en serait trouvée aggravée.
Je rappelle que la loi du 13 décembre 2011 reprenait les préconisations du rapport Guinchard.
M. Jean-Pierre Michel. Funeste rapport !
M. Jean-Jacques Hyest. On peut en penser ce qu’on veut, mais ce rapport n’en contenait pas moins des pistes très intéressantes et qui valent peut-être encore d’être explorées.
M. Jean-Pierre Michel. Un rapport ultralibéral !
M. Jean-Jacques Hyest. La commission Guinchard avait par exemple avancé deux arguments pour justifier la disparition de cet ordre de juridiction, tout en reconnaissant par ailleurs les qualités humaines des juges de proximité qui le composent : la complexité de l’organisation judiciaire mise en place, que je confirme, et la complexité croissante du contentieux soumis au juge de proximité du fait à la fois de l’élévation de son taux de compétence de 1 500 euros à 4 000 euros et de la nécessité, même pour les plus petits litiges, de s’assurer du respect des règles d’ordre public qui se multipliaient.
C’est Michel Mercier, alors garde des sceaux, qui a présenté la loi de 2011 visant à supprimer la juridiction de proximité et à rattacher les juges de proximité au tribunal de grande instance. Aux termes de ce texte, les juges de proximité peuvent être appelés à siéger au sein d’une formation collégiale du tribunal de grande instance, statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition, et procéder à certaines mesures d’instruction.
La loi de 2011 a également rétabli la compétence du tribunal d’instance sur des litiges civils inférieurs à 4 000 euros. C’est précisément là où se trouve la difficulté puisqu’il lui faudra reprendre tout ce qui n’est plus traité par les juges de proximité.
De même, la loi a restitué aux tribunaux de police des compétences en matière de contraventions. Si elle est souvent oubliée, la compétence pénale des tribunaux d’instance existe bel et bien et porte sur un contentieux extrêmement important, même si l’on a tout fait, notamment en matière automobile, pour éviter aux gens d’aller devant le juge, avec toutes les incertitudes que cela peut comporter pour les justiciables.
Bref, les juridictions d’instance ne seront pas en mesure d’absorber la charge contentieuse qui leur sera transférée. Vous avez d’ailleurs cité, madame la garde des sceaux, le nombre de juges d’instance qu’il aurait fallu recruter pour parvenir à accomplir cette tâche.
Il est évident que le groupe UMP votera la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je l’espère ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Il est effectivement nécessaire de mettre à profit le délai ouvert par ce texte pour conduire une réflexion d’ensemble sur la justice de proximité et la justice de première instance.
On a parlé des juges de paix. Il y en avait dans mon canton, donc je m’en souviens bien. Supprimé en 1958, cet échelon de juridiction comportait des aspects tout à fait positifs. Notre ancien collègue Fauchon défendait d’ailleurs avec ardeur cette justice de proximité. Pour autant, n’exagérons rien, ce n’était pas une justice idéale.
À mon avis, la création des juridictions de proximité a été une erreur. La commission des lois du Sénat s’est d’ailleurs toujours montrée réservée sur le sujet. Je précise que je parle bien des juridictions de proximité, et non des juges de proximité. L’un de nos rapports préconise même le recrutement de juges de proximité auprès des juges d’instance. Mais il va de soi que ceux-ci doivent avoir toutes les qualifications juridiques requises, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et relever du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire ; un décret pris en Conseil d’État doit compléter ces garanties. L’objectif est d’offrir aux juges d’instance le concours, pour un certain nombre de contentieux, de juges très expérimentés.
Ce système, nous semble-t-il, améliorerait nettement la situation. En tout cas, c’est une piste à explorer. Ce genre d’expérience s’est d’ailleurs multiplié dans d’autres domaines de la justice, et personne ne le remet en cause. Va-t-on revenir sur les délégués du procureur ? Je ne le pense pas, madame la garde des sceaux.
Au-delà des réticences, et même si les choses restent encore un peu compliquées, vous avez, au demeurant, développé ce qui était possible en matière de conciliation, de médiation. On le voit bien, l’utilisation, dans de bonnes conditions, des juges de proximité auprès des juridictions d’instance ou de grande instance est une question qui mérite d’être posée.
Cela ne veut pas forcément dire que cette catégorie va être supprimée. Certes, les organisations judiciaires ont un art consommé pour rejeter les greffons, et cela vaut quelles que soient les époques. Il y a eu d’autres réformes de la justice, sous d’autres majorités, qui n’ont pas abouti parce que l’institution judiciaire résiste ; elle résiste même aux évolutions de la société. C’est quand même formidable !
Regardons ce que qui se passe ailleurs. La justice de proximité fonctionne plutôt bien en Grande-Bretagne.
M. Jean-Pierre Michel. Nous y sommes allés ensemble !
M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi ne pas nous en inspirer ?
On l’a dit à de nombreuses reprises, peut-être faudrait-il décharger les magistrats d’un certain nombre des multiples tâches qui leur incombent. La tutelle, jadis du ressort du juge, est désormais confiée au greffier. Mais, parce qu’il est surchargé de travail, peut-être ce dernier ne contrôle-t-il pas les comptes de tutelle avec toute la rigueur nécessaire.
Madame la garde des sceaux, vous avez annoncé la création de groupes de travail, l’intervention de l’Institut des hautes études sur la justice. Souhaitons que nous puissions avancer dans ce domaine.
Parmi les juges de proximité, il y a d’anciens magistrats qui souhaitent poursuivre leur carrière quelques années après leur retraite, ce qui me semble d’ailleurs très heureux pour la justice. Il y a aussi de nombreuses personnes issues de la société civile. N’est-ce pas le cas pour les conseils de prud’hommes ? Cela vaut également, même si je ne cite plus l’exemple qu’à titre anecdotique, pour les tribunaux des baux ruraux. C’est vrai aussi pour les tribunaux de sécurité sociale, pour les tribunaux de commerce, dont on peut dire tout ce que l’on veut, mais dont le fonctionnement s’est globalement bien amélioré depuis quelques années.
M. Jacques Mézard. C’est votre avis !
M. Jean-Jacques Hyest. Il paraît que, dans ce domaine aussi, la Chancellerie conduit des réflexions.
M. Jean-Jacques Hyest. Il y a donc des personnes de toutes sortes qui exercent des fonctions de justice dans notre système judiciaire. Pourtant, cela n’empêche pas beaucoup de gens d’être extrêmement hostiles à la présence de citoyens assesseurs pour juger les délits, arguant qu’ils ralentiront la justice parce qu’ils auront besoin d’être formés. Or les mêmes considèrent comme un principe sacré la présence des jurés citoyens pour juger les crimes. Voilà un paradoxe sur lequel je m’interroge.
Les juges de proximité, tels qu’ils existent actuellement – je dis bien les juges –, remplissent toutes les garanties, ont toutes les qualifications juridiques requises. Ils répondent à un réel besoin de rapprocher la justice des citoyens, dans un environnement marqué à la fois, cela a été dit, par la judiciarisation de notre vie quotidienne et la complexité des procédures.
Il faut dire que plus on complique les procédures, plus le risque de contentieux s’accroît. Vous avez ainsi dû être frappés, mes chers collègues, par le fait que la jurisprudence de la Cour de cassation porte de plus en plus, depuis les dernières décennies, sur des questions de procédure, plutôt que de fond. Le nombre de grands arrêts diminue au profit de points procéduraux !
Par ailleurs, plus les procédures sont complexes, plus s’accroît aussi le risque que soient commises, de bonne foi, des erreurs. Sans doute nous faut-il donc réfléchir à une simplification des procédures afin de prévenir un mauvais fonctionnement de la justice.
On pourrait citer comme exemple de cette complexité croissante le contentieux du surendettement, successivement judiciarisé, déjudiciarisé, puis rejudiciarisé. Les juges d’instance ne peuvent plus faire face à l’augmentation de ces dossiers, et ceux qui en subissent les conséquences sont les plus démunis, ceux-là mêmes qui sont concernés par ces procédures. Reconnaissons que l’allongement des délais, dans ce domaine comme dans d’autres, peut être particulièrement dramatique !
Nous avons donc le devoir d’approfondir notre réflexion sur cette question, devenue centrale pour le quotidien des Français, et nous en suivrons l’évolution avec attention. La commission des lois a d’ailleurs l’intention de procéder à des investigations et à des évaluations afin d’enrichir cette réflexion commune et de contribuer au meilleur fonctionnement de la justice de proximité dans notre pays. (Applaudissements sur diverses travées.)