M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le dire tout de suite, nous partageons les objectifs de ce projet de budget, à savoir réduire le déficit à 3 % du PIB et donner la priorité à l’éducation, à la recherche, à la justice, à la sécurité et à l’emploi.
En revanche, sur la façon d’atteindre ces objectifs, notre avis diverge.
Monsieur le ministre, vous privilégiez l’augmentation des impôts, au risque de décourager tous ceux qui font vivre notre économie. Vous continuez d’accroître l’endettement de notre pays, qui augmentera de 65 milliards d’euros. Vous demandez aux collectivités locales des efforts que vous n’imposez ni à vous-mêmes ni aux opérateurs qui dépendent de vous. Vous augmentez les dépenses de nombre de missions qui ne font pas partie des priorités. Enfin, vous faites preuve d’un excès d’optimisme dans les prévisions de croissance et de recettes qui frise l’insincérité.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. « Qui frise »…
M. Vincent Delahaye. C’est un défaut majeur, vous en conviendrez, pour un budget.
Les bons gestionnaires connaissent la recette : un bon budget, c’est la prudence tant en recettes qu’en dépenses, et, au final, vous n’aurez que des bonnes surprises.
Eh bien, à l’échelon de l’État, j’ai l’impression que cette recette est ignorée, quels que soient les gouvernements.
Aujourd’hui, les questions qui nous sont posées sont simples.
En matière budgétaire, pourquoi ne pas adopter des règles de prudence et de bonne gestion comme celles que j’avais proposées, sans succès, l’an dernier ?
Comment pourrions-nous accepter un budget qui prévoit un tel matraquage fiscal, sans précédent, et qui, de plus, surévalue largement les recettes ?
Combien de temps les marchés vont-ils nous faire confiance ?
Année après année, les gouvernements, quels qu’ils soient, retiennent des hypothèses trop optimistes en matière de croissance. C’était déjà le cas l’an dernier ; cela l’est encore cette année
Je vous rappelle que le budget qui nous avait été soumis en 2011, à pareille époque, tablait sur une croissance de 1,75 %, quand les économistes, de façon consensuelle, l’estimaient à 1,2 %. Au final, le taux de la croissance atteindra au mieux 0,3 %...
Cette année encore, le Gouvernement établit ses hypothèses budgétaires sur une prévision de croissance à 0,8 %. Or tout le monde sait parfaitement que celle-ci, sauf miracle, n’est pas tenable.
Alors, pourquoi ne pas faire tout de suite preuve de prudence en retenant le taux estimé de manière consensuelle par les économistes – au mieux 0,4 %, parfois 0,2 % – et pourquoi ne pas aller au-delà en le diminuant encore de 0,5 %, de façon à limiter au maximum le risque de mauvaise nouvelle ?
Non seulement vos prévisions de croissance sont trop optimistes, monsieur le ministre, mais en plus vous prévoyez une croissance spontanée des recettes, hors nouvelles mesures, de 8 milliards d’euros, soit 3 % de plus ! Je n’ai pas connaissance que cette année les revenus des Français, la consommation des ménages, l’investissement et les résultats des entreprises aient progressé dans une telle proportion. Nous en aurions entendu parler et, honnêtement, nous nous en réjouirions.
Alors, l’optimisme, pourquoi pas ? Un individu, tout comme un peuple, en a besoin. Mais l’excès d’optimisme peut confiner à l’aveuglement et au déni de réalité. En matière de gouvernement, c’est une faute grave, très grave même.
Je renouvelle aujourd’hui une deuxième proposition : retenir le principe de proposer autant d’économies de dépenses que de hausses d’impôts.
Ce serait un très bon signe envoyé aux Français et à tous les acteurs économiques, le signe que l’État est enfin raisonnable et que les efforts qu’il demande, et qui devront durer quelques années, n’en doutons pas, ne sont pas sollicités en vain. C’est fondamental si l’on veut garder la confiance des Français.
Nous devrons tôt ou tard – mieux vaudrait tôt – opérer une correction importante à la baisse de nos dépenses publiques. D’ailleurs, le Président de la République l’a lui-même annoncé récemment. Là aussi, il nous faut en finir avec cette trop grande timidité qui nous empêche de prendre le problème à bras-le-corps. Nous devons être courageux, rigoureux, justes et cohérents. Ce n’est qu’ainsi que nous obtiendrons l’accord d’une majorité de Français pour engager des efforts dans la durée.
Visiblement, monsieur le ministre, vous n’êtes pas prêt à retenir ces principes. Vous privilégiez les hausses d’impôts. Ces hausses d’impôts, nous ne pourrons pas les approuver. Non seulement parce qu’elles ne sont pas accompagnées des indispensables réductions des dépenses publiques, mais aussi parce qu’elles sont clairement excessives.
Le Gouvernement, à la suite de la publication du rapport Gallois, a enfin pris conscience de la nécessité de favoriser la compétitivité de nos entreprises.
Le Premier ministre nous annonce un plan d’aide aux entreprises de 20 milliards d’euros sur trois ans. Dans le même temps, il continue de nous proposer un projet de budget qui prélève chaque année 10 milliards d’euros d’impôts supplémentaires sur ces mêmes entreprises. Dans trois ans, les prélèvements s’élèveront à 30 milliards d’euros, soit 10 milliards d’euros de plus que le montant du plan d’aide !
C’est clair, monsieur le ministre : le premier geste du Gouvernement est de traire les vaches à lait de notre économie. Bientôt, elles n’auront plus de lait et ne pourront plus jouer le rôle de locomotive pour l’économie et l’emploi !
Quand on aura tué nos belles entreprises en les faisant crouler sous les impôts et les taxes, il ne faudra pas venir pleurer parce qu’elles délocaliseront leur production ou les accuser de s’être trompées de stratégie.
Le Gouvernement risque d’ici peu d’être entièrement responsable d’un désastre économique malheureusement annoncé. (Mme Michèle André s’exclame.)
L’augmentation des impôts concerne aussi les ménages. M. le Premier ministre nous a indiqué que les augmentations d’impôts ne toucheraient qu’un Français sur dix, les plus riches bien sûr. Devant cette énormité, à l’Assemblée nationale, vous avez tempéré cette affirmation en disant qu’il fallait comprendre que 90 % de l’effort fiscal serait assuré par 10 % des contribuables.
La réalité, c’est que la décote que vous proposez pour les premières tranches du barème de l’impôt sur le revenu n’empêchera pas des personnes qui ne payaient pas d’impôt l’an dernier d’en acquitter l’an prochain à la suite de la fiscalisation des heures supplémentaires.
La réalité, c’est que votre décision de maintenir le gel du barème, contre lequel vous aviez voté l’an dernier, concernera la plupart des contribuables. Or savoir que les riches payent plus ne soulagera pas beaucoup ces derniers lorsqu’ils devront eux aussi passer à la caisse !
Décidément, cette première partie du budget, qui comporte 20 milliards d’euros d’impôts supplémentaires, lesquels s’ajoutent aux 7 milliards d’euros décidés au mois de juillet, est sans doute sans précédent en matière de prélèvements sur les entreprises et sur les particuliers.
Ce n’est pas ainsi, en maintenant par ailleurs un niveau de dépenses extrêmement élevé, dont une partie est inefficace, que nous pourrons assainir durablement l’état de nos finances publiques et remettre notre pays sur les rails d’une croissance saine et durable.
Dans ces conditions, et j’en arrive à ma troisième question, combien de temps encore les marchés vont-ils nous faire confiance ?
Malgré des hausses d’impôts en cascade, en 2013, nous allons continuer à emprunter sur les marchés plus de 500 millions d’euros par jour, heureusement, pour l’instant – et pourvu que ça dure ! –, à des conditions extrêmement favorables.
Néanmoins, les charges de la dette représentent le deuxième poste budgétaire de l’État et engloutissent la quasi-totalité de l’impôt sur le revenu. Le jour où les marchés vont corriger leurs positions, la situation sera intenable.
M. Serge Dassault. C’est vrai !
M. Vincent Delahaye. On pourra toujours insulter les marchés, qu’on aura sollicités tant et plus auparavant, pointer du doigt la Commission européenne, l’euro, le FMI comme responsables et boucs émissaires, nous ne devrons nous en prendre qu’à nous-mêmes.
Il est temps d’être courageux, monsieur le ministre, et je suis sûr que, au fond de vous, vous l’êtes.
M. Didier Guillaume. Oui !
M. Vincent Delahaye. Mais vous représentez un gouvernement qui ne l’est pas ! (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
Et je suis sûr que, de temps en temps, le matin, en vous rasant, vous n’êtes pas loin de penser, comme moi, qu’il faudrait aller beaucoup plus loin en matière de réduction des dépenses.
Enfin, pour conclure, je citerai un homme dont j’ai toujours admiré la lucidité, Raymond Aron, qui a dit : « Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. » Évitons de nous retrouver dans cette configuration peu confortable, vous en conviendrez. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur un sujet dont il a été beaucoup question ces dernières semaines : la compétitivité. Et je veux souligner combien ce sujet majeur pour notre avenir est absent du présent débat budgétaire. Pis, nous ne sommes pas loin de penser que la politique d’augmentation massive des impôts qui est menée est anticompétitive.
La crise économique historique que nous traversons, les difficultés successives des gouvernements européens à enrayer la contagion de la crise de la dette souveraine et des perspectives de croissance faible rendent encore plus urgente la recherche de solutions afin d’améliorer structurellement la compétitivité de notre pays et de nos entreprises.
Certes, la compétitivité est un concept global, parfois difficile à appréhender, mais c’est d’abord de la compétitivité des entreprises qu’il s’agit et celle-ci est largement déterminée et influencée par les pouvoirs publics du fait de la politique fiscale, du droit du travail, des choix effectués en matière de dépenses publiques.
Le rapport Gallois développe, à très juste titre, cette approche globale. Mais il n’est pas le seul, et j’aimerais rappeler ici des travaux précédents tout aussi intéressants, qui ont nourri le débat et qu’il serait aujourd’hui dommage d’oublier sous prétexte que la nouvelle doxa est celle du rapport Gallois.
Je citerai volontiers les travaux de Terra Nova – voyez si mes sources sont larges ! – ceux de l’Institut de l’entreprise, de l’Institut Montaigne, de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale, sans oublier le rapport des partenaires sociaux du mois de juillet 2011 et, bien entendu, les états généraux de l’industrie.
M. Antoine Lefèvre. Très bien !
M. Jean-Paul Emorine. M. Gallois n’est donc pas arrivé en terrain inconnu ! Au contraire, la principale vertu de son rapport, au-delà des qualités pédagogiques de son auteur, est bien d’aider le Gouvernement à faire accepter ce qu’il s’est refusé d’accomplir jusqu’à présent et qu’il ne fait pas non plus via le présent texte.
En effet, monsieur le ministre, vous ne tenez absolument pas compte de ces recommandations dans le budget de la France pour 2013. Pis, vous donnez le sentiment d’essayer de gagner du temps, d’attendre que la reprise économique revienne toute seule, et de reporter toutes les mesures préconisées à 2014.
Mme Michèle André. Franchement…
M. Jean-Paul Emorine. La « révolution copernicienne » qu’évoque M. Moscovici est d’autant plus difficile à engager que le mot « compétitivité » était absent des engagements du candidat Hollande.
Vous perdez ainsi un temps précieux pour notre pays et, en attendant, les dispositions du présent projet de loi de finances ne traduisent aucune volonté d’engager une politique de soutien à la compétitivité.
Dans un contexte où le niveau des prélèvements obligatoires est déjà très élevé, vous nous proposez d’augmenter encore et fortement les impôts, alors que la voie de la réduction des charges publiques devrait être votre priorité pour assurer une véritable stratégie de consolidation budgétaire.
De fait, une politique résolue de baisse de la dépense publique est primordiale pour permettre, à terme, de réduire la fiscalité, de restaurer le taux de marge de nos entreprises, de nourrir la croissance, de créer des emplois et de retrouver des marges de manœuvre budgétaires.
La Cour des comptes recommande d’ailleurs un équilibre à 50-50 entre la hausse de la fiscalité et la baisse des dépenses. Vous avez décidé de ne pas suivre cette recommandation, et le présent texte atteint même le rapport de deux tiers de hausses d’impôts au titre du volet recettes contre un tiers de baisses des dépenses. Qui plus est, le Gouvernement ne tient pas compte des augmentations d’impôts déjà importantes induites par le projet de loi de finances rectificative du mois de juillet dernier.
Monsieur le ministre, à nos yeux, le chemin que vous choisissez est erroné. Vous augmentez fortement les impôts pour pouvoir continuer à alimenter la dépense publique alors qu’il faudrait faire l’inverse et reconnaître une fois pour toutes que nous ne pouvons plus financer le modèle économique et social issu de l’après-guerre de la même manière sans courir le risque de nous appauvrir et de nous laisser distancer par nos partenaires européens.
C’est le niveau de la dépense publique qu’il faut revoir. Notre ratio de dépenses publiques par rapport au PIB est de dix points supérieur à celui de l’Allemagne. Les citoyens français sont-ils moins bien éduqués, moins bien soignés, moins bien protégés que les citoyens allemands ? Non !
En France, 20 % de l’emploi total relève de la fonction publique, contre 10 % en Allemagne. Notre fonction publique emploie 5 millions de personnes pour une population active de 26 millions, hors chômage. Le service public est-il plus défaillant en Allemagne ? Non !
En conséquence, la France détient des records en termes de prélèvements : elle figure au deuxième rang des vingt-sept pays de l’Union européenne pour l’importance des charges sociales. Les prélèvements sur les entreprises représentent 39 % des prélèvements obligatoires, soit dix points de plus que la moyenne de l’Union européenne. Ils sont supérieurs de 47 milliards d’euros à ceux qui pèsent sur les entreprises allemandes.
La voie de la baisse de la dépense n’est pas impraticable. Nous disposons d’exemples historiques illustrant le succès d’une politique de redressement des finances publiques grâce à une réduction massive des dépenses. La réussite est double, en termes de résorption des déficits comme en termes de redémarrage de la croissance et de baisse du chômage. Pourquoi ? Parce que l’on constate une baisse du taux d’épargne des ménages et une reprise de l’investissement des entreprises.
Je songe notamment aux expériences menées par le Canada et la Suède dans les années quatre-vingt-dix : dans les deux cas, les dépenses publiques ont baissé d’environ dix points de PIB en quelques années, grâce à la réforme de l’État et à l’amélioration de l’efficacité de la dépense.
Or non seulement vous ne choisissez pas clairement cette voie, mais encore la diminution de la dépense publique que vous envisagez d’opérer ne commencera que modestement, à partir de l’an prochain. Qui plus est, vous diluez cette réduction de dépenses sur cinq ans, et sans clarté.
En outre, vous supprimez les seuls outils existant pour organiser rationnellement cette baisse, à savoir le principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Vous les remplacez par une concertation menée dans le cadre de la modernisation de l’action publique dont on sait très peu de choses à ce stade. Nous sommes très sceptiques quant à ce choix, car il n’offre aucune garantie d’atteindre l’objectif visé.
Au total, ce que vous nous promettez en matière de réduction de la dépense publique est bien évasif. À cet égard, il n’y a absolument aucune révolution copernicienne. Et, une fois de plus, vous ne prenez pas en considération les suggestions de la Cour des comptes. Or dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, en date du mois de juillet dernier, celle-ci trace les grandes lignes d’une méthode dont le Gouvernement pourrait judicieusement s’inspirer.
Que dit, en effet, la Cour ? Qu’il faut agir en priorité sur les dépenses publiques ; que le poids de ces dernières peut être réduit sans remettre en cause la qualité des services publics, grâce à des gains d’efficacité collective ; que l’action publique doit être modernisée ; que toutes les dépenses d’intervention doivent être réexaminées à la toise de l’efficacité.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, à nos yeux, un choc de compétitivité est nécessaire pour nos entreprises. Nous regrettons que vous ne nous le proposiez pas via le présent texte, alors que vous disposez, avec le rapport Gallois et celui de la Cour des Comptes, de tous les conseils pour mettre en œuvre une stratégie pour la compétitivité de notre pays dès maintenant, dès le projet de loi de finances pour 2013. (M. Richard Yung manifeste son exaspération.)
C’est tout le sens de la récente dégradation de la note de la France par l’agence Moody’s. Cette décision doit vous encourager à définir un cap,…
Mme Michèle André. Mais nous avons un cap !
M. Jean-Paul Emorine. … à redresser nos comptes publics et à agir pour la compétitivité dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Germain.
M. Jean Germain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, depuis le début de la discussion générale, nos collègues de l’opposition montent régulièrement à cette tribune pour nous expliquer que nous sommes confrontés à une crise historique. Nous le concevons, encore qu’il faille fixer des limites à cette affirmation.
Par ailleurs, ils soutiennent que nous nous trompons totalement, que le Gouvernement n’est pas conscient de la situation, et que, en définitive, il suffirait de diminuer les dépenses publiques sans toucher aux impôts pour que nos problèmes soient résolus.
Je me permets modestement de leur indiquer que, depuis dix ans, des gouvernements et des premiers ministres de leur sensibilité se sont succédé, et que si le remède était si simple, il leur suffisait de l’appliquer !
Mme Gisèle Printz. Eh voilà !
Mme Michèle André. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?
M. Jean Germain. À mes yeux, la question n’est pas tout à fait là. Certes, cette crise est historique, mais nous en avons connu d’autres ! Je le rappelle, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la dette dépassait les 100 % du PIB, et il a bien fallu continuer.
Aussi me semble-t-il nécessaire de faire quelques rappels de politique et, plus précisément, de politique économique.
Finalement, pourquoi en sommes-nous arrivés là, après dix années marquées par tant d’événements, en France comme à l’étranger ? À mon sens, c’est un système tout entier qui doit être condamné. Au cours de la période qui a précédé la crise, marquée par une relative expansion économique, l’endettement des marchés financiers a entraîné la situation à laquelle nous sommes à présent confrontés.
Cette crise, c’est également la crise d’une certaine forme de politique, expérimentée aux États-Unis à la fin de la présidence Reagan et au début du mandat de Bush père. C’est au surplus la fin du mythe de l’autocorrection des marchés, ou doctrine Greenspan, qui prônait de faire confiance aux marchés, ces derniers s’autorégulant. C’est enfin la crise de la dérégulation et de l’avidité financière. C’est bien en ce sens que la finance, et non les entreprises, constitue un ennemi. (Mme Marie-France Beaufils acquiesce.)
Que s’est-il passé aux États-Unis, de Ronald Reagan à Bush père ? En douze ans, la dette a été multipliée par quatre. On peut établir des comparaisons ! De fortes réductions d’impôts ont bénéficié aux plus riches et aux plus grandes entreprises : ces mesures ont été payées sur le dos de la collectivité, si je puis dire, par le creusement de la dette.
M. Serge Dassault. Mais non !
M. Jean Germain. Du reste, la bourse l’a bien compris, mon cher collègue ! En effet, dans le même temps, le Dow Jones a été multiplié par près de quatre, puisque cet indice a cru de 750 à 2 900 points. Il faut tenir compte de cette donnée. Je note à ce propos que les débats sont parfois un peu plus agités aux États-Unis, entre démocrates et républicains, que dans notre pays.
À nos yeux, il convient bien entendu de résoudre le problème du niveau de la dette – de fait, nous dépensons plus que nous ne récoltons, et cette situation est évidemment insoutenable à long terme.
M. Serge Dassault. Voilà ! Là, vous avez raison !
M. Jean Germain. Toutefois, on ne peut pas y remédier d’un seul coup. Il importe donc de se concentrer sur la tendance et sur la trajectoire à suivre.
Or ce qui, pour une bonne part, explique les déficits structurels des dernières années en France, je le rappelle à nos collègues de l’opposition, c’est la baisse des recettes, conséquence des réductions fiscales qui se sont succédé !
Certes, des tentatives ont été esquissées. Ainsi, le grand emprunt a constitué un stimulus important, mais cette mesure a très peu ajouté au ratio du déficit rapporté au PIB, par rapport à l’impact des réductions d’impôts qui, elles, ont fortement creusé la dette par rapport au PIB. Il est donc normal que, tenant compte des expériences internationales et nationales, le Gouvernement commence par une hausse d’impôts, en répartissant cet effort d’une manière juste.
M. Serge Dassault. Oh non !
M. Jean Germain. Naturellement, l’impôt n’est jamais populaire : raison de plus pour l’appliquer dans la justice. C’est ce que fait le Gouvernement ! (M. Roland du Luart manifeste sa circonspection.)
Parallèlement, nous devons tenir compte d’une pente très forte. Certes, ce qu’il est convenu d’appeler en économie le « stimulus keynésien » est par définition temporaire, et se résume bien souvent à un grand emprunt. Néanmoins, dans notre société, un certain nombre de charges, elles, ne sont pas passagères : il faut tenir compte du vieillissement de la population comme de la hausse du coût des soins de santé. Ces facteurs pèseront durablement.
Certains d’entre vous, mes chers collègues, ont fait référence à la notation de Moody’s, qui a rétrogradé la note de la France, la faisant passer du triple A au double A.
À ce titre, je ne résiste pas au plaisir de vous citer les propos qu’a tenus un économiste de Harvard, Jared Bernstein, lorsque Standard & Poor’s a dégradé la note des États-Unis de trois à deux A. Vous pourrez d’ailleurs vérifier l’authenticité de cette citation, retranscrite dans la revue américaine Democracy. M. Berstein a affirmé : cela me rappelle la prière de la sérénité des alcooliques anonymes qui invite à faire la différence entre le changeable et l’inchangeable. (Rires.) Cette prière s’adresse à une divinité : « Donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer les choses que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence. »
Monsieur le président de la commission des finances, à mon sens, le présent budget opère cette distinction, par les hypothèses de croissance qui sont retenues.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Oui !
M. Jean Germain. À l’affirmation selon laquelle le Gouvernement se fonde sur un taux de croissance optimiste, je réponds : « Peut-être ! » Toutefois, en lisant le rapport économique, social et financier figurant en annexe du présent projet de loi de finances, et qu’impose l’article 50 de la LOLF, on s’aperçoit que trois scénarios ont été mis à l’étude, et que le Gouvernement a choisi le cas de figure intermédiaire.
Nous connaissons les scénarios catastrophiste et optimiste. Le scénario intermédiaire, quant à lui, tient compte de la réélection du président Obama aux États-Unis. On ne peut tout de même pas se contenter de discuter de la France ! On ne peut pas évoquer quotidiennement la mondialisation tout en gardant les yeux rivés sur notre seul pays !
Ainsi, par le projet de loi de finances qu’il nous soumet, le Gouvernement nous propose de réduire les déficits tout en restaurant la compétitivité. Avant l’examen du présent texte, via le projet de loi de programmation, et après, via le collectif budgétaire qui sera adressé dès le 3 décembre à la commission des finances de l’Assemblée nationale, il fait la différence entre ce qui est de notre ressort et ce qui relève de l’Europe.
Il est notamment du ressort de l’Europe d’avoir des taux d’intérêt stables, de savoir quel spread est acceptable avec les Allemands et comment les pays en difficulté peuvent obtenir des taux d’intérêt plus bas que les États qui fonctionnent bien, ce qui est quand même le minimum de la solidarité européenne.
Dans ce cadre, je pense que le Gouvernement respecte totalement le programme sur lequel le Président de la République a été élu : éviter le déclin et assumer une social-démocratie qui reconnaît un certain nombre d’échecs, comme le disait François Rebsamen, mais estime aussi que le libéralisme, dont l’expérience a été tentée dans plusieurs pays, a totalement échoué.
Et les attaques actuelles des doctrinaires britanniques relatives à l’économie sont aussi dues au fait que nos voisins sentent bien qu’ils vont s’enfoncer dans de très grandes difficultés, alors que nous, nous avons des chances d’en sortir.
Je voudrais très rapidement dire un mot sur les collectivités locales : le fait que le Gouvernement ait mis le fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, en dehors de la régulation budgétaire est une bonne chose, car les collectivités territoriales sont nécessaires à la croissance, laquelle est tout à fait indispensable l’année prochaine.
Je souhaite que nous puissions discuter d’un pacte avec le Gouvernement et aussi, évidemment, dans le cadre de l’examen du futur projet de loi sur la décentralisation, des réformes que nous devons faire. On ne peut quand même pas aborder l’acte III de la décentralisation en disant simplement que l’on ne change rien à l’article 1er, que tout le monde conserve la compétence générale à l’article 2, et que les collectivités territoriales ne feront aucun effort à l’article 3… Si c’est cela, épargnons-nous le débat : on peut évidemment ne rien changer !
M. Roland du Luart. Vous avez raison !
M. Jean Germain. Il faut aussi engager le débat sur les normes. Ce sujet n’est peut-être pas jugé important en haut lieu, mais il l’est pour les communes, quelle que soit leur taille. Quand on examine ces normes à l’aune de leur coût, certaines sont valables, comme celles qui sont liées au nouveau développement industriel autour de la croissance verte ; d’autres, en revanche, pèsent très fortement sur les collectivités territoriales.
À l’instar d’autres collègues, vous avez indiqué, monsieur le président de la commission des finances, que nous allions attendre l’année prochaine pour examiner les modifications consécutives aux conclusions du rapport Gallois.
Je ne le pense pas, puisque, dès le 3 décembre, seront présentés à la commission des finances de l’Assemblée nationale, d’une part les modalités du crédit d’impôt, pour que les entreprises soient rassurées sur leurs perspectives pour l’année 2013, d’autre part, les trois nouveaux taux de TVA, à savoir 5 %, 10 % et 20 %, autant de mesures importantes qu’il convient de mettre en œuvre.