M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.
M. Jacques Berthou. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, notre débat de ce soir fait suite aux travaux de la mission commune d’information sur les inondations qui se sont produites dans le sud-est de la France au cours des deux dernières années, représentatives d’une évolution constante de la fréquence de ces événements qui, d’exceptionnels, sont devenus de plus en plus récurrents.
Tout d’abord, comme l’ensemble de mes collègues, je tiens à saluer la qualité des travaux accomplis par la mission commune d’information, en particulier par son rapporteur, M. Pierre-Yves Collombat, et son président, M. Louis Nègre.
Il était nécessaire que le Sénat, en tant que représentant des territoires, se saisisse de cette question pour tirer toutes les conséquences des événements survenus en 2010 et en 2011.
MM. Collombat et Nègre sont tous deux issus de territoires affectés par ces catastrophes. Leur investissement personnel lors de ces épisodes, puis au cours des travaux de la mission commune d’information, témoigne, à mon sens, du lien indéfectible qui unit un élu à son territoire.
La mission commune d’information a établi avec précision, en auditionnant soixante-quatre de leurs acteurs, les faits qui se sont déroulés au cours de cette période.
Comme M. le rapporteur l’a souligné, les inondations survenues respectivement en juin 2010 et en novembre 2011 ne sont pas comparables.
Les 15 et 16 juin 2010, plus de 300 millimètres d’eau en moyenne sont tombés, dans le Var, sur un territoire de 40 à 50 kilomètres carrés autour de Draguignan. Il s’est agi d’un événement limité dans le temps – quelques heures – comme dans l’espace.
En revanche, les inondations qui se sont déroulées du 2 au 8 novembre 2011 correspondent à des phénomènes plus classiques, plus prévisibles, dont la gestion peut être plus aisément organisée en amont.
La violence et l’intensité des inondations de juin 2010 rendent ce type de phénomène imprévisible. Il n’est pas nécessaire que je rappelle les multiples dégâts causés par cet événement, qui a touché des centaines de familles et sinistré l’économie du département du Var, en particulier dans les zones agricoles, à hauteur de 1,2 milliard d’euros.
Ces deux types d’inondations, clairement distingués par le rapport de la mission commune d’information, relèvent de dispositifs de prévention bien différents, même si, aux yeux de nos concitoyens, ils peuvent apparaître similaires.
La mission commune d’information a abordé de très nombreux sujets, s’agissant notamment de la gestion de l’immédiat après-crise et des insuffisances des régimes d’indemnisation. Pour ma part, j’aimerais insister particulièrement sur trois des vingt-deux préconisations qu’elle a formulées.
Tout d’abord, l’analyse des événements a mis en exergue des failles dans les dispositifs de gestion de crise, pour lesquelles le rapport propose des remèdes.
Comment améliorer le dispositif de prévention des inondations et d’alerte ? Dans le sud-est du pays, les pouvoirs publics se doivent d’appliquer une politique de protection des territoires et des populations en poursuivant la mise en œuvre de certains équipements techniques, tels que des radars ou des stations de surveillance des cours d’eau.
Oui, il est possible d’améliorer les dispositifs de gestion de crise, mais cela revient parfois à procéder à de petits aménagements, qui répondent conjoncturellement à l’ampleur de l’émotion provoquée par les inondations.
Comme le rapporteur, je crois qu’il faut intégrer ces réflexions dans une logique globale d’aménagement du territoire, en changeant notre vision des faits. Une politique d’aménagement territorial aux objectifs précis, dotée de moyens financiers et d’une gouvernance, permettrait, à terme, d’aborder l’avenir avec plus de sérénité, en protégeant les territoires inondables pour mieux les habiter.
L’exemple des Pays-Bas, qui ont consacré 1 % de leur PIB à la protection contre les inondations après la catastrophe de 1953, montre que des investissements massifs peuvent diminuer, pour l’avenir, les coûts liés à ces catastrophes naturelles et permettre aux habitants de vivre dans les zones à risques avec moins de peur et moins d’inquiétude.
Je veux également rappeler le souvenir des inondations de Nîmes, en octobre 1988. Aujourd’hui, près de vingt-cinq ans après cet événement, les travaux d’aménagement viennent juste de se terminer. En la matière, il est nécessaire que les investissements s’inscrivent dans le temps. Le département du Gard a multiplié les initiatives visant à améliorer la prévention des risques, en organisant notamment de grandes campagnes de sensibilisation et des formations destinées aux élus.
J’ai le sentiment qu’il faut qu’un territoire ait subi une inondation pour qu’il en tire toutes les conséquences pour l’avenir, comme si seul le traumatisme infligé par un tel événement pouvait susciter une vision globale de cette problématique.
Par ailleurs, la mission commune d’information propose de rendre plus rapide la réparation des dommages pour les collectivités territoriales. Dans mon département, l’Ain, des pluies torrentielles, avec des précipitations de l’ordre de 1 millimètre d’eau en une heure, ont provoqué des dégâts considérables. C’est dire si je soutiens cette recommandation formulée par la mission commune d’information, qui va dans le sens souhaité par les élus concernés.
En la matière, le pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales doit être solide. Actuellement, le FCTVA peut verser des remboursements anticipés dans l’année pour les travaux liés à la survenue d’une catastrophe naturelle. La mission commune d’information préconise de rendre automatique un tel remboursement dans l’année pour les travaux réalisés dans des communes déclarées en état de catastrophe naturelle : c’est une bonne recommandation. En rendant plus rapide la réparation des dommages pour les collectivités territoriales, on permettrait à des communes de relancer plus facilement toutes sortes d’activités locales, notamment économiques.
Par ailleurs, on peut regretter que l’État semble se désengager du financement de la prévention. La lutte contre les inondations nécessite l’engagement de l’ensemble des acteurs concernés : l’État, bien sûr, les collectivités territoriales et les populations. Étant donné l’incidence financière des préconisations formulées, je n’ignore pas que tous les travaux nécessaires ne pourront être réalisés immédiatement : ils devront être programmés et effectués selon un échéancier permettant à tous les acteurs de s’engager financièrement sur plusieurs années.
Enfin, je tiens à souligner le rôle majeur que sont susceptibles de jouer les populations à l’occasion de ce type de catastrophe naturelle. Elles doivent être associées en toute transparence au processus de prévention ou d’aménagement. Pour cela, les pouvoirs publics doivent leur transmettre en amont des communications lisibles et compréhensibles et ne pas hésiter à recourir davantage aux volontaires, qui, nombreux lors de ces crises, ne sont pas utilisés de manière efficiente. Il convient de leur donner les moyens d’agir efficacement,…
M. Alain Dufaut. Il faut organiser leur action !
M. Jacques Berthou. … en autorisant par exemple les réserves communales à participer à des actions au-delà des limites de la commune, comme le préconise le rapport.
Les catastrophes naturelles marquent notre mémoire collective parce qu’elles affectent l’ensemble des composantes de la société, touchent toutes les classes sociales et modifient pour longtemps les paysages de nos campagnes et de nos villes. Nous avons tous en tête, à jamais gravées dans nos mémoires, les images des inondations qui se sont produites dans le Var et dans l’Aude, ainsi qu’à Nîmes ou à Vaison-la-Romaine.
Mener la bataille contre ces risques nécessite le concours de tous les acteurs. Pour ma part, je salue les recommandations du rapport issu des travaux de la mission, car elles sont de nature à refonder la politique de prévention des inondations en la rendant plus cohérente, plus transparente, plus concertée, et donc plus efficace. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Var est régulièrement victime d’importantes inondations qui tuent. Je suis assez d’accord avec M. Nègre quand il évoque une amnésie collective face à ces phénomènes pourtant impressionnants.
À l’évidence, il s’agit d’un fléau chronique, et il convient de s’interroger sur ses causes et ses remèdes, afin que de tels épisodes météorologiques ne provoquent plus de drames et de destructions coûteuses.
Le rapport de la mission commune d’information met l’accent sur la gestion de crise, le renforcement des moyens de prévision, d’alerte, de surveillance et d’indemnisation, pour ne traiter ensuite qu’assez modestement, selon moi, la question de la vie avec le risque, de la place de celui-ci dans l’aménagement territorial, de la prévention et de l’association de la population à cette dernière. Ce sont pourtant ces éléments qui nous semblent devoir constituer le cœur de notre réflexion en vue de traiter le sujet plus large des risques naturels.
« Se donner les moyens de ses ambitions : les leçons des inondations du Var et du sud-est de la France » : tel est le titre du rapport de la mission commune d’information. De quelles ambitions parle-t-on ? S’agit-il de dépenser toujours plus pour réparer, mobiliser des efforts exceptionnels, créer des comités, des commissions, des établissements publics sous le coup de l’émotion, ou de réduire concrètement – c’est l’ambition qui est la nôtre – la vulnérabilité de notre société et de nos territoires ?
Améliorer la prévision, donner des moyens à la recherche, investir encore dans les dispositifs d’alerte, renforcer la coordination des secours, former les élus et les représentants de l’État à la gestion de crise : tout le monde est d’accord sur le principe, mais nous savons d’une part que les moyens financiers sont trop limités pour permettre une mise en œuvre effective de ces recommandations, d’autre part que cela ne changerait rien à l’aggravation continue de la vulnérabilité des territoires concernés.
Je vais donc revenir brièvement sur certaines recommandations formulées dans ce rapport et approfondir quelques points qui, à mon sens, ne l’ont pas été suffisamment.
Si les propositions visant à fluidifier l’indemnisation des victimes, à informer les collectivités sur les aides financières existantes et à simplifier les procédures vont globalement dans le bon sens, en vue de panser au mieux des plaies que l’on ne pourra pas toujours éviter, je ne peux pas en dire autant de certaines autres recommandations.
Ainsi, l’idée de créer des malus sur les primes et franchises d’assurance ne nous semble pas pertinente : certaines personnes pourront se voir appliquer ces malus en raison d’un manque d’information dont elles ne sont pas directement responsables ; ce serait tout à fait injuste. À l’inverse, la logique du bonus attribué à ceux qui effectueront les nécessaires travaux d’adaptation aux risques servirait d’incitation aux comportements vertueux.
De manière plus anecdotique, surveiller les réseaux sociaux pour combattre les rumeurs éventuelles serait un exercice coûteux, aux effets incertains. En revanche, recourir à ces réseaux pourrait se révéler utile pour toucher des populations que l’on n’atteint plus suffisamment par le biais des médias traditionnels.
De manière générale, on veut introduire beaucoup de nouveautés, alors même que toutes les propositions faites à la suite d’événements précédents n’ont pas été mises en œuvre jusqu’au bout. Je pense par exemple à la proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine déposée à la suite de la tempête Xynthia : ce texte, qui a été discuté et adopté par notre assemblée, n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
De la même manière, il a été fait peu de cas des outils issus de la loi Grenelle 2, qui transpose pourtant la directive « inondation ». Dès lors, vouloir créer une commission permanente destinée à rendre des avis sur les arrêtés constatant l’état de catastrophe naturelle, un comité de suivi post-inondation, ainsi que des EPAGE dans tous les bassins versants ou sous-bassins, que les établissements publics territoriaux de bassin aurait la mission de coordonner, est largement discutable, l’intérêt de telles structures n’étant en aucun cas démontré.
En réalité, plusieurs recommandations de ce type émanent directement d’acteurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui constatent avant tout les défaillances apparaissant dans leur région et proposent donc des remèdes adaptés à leur contexte local. Je ne suis pas convaincue de l’intérêt de généraliser ces préconisations à la France entière, étant donné l’hétérogénéité des situations.
Dans le même ordre d’idées, on prétend vouloir renforcer le rôle des acteurs à l’échelle des bassins versants tout en érigeant la région en acteur central : est-on sûr que cela va dans le sens d’une clarification des compétences ? À l’inverse, l’idée de confier à l’Observatoire national des risques naturels la réalisation d’un tableau de bord sur le financement de la politique de prévention en matière d’inondations me semble pertinente.
Améliorer la gouvernance, notamment en étendant le rôle des élus et en intégrant les associations de victimes au sein des comités de bassin et des instances des agences de l’eau, peut présenter un réel intérêt.
Enfin, nous partageons la volonté affirmée d’améliorer la pédagogie concernant les risques : placer les acteurs des zones à risques dans des situations créatives, rendre les exercices obligatoires en y associant les réserves communales de sécurité civile, tout cela est utile. Il y a aussi un travail à faire dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire, au travers de la formation des enseignants et des programmes scolaires. On peut encore penser à la sensibilisation des ingénieurs de l’État ou des collectivités aux constructions et aménagements résilients.
Pour le reste, c’est une question de modèle. J’estime qu’il convient de favoriser une démarche qui n’est pas encore bien intégrée dans notre pays, consistant à établir un diagnostic partagé à l’échelon local, à fixer par le débat public un niveau de risque acceptable, à accepter celui-ci et à vivre avec, en adaptant les protections, en modifiant peut-être notre manière de construire, en mettant, de manière générale, l’accent sur la prévention.
Nous voulons réaffirmer la complémentarité de la protection de l’environnement et de la gestion des risques : en effet, les assouplissements de la loi littoral et l’étalement urbain aux dépens de la protection des écosystèmes portent, à l’évidence, une lourde part de responsabilité dans la grande vulnérabilité actuelle du département du Var.
La source des drames, dans ce département, c’est aussi l’arrivée de populations nombreuses venues d’autres régions et ne mesurant pas forcément d’emblée les enjeux liés au risque d’inondation. Il y a un travail d’intégration à réaliser par les collectivités territoriales.
Il convient, enfin, de privilégier une approche préventive. Recentrer le fonds « Barnier » sur ce volet serait une bonne chose, par exemple en aidant financièrement les habitants des zones vulnérables à procéder à des travaux d’adaptation. Par ailleurs, il me semble désormais inévitable d’imposer des obligations pour les nouvelles constructions dans les zones à risques.
Pour conclure, je dirai qu’il est important de reconsidérer la place de l’État dans toute cette problématique. Il est supposé garantir la sécurité des personnes et des biens contre les éléments naturels, mais il est aujourd’hui évident que ce sont bien les collectivités qui l’aident à s’acquitter tant bien que mal de ses missions, et non l’inverse.
Les charges et responsabilités ont été reportées sur les collectivités locales, qui ont par ailleurs subi la lente érosion du soutien de l’État central : l’agonie de l’ingénierie publique, liée à la mise en œuvre de la RGPP et à la décentralisation, et le transfert implicite de l’entretien des ouvrages de protection des propriétaires aux collectivités participent à l’étranglement financier généralisé des départements et des communes.
Cela vaut également pour la réalisation des plans communaux de sauvegarde, les PCS. L’incitation à leur élaboration passe inévitablement par la mise à disposition des élus des petites communes de moyens humains à cette fin.
En outre, si l’on veut que l’État puisse exercer un contrôle de légalité digne de ce nom en matière d’urbanisme, il faudra donner les moyens humains nécessaires aux préfectures. Les probables futures lois de décentralisation devront aborder la question de la répartition des compétences. Il conviendrait aussi d’impliquer certains concessionnaires – je pense notamment à la Compagnie nationale du Rhône – dans la gestion des risques, afin que la poursuite des objectifs de production électrique des barrages ou de stockage de l’eau pour l’irrigation ne compromette plus la sécurité des biens et des personnes. Pour ce qui concerne la Compagnie nationale du Rhône, la révision de la concession n’intervenant que dans onze ans, il serait bon que l’État s’empare de ce sujet dès aujourd’hui !
Nous partageons la douleur des familles des victimes, mais il ne nous semble pas pertinent d’ajouter chaque année une nouvelle strate de mesures dictées par l’émotion ou les besoins de certaines localités… Commençons par mener à bien ce qui a déjà été amorcé, modifions notre approche du risque pour ne plus dépendre du mythe de l’invulnérabilité qui, en fait, nous rend précisément vulnérables et tue chaque année. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport de la mission commune d’information est bon, je le dis d’emblée pour ne pas avoir à y revenir ! (Sourires.)
Élu d’une région, l’Île-de-France, où la menace de la crue centennale est suspendue, telle une épée de Damoclès, au-dessus de la tête des riverains de la Seine, je tenais ce soir à souligner la nécessité de donner la priorité à l’élaboration de la politique de prévention, notamment en termes d’infrastructures.
Le Var a connu, à seize mois d’intervalle, deux inondations catastrophiques. La première a causé 1,2 milliard d’euros de dégâts ; la seconde, qui s’est étendue sur plusieurs départements du sud-est de la France, a provoqué entre 500 millions et 800 millions d’euros de dommages.
Le parallèle avec Paris est intéressant, car, à travers ce rapport, on constate que l’inondation est un risque caractéristique tant de la région varoise que de l’Île-de-France. En effet, la Seine a connu une soixantaine de crues de grande ampleur depuis le VIe siècle. La prochaine crue centennale à Paris dépassera peut-être celle de 1910, dont les traces sont visibles sur les murs du Palais Bourbon.
Depuis 2003, à Paris, onze scénarios ont été établis par la préfecture. L’évolution de plusieurs paramètres est même suivie de près par le secrétariat de la zone de défense. Les cas d’étude décrivent tous la catastrophe à venir : les dégâts pourraient atteindre 15 milliards d’euros, selon le chiffre de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme, 850 000 habitants de l’Île-de-France seraient directement touchés par les inondations, 508 communes se trouveraient sous les eaux, dont 31 sur plus de la moitié de leur territoire. Nous sommes sûrs qu’une crue centennale surviendra, un jour ou l’autre.
La question de la prévention des inondations dans de telles zones est donc centrale en vue d’assurer une protection générale des populations et des biens. Or ces sinistres apportent la démonstration que la priorité de notre politique de lutte contre l’inondation est non pas la prévention, même s’il existe des PPRI, mais l’efficacité de la gestion de la crise. Il existe un plan pour Paris : on saura empêcher que l’eau ne pénètre dans le métro, mais l’important serait d’investir dans des infrastructures de protection en amont.
Il est bien rappelé, dans le présent rapport, qu’il n’y a pas d’« exception varoise » ; c’est la France entière, celle des zones à risques, qui est concernée par cette carence.
La surveillance coordonnée de l’ensemble du bassin Rhône-Méditerranée est pourtant essentielle, 47 % des communes de ce bassin étant concernées par le risque d’inondation, d’autant que ce territoire est le lieu d’enjeux humains et économiques majeurs, à l’instar de l’Île-de-France.
Pareillement, dans le bassin francilien, la politique de prévention n’a connu aucune amélioration substantielle, en dépit des deux questions sur ce sujet que j’ai posées au précédent gouvernement et des rappels incessants de la nécessité d’investir que je formule au Conseil de Paris, où je préside un groupe d’opposition. Il faut savoir que la ville de Paris dispose chaque année d’un budget d’investissement de 7 milliards d’euros. Nous venons encore de consacrer 50 millions d’euros à la réalisation d’équipements ludiques sur les berges de la Seine ; on ferait mieux d’affecter ces moyens à la protection contre les inondations !
Le projet d’aménagement de La Bassée, élaboré par l’EPTB Seine Grands Lacs, va très intelligemment dans ce sens. Il consiste à construire dix gigantesques casiers capables de stocker 55 millions de mètres cubes d’eau en amont de Paris, au confluent de l’Yonne et de la Seine. Ce système, dont le coût est évalué à 500 millions d’euros, permettrait de baisser le niveau de la crue de 20 à 50 centimètres, et ainsi de réduire de 30 % les dommages en cas de catastrophe similaire à celle qu’a connue le Var.
Or, mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, faute de financement de la part tant de l’État que de la Ville de Paris – je reproche au maire de Paris un manque de proactivité sur ce point –, il n’est désormais envisagé que la réalisation d’un seul casier test, permettant de réduire le niveau des crues de seulement 5 centimètres…
C’est bien entendu contraire au principe de précaution, qui enjoint d’analyser l’efficacité du dispositif du projet de La Bassée en déterminant le rapport entre le coût et les avantages.
Madame la ministre, vous dont la présence semble indiquer que vous vous intéressez à ce dossier, cette infrastructure est vitale pour la région capitale, comme l’est une réflexion plus poussée sur la prévention dans la zone fortement inondable qu’est le sud-est de la France. Permettez-moi d’établir un tel parallèle, qui a l’avantage de souligner un problème important.
Ce projet ne doit pas tomber dans les limbes, sous prétexte de contexte budgétaire tendu. Le retour de boomerang n’en serait que plus cruel du point de vue tant économique qu’humain. N’oublions pas les 15 milliards d’euros de dégâts, sans compter les autres conséquences de ces inondations !
C’est la raison pour laquelle je profite du dépôt de ce rapport pour interpeller l’État et les collectivités territoriales, comme je le fais régulièrement, en pure perte d’ailleurs, au sein du Conseil de Paris, afin de les convaincre de la nécessité impérieuse de mener à bien une réflexion globale sur les infrastructures dans le cadre de la prévention des sinistres et, surtout, d’investir dans ce très bon projet. En effet, pour des raisons budgétaires, on envisage aujourd’hui de ne réduire les crues que de cinq centimètres. C’est peut-être suffisant pour éviter que l’eau déborde, mais il me semble qu’une baisse du niveau de la Seine de vingt-cinq centimètres serait un peu plus protectrice.
Paris n’est pas le Var, mais les mêmes problèmes se posent ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « nos ancêtres construisaient de manière concentrée dans des zones non inondables. Il n’y a que nous pour avoir – bêtise absolue – construit dans la vallée du Var ».
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. C’est faux !
M. Ronan Dantec. Ces mots ont bel et bien été prononcés, lors de son audition, par Jean-François Carenco, d’origine varoise et préfet de la région Rhône-Alpes.
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Certes ! Mais c’est faux !
M. Ronan Dantec. Zut…
Ces paroles disent pourtant notre temps : le paradoxe d’une société qui exige toujours plus de précaution et de prévention, mais qui, dans le même temps, prend bien des risques inutiles, comme si elle se croyait invincible.
Cela a été rappelé, avec vingt-sept morts, deux disparus et près de 2 milliards d’euros de dégâts, les inondations de juin 2010 et de novembre 2011 ont mis en lumière, comme bien d’autres événements plus anciens, notre fragilité face à l’imprévu et la nécessité de doter notre pays d’une véritable culture du risque.
J’ai été pendant plus de dix ans vice-président de Nantes Métropole, chargé notamment du risque. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur d’avoir souligné l’exemple nantais. Il est vrai que créer une culture du risque est un challenge difficile ; la maintenir dans la durée l’est peut-être encore plus.
Afin donc de comprendre ce qui s’est passé dans le Var et d’avancer de nouvelles propositions, le Sénat a décidé de réunir une mission commune d’information, dont il nous appartient aujourd’hui de commenter les conclusions. Fidèle à ses usages, notre institution a pris le temps du travail de fond et de la concertation, ce dont le groupe écologiste se félicite et qu’il salue.
Nous approuvons globalement les préconisations de la mission, qui défend une « approche globale du risque » et souligne la nécessité de « revisiter tout le dispositif de prévention » des inondations.
Les écologistes considèrent que c’est bien le principe de prévention qui doit nous guider à l’avenir, un avenir nourri de notre connaissance du passé. En effet, les crues intenses et rapides sont sorties de la mémoire collective, alors que, je l’avais noté avec intérêt, on en trouve trace depuis 1378 dans les archives varoises.
C’était aussi d’ailleurs le cas dans la région de Fukushima – cela nous éloigne du Var ! –, où des bornes anciennes, sur les collines, marquaient le niveau à partir duquel on n’avait jamais connu de tsunami. Je remercie donc Louis Nègre d’avoir souligné – on reprendra le débat sur Descartes une autre fois ! – notre orgueil démesuré, notre faible prise en compte des risques environnementaux et notre autisme face aux messages de la nature.
Les différentes auditions ont permis de mettre en lumière de nombreuses lacunes dans les politiques de gestion de crise et d’après-crise. Malheureusement, encore une fois, c’est l’analyse des catastrophes qui fera progresser les politiques publiques.
Point important en ce qui concerne la gestion des cours d’eau, le rapport de la mission d’information indique qu’« il n’y aura pas de politique de prévention des inondations efficace sans clarification des compétences et sans généralisation des structures publiques permettant de la mettre en œuvre ».
Le rapport, s’appuyant notamment sur le constat d’un entretien défaillant des cours d’eau dans le Var, préconise, et nous approuvons tout à fait une telle proposition, la création obligatoire d’un établissement public d’aménagement et de gestion des eaux – je sais, pour les avoir rencontrés, que les élus de la région PACA soutiennent très fortement une telle structure – ou d’un établissement public territorial de bassin sur chaque bassin versant, doté de compétences obligatoires en matière d’entretien et de surveillance des cours d’eau.
Il me semble logique et efficace de gérer ensemble préservation des milieux naturels et gestion du risque, les milieux naturels étant souvent le meilleur réceptacle et amortisseur des crues.
La mission d’information précise utilement que ces nouveaux établissements publics devraient être financés par des recettes fiscales pérennes. On peut en effet avoir des inquiétudes sur ce point, qui constitue pourtant un enjeu majeur de l’efficacité de ces organismes. Une réunion du Comité national de l’eau se tiendra prochainement. Il s’agira de trouver des ressources fiscales permettant de mener efficacement ces actions.
La question du budget de l’eau est toujours l’objet d’une grande réflexion. L’année dernière, à peu près à la même époque, dans le cadre de la loi de finances pour 2012, nous étions mobilisés, notamment, contre la proposition de « siphonner » les réserves des agences de l’eau.
À quelques jours de la conférence de Doha, je ne peux pas ne pas insister sur ce qui constitue selon nous la première des politiques de prévention, à savoir la lutte contre le dérèglement climatique, qui constitue, cela a été souligné par le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, juste avant la précédente conférence, celle de Durban, un amplificateur de catastrophes naturelles. Or il est admis, est-il nécessaire de le rappeler, que le coût des mesures de prévention du changement climatique est moindre que celui des réparations. La tempête Sandy, qui vient de frapper la ville de New York et a occasionné 20 milliards de dollars de dégâts, nous le rappelle cruellement. Nous devons donc nous adapter à des risques non seulement récurrents, dont certains sont encore dans nos mémoires si nous les y cherchons, mais aussi croissants. Tel est le sens de ce rapport. Dans ce cadre, ne perdons jamais de vue l’enjeu qu’est la réduction de nos émissions de CO2, qui doit rester une priorité.
Un autre enjeu fondamental, assez peu évoqué lors des interventions précédentes, est celui de la maîtrise foncière. La ressource foncière fait l’objet de tensions de plus en plus fortes et la concurrence des usages est accrue dans les zones fortement attractives. C’est le cas dans le Var, où, entre 1982 et 2011, la population a augmenté de 43 %. Outre le défaut d’entretien des cours d’eau, le ruissellement urbain et l’imperméabilisation des sols sont des facteurs qui aggravent les inondations.