M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Comme cela a été dit hier, la commission des finances a validé le principe de ce texte et donc de l’ensemble de ses articles. Par conséquent, tout amendement visant à supprimer l’un d’entre eux ne peut que recevoir un avis défavorable de la commission des finances.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 47, présenté par MM. Placé, Gattolin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par les mots :
en matière de finances publiques et de politiques publiques sur la base des éléments mentionnés au dernier alinéa de l'article 5 de la présente loi organique
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. En ratifiant le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, la France a pris l’engagement vis-à-vis de ses cocontractants de respecter sa trajectoire de réduction du solde structurel, mais ce n’est pas là son seul engagement européen.
Par exemple, elle est également tenue par les objectifs stratégiques adoptés par le Conseil et le Parlement européens, qui fixent des seuils à atteindre en matière d’emploi, d’exclusion, d’éducation, de recherche, de climat, d’énergies, etc.
Or tous ces objectifs stratégiques sont potentiellement contradictoires avec celui de la maîtrise du solde budgétaire. En privilégiant uniquement ce dernier, le Haut Conseil donne indirectement des consignes au Parlement quant aux objectifs européens qu’il conviendrait de respecter et quant à ceux dont on pourrait s’affranchir.
Afin que le Parlement puisse se prononcer en toute connaissance de cause, nous demandons simplement, à travers cet amendement, que le Haut Conseil l’éclaire sur la pertinence de la trajectoire empruntée par la France pour atteindre ses objectifs européens, tous ses objectifs européens.
On pourrait m’objecter que le Haut Conseil des finances publiques ne saurait se préoccuper de climat ou d’éducation. Ce serait toutefois méconnaître l’évidence selon laquelle les finances ont une dimension éminemment transversale. Ce n’est pas au ministre du budget que je vais l’apprendre, lui qui éprouve quotidiennement la gratifiante transversalité de sa mission en allant porter dans les différents ministères la bonne nouvelle des crédits qu’il leur alloue...
On pourrait également rétorquer que le Haut Conseil ne pourra se prévaloir d’une compétence technique que dans le seul domaine de la macroéconomie et des comptes publics. Cela, je ne le conteste pas, et je n’y vois pas de contradiction avec cet amendement.
À travers celui-ci, nous ne demandons en effet pas au Haut Conseil d’entrer dans le détail de chaque politique publique, de se prononcer sur les meilleures mesures à mettre en œuvre pour atteindre tel objectif d’économie d’énergie ou tel taux de pauvreté. Non, nous lui demandons seulement de regarder le rapport annexé par le Gouvernement au projet de loi de programmation prévu à l’article 5, et plus particulièrement les éléments mentionnés à l’alinéa 10, qui, précisément, présentent la situation de la France au regard de ses objectifs européens.
Sur la seule base des éléments fournis par le Gouvernement et mentionnés à cet alinéa 10 de l’article 5 du présent projet de loi organique, le Haut Conseil aura alors simplement à émettre un avis permettant d’apprécier si la trajectoire présentée pour atteindre les objectifs est globalement pertinente.
Ainsi, s’il constate qu’après écoulement de la moitié du délai, 10 % seulement du chemin menant à l’objectif a été parcouru, il pourra facilement déduire que cet objectif semble négligé.
À l’inverse, il pourra constater si l’évolution des indicateurs autorise à être confiant dans la réalisation en temps utile de tel autre objectif.
Cet amendement ne méconnaît en aucune manière le rôle du Haut Conseil, n’en fait pas un arbitre des politiques publiques, ne préjuge pas son expertise. Il vise simplement à donner aux avis du Haut Conseil une ouverture de champ permettant d’éclairer plus largement, plus précisément et, surtout, plus objectivement le Parlement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur Gattolin, vous soulignez à juste titre qu’il est important d’éclairer le Parlement sur l’ensemble des aspects des politiques publiques.
Pour autant, il convient de distinguer entre l’information demandée au Gouvernement, notamment dans les annexes à l’appui de la loi de programmation des finances publiques, et l’information que le Haut Conseil fournit au Parlement pour éclairer son champ décisionnel.
À cet égard, mon cher collègue, j’attire votre attention sur le fait que, sur l’initiative des députés écologistes, a été intégré à l’article 5 un alinéa 10 qui donne effectivement injonction au Gouvernement de fournir dans les annexes à la loi de programmation tout élément indispensable sur la situation de la France « au regard des objectifs stratégiques européens ». C’est, me semble-t-il, une avancée à laquelle on ne peut que souscrire.
En revanche, s’agissant du Haut Conseil, puisque c’est de lui que nous débattons ici, je souligne que c’est un organisme technique qui doit émettre un avis technique sur les aspects conjoncturels, macroéconomiques et sur les finances publiques. Par conséquent, demander au Haut Conseil de se prononcer sur les domaines économiques et environnementaux, c’est sans doute aller au-delà de la philosophie qui a conduit à la création du Haut Conseil.
Eu égard aux avancées déjà obtenues à l’Assemblée nationale et à la finalité même du Haut Conseil, je vous suggère donc, monsieur Gattolin, de retirer votre amendement, contre lequel je ne pourrai sinon qu’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. La finalité du Haut Conseil est, clairement, de donner un avis sur les conséquences des politiques menées dans notre pays en matière d’équilibre budgétaire et de respect de la trajectoire des finances publiques. Je ne crois pas que cet avis doive aller au-delà de ce champ, et il ne doit certainement pas être une appréciation de la politique du Gouvernement au regard de ses engagements européens.
Le Gouvernement n’est responsable de sa politique que devant le Parlement et, le cas échéant, devant ses partenaires. Donner à un Haut Conseil indépendant le pouvoir d’émettre un jugement qui ne serait pas une injonction mais dont on sait quelle force il aurait néanmoins reviendrait à confier à cet organisme un rôle que ses membres seraient probablement très gênés d’avoir à exercer et qu’en toute hypothèse ni le Gouvernement ni le Parlement ne pourraient accepter.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, je vous suggère de retirer cet amendement.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. le président. Monsieur Gattolin, l'amendement n° 47 est-il maintenu ?
M. André Gattolin. Si l’on pouvait toujours aller plus loin, ce serait bien, mais j’ai entendu les arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre : j’accepte de retirer mon amendement pour ne pas compliquer la discussion. (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP. – M. Jean Desessard applaudit.)
M. le président. L'amendement n° 47 est retiré.
L'amendement n° 60, présenté par M. Arthuis, est ainsi libellé :
Alinéa 2, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Si son avis est défavorable dans le cas de l’estimation du produit intérieur brut potentiel, il indique, pour la période couverte par la programmation, celle qu’il retiendra pour l’application du I de l’article 16.
La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Cet amendement a pour objet de renforcer le jalonnement de la trajectoire en précisant que, si le Haut Conseil exprime un avis défavorable sur l’estimation du produit intérieur brut potentiel, il indique lui-même celle qu’il retiendra pour l’application de l’article 16. Aux mêmes fins, j’ai déposé également un amendement n° 65 à l’article 16.
Mon souhait est d’éviter tout abus manifeste de la part du Gouvernement qui priverait le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de même que le présent projet de loi organique de toute portée en cassant, en quelque sorte, le thermomètre.
Le texte que nous examinons doit répondre à deux impératifs : la trajectoire du PIB potentiel servant à calculer le solde structurel doit être fixée une fois pour toutes au début de la programmation et ne pas pouvoir être remise en cause par le Haut Conseil, mais il faut aussi absolument prévenir toute tentation de biaiser la programmation et les hypothèses de PIB potentiel. C’est peu dire que, depuis une quinzaine d’années, les gouvernements successifs ont fait preuve d’optimisme et de volontarisme à propos des données macroéconomiques qu’ils ont retenues pour établir les lois de finances et les programmes de stabilité transmis à Bruxelles.
M. Philippe Marini. Certes !
M. Jean Arthuis. Il suffit d’ailleurs de lire le rapport de M. Marc pour en être convaincu.
Dans ces conditions, il me paraît indispensable de demander au Haut Conseil, s’il devait constater un abus manifeste, de préciser sa propre trajectoire de PIB potentiel et de la prendre en compte dans l’appréciation qu’il portera sur les lois de règlement et lors de la reddition des comptes de la sécurité sociale.
La procédure serait donc la suivante.
Lors de l’examen du projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, le Haut Conseil rendrait, comme le prévoit le texte adopté par la commission des finances, un avis sur la trajectoire du PIB potentiel du rapport annexé.
En cas d’avis défavorable, qu’il ne rendrait qu’en cas d’abus manifeste, le Haut Conseil fixerait lui-même la trajectoire du PIB potentiel, qu’il utiliserait pour estimer le solde structurel. C’est la différence introduite par le présent amendement.
Enfin, l’amendement n° 65 à l’article 16 prévoit, par coordination, que la trajectoire du PIB potentiel utilisée par le Haut Conseil pour la mise en œuvre du mécanisme de correction serait celle qui figure dans le rapport annexé au projet de loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, sauf dans le cas où il émettrait un avis défavorable ; dans ce cas, le Haut Conseil utiliserait la trajectoire qu’il aurait annoncée dans son avis sur le projet de loi de programmation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. M. Arthuis, avec l’expertise qui le caractérise, se penche sur le « cœur du réacteur » du projet de loi organique, car il s’agit bien là du sujet majeur sur lequel nous devons nous prononcer aujourd'hui, mais il y a entre nous une différence d’appréciation notable.
Mon cher collègue, il me semble en effet, et la commission des finances a suivi mon analyse, que votre proposition revient à transférer au Haut Conseil des finances publiques la détermination du montant des mesures à prendre pour respecter la trajectoire des finances publiques. Le Gouvernement et le Parlement seraient ainsi, en quelque sorte, dessaisis de l’un des éléments essentiels de la politique des finances publiques.
Ce ne serait pas conforme à la position adoptée par la commission des finances, qui a préféré, pour s’assurer que l’hypothèse de PIB potentiel sur laquelle repose la programmation est réaliste, que le Gouvernement comme le Haut Conseil soient obligés de motiver leurs avis et propositions de sorte que le Parlement puisse se prononcer en étant éclairé par un débat contradictoire.
Sur le plan politique, nous doutons que, dans le système prévu par le projet de loi organique, le Gouvernement ou le Parlement puissent beaucoup s’écarter de l’avis du Haut Conseil.
En outre, le Conseil constitutionnel a indiqué, dans sa décision du 9 août dernier, que la manière dont seraient pris en compte les avis du Haut Conseil constituerait l’un des éléments de son appréciation de la sincérité des textes financiers. C’est pourquoi on peut penser que le Gouvernement ne prendra en réalité aucun risque et négociera en amont avec le Haut Conseil.
Monsieur Arthuis, dès lors que vos préoccupations sont déjà prises en compte dans le dispositif prévu par le texte, notamment avec les modifications qu’y a apportées la commission des finances, mieux vaudrait que vous retiriez votre amendement, contre lequel j’émettrai à défaut un avis défavorable.
Peut-être aussi pourriez-vous vous rallier à l’amendement n° 72, qui va être examiné à l’article 16, car il satisfait un autre des objets de votre amendement, à savoir la nécessité de clarifier les conditions dans lesquelles le Haut Conseil des finances publiques constate les écarts par rapport à la trajectoire des soldes structurels.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je comprends votre intention : au fond, tout en admettant que le Haut Conseil aura un poids réel, vous souhaiteriez qu’il en ait plus encore. Tel est, me semble-t-il l’objet de votre amendement, qu’au demeurant vous assumez parfaitement.
Pour ma part, j’estime que le texte qu’a proposé le Gouvernement et qui a été accepté, dans son esprit, par l’Assemblée nationale comme, je le crois, par la commission des finances du Sénat donne un poids incontestable au Haut Conseil, mais ne va pas au-delà de ce que nous estimons possible pour assurer le respect des institutions de notre pays et, surtout, pour ne « rogner » en rien tant les prérogatives du Gouvernement que la souveraineté du Parlement lorsque nous définissons ses missions et ses moyens pour les accomplir.
Il me semble que, par votre amendement, vous franchissez la ligne que nous avons voulu ainsi tracer, de la façon la plus loyale à l’égard du Parlement, conformément au choix qui est le nôtre. En effet, nous n’estimons pas – c’est une divergence entre nous – qu’il faille à ce point se méfier du gouvernement de la France et du Parlement de la République que l’on doive donner au Haut Conseil des prérogatives que, je le répète, ses propres membres seraient probablement gênés d’avoir à exercer.
L’article 3 est très clair au sujet des missions confiées au Haut Conseil : il est exact que ce dernier n’a pas à élaborer sa propre trajectoire ni ses propres hypothèses, puisqu’il juge celles qui lui sont soumises par le Gouvernement avant que ne se prononce le Parlement, lequel est libre d’accepter ou non et les hypothèses et la trajectoire.
Or, et M. le rapporteur général a eu raison d’insister sur ce point, si votre amendement était adopté, le vote du Parlement, quel qu’il soit, serait soit subordonné à l’avis du Haut Conseil, soit censuré par le Conseil constitutionnel s’il décidait de s’affranchir de cette subordination.
Je comprends votre chemin, monsieur Arthuis, mais ce n’est pas le nôtre, qui, je voudrais vous en convaincre, ne comporte pas les dangers que vous craignez et qui motivent votre amendement.
Dans son considérant 27, le Conseil constitutionnel a bien indiqué que, lorsqu’il aurait à juger des lois de finances, il tiendrait compte de l’avis donné par le Haut Conseil sur, précisément, les politiques publiques visant à respecter la trajectoire des finances publiques menées par le Gouvernement et, le cas échéant, adoptées par le Parlement.
Ce contrôle que vous souhaitez voir instaurer ex ante, le présent projet de loi organique le prévoit ex post. Il me semble que c’est cela le bon équilibre qui permet de responsabiliser tout le monde, le Gouvernement lorsqu’il soumet ses hypothèses de trajectoire, le Haut Conseil lorsqu’il rend ses avis ainsi, bien évidemment, que le Parlement lorsqu’il émet un vote.
J’imagine mal en effet un Parlement s’affranchissant gaillardement – pardonnez-moi cette expression – de cet avis, votant des dispositions et adoptant une trajectoire se différenciant largement de celle qu’aurait validée le Haut Conseil tout en sachant que, votant cela, il encourt la censure du Conseil constitutionnel. Aucun élu, qu’il siège dans cette enceinte ou à l’Assemblée nationale, et quelle que soit l’inspiration politique du Gouvernement en place, n’aime se faire censurer par le Conseil constitutionnel !
Je crois donc, monsieur Arthuis, que l’équilibre que nous avons trouvé est le bon. Votre amendement et les amendements de cohérence ou de conséquence que vous avez proposés s’affranchissent de cet équilibre. Pour cette raison, il ne m’est pas possible de les accepter et j’apprécierai beaucoup, connaissant votre combat pour faire œuvre de pédagogie à propos du nécessaire équilibre de nos finances publiques, que vous le retiriez, car, à défaut, je devrai demander au Sénat de voter contre.
M. le président. Monsieur Arthuis, l’amendement n° 60 est-il maintenu ?
M. Jean Arthuis. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, j’ai bien entendu vos observations. Vous avez fait le choix d’un texte souple. C’est d’ailleurs le sens de la réponse que vous avez faite à mes collègues du groupe CRC pour repousser hier la question préalable : au fond, la loi organique ne nous engagera que très modérément…
Pour ma part, je n’oublie pas l’état du malade. Nous avons à combattre une triple addiction : addiction aux déficits publics, à la dépense publique et à l’endettement public. Ne nous laissons donc pas aller à des ersatz !
Dans le cas particulier, je souhaite aussi responsabiliser le Haut conseil des finances publiques. Si ce dernier émet un avis défavorable, s’il juge qu’il y a abus manifeste, il doit mettre sur la table sa propre projection et tenir compte de la trajectoire qu’il aura définie pour apprécier les projets de loi de règlement et la sincérité des comptes. Mon amendement est en somme une incitation à renforcer la responsabilité pleine et entière du Haut Conseil des finances publiques.
La disposition que je propose, monsieur le ministre, ne porte en aucune façon la marque d’un doute quelconque à l’égard de l’actuel gouvernement – elle vaut aussi pour les gouvernements à venir –, mais nous avons poussé trop loin une sorte de laisser-aller collectif, nous racontant sans cesse des histoires pour différer les réformes structurelles et les arbitrages courageux que nous étions incapables de prendre.
Pour ma part, ayant voté le projet de loi instituant une « règle d’or » que nous n’avons pas pu, faute de majorité au Congrès, consacrer dans la Constitution, je ne suis pas prêt à consentir à un écart si important entre cette règle d’or et le projet de loi organique que l’on nous propose. C’est la raison pour laquelle je maintiens mon amendement.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Ce débat sur ce que le rapporteur général de la commission des finances qualifiait à l’instant de « cœur du réacteur » est particulièrement utile, et il faut remercier Jean Arthuis de l’avoir suscité.
Je m’adresse à vous, monsieur le ministre, afin que vous nous expliquiez comment vous concevez la phase d’échange et de dialogue désignée comme la négociation « en amont » entre le Gouvernement et le Haut conseil des finances publiques.
À mon sens, si le Haut conseil devait formuler une estimation du PIB potentiel, dessiner une vision de la convergence sensiblement en décalage par rapport à l’évaluation du Gouvernement, son avis aurait une très grande portée et induirait des sanctions quasi immédiates, sur les marchés peut-être, mais aussi dans l’esprit des responsables de la Commission de l’Union européenne.
N’oublions pas que, dans le cadre des règles européennes existantes, la Commission a le pouvoir, non pas de réformer ce que les États membres votent, mais de renvoyer un programme de stabilité à son auteur, en mettant en question la plausibilité de la courbe de croissance et certaines des hypothèses de base. Si le Haut conseil formulait une estimation s’écartant sensiblement de celle du Gouvernement, il me semble que cela attirerait l’attention des institutions communautaires. En effet, ces dernières exerceront sur les documents budgétaires des différents États de l’Union, mais surtout de la zone euro, ce que nous appelions, dans différents documents, une surveillance multilatérale.
À la vérité, la Commission exercera son contrôle pour le compte de l’ensemble des États solidairement responsables au sein de la zone euro. Pouvons-nous donc réellement croire à la survenance d’un réel décalage entre l’estimation du Haut Conseil et celle du Gouvernement ?
Monsieur le ministre, peut-on seulement concevoir un décalage entre l’estimation du Gouvernement et celle du Haut Conseil, sachant que, comme il l’a indiqué par avance dans l’avis que vous avez cité, le Conseil constitutionnel se fondera sur l’opinion du corps indépendant qu’est le Haut Conseil pour procéder à son examen de sincérité, donc de constitutionnalité ?
C’est de la réponse que vous m’apporterez que dépendra ma capacité à m’orienter vraiment quant au vote à émettre sur l’amendement de Jean Arthuis.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Je souhaite ardemment répondre à M. Marini, au regard de l’enjeu qu’il vient lui-même de définir.
Monsieur le président de la commission des finances, l’indépendance du Haut Conseil ne signifie pas son enfermement, et la souveraineté du Gouvernement ne signifie pas son isolement. Le premier ne sera pas enfermé dans je ne sais quelle tour d’ivoire, et le second n’a pas à s’isoler d’un Haut Conseil dont il a demandé la création, et dont il sait pertinemment qu’il s’apprête à jouer un rôle majeur. L’un n’étant pas enfermé et l’autre n’étant pas isolé, comment concevoir qu’aucune discussion n’intervienne ? Évidemment, des discussions interviendront !
Et qui mettrait en doute l’indépendance du Conseil constitutionnel au motif que le secrétariat général du Gouvernement, précisément au nom de celui-ci, discute avec ses membres lorsque celui-ci s’interroge sur la régularité, au regard de notre loi suprême, de telle disposition adoptée par le Parlement sur l’initiative du Gouvernement ?
Nul n’a jamais contesté l’indépendance du Conseil constitutionnel, alors même que, pour l’examen de chaque texte qui lui est soumis, il consulte, ou oralement ou par écrit, demande des avis, écoute soit le secrétariat général du Gouvernement, soit telle ou telle personnalité.
La procédure de l’amicus curiae connaît un incontestable succès auprès de la juridiction suprême. Pour autant, je le répète, personne ne remet en cause son indépendance. Je considère qu’il s’agit d’un heureux précédent qui permet d’exciper du respect de l’indépendance du Haut Conseil des finances publiques, tout en reconnaissant volontiers que, très en amont, le Gouvernement négociera ou discutera peut-être davantage. Néanmoins, lorsque l’on discute, ne négocie-t-on pas d’une certaine manière, dans la mesure où l’on tente de faire prévaloir son point de vue, et donc de développer des arguments ?
Vous me demandez de vous convaincre, monsieur Marini : je discute avec vous et, d’une certaine manière, je négocie votre rejet ou votre acceptation de cet amendement. Il n’y a là rien d’infâmant, ni de votre part à me demander de vous convaincre, ni de la mienne à tenter de le faire. Personne n’abdique la moindre parcelle d’indépendance – ni vous, ni moi ! – et encore moins de conviction.
Je vous réponds donc clairement : oui, très en amont, il est hautement probable que les autorités de ce pays, quelles qu’elles soient, discutent avec le Haut Conseil, tant il est vrai qu’il vaudrait mieux que les choses se passent bien. En d’autres termes, mieux vaut que le Haut Conseil valide, de la manière la plus objective et la plus indépendante qui soit, les hypothèses du Gouvernement, plutôt que d’être conduit à émettre un avis qui démontrerait que les choix de celui-ci ne conviennent pas au regard des engagements de trajectoire de finances publiques qu’il a pris. Chacun conviendra que cette discussion en amont est préférable au formidable désordre qui naîtrait d’un avis défavorable ou d’une appréciation sévère,…
M. Jean-Pierre Caffet. Évidemment !
M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. … avis et appréciation qui seraient transmis au Parlement, dont la majorité se trouverait dès lors fort embarrassée, partagée qu’elle serait entre la loyauté qu’elle doit au Gouvernement qu’elle soutient et le devoir qui lui commande de veiller scrupuleusement à ce que notre pays ne soit pas sanctionné.
Je crois donc que ce processus sera vertueux et qu’il poussera les uns ou les autres, quel qu’ait été leur passé, monsieur Arthuis – le vôtre d’ailleurs est particulièrement peu répréhensible, et chacun se souvient des efforts que vous avez accomplis entre 1995 et 1997 –, à tenir compte, lorsqu’ils gouverneront, de cette nouvelle procédure et de l’impératif qu’elle impose : rompre, justement, avec le passé et avec ce que vous appeliez l’« addiction » à l’endettement et à la dépense incontrôlée.
Monsieur Marini, je me suis efforcé de vous répondre du mieux que je le pouvais pour emporter l’enjeu que vous avez vous-même signalé et j’espère bien sincèrement vous avoir convaincu. (M. Philippe Marini acquiesce.)
Mme Nathalie Goulet. Ça, c’est une réponse !
M. le président. L'amendement n° 61, présenté par M. Arthuis, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Est insincère une loi de programmation des finances publiques dont le Haut Conseil n’a pas avalisé les prévisions macroéconomiques.
La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Par coordination avec le rejet du précédent, je retire cet amendement, comme les amendements nos 62, 63, 64 et 65.
M. le président. L’amendement n° 61 est retiré.
Je mets aux voix l'article 9.
(L'article 9 est adopté.)
Article 10
(Non modifié)
Le Haut Conseil des finances publiques est saisi par le Gouvernement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de finances de l’année et le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année. Au plus tard une semaine avant que le Conseil d’État soit saisi du projet de loi de finances de l’année, le Gouvernement transmet au Haut Conseil les éléments permettant à ce dernier d’apprécier la cohérence de ce projet, notamment de son article liminaire, au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel définies dans la loi de programmation des finances publiques.
Le Haut Conseil rend un avis sur l’ensemble des éléments mentionnés au premier alinéa. Cet avis est joint au projet de loi de finances de l’année lors de sa transmission au Conseil d’État. Il est joint au projet de loi de finances de l’année déposé à l’Assemblée nationale et rendu public par le Haut Conseil lors de ce dépôt.
M. le président. L'amendement n° 30, présenté par Mme Beaufils, MM. Foucaud, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, nous ne croyons pas à l’utilité du Haut Conseil des finances publiques.
M. Jean-Paul Emorine. Ils ne croient en rien !
Mme Marie-France Beaufils. Il est donc logique que nous soyons opposés, au moins par principe, au contenu des articles qui en décrivent les pouvoirs et compétences.
En l’occurrence, le mot « pouvoir » est d’ailleurs pour le moins excessif, étant donné que le Haut Conseil rendra un avis sur tout projet de loi de caractère budgétaire ou assimilé, mais seulement un avis.
Cet article porte précisément sur l’avis que le Haut Conseil serait habilité à exprimer à la fois sur le projet de loi de finances et sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
L’avis du Haut Conseil présente un double caractère : il s’agit, d’une part, de valider le cadrage macroéconomique des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale – en quelque sorte, de retenir comme sensés les chiffres clés des lois concernées – et, d’autre part, de mesurer la cohérence de ces deux textes.
Les études de conjoncture de l’INSEE et du ministère des finances lui-même, voire la documentation produite par la Banque de France, sont autant d’éléments aujourd’hui accessibles à tout député ou sénateur, pour peu qu’il s’intéresse aux questions relatives aux finances publiques. Les informations qu’elles contiennent suffisent amplement pour juger de la fiabilité des hypothèses de cadrage retenues par le projet de loi.
Quant à la cohérence entre ces deux textes, elle procède, une fois encore, non d’une approche présumée indépendante mais d’une méthode toute technocratique, alors que la cohérence d’un texte de cette nature est d’abord politique.
Nous nous sommes systématiquement opposés aux projets de loi de finances déposés sous la précédente législature quant aux choix qui y étaient opérés et quant aux mesures fiscales qu’ils pouvaient contenir, mais loin de nous l’idée que le moindre de ces projets de loi n’ait pas eu une cohérence et des objectifs précis !
Que nos collègues de l’opposition actuelle soient restés convaincus, de 2002 à 2012, que la baisse des impôts dus par les entreprises ou par les ménages les plus aisés pouvait constituer une solution structurelle aux problèmes de la société et de l’économie françaises est un fait ! Laissons donc au débat parlementaire et aux débats d’idées toute leur pertinence. Nous croyons beaucoup, nous, au rôle du politique dans ce domaine.