M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur Mézard, mesdames, messieurs les sénateurs, « on n’hérite pas de ses parents, on emprunte à ses enfants ». Il est des moments où cette phrase de Saint-Exupéry, si juste dans notre société d’aujourd'hui confrontée à l’instantanéité et au tout urgent, a quelque chose de paradoxal au regard de ce dispositif particulier que sont les biens de section.
Je ne reviendrai pas sur l’histoire de cette survivance, héritée d’un temps où les seigneurs concédaient gratuitement à la communauté des habitants des biens, sous réserve de percevoir une partie du revenu qui en était tiré. Les orateurs qui m’ont précédée ont repris l’évolution de cet avatar, mieux que je ne pourrais le faire. Il n’est qu’à lire l’excellent rapport de Pierre-Yves Collombat, qui nous a transportés de l’époque médiévale jusqu’à nos jours, en nous faisant traverser les différents épisodes juridiques qui ont accompagné cette évolution.
M. Jacques Mézard. Oui !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Comment alors ne pas remercier les auteurs de cette proposition de loi et ceux qui, comme eux, s’étaient intéressés à cette situation, d’avoir voulu trouver des solutions de bon sens à des problèmes souvent inextricables ?
Mes remerciements s’adressent en particulier à Jacques Mézard, à qui je sais gré d’avoir cent fois sur le métier remis son ouvrage et de l’avoir déposé, dans une forme presque parfaite, sur le bureau de la commission des lois. L’expérience qui est la vôtre, monsieur le sénateur, dans ce domaine aussi, justifie à elle seule que vous vous soyez saisi de cet épineux problème. Le département du Cantal compte à lui seul 2 227 biens de section, sur un total de 26 792, selon le recensement de 1999, soit presque un dixième de tous les biens sectionaux concentrés majoritairement dans quelques départements : la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, l’Aveyron, la Creuse, la Lozère et le Lot.
Rien d’étonnant non plus à ce que les parlementaires et les élus de ces départements soient particulièrement sensibles aux problèmes soulevés.
Les problèmes sont nombreux. Ils concernent prioritairement les élus locaux, les communes, les conseils municipaux et ceux que l’on nomme jusqu’à présent les ayants droit – lorsqu’il y en a encore – et qui viennent directement impacter l’aménagement et le développement de l’espace rural. Cadre juridique complexe, imbroglio sans fin en matière de transfert des biens au profit des communes : autant de raisons qui rendaient souhaitable une révision législative.
La décision récente du Conseil constitutionnel que vous avez relevée, messieurs Mézard et Collombat, a été l’élément déterminant pour provoquer la nouvelle réflexion devenue aujourd'hui proposition de loi. « Tournant décisif », avez-vous dit à juste titre à son propos. En effet, aujourd'hui, les membres de la section de commune ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur les biens et droits de la section. Le droit de propriété garanti par la Déclaration de 1789 ne s’oppose pas à ce que le législateur, se fixant un objectif d’intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques. Le transfert à titre gratuit des biens de section n’est autorisé que pour des motifs imputables aux membres de la section ou à leurs représentants.
Aussi la proposition de loi entend-elle permettre le transfert de biens sectionaux aux communes, soit la communalisation de ces biens, avec une indemnisation des ayants droit pour la perte de jouissance sur les biens concernés.
Actuellement, des dispositions de communalisation existent et permettent d’ores et déjà d’organiser ce transfert, sur demande du conseil municipal et de la commission syndicale ou, si la commission syndicale n’existe pas, sur demande du conseil municipal et de la moitié des électeurs de la section. Les ayants droit reçoivent une indemnité dès lors qu’ils en font la demande. On mesure la difficulté du dispositif, qui prévoit également la possibilité pour la commune d’obtenir le transfert des biens d’une section sans indemnisation des ayants droit lorsque les habitants de la section ne manifestent plus d’intérêt pour le fonctionnement de celle-ci. Or il existe aujourd'hui des ayants droit dont on ignore l’identité.
La présente proposition de loi permet de résoudre, ou du moins d’atténuer l’ensemble de ces problèmes.
Je ne manquerai pas de relever que, durant la précédente législature, M. Jarlier, sénateur du Cantal, avait également déposé une proposition de loi visant à assouplir la gestion des biens sectionaux. Cette proposition de loi visait essentiellement à renforcer les prérogatives des maires et de la commune en la matière. Elle prévoyait notamment d’accorder à la commune un droit d’initiative pour lancer une procédure de délimitation de la section, de renforcer les possibilités pour le conseil municipal de procéder à la vente des biens de section, et d’instaurer une procédure allégée pour communaliser les biens.
Je veux également souligner que plusieurs propositions d’évolution du régime juridique des biens de section ont été élaborées par un groupe de travail composé de représentants du ministère de l’intérieur, des préfectures de six départements – Aveyron, Cantal, Haute-Loire, Lozère, Puy-de-Dôme et Tarn –, du ministère de l’agriculture et de l’Office national des forêts, avec la collaboration d’un conseiller d’État. Le groupe de travail a émis plusieurs propositions, fondées notamment sur le rapport, déjà évoqué, qu’a remis M. Lemoine, inspecteur général de l’administration, en 2003, sur les travaux de l’association des maires du Cantal et sur l’expérience des préfectures concernées. Ces propositions visaient essentiellement à équilibrer les prérogatives entre les différentes autorités compétentes, en favorisant notamment la création d’une commission ad hoc pour gérer la section ou en confiant au préfet le soin de faciliter la communalisation dans un but d’intérêt général.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui est la synthèse de ces différents travaux, auxquels votre commission des lois a souhaité ajouter des éléments de modernisation, de rationalisation et de simplification du fonctionnement des sections de commune. La nouvelle définition de la section de commune, entendue comme une personne morale de droit public jouissant du droit de propriété des biens, opère une clarification, comme M. le rapporteur l’a expliqué. Il en va de même de la suppression de la distinction, difficile à établir, entre électeurs et ayants droit, au profit de la seule notion de membres de la section, qui désigne « les habitants ayant leur domicile réel et fixe » sur le territoire de la section.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des autres dispositions, que nous évoquerons au cours du débat. Je n’ignore pas le travail fin accompli par la commission des lois sur ces sujets.
Je salue le résultat équilibré de toutes ces réflexions. Cette proposition de loi doit permettre, demain, le transfert de biens sectionaux aux communes par la communalisation de ces biens, dans un objectif d’intérêt général, avec une indemnisation des ayants droit pour la perte de jouissance des biens concernés, tout en renforçant les garanties encadrant ce transfert. S’y ajoute l’interdiction de la création de nouvelles sections de commune – comme cela a déjà été souligné, il s’agit d’un point important.
Je ne peux que formuler un vœu : que cette proposition de loi apporte les meilleures réponses à tous ceux, élus ou ayants droit, qui ont été confrontés à des procédures complexes ayant entravé le développement de leurs territoires. Je forme le vœu que, loin de cet abracadabra évoqué par M. le rapporteur, les biens de section deviennent un jour la section dorée, celle qui s’apparente au Beau, à l’harmonie, à la divine proportion. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le législateur s’y est repris à plusieurs fois pour tenter de rationaliser le régime juridique des sections de commune, de faciliter la gestion de ces biens et de favoriser leur transfert vers le patrimoine communal. Il fallait ces quelques interventions pour dénouer ce régime complexe et ainsi répondre au souhait des élus locaux.
La proposition de loi de notre collègue Jacques Mézard, qui vise à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes, poursuit le même objectif de rationalisation et de simplification, dans un souci d’intérêt général. La commission des lois a poursuivi ce travail en intégrant diverses dispositions susceptibles de faciliter la gestion des biens sectionaux, tout en prenant soin de distinguer les cas où les sections de commune s’apparentent à des coquilles vides, inutiles, et ceux où elles sont un facteur de dynamisation de la gestion de ces biens.
Nous approuvons ce travail réfléchi, car il était important de distinguer ces situations et de recadrer un système qui – cela a été rappelé – a été progressivement dévoyé. Avec le temps, en effet, de nombreux ayants droit ont donné aux biens sectionaux un sens inverse de leur sens premier. À l’origine, les sections de commune représentaient des moyens de subsistance pour des personnes ne pouvant être propriétaires. Toutefois, petit à petit, la situation a évolué : comme l’a souligné M. le rapporteur, une part importante de ces biens ont cessé d’être des patrimoines collectifs pour devenir des patrimoines privés dont les ayants droit peuvent se partager les revenus.
Les biens sectionaux sont des propriétés publiques, même si la quasi-totalité d’entre eux relèvent du domaine privé de la section de commune. Cet état de fait nourrit de nombreux conflits opposant les ayants droit et les communes, soit des intérêts particuliers à l’intérêt général. La jurisprudence, abondante et ancienne, ne suffisait plus à dénouer ces situations, d’autant que cette jurisprudence – ce point est mentionné à juste titre dans le rapport – s’entremêle avec des dispositions législatives mal coordonnées. Ces conflits récurrents entraînent des blocages et des dysfonctionnements administratifs qui entravent la vie communale. Pire encore, ils créent des inégalités entre habitants d’une même commune.
Il fallait donc agir. C’est ce qu’a fait notre collègue en déposant cette proposition de loi, que nous voterons pour toutes les raisons que je viens d’exposer.
Néanmoins, nous regrettons la suppression de l’article 1er par la commission. Plusieurs raisons ont été avancées pour justifier cette suppression, notamment la difficulté pour l’État d’honorer l’engagement que prévoyait cet article, compte tenu des conséquences de la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Nous faisons donc encore une fois les frais du désengagement de l’État. L’article 1er confiait aux préfets la responsabilité d’établir dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la loi, après enquête publique, l’inventaire des sections de commune et de leurs biens, droits et obligations.
Un tel inventaire serait utile aux élus, qui, pour pouvoir décider des transferts, ont besoin de savoir exactement ce qu’il en est sur leur territoire communal. De nombreux maires nous interpellent encore aujourd'hui à ce sujet, et nous disent que cet article 1er était important pour eux. C’est pourquoi nous vous proposerons tout à l’heure un amendement visant à le rétablir partiellement. C’est le rôle de l’État d’assurer l’égalité entre toutes les communes sur l’ensemble de notre territoire, et de les accompagner dans leurs démarches, quels que soient leur taille, leurs moyens et leurs services. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question des biens de section est enfin soumise au Sénat : un texte spécifique leur est dédié. C’est une excellente chose, car les élus locaux de plus de 2 500 communes de notre pays concernés par ce droit, qui a résisté à la Révolution française, attendent une modification de la législation avec une certaine impatience.
En effet, on ne compte plus les situations de blocage, les conflits liés au mode d’attribution comme au mode de gestion actuel de ces biens, ou encore les contentieux résultant de l’application d’un droit d’un autre temps et d’une complexité rare sur laquelle même les meilleurs juristes s’interrogent.
L’initiative de notre collègue Jacques Mézard, élu du Cantal, et des membres du groupe RDSE est donc la bienvenue, d’autant qu’elle rejoint la démarche que j’ai engagée avec quinze collègues, dont treize sénateurs appartenant à l’Union centriste et républicaine, qui nous avait conduits à déposer, l’an dernier sur le bureau du Sénat, la proposition de loi relative à la clarification et à l’assouplissement de la gestion des biens sectionaux.
Ce texte déposé l’an dernier est le fruit d’un travail collectif de deux ans mené en collaboration avec les maires d’un département particulièrement touché par le sujet – je veux parler du Cantal, dont 235 communes sur 260 sont concernées par les biens de section – qui nous ont fait part de leur expérience, des représentants des communes forestières, de la chambre d’agriculture et des services de l’État. Cette concertation nous a permis de rédiger un texte dont les quatorze articles visent aussi à faciliter la gestion quotidienne des sections.
Les auteurs de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui se sont largement appuyés sur cet important travail, ce dont je tiens à les remercier.
À cet égard, la convergence de nos travaux est révélatrice des préoccupations fortes des élus : à l’heure où nous évoquons l’intercommunalité et les métropoles dans cet hémicycle, sur le terrain, les maires sont confrontés à des blocages importants nés d’un régime ancestral issu du droit féodal. Il est donc temps d’évoluer dans ce domaine.
Comme Jacques Mézard précédemment, je vais citer l’inspecteur général Lemoine, qui a parfaitement résumé la situation dans son rapport de 2003 : « Ces sections de commune, dont la vie démocratique est des plus réduites, obéissent à un régime juridique suranné. Elles sont à la fois une source de contraintes pour les maires, qui en réclament la suppression, et un frein à l’aménagement et au développement de l’espace rural. Tout en n’étant plus des outils de subsistance, elles constituent néanmoins un enjeu particulièrement sensible dès lors que les ayants droit en tirent […] quelques revenus ou avantages ».
Autrement dit, ces biens à usage collectif sont parfois considérés par certains ayants droit comme des propriétés privées sources de revenus personnels. Et il s’agit bien là de l’un des problèmes majeurs. Je peux vous assurer que la gestion des biens sectionaux s’avère autrement plus difficile dans le cas, par exemple, d’un terrain accueillant des éoliennes ou planté d’une forêt que dans celui d’un terrain nu, pentu et inculte.
Comme l’a très justement souligné M. le rapporteur, considérer comme privés des biens à usage collectif constitue un dévoiement complet de l’esprit et de la vocation originels de la section.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2011, a opportunément rappelé aux ayants droit qu’ils bénéficient non pas d’un droit de propriété, mais seulement d’un droit de jouissance.
Malgré cette récente clarification, la gestion des biens sectionaux constitue toujours un vrai « casse-tête » pour les maires et peut parfois remettre en cause le potentiel de développement de leur commune, voire parfois leur mandat même.
Aussi manque-t-il maintenant un dispositif législatif clair qui s’appuie sur la décision du Conseil constitutionnel et qui pourrait donner plus de marge de manœuvre aux communes et faciliter leur intervention, tout en respectant, bien entendu, les intérêts de la section et de ses ayants droit.
C’est le sens de la présente proposition de loi enrichie par plusieurs amendements que nous avons déposés et que la commission a bien voulu retenir.
Je relève d’ailleurs que sur les cinq articles de la proposition de loi initiale de notre collègue Jacques Mézard, trois correspondent à l’esprit des dispositions que j’ai proposées avec plusieurs de mes collègues. Nous sommes donc parfaitement en phase sur ce sujet, qui dépasse largement les clivages partisans.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous comprendrez aisément que les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine soutiennent la démarche de leurs amis radicaux.
Je souhaite maintenant revenir un instant sur le contenu du présent texte.
Pour ce qui concerne la clarification du régime juridique, le texte de la commission apporte des précisions qui permettront de limiter les contentieux. Il procède à d’utiles rappels, parmi lesquels l’exclusion de tout revenu en espèces au bénéfice des ayants droit. En effet, la distribution entre ayants droit des revenus tirés de la coupe de bois, par exemple, est une pratique courante, alors même qu’elle est prohibée implicitement par la loi et expressément par la jurisprudence. Ce point, qui était d’ailleurs rappelé dans notre proposition de loi, est essentiel à la transparence de la gestion des biens de section.
Quant à la rationalisation du régime des biens sectionaux, je souhaite attirer votre attention, mes chers collègues, sur deux articles introduits par la commission qui devraient permettre de lever des obstacles majeurs auxquels sont confrontés certains maires pour réaliser des investissements structurants.
Des dispositions semblables figuraient aussi dans notre proposition de loi. J’avais particulièrement insisté sur ces points lors de mon audition par M. le rapporteur, tant ils me paraissent extrêmement importants.
Il s’agit, d’abord, de la possibilité pour le maire de représenter les intérêts de la section devant le juge en l’absence de commission syndicale, puis de la faculté pour la commune de financer certaines dépenses communales sur le budget de la section si les besoins de celle-ci sont satisfaits. Cette disposition est fondamentale : aujourd’hui, l’argent de la section ne peut être utilisé que dans l’intérêt exclusif de celle-ci. Or ce régime conduit à des situations aberrantes.
À titre d’illustration, je prendrai l’exemple d’une petite commune, dont je tairai le nom, qui souhaite réaliser un lourd investissement. Mais faute de financements suffisants, la réalisation du projet est remise en cause. Tel est le quotidien de nombre de petites communes, me direz-vous. Toutefois, il faut savoir que, parallèlement, la section située sur le territoire communal et sur les terres de laquelle sont implantées des éoliennes dispose d’un budget excédentaire et n’utilise pas les sommes importantes qui lui sont reversées chaque année. L’argent « dort » donc sur un compte... Certes, le Trésor public est ravi ! Mais où est le bon sens ?
S’agissant du transfert des biens sectionaux « au libre choix de la commune », cette procédure, qui s’accompagne de garanties au bénéfice des membres de la section, répond pleinement aux attentes des élus. En effet, il arrive souvent que, faute d’être levés, les blocages avec les ayants droit empêchent la réalisation de projets structurants. À titre d’exemple, je citerai le cas d’une commune qui souffre d’un problème technique : un seul emplacement a été identifié pour l’implantation de sa future station d’épuration. Or le terrain est un bien sectionnaire et les ayants droit refusent tout transfert à la commune. De surcroît, la commune ne peut pas non plus utiliser les ressources de la section pour cet investissement alors que les ayants droit sont susceptibles de bénéficier du service. Vous le constatez, mes chers collègues, le régime actuel aboutit parfois à des situations ubuesques...
Enfin, pour ce qui concerne les modalités d’attribution des terres à vocation agricole et pastorale, sur ce point aussi le rapporteur a bien voulu reprendre un amendement que mes collègues et moi-même avons déposé. Cette disposition, élaborée en lien avec la chambre d’agriculture du Cantal, est extrêmement importante pour nos agriculteurs.
Le régime actuel d’attribution suscite de nombreuses situations conflictuelles, car, vous le savez, les biens sectionnaires sont souvent situés en zones de montagne, secteurs dans lesquels les primes à l’hectare sont très convoitées et, par voie de conséquence, les biens de section.
En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes satisfaits du travail de coproduction efficace qui a été réalisé avec Jacques Mézard, l’un des auteurs de la présente proposition de loi, le rapporteur et les services de la commission, que j’ai eu plaisir à retrouver et dont j’apprécie toujours l’excellence. À cet égard, je tiens à vous remercier, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, ainsi que vos administrateurs, d’avoir prêté une oreille attentive à ce sujet délicat et à nos propositions. Je veux saluer ce travail de qualité.
Les biens de section donnent lieu à des rendez-vous législatifs fort rares. Celui de ce jour, très attendu, est une occasion précieuse pour faire évoluer le dispositif et améliorer le quotidien des maires ruraux, quelle que soit leur sensibilité. Ces derniers comptent sur la solidarité du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a toujours quelque chose d’émouvant à toucher à une survivance des siècles passés et à essayer de la préparer à affronter le XXIe siècle. Héritage sans doute de modes de gestion médiévaux, banalités et autres alleux, les biens sectionaux nous interrogent, nous législateur, sur notre responsabilité face à l’avenir.
Pendant des siècles, la propriété seigneuriale était quelque peu limitée, afin de garantir un usage collectif, un usufruit aux habitants du lieu.
La Révolution française, consciente que cet usage était nécessaire pour permettre aux plus pauvres d’être non plus des serfs, mais des citoyens avec un minimum vital à exploiter, n’y a pas mis fin. Sans doute parce que d’autres modes de régulation sociale de la solidarité sont apparus, comme les allocations, ce mode de gestion s’est progressivement dévoyé, si bien que quelques-uns de ces biens sont utilisés de façon privative à l’usage exclusif de certains descendants des habitants originels, qui n’ont plus de lien « viscéral » avec eux.
Plusieurs fois réformée au cours des trois dernières décennies, la gestion des biens sectionaux est un véritable sujet politique, c'est-à-dire d’organisation de la cité. Certains maires subissent tellement de déboires avec ces territoires qu’ils finissent par rendre leur tablier… Lorsque l’on connaît le sacerdoce des élus de ces petites communes, on ne peut qu’espérer une simplification du régime juridique de ces biens, ce qui permettrait peut-être d’aplanir les conflits.
Toutefois, ce régime particulier, qui ne s’adresse qu’à une fraction de la population d’une commune, constitue une rupture d’égalité, ces biens produisant des richesses qui peuvent être utilisées seulement dans l’intérêt du territoire de la section, alors même qu’ils appartiennent à la commune dans son entier. Ce point a déjà été souligné.
Cette proposition de loi essaye de rendre plus simple, plus « juridique » et, je l’espère, plus judicieux le régime des biens sectionaux. Toutefois, nous partons de très loin.
Je me réjouis notamment que la proposition de loi reconnaisse la nature publique de la section de commune et définisse clairement la qualité de membre de la section, qui était pour le moins floue jusqu’à présent. On en vient à se demander comment des régimes aussi archaïques et aussi mal définis ont pu perdurer aussi longtemps dans notre droit, alors que la proposition de notre éminent collègue était si simple !
Il semble aussi évident que, par cette réforme, non seulement nous interdisons la création de nouvelles sections, mais nous signons la disparition de l’écrasante majorité des sections de commune, celles qui ne sont plus qu’une coquille vide sans habitants et sans ayants droit. La plupart des 27 000 sections ne fonctionnent pas !
Certes, les sections ne disparaîtront pas totalement, ni tout de suite. Nos successeurs auront certainement à revenir sur ce régime, afin de le mettre de nouveau en cohérence avec les évolutions de notre population et les modes d’habitation des villages.
Plus généralement, nous devrions nous intéresser à la notion de bien public, chère aux écologistes, comme vous le savez, mes chers collègues, ainsi qu’à la manière d’associer les citoyens à cette gestion, à l’exploitation et à l’entretien des biens de la commune.
Il existe aujourd'hui un besoin réel de retisser les liens qui devraient unir toutes les communautés humaines. L’individualisme et l’égoïsme ne sont pas des valeurs qui permettent au citoyen de relever la tête en temps de crise. En revanche, l’entraide, la solidarité et le partage sont les axes de réflexion que nous devons suivre en cette période difficile.
De nombreuses initiatives illustrent mes propos : on voit émerger un peu partout en France les « jardins partagés », des sortes de jardins ouvriers à la dimension collective bien plus marquée.
Si nous associons les usagers à la gestion de ces biens collectifs que sont les aménagements urbains, les locaux collectifs des HLM et les équipements sportifs, nous renforcerons le sentiment de confiance dans la gestion des propriétés publiques, nous donnerons aux citoyens la possibilité de comprendre le fonctionnement des espaces publics et de prendre leurs responsabilités dans l’exercice de cette propriété commune. Et peut-être s’investiront-ils un jour dans la gestion de leur commune, devenant à leur tour des élus.
C’est là d’ailleurs l’un des axes de réflexion du Centre d’analyse stratégique, dont j’ai reçu les conclusions aujourd’hui – vous ne pourrez donc pas me dire que je les ai copiées !
Lors de la réforme de la démocratie territoriale, j’espère que nous aurons l’occasion d’évoquer de nouvelles formes d’association et de responsabilisation des citoyens s'agissant de la gestion des propriétés des communes, qui sont justement des propriétés communes.
Les sections de commune nous auront ainsi mis en appétit pour réinventer l’une des modalités du « vivre ensemble ». Il faut des règles simples, autour d’un projet commun, sans que personne puisse en tirer plus de bénéfice que d’autres. Bref, il s'agit d’une belle utopie, d’un beau rêve pour cette heure tardive. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi visant à faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes peut interpeller autant nos concitoyens que de nombreux élus, tant ce régime porte aussi bien à l’émerveillement qu’à l’interrogation.
À l’émerveillement, car il suffit de rappeler que la survivance de ces droits trouve souvent son origine sous l’Ancien régime, voire le Moyen Âge, pour donner à ceux-ci un côté sympathique.
À l’interrogation, aussi, car expliquer la survivance d’un droit qui n’a pas été touché par la Révolution et qui conjugue aujourd’hui un quasi-principe de droit privé des ayants droit et le droit public des communes – ce dernier, d'ailleurs, n’existait guère à l’époque de l’ouverture des droits – satisfait souvent plus à une construction juridique élaborée a posteriori qu’à la réalité et à la nécessité du terrain, pour ne pas dire, tout simplement, à l’équité.
Si cette particularité des biens sectionaux est peu connue d’une grande majorité d’élus, elle constitue souvent, malheureusement, une source de difficultés, de complexités, voire de conflits pour les communes qui y sont soumises – cela a été largement rappelé –, au point d’épuiser injustement et inutilement les élus, tout particulièrement les maires, qui s’y trouvent confrontés.
Je reconnais volontiers que c’est par reconnaissance à l’égard de plusieurs maires confrontés à ces difficultés que j’apporte à ce texte mon soutien en forme de témoignage.
Si les tentatives pour faire évoluer ce droit ont été nombreuses sous l’Ancien régime déjà – même Turgot s’y était employé –, elles l’ont été davantage encore ces dernières décennies.
Depuis la loi d’orientation agricole de 1999, ce ne sont pas moins de cinq textes législatifs qui ont apporté leur contribution, jusqu’à la récente décision du Conseil constitutionnel du 8 avril 2011.
Permettez-moi de prendre en exemple une commune de Chartreuse. Celle-ci, en effet, me paraît résumer parfaitement la contradiction que présente aujourd’hui une situation de droit ne répondant pas davantage au fondement historique de ce régime qu’à la nécessité de satisfaire aux exigences d’une commune du XXIe siècle.
Saint-Christophe-sur-Guiers est une commune rurale du massif de Chartreuse d’un peu plus de 800 habitants, répartis sur trois sections d’altitudes très différentes.
Alors que cette commune ne dispose que d’une modeste forêt, dont le revenu varie de zéro à 10 000 euros, selon qu’il y a ou non coupe de bois, une forêt bien plus considérable bénéficie à deux sections : celle des Sermes et Planey, de six ayants droit, et celle de La Ruchère, plus importante, d’une vingtaine de foyers.
Il s’agit d’un clin d’œil de l’histoire, car ces biens proviennent pour une part importante des libéralités faites par Béatrice de Savoie au profit d’habitants pauvres d’un village de montagne situé en Dauphiné, dans cette France que la Savoie ne rejoindra qu’en 1860. L’histoire nous montre qu’il a fallu bien des étapes pour arriver au texte que nous examinons ce soir !
Cette évocation permet déjà de souligner cette dualité entre le droit privé et les règles du droit public des communes. Elle nous rappelle que, en matière de libéralité, la cause, c’est-à-dire l’intention d’origine, devrait marquer davantage l’évolution législative. Je souscris tout à fait aux propos de Jacques Mézard, qui rappelait, dans son intervention liminaire, la nécessité d’en revenir à l’esprit d’origine de ce régime. C’est d’autant plus vrai depuis les décisions qui sont venues préciser la nature de l’usufruit, c’est-à-dire mettre un terme aux revenus qui étaient souvent perçus ; je pense, notamment, à la décision du Conseil constitutionnel de 2011.
Ainsi, pour la section des Sermes et Planey, les contraintes du relief de la forêt nécessitent des investissements qui seraient hors de proportion des capacités financières de la section.
Aussi, cette forêt devient, de fait, improductive pour tous. Or, au même moment, la commune se voit mise en demeure de réaliser des travaux d’adduction d’eau au profit des habitants de cette section, pour un total de 600 000 euros, un investissement insupportable pour elle, dont le budget est d’un montant équivalent à cette dépense.
L’autre section, en revanche, présente une situation très différente, avec un village d’une vingtaine de foyers, qui a capacité à grandir et une forêt dont l’exploitation relativement productive relève d’un engagement fort de certains habitants et permet de susciter des recettes considérables.
Si l’on se rapporte à l’origine des avantages octroyés aux habitants, il faut faire évoluer le régime pour permettre, tant dans l’usage du droit que dans l’organisation et la gestion de celui-ci, une mise en œuvre qui réponde à la bonne et juste administration des communes.
Si la suppression des sections de commune est régulièrement évoquée, je me rends aux arguments de ceux qui considèrent avec pragmatisme que cette disparition ne doit pas être trop « abrupte », pour reprendre les termes de notre collègue René Garrec.
Cette proposition de loi vise le bon objectif. Elle s’inscrit d’ailleurs dans la continuité du dispositif que nous avions souhaité mettre en place au travers, notamment, des lois d’orientation agricole successives, ou encore de la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui facilitait déjà les transferts des biens sectionaux à la commune. Espérons que cette nouvelle initiative accélérera le processus que nous avons entamé.
Ainsi, à défaut de supprimer toutes les sections de commune, cette proposition de loi aura au moins l’effet bénéfique de faire disparaître toutes celles qui n’ont plus de raison d’être.
Avant de conclure, je voudrais saluer l’initiative de notre collègue Jacques Mézard sur un sujet qui, pour peu connu qu’il soit, n’en demeure pas moins difficile pour les maires qui s’y trouvent confrontés, et remercier notre rapporteur Pierre-Yves Collombat d’avoir apporté son pragmatisme à une évolution juridique que nous devons avoir pour objectif de poursuivre.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, le groupe UMP votera donc cette proposition de loi, en faisant le vœu pieux qu’elle permette de régler au mieux certains conflits juridiques persistants. (Applaudissements.)