Mme Christiane Demontès. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
M. Ronan Kerdraon. Vous avez eu dix ans pour le faire !
M. Jean-Noël Cardoux. … en proposant les contrats d’avenir aux petites entreprises plutôt qu’aux collectivités locales. En effet, chacun sait que nous devons réduire les dépenses publiques, y compris celles des collectivités locales, et faire des économies d’échelle. Or le dispositif que vous proposez entraînera des charges supplémentaires pour les collectivités.
En outre, on peut se demander ce qui se passera à l’expiration des contrats d’avenir. Tout le monde sera d'accord pour dire que ces contrats doivent être pérennisés : c’est l’objectif même du dispositif. Il ne s’agit pas seulement d’aider des jeunes pendant trois ans, mais aussi de leur permettre de trouver un emploi pérenne.
Prenons les deux cas de figure possibles.
Si le contrat n’est pas renouvelé par la collectivité ou l’association à l’issue des trois années, que se passera-t-il ? Le jeune, qui aura beaucoup espéré…
M. Ronan Kerdraon. Avec vous, il désespérait !
M. Jean-Noël Cardoux. … et beaucoup appris, ressentira de la frustration ; j’ai pu moi-même le constater lorsque je recevais, en ma qualité de maire, des jeunes que l’hôpital local avait embauchés en emploi jeune et qui me demandaient de leur trouver un poste dans la municipalité.
Les populations aussi peuvent ressentir une certaine frustration.
M. Ronan Kerdraon. C’est pour cela que vous n’avez rien fait ?
M. Jean-Noël Cardoux. En effet, on supprime du jour au lendemain un service qui a existé pendant trois ans.
Deuxième cas de figure : l’emploi est pérennisé, ce qui est évidemment tout à fait souhaitable.
Si c’est dans le secteur public qu’il l’est, cela entraîne de fait la création d’un poste de titulaire et donc des charges supplémentaires pour la collectivité, ainsi que, probablement, des impôts nouveaux.
Si l’emploi est pérennisé dans une entreprise, c’est une création immédiate de valeur ajoutée et une pierre apportée au développement économique, et cela, surtout, sans qu’aucun effort ne soit demandé au contribuable. De plus, dans cette hypothèse, le jeune aura beaucoup plus de chances d’obtenir une formation lui permettant, au cas où son contrat ne serait pas renouvelé pour des raisons d’équilibre économique, de trouver un autre emploi.
Monsieur le ministre, vous avez également détaillé le dispositif très dense d’accompagnement en matière de formation professionnelle continue. Cependant, je constate que les petites entreprises ne sont malheureusement pas prises en compte. Je citerai deux phrases de M. Alexis Govciyan, directeur de l’Institut supérieur des métiers, prononcées en juillet 2012 : « Plus l’entreprise est petite, plus l’absence du dirigeant ou d’un salarié perturbe, voire paralyse le fonctionnement de l’entreprise. » « Pour la formation, priorité est donnée à la formation en entreprise “sur le tas”. »
Il faudrait ouvrir les emplois d’avenir aux petites entreprises et trouver des solutions pour créer – j’ai moi-même conduit plusieurs expérimentations dans mon département, après négociation avec la région – des prestations de formation adaptées aux besoins des entreprises, et se déroulant à l’intérieur de celles-ci. Car les formations proposées ont bien souvent lieu à 20, 30 ou 40 kilomètres du lieu de travail, et ne correspondent pas toujours à la demande de l’entreprise.
M. Ronan Kerdraon. Vous avez eu dix ans pour agir !
M. Jean-Noël Cardoux. Ainsi, nous risquons fort de perdre aujourd'hui une formidable occasion de répondre au besoin de formation des petites et très petites entreprises. Il faudrait organiser « sur le tas » – pour reprendre l’expression de M. Govciyan – des formations pour les jeunes en emploi d’avenir, afin de rendre le dispositif plus efficace.
N’oublions pas que le budget annuel de la formation professionnelle continue, de l’ordre de 25 milliards d’euros voilà quelques années, est financé à hauteur de 40 % par les entreprises. Dès lors, une telle disposition aurait constitué un juste retour des choses pour ces dernières.
Toutefois, dans la mesure où nous n’avons pas encore examiné le projet de loi relatif au contrat de génération, attendons un peu avant de porter un jugement sur le dispositif.
M. Jean-Noël Cardoux. Je me pose néanmoins des questions sur le financement de cette mesure, monsieur le ministre. La somme de 2,5 milliards d’euros qui a été évoquée devait être initialement compensée par la suppression des exonérations de charges sociales sur les bas salaires. Or, si j’ai bien compris, vous avez renoncé à cette contrepartie. Mais votre position peut encore évoluer… Peut-être m’apporterez-vous des réponses sur ces points.
Le contrat de génération, qui, en soi, n’est pas une mauvaise mesure, aurait pu être supplanté par l’instauration de contrats d’avenir en entreprise financés par des redéploiements dans le domaine de la formation professionnelle.
Ce dispositif aurait constitué un signal en direction des petites entreprises, bien malmenées actuellement. Je ne reviendrai pas sur les différentes dispositions qui ont quelque peu ébranlé leur équilibre économique, qu’il s’agisse de la TVA ou de la suppression des exonérations de charges relatives aux heures supplémentaires.
M. Ronan Kerdraon. On va pleurer !
M. Jean-Noël Cardoux. J’ai entendu les membres du Gouvernement soutenir qu’il fallait redonner de la compétitivité à l’économie française. Or l’ouverture des contrats d’avenir aux petites entreprises aurait été de nature à rassurer ces dernières et le Gouvernement aurait ainsi démontré qu’il était attentif à leurs préoccupations.
Monsieur le ministre, la question vous a été posée en commission des affaires sociales de savoir pourquoi les contrats d’avenir n’étaient pas ouverts à l’entreprise. J’ai écouté attentivement votre réponse, que vous avez d’ailleurs réitérée ici même voilà quelques instants. Vous nous avez dit en substance que l’insertion des jeunes au service des autres dans le secteur public devait leur permettre de retrouver une dignité. C’est vrai : être considéré comme entrant dans la vie active est effectivement de nature à redonner dignité et confiance en lui à un jeune.
Mais pourquoi ne serait-ce vrai que si l’activité en question se déroule dans le service public ? Monsieur le ministre, considérez-vous comme honteux le fait d’occuper un emploi dans une petite entreprise ?
M. Ronan Kerdraon. C’est un peu caricatural !
M. Jean-Noël Cardoux. Pour ma part, j’estime que participer au développement économique de son pays en consacrant son temps et son énergie au service d’une petite entreprise est tout autant susceptible de redonner confiance et dignité aux jeunes marginalisés que d’exercer une activité dans le secteur public.
Alors, monsieur le ministre, ouvrez le dispositif aux petites entreprises, et nous vous suivrons ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Hervé Marseille applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est la traduction législative d’un engagement de campagne du Président de la République en faveur des jeunes. Il s’adresse aux jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans n’ayant pas ou peu de formation et qui ne trouvent pas de travail. Il résulte d’un constat accablant, que vous avez rappelé, monsieur le ministre : à l’heure actuelle, les jeunes pensent qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Or un pays qui ne donne pas toute sa place à sa jeunesse obère son avenir.
C’est cette profonde conviction qui avait conduit François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, à prendre l’engagement suivant lors de son discours du Bourget: « C’est pour la jeunesse de notre pays que je veux présider la France. Je veux redonner confiance à la jeunesse ! »
Chers collègues de l’opposition, vous avez parlé de précipitation et, dans le même temps, justifié de dix ans d’inaction. Mais vous devez être bien sourds pour ne pas percevoir l’amplification de l’urgence sociale dans notre pays. De fait, l’urgence du présent projet de loi est patente.
Les élus socialistes, conscients de la situation de l’emploi, en particulier de celle des jeunes, se félicitent que le Gouvernement tienne la promesse faite par le chef de l’État. Eh oui, le changement, c’est maintenant ! Ils se félicitent également du volontarisme politique ainsi manifesté.
Je veux saluer le travail réalisé par le rapporteur, Claude Jeannerot, qui, avec la présidente de la commission des affaires sociales, a su mobiliser pleinement les membres de celle-ci.
Le texte que nous examinons est emblématique de la politique voulue par la nouvelle majorité présidentielle. En effet, nous avons érigé la lutte contre le chômage, en particulier celui des jeunes, au rang d’impérieuse nécessité, de priorité nationale, que personne, dans cet hémicycle, ne peut contester. Il y va de l’avenir de notre société.
Car la réalité est cruelle : notre pays a atteint la barre des 3 millions de chômeurs, soit près de 10 % de la population active. Cette aggravation du chômage n’est malheureusement pas une surprise : messieurs les ministres, vos prédécesseurs, vous ont légué une véritable bombe sociale à retardement. Et n’oublions pas les licenciements retardés au cours de la campagne présidentielle.
Cette bombe sociale est la résultante de cinq années d’inertie des gouvernements Raffarin et Villepin et des cinq dernières années de désengagement coupable de la part de l’État.
M. Philippe Bas. C’est faux !
M. Ronan Kerdraon. L’an dernier, dans son rapport sur la mission « Travail et emploi », notre collègue François Patriat a pu ainsi faire le constat d’une action publique « qui se désengage des politiques actives de l’emploi et de lutte contre le chômage ».
Lors de mes permanences, de mes échanges avec nos concitoyens, j’ai pu mesurer à quel point il est difficile d’être jeune par les temps qui courent.
Selon Pierre Bourdieu, « la jeunesse n’est qu’un mot ». Malheureusement, aujourd'hui, elle souffre de maux, et les chiffres sont terrifiants. Le chômage des moins de vingt-cinq ans s’est envolé : il concerne, en moyenne, 25,7 % de cette population, et, plus précisément, près de 45 % des jeunes sans diplôme et près de 75 % de ceux qui résident dans nos départements d’outre-mer. Un tel constat est inacceptable, intolérable ! Mais il n’est pas le fruit du hasard, n’est-ce pas mes chers collègues de l’opposition ?
Les jeunes sont les premières victimes de la crise que nous traversons et de la précarisation accrue du marché du travail. C’est sur leurs épaules que repose la flexibilité : la moitié des salariés embauchés en CDD, en stage ou en apprentissage a moins de vingt-neuf ans, alors que la moitié des salariés recrutés en CDI a plus de quarante-trois ans.
Les jeunes servent aussi de variables d’ajustement des effectifs en période de crise ; une sorte de surplus ! C’est ainsi que, chez les jeunes, la proportion d’intérimaires est plus de deux fois supérieure à ce qu’elle est dans l’ensemble de la population active occupée. Et encore, tous ne sont pas logés à la même enseigne : les peu ou pas diplômés, auxquels s’adresse le dispositif que nous étudions, rencontrent le plus de difficultés. Ce sont eux, mes chers collègues, qui grossissent les cohortes des chômeurs. On n’est finalement pas très éloigné de la fameuse « armée de réserve » de travailleurs dont parlait Karl Marx !
Ce sont aussi les jeunes qui subissent l’essentiel de la précarité.
Bien évidemment, cette situation a de fortes répercussions sur leur vie quotidienne. À l’évidence, leurs difficultés d’insertion ne favorisent pas leur autonomie, tant financière que résidentielle.
Sur le plan des revenus, 17 % des jeunes âgés de dix-huit à vingt-neuf ans vit en dessous du seuil de pauvreté, contre13 % dans l’ensemble de la population. En 2008, plus d’un pauvre sur deux avait moins de trente-cinq ans.
En raison de cette précarité, les intéressés doivent faire face à des formes de dépendance très souvent mal vécues. Il faut d’ailleurs rappeler que, contrairement à un cliché en vogue, le fameux « effet Tanguy », ce sont bien les jeunes les moins diplômés, issus de milieux modestes, qui se trouvent confrontés à cette situation. De surcroît, les liens de solidarité familiale sont de plus en plus fragiles du fait de la crise.
Alors est-il étonnant de voir les banlieues s’enflammer ? Est-il surprenant que les jeunes se détournent des urnes ?
De sensible, le décalage entre le discours officiel de la République tenu pendant le dernier quinquennat sur l’égalité et l’investissement dans la jeunesse et la réalité à laquelle celle-ci est confrontée est devenu abyssal. Logiquement, la majeure partie des jeunes sont désabusés. En témoignent les enquêtes d’opinion qui montrent leur pessimisme quant à leur avenir.
Et pourtant, le chômage des jeunes n’est pas une fatalité : plusieurs de nos voisins européens affichent des taux de chômage inférieurs aux nôtres.
La crise n’explique sans doute pas tout. Le chômage des jeunes résulte de plusieurs facteurs, au premier rang desquels figure, bien entendu, l’école : comme cela a été rappelé précédemment, 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification. Or le quinquennat de Nicolas Sarkozy a plongé l’éducation nationale dans une crise sans précédent. En supprimant 93 000 postes, il a amputé l’école de la République de ses moyens humains, de ses forces vives.
M. Jean-François Husson. Les élèves sont moins nombreux !
M. Ronan Kerdraon. Mais c’est tout simplement parce que les enfants âgés de deux à trois ans ne sont plus scolarisés !
En tout cas, l’école n’a pas pu remplir efficacement ses missions.
En raison des coupes sombres pratiquées dans les différents budgets du ministère, le nombre de candidats au métier d’enseignant s’est également réduit considérablement au cours du précédent quinquennat.
Nous, à gauche, rejetons cette politique et refusons la fatalité de l’échec scolaire. C’est pourquoi nous approuvons le choix du Gouvernement de faire de l’éducation nationale l’une de ses priorités. C’est aussi pourquoi nous considérons que les emplois d’avenir professeur, réservés aux étudiants boursiers, constituent l’une des étapes vers la refondation de l’école publique. Mais il faudra également revenir sur la réforme de la mastérisation décidée en 2008.
L’accompagnement est aussi un facteur décisif en matière de chômage des jeunes. Je veux souligner à cet égard le rôle important du réseau des missions locales, la mobilisation et le professionnalisme de ses conseillers. Or, là encore, les dotations de l’État n’ont pas progressé depuis 2010 alors que le nombre de jeunes en contact avec le réseau n’a eu de cesse d’augmenter d’année en année, comme l’a remarqué notre collègue François Patriat. C’est pourquoi nous nous réjouissons du renforcement annoncé par le Gouvernement, et confirmé par M. le ministre, des moyens d’accompagnement des missions locales, à hauteur de 30 millions d’euros pour la première année.
La difficile adéquation des offres et des demandes d’emplois est un troisième facteur. Rapprocher l’offre de la demande d’emplois est un casse-tête auquel tous les gouvernements se sont heurtés depuis trente ans. Le nombre d’emplois non pourvus en France est estimé entre 300 000 et 500 000 : une aberration maintes fois dénoncée !
Pour résoudre cette inadéquation, nombre de dispositifs ont été imaginés au cours des dernières des années, mais sans véritable succès. La faute en revient essentiellement au faible niveau de qualification des chômeurs susceptibles de pourvoir les postes disponibles, parfois, à l’absence de mobilité des personnes à la recherche d’un emploi et, surtout, aux misérables moyens accordés aux acteurs du service public de l’emploi, qui peuvent parfois mal connaître les besoins de recrutement des entreprises.
Depuis 2008, faute de moyens humains suffisants, Pôle emploi a laissé en jachère la prospection des offres d’emplois pour assurer l’inscription des chômeurs. Bien sûr, une fois encore, nous nous félicitons que, cet été, aussitôt constitué, le Gouvernement ait créé 2 000 postes à Pôle emploi. Mais prenons garde : si la jeunesse actuelle n’est pas encore une « génération sacrifiée », c’est bien une « génération précaire ».
Oui, il est urgent de prendre la question de l’emploi des jeunes à bras-le-corps ! Oui, il est urgent de leur offrir autre chose que de belles paroles, des propos lénifiants ! Léo Lagrange disait : « Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin ; ouvrons-leur toutes les routes. » Mes chers collègues, c’est à cela que le Gouvernement nous invite.
Depuis dix ans, la situation n’a pas cessé de s’aggraver. Pourtant, plus de quatre-vingts dispositifs ont été expérimentés : CIVIS, CUI, CIE, CAE… Ces contrats n’ont jamais réellement abouti.
M. Philippe Bas. Les emplois d’avenir sont des CUI !
M. Ronan Kerdraon. Dans son rapport de 2011 consacré aux contrats aidés, la Cour des comptes observe que, lorsqu’ils ne sont pas ciblés, ces contrats génèrent des effets d’aubaine inutile et coûteux.
Notre majorité a tiré les leçons de cette situation. Elle a fait le choix d’agir, non le choix de l’agitation !
Le programme des emplois-jeunes avait été qualifié de « réussite indéniable » dans un rapport du Commissariat général du Plan en 2001. Souvenons-nous qu’il a permis, d’après les auteurs de cette étude, de « réaliser en peu de temps ce que les programmes antérieurs » n’avaient pas réussi à faire : la création nette d’emplois. C’est ainsi que 310 000 postes ont vu le jour, répondant à une demande sociale réelle.
Messieurs les ministres, avec les membres de mon groupe, nous sommes impatients de voter le texte que vous nous proposez, un texte enrichi grâce aux amendements de nos collègues députés et à ceux que nous vous présenterons. Ne pas voter ce projet de loi serait décevoir une jeunesse dont Victor Hugo disait qu’elle reste « le sourire de l’avenir devant un inconnu qui est lui-même ».
Je vous renvoie en conclusion à un auteur bien connu, François Mitterrand, qui affirmait à juste titre : « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et qui la frappe a toujours tort ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 août dernier, le Gouvernement engageait la procédure accélérée sur le projet de loi portant création des emplois d’avenir, dans l’objectif de « proposer des solutions d’emploi » et d’ouvrir « l’accès à une qualification aux jeunes peu ou pas qualifiés qui ne parviennent pas à trouver le chemin de l’insertion professionnelle ».
Un tel objectif me semble louable et incontestable au vu des difficultés toujours plus nombreuses que le public concerné rencontre. D’ailleurs, le problème n’est pas récent ; c’est le produit d’un système éducatif qui apparaît à bout de souffle sur certains points.
M. Philippe Bas. Très bien !
M. Jean-François Husson. Je ne puis donc que souscrire à la volonté de mettre fin à une situation qui n’est pas normale et que je qualifierai même d’exceptionnelle : un jeune sur quatre est au chômage et l’âge moyen du premier CDI est de vingt-huit ans !
Ici, l’exigence transcende largement les clivages et les sensibilités politiques : trouver le chemin de l’emploi et de la qualification professionnelle est aujourd'hui un enjeu fondamental pour notre société.
Toutefois, je m’étonne que le Gouvernement utilise la procédure accélérée, sachant que la situation n’est pas nouvelle, même si elle s’est dégradée, et que des dispositifs existent en la matière depuis vingt ans ; sans en établir la liste exhaustive, je rappellerai simplement que les contrats d’apprentissage ont permis à de nombreux jeunes d’acquérir une expérience professionnelle et d’avoir accès à une formation.
Mme Christiane Demontès. L’apprentissage existe depuis 1920 !
M. Jean-François Husson. Les contrats uniques d’insertion, d'ailleurs dans leur double déclinaison de « contrat unique d’insertion-contrat d’accompagnement vers l’emploi », ou CIE-CAE, ainsi que les contrats d’insertion dans la vie sociale, ou CIVIS, ont tenté d’apporter une solution pour un retour à l’emploi.
De nombreux contrats aidés ont également permis d’accompagner ces personnes en difficulté, même si, je vous l’accorde, la multiplicité des dispositifs n’a pas évité la dégradation de la situation de l’emploi.
Mais cette réalité est aussi liée à une conjoncture économique très défavorable, qui s’est aggravée ces dernières années.
Pour en revenir à la création des contrats d’avenir, je regrette aussi que ce texte ne s’inscrive pas dans un grand plan en faveur de l’emploi et de la formation.
M. Jean-François Husson. Il eût fallu aujourd’hui afficher et porter une autre ambition, une ambition plus grande.
Néanmoins, le nouveau dispositif des emplois d’avenir appelle un certain nombre d’observations à prendre en compte.
Tout d’abord, le texte législatif concerne les jeunes peu ou pas diplômés, âgés de seize ans à vingt-cinq ans, voire à trente ans pour les personnes souffrant d’un handicap, et élisant notamment domicile dans les zones urbaines ou rurales les plus marquées par le chômage.
À mon sens, cette seule terminologie ne permet pas de garantir l’égalité de traitement des situations sur l’ensemble du territoire français, un principe qui, je vous le rappelle, est à la fois l’un des piliers de la Constitution et le nom de l’un des ministères de la République, celui dit de « l’égalité des territoires ».
Garantir la formation et donc, à terme, l’insertion professionnelle aux seuls résidents des zones urbaines serait une faute. Ce n’est en tout cas pas acceptable.
Il est indispensable, me semble-t-il, de porter à la connaissance des élus l’état de la situation par bassin de vie et par bassin d’emploi. Ces données plus précises permettraient d’agir au plus près des besoins des jeunes en grande difficulté d’accès à l’emploi. Je le répète – c’est un principe auquel je suis très attaché –, chaque jeune, où qu’il se trouve sur le territoire de la République, doit avoir accès à ces emplois d’avenir dès lors qu’il entre dans la « cible fixée ».
M. Jean-François Husson. Ensuite, l’objectif des emplois d’avenir est de proposer un accès à une formation qualifiante et à un emploi durable à des jeunes dont la rupture professionnelle est due le plus souvent à un échec scolaire, puis à un phénomène dit de « décrochage ». Que ces jeunes soient, pour certains d’entre eux, responsables de la situation ou non, ils sont en grande difficulté, et nous ne pouvons pas les laisser sur le bord du chemin.
Leur intégration professionnelle doit désormais être pérenne. Il ne s’agit pas de créer un énième dispositif débouchant sur une précarité dans l’emploi ainsi créé. La réussite du dispositif ne sera effective que si et seulement si l’emploi est durable. Il est dès lors nécessaire de tout mettre en œuvre pour garantir un accès au marché du travail qui ne soit pas un simple palliatif à la situation de détresse subie par ces jeunes. Ce texte doit dépasser l’étape du simple souhait ; à défaut, nous porterions collectivement une responsabilité toute particulière.
Par ailleurs, j’attire votre attention sur un point : l’application d’un tel dispositif ne sera un succès que si le Gouvernement met parallèlement tout en œuvre pour corriger les faiblesses du système éducatif, placé sous la responsabilité de l’État.
En effet, le projet de loi doit non seulement s’attacher à l’objectif d’insertion des jeunes sortis du système éducatif, mais aussi, et peut-être surtout, remédier aux failles de la formation initiale. Il est indispensable d’agir tant sur les conséquences que sur les causes de l’échec de l’intégration professionnelle de nos jeunes concitoyens qui sont aujourd’hui sans diplôme. C’est d’ailleurs ce que préconise la Cour des comptes ; dans un rapport du 12 mai 2010 intitulé L’Éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves, elle pointe un certain nombre de failles et de faiblesses du système scolaire français.
Enfin, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint – on mène une politique de rigueur sans prononcer le mot –, le financement d’un tel dispositif mobilise des fonds importants. Il est donc nécessaire de faire des choix et d’opérer des transferts de ressources pour compenser cette dépense nouvelle dans le respect des restrictions budgétaires annoncées par le Gouvernement. Or ce point n’est pas précisé dans le projet de loi.
Pour conclure, messieurs les ministres, je vous demande d’associer les élus que nous sommes, membres de la représentation nationale, au sein des différents comités régionaux de suivi et d’évaluation. C’est une question de respect et d’engagement réciproque.
Les jeunes méritent notre attention et notre soutien. C’est pourquoi, à l’ouverture de ce débat, j’ai choisi en conscience de m’engager à voter en faveur de la création des emplois d’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. François Trucy applaudit également.)
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui est un plan d’urgence.
Est-il urgent et nécessaire ? Très certainement. Sera-t-il efficace ? Sur ce point, nous sommes plus réservés. (M. Roland Courteau s’exclame ironiquement.) Nous attendrons vos réponses pour nous déterminer.
Nous partageons évidemment le constat. La situation de l’emploi est extrêmement préoccupante et ne cesse de se dégrader. Les chiffres ont déjà été rappelés. Deux barres symboliques, celle des 10 % de la population active sans emploi et celle des 3 millions de chômeurs, ont été franchies en 2012.
En particulier, le chômage des jeunes est alarmant. Encore une fois, les chiffres sont connus : 22,5 % des jeunes actifs âgés de seize ans à vingt-cinq ans se trouvent au chômage. C’est deux fois plus que la moyenne nationale. Ce taux grimpe à 45 % pour les jeunes qui ne sont pas diplômés du tout.
Dans la masse des demandeurs d’emploi, on identifie donc une population spécifique qui court un risque particulier, celui de la désocialisation.
Certains de ces jeunes sont à ce point coupés du monde du travail que, bien souvent, ils ne figurent même pas dans les statistiques de Pôle emploi. Beaucoup rejoignent alors l’économie souterraine. Même en période de reprise économique, ces jeunes ne se réinsèrent pas sur le marché du travail.
Dans ces conditions, il est nécessaire de développer des outils spécifiques de retour à l’emploi pour les publics concernés. Vous nous en proposez deux : l’emploi d’avenir et le contrat de génération. Aujourd'hui, il n’est question que du premier.
L’emploi d’avenir est une formule qui – d’autres l’ont déjà noté avant moi – n’a absolument rien de nouveau. Il s'agit d’un contrat aidé comme on en signe depuis des décennies maintenant. C’est même la simple modulation d’un contrat aidé qui existe déjà : le contrat unique d’insertion, ou CUI. En effet, il sera conclu sous la forme d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi ou d’un contrat initiative emploi, les deux formes du CUI.
L’emploi d’avenir est donc un CUI particulier. De ce point de vue, l’heure du changement n’est pas encore arrivée…
Pour mémoire, je rappelle que le CUI a été créé par la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, un texte que l’actuelle majorité n’avait pas cru devoir voter et dont elle fait aujourd’hui le cadre juridique de sa réforme emblématique de l’emploi.