M. Albéric de Montgolfier. Ce n’est pas ce qu’il a dit à l’Assemblée nationale !
M. François Patriat. Contrairement à ce vous affirmez aujourd’hui, la défiscalisation des heures supplémentaires n’a pas augmenté le pouvoir d’achat des Français. En effet, le pouvoir d’achat par unité de consommation n’a augmenté que de 0,1 % par an en moyenne entre 2007 et 2010. Il a même reculé en 2011 et au premier trimestre 2012, selon Bercy.
Enfin, cette argumentation simpliste ne prend pas en compte le maintien des exonérations pour les TPE. Quand on sait que les entreprises de moins de vingt salariés constituent la plupart des entreprises implantées sur les territoires que nous représentons, ce maintien devrait avoir un effet bénéfique.
La fin des exonérations sociales sur les heures supplémentaires rapportera 980 millions d’euros cette année et 3 milliards d’euros en 2013. Quant à la refiscalisation, elle rapportera 600 millions d’euros dès 2013.
Sur la période 2011-2014, cette réforme permettra la création ou la sauvegarde de près de 18 000 emplois. Les créations d’emplois supplémentaires entraîneront un supplément de recettes fiscales et une économie de dépenses sociales représentant 1,3 milliard d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique réalisé, cette réforme permettra de réduire le déficit des administrations publiques de 5,2 milliards d’euros, soit 0,26 point de PIB en 2013.
Mes chers collègues, il est temps de mettre en avant ces faits, afin de ne pas laisser s’exprimer la seule voix – parfois partielle et surtout partiale – de l’UMP, qui prétend que la suppression des exonérations entraînera une baisse du pouvoir d’achat, alors qu’elle était, rappelons-le, favorable à la TVA sociale, mesure dont l’instauration aurait touché, avant tout, les plus modestes.
La suppression des exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires est donc une mesure qui, contrairement à ce que vous avancez, est économiquement efficace et socialement juste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, sur l’article.
M. Francis Delattre. Chers collègues de la majorité, vous nous expliquez à longueur d’« éléments de langage » que votre rigueur serait beaucoup plus juste que celle pratiquée par les gouvernements précédents. Cela nous amène à nous interroger sur le sens que revêt désormais pour vous l’expression de « justice sociale ».
Est-il « juste » – il semble que ce soit votre mot fétiche – de supprimer le bénéfice d’une exonération fiscale, qui représente 500 euros pour les 9 millions de salariés gagnant en moyenne 1 500 euros par mois et améliore ainsi leur pouvoir d’achat ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Nous vous le disons de manière très claire et très sereine, ce type de réflexion est une véritable insulte lancée à ces 9 millions de travailleurs (Protestations sur les mêmes travées.), qui sont, pour l’essentiel, des travailleurs modestes.
Mes chers collègues, si vous avez un doute quant à la véritable orientation du présent projet de loi de finances rectificative, nous tenons à notre disposition un tableau émanant du Gouvernement, qui est parfaitement explicite sur ce point. (M. Francis Delattre brandit un document.)
Penchons-nous, si vous le voulez bien, sur quelques lignes tirées de ce rapport. On y trouve tout d’abord la suppression de l’exonération des heures supplémentaires, qui touche essentiellement les salariés modestes. Cette mesure représente, sur deux ans, 3,6 milliards d’euros. Il nous est en outre expliqué que le présent texte s’attaque aux riches et aux banques. Un coup d’œil sur le document nous apprend que la taxation accrue des stocks options ne rapportera que 0,3 milliard d’euros. Les mesures concernant les salariés qui bénéficient de l’épargne salariale rapporteront, quant à elles, 2,4 milliards d’euros. En revanche, la contribution du secteur bancaire ne s’élèvera qu’à 0,6 milliard d’euros.
Notre collègue Jean Germain, maire de Tours, nous a demandé, hier, ce qu’il y avait de choquant dans ces mesures. C’était très astucieux de sa part ! Je vais lui répondre. Ce qu’il y a de choquant, c’est que le projet de loi de finances rectificative, contrairement à ce que vous prétendez, dégage des ressources fournies essentiellement par les salariés.
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. Francis Delattre. C’est la réalité de votre projet !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voilà !
M. Francis Delattre. Vous pouvez l’orner de tous les qualificatifs qu’il vous plaira, mais c’est la vérité !
Vous dites également que la TVA sociale détruit des emplois et vous ne cessez d’invoquer un rapport parlementaire. Or la lecture de celui-ci ne permet pas de découvrir le moindre chiffre indiquant que ce dispositif a détruit des emplois, comme cela a été abondamment dit.
Quel était l’objectif de cette mesure ? Il était d’offrir un peu de flexibilité aux entreprises. En effet, ces dernières vivent essentiellement en fonction de leur carnet de commandes. C’est ce carnet qui les dirige. Or l’évolution des carnets de commandes est variable. Par conséquent, le fait de recourir ou non à des heures supplémentaires relève non pas du dogme, mais bien des possibilités de l’entreprise.
En réalité, jamais les entreprises n’ont créé d’emplois grâce au partage du travail. Vous évoquez souvent divers modèles européens. Or on ne trouve dans aucune statistique de ces pays – ils ne s’y sont d’ailleurs même pas essayés ! – l’illustration du fait qu’on pourrait créer des emplois par le partage de la pénurie.
Enfin, je voudrais dire un mot sur l’épargne salariale. Aux 9 millions de salariés que vous allez sanctionner en réduisant leur pouvoir d’achat, vous ajoutez les 10 millions de salariés qui bénéficient de cette épargne. C’est un non-sens économique, monsieur le ministre !
Tout le monde le sait, parmi les nombreux problèmes que connaît le fonctionnement de nos entreprises, notamment industrielles, figure celui du financement, en particulier des PME. Ce financement dépend trop des banques, nous le savons tous. Les entreprises n’ont pas assez de capitaux stables. Or l’épargne salariale était un moyen de leur en garantir. Elle est en expansion, et elle permettait d’associer naturellement – c’est une idée qui nous est chère – les directions des entreprises et leurs salariés. Elle mettait en avant la participation et le fameux dialogue social, auquel elle donnait un véritable contenu, et dont vous nous avez parlé tout à l’heure.
On se réfère régulièrement au modèle allemand. L’examen de la situation outre-Rhin permet de comprendre assez aisément les causes des difficultés que nous avons connues ces dernières années. Le chômage structurel est la conséquence implacable d’une trop grande pression fiscale et réglementaire, d’un marché du travail trop rigide, d’une politique budgétaire erratique, d’un euro trop fort et, enfin, d’une politique d’innovation et de recherche trop faible, et souvent trop étatisée.
Nous avons essayé de réformer cela, à travers un certain nombre de mesures. En détricoter l’essentiel sera néfaste à la compétitivité de nos entreprises et fera assurément croître le chômage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux, sur l’article.
Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 2 du présent projet de loi de finances rectificative, qui supprime l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, est bien, comme l’ont dit un certain nombre de mes collègues, une injustice sociale et une faute économique. (M. David Assouline s’exclame.)
La motivation du Gouvernement sur ce sujet, on l’a souligné à plusieurs reprises, est uniquement idéologique, guidée par le besoin irrépressible de s’attaquer au bilan de Nicolas Sarkozy et de faire table rase de ce qui a été entrepris.
M. David Assouline. On l’a déjà oublié !
Mme Caroline Cayeux. L’exonération des heures supplémentaires, mesure d’ordre purement économique, était au service des salariés et des entreprises de notre pays. Il est vrai que, pour vous, elle présentait l’inconvénient d’avoir été mise en place par le précédent gouvernement.
Monsieur le ministre, vous êtes en train de mettre à mal la compétitivité des entreprises en touchant au pouvoir d’achat des classes moyennes. Il ne pourra y avoir de redressement économique dans notre pays, encore moins de justice sociale, notion que vous ne cessez pourtant de brandir, depuis hier, comme l’étendard de votre politique gouvernementale. Vous la présentez même comme la clé de voûte de votre action au service des Français. Or, avec la suppression de cette exonération, vous foulez aux pieds la justice sociale !
Vous allez délibérément porter atteinte au pouvoir d’achat des ouvriers, des employés et des fonctionnaires. Dans mon département et dans ma ville, j’ai été interpellée par des transporteurs, des hôteliers, des cafetiers, des fonctionnaires municipaux, notamment de police, des ouvriers, des chefs d’entreprise ou des enseignants du second degré, qui effectuent régulièrement des heures supplémentaires et ne font pas partie, mes chers collègues, des plus privilégiés. Eux aussi sont inquiets pour l’avenir. Qu’allez-vous répondre à tous les Français qui perdront, en moyenne, près de 600 euros par an ? Ils seront, en effet, presque 9 millions à être victimes de votre conception de la « justice sociale ».
Je le redis, vous commettez une faute non seulement sociale, mais aussi économique. En effet, sous prétexte de faire des économies, vous mettez à mal le développement économique, l’emploi et le budget des foyers.
M. Richard Yung. Dans ces domaines, vous avez réussi !
Mme Caroline Cayeux. Et ce n’est certainement pas la hausse symbolique du SMIC qui compensera la perte de pouvoir d’achat que vous voulez instaurer.
Votre mesure constitue une double peine pour notre pays : elle frappe le moral des salariés et celui des entreprises.
Mme Marie-France Beaufils. C’est vous qui dites cela !
Mme Caroline Cayeux. Voilà quelques jours, M. Benoît Hamon a affirmé qu’on attendait du Gouvernent qu’il tienne « un langage de la preuve » pour que nos concitoyens puissent mettre « un peu de beurre dans les épinards ». Les Français vont devoir renoncer à ce « beurre », car il va fondre jusqu’à disparaître.
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. Vous allez nous faire pleurer !
Mme Caroline Cayeux. Je citerai également le cas des entreprises du secteur du BTP ou encore de l’hôtellerie-restauration. En fonction de l’horaire actuel dont ils relèvent, la remise en cause des exonérations sociales reviendrait à faire perdre à tous ces salariés entre 3 % et 7 % de leur pouvoir d’achat après impôt. Vous admettrez que ce n’est pas rien !
Monsieur le ministre, avec ce projet, vous tournez le dos à la France qui travaille (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) et vous commettez une double injustice, à la fois sociale et économique.
Comme Philippe Dallier, je citerai les paroles d’une chanson, qui fut extrêmement populaire dans les années quatre-vingt : « antisocial, tu perds ton sang-froid » !
Pour toutes ces raisons, je ne voterai évidemment pas cet article de suppression. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yves Daudigny, rapporteur général de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Je reviendrai sur deux points déjà évoqués, qui me paraissent fondamentaux.
Tout d’abord, je souhaite rappeler que cette discussion intervient après le vote de l’article 1er, qui a rendu à l’ensemble des Français 10,6 milliards d’euros de pouvoir d’achat (Protestations sur les travées de l'UMP.), soit en moyenne 300 à 400 euros par ménage.
M. Philippe Dallier. C’est faux !
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. L’effet de la mesure prévue à l’article 2 sera de l’ordre de 5 milliards d’euros, dont seulement 4 milliards d’euros concernent les ménages, ce qui signifie que le différentiel est bien de 6 milliards d’euros, lesquels, grâce aux articles 1er et 2 de ce texte, viendront majorer le pouvoir d’achat des Français en 2012.
Ensuite, l’enjeu de cet article n’est pas, bien évidemment, la suppression des heures supplémentaires. Nous le savons, celles-ci sont indispensables au fonctionnement des entreprises. Leur rémunération est d’ailleurs majorée de 25 % à 50 %, ce qui est juste pour les salariés et tout à fait équitable d’un point de vue économique. En effet, l’entreprise dépense moins en payant des heures supplémentaires qu’en embauchant un nouveau salarié. L’enjeu est donc de savoir s’il faut maintenir les avantages liés à ces heures supplémentaires, en matière de fiscalité et de contributions sociales.
Enfin, mes chers collègues, nous avons l’ambition de construire un nouveau système fiscal, qui s’appuiera sur le concept fondamental de justice.
M. Francis Delattre. Vous commencez mal !
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. Chacun doit contribuer à la solidarité nationale en fonction de ses revenus et quelle que soit leur nature, c’est du moins l’idéal vers lequel il faut tendre.
Un salarié dont la rémunération est de 1 500 euros contribue à la solidarité nationale via l’impôt sur le revenu et les contributions sociales sur la base de 1 500 euros. En revanche, le salarié dont le revenu de 1 500 euros est composé d’un salaire de 1 200 euros et du paiement d’heures supplémentaires à hauteur de 300 euros ne contribue à la solidarité nationale par l’impôt sur le revenu et des contributions sociales que sur la base de 1 200 euros. Est-ce juste ? (Non ! sur les travées socialistes.) Comment peut-on justifier une telle différence de traitement sinon par la seule nécessité, à l’époque, de mettre en œuvre un slogan de campagne électorale ?
L’inspection des finances a noté de « zéro » à « trois » les dépenses fiscales et les niches sociales selon qu’elles ont ou non réalisé leurs objectifs, ou, au contraire, renforcé les inégalités, ainsi que par comparaisons internationales. Mesure phare du paquet fiscal de 2007, le dispositif relatif aux heures supplémentaires a reçu un score d’« un ». L’avantage fiscalo-social est nettement croissant avec le niveau de vie. La baisse du coût des heures supplémentaires « tend aussi à accroître les incitations à des pratiques d’optimisation fiscale associées à la déclaration d’heures supplémentaires fictives ».
Par ailleurs, le rapport de nos collègues Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot, que nous avons souvent cité, insiste sur la sous-déclaration des heures supplémentaires. Leur rapport est également accablant pour ce qui concerne les gains et avantages fiscaux. Le gain moyen est de 42 euros mensuels ; le gain médian n’atteint que 29 euros. L’explication d’une telle différence est particulièrement intéressante. Le dispositif ne prévoyant pas de plafonnement du gain fiscal, les auteurs du rapport notent qu’une telle situation a pu conduire à des avantages pouvant être jugés disproportionnés.
J’évoquerai, enfin, l’aspect économique, qui a été souvent abordé. Après avoir analysé la situation de notre pays, nous avons voulu maintenir l’avantage du dispositif pour les petites entreprises.
Un sénateur de l’UMP. Mais pas pour les autres !
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. Pour ces dernières, le recours aux heures supplémentaires est un facteur significatif d’adaptation aux variations de la demande qu’elles subissent. En 2011, 44 % des heures supplémentaires étaient effectuées dans les entreprises de moins de vingt salariés ou de vingt salariés, alors que celles-ci ne représentent seulement qu’un tiers de l’emploi. Elles rencontrent les contraintes les plus fortes et les difficultés de financement et d’accès à la commande publique les plus grandes. Elles acquittent un impôt sur les bénéfices proportionnellement plus important que celui qui est payé par les très grandes entreprises, lesquelles sont capables de mettre en œuvre des mécanismes d’optimisation. Une telle disposition traduit notre responsabilité en matière économique.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. Une mesure qui rend du pouvoir d’achat à l’ensemble des Français et qui abroge un système destructeur d’emplois est certainement appropriée à notre pays, opportune et intelligente. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, sur l’article.
M. Philippe Adnot. Après l’intervention dans cet hémicycle de M. Jean-Marc Ayrault, j’avais pris la parole pour dire que je voterai ce qui me paraissait bon et que je ne voterai pas ce qui me paraissait mauvais.
Je n’ai donc pas voté la réforme de la TVA sociale, qui constituait, selon moi, une bonne mesure. Je m’apprête, en revanche, à voter l’article 2, si la majorité consent à étudier avec intérêt l’amendement que j’ai déposé et qui vise à atténuer quelque peu la brutalité d’une application trop rapide de la mesure pour les entreprises. Nous aurons l’occasion d’en reparler au moment de l’examen de l’amendement.
La réforme liée à l’exonération des heures supplémentaires avait plusieurs vices de forme.
Le premier vice de forme, qui a déjà été rappelé, repose sur l’inégalité de traitement. Comment expliquer à nos concitoyens que le salarié qui n’a pas la chance de pouvoir effectuer des heures supplémentaires est imposé sur la totalité de son revenu, contrairement à celui qui a la chance de pouvoir en faire ? (M. Alain Néri applaudit.)
M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. C’est ce que je viens de souligner !
M. Philippe Adnot. Deuxième vice de forme, cette réforme, dont l’objet, en réalité, était de revenir sur les 35 heures, a manqué de courage. Il eût été préférable de dire clairement les choses. Puisqu’il s’agissait de redonner de la compétitivité à notre nation, chacun aurait dû pouvoir travailler davantage d’une manière légitime, et pas seulement ceux qui ont la possibilité d’effectuer des heures supplémentaires.
Troisième vice de forme, cette réforme a été financée par l’endettement. Or, quand on est endetté, toute dépense supplémentaire a pour effet de creuser le déficit budgétaire. Offrir des avantages de cette nature dans un tel contexte, c’est dire aux gens qu’ils ne paieront pas, mais que leurs enfants paieront un jour.
Quand une mesure n’est pas bonne, il faut savoir la supprimer, surtout si elle ne correspond pas à la demande des entreprises et des salariés.
Les entreprises ont besoin d’une plus grande souplesse. Elles doivent pouvoir être réactives. Pour ce faire, il est important qu’elles puissent demander aux salariés d’effectuer des heures supplémentaires en fonction de l’importance du carnet de commande. Nul besoin d’introduire une telle distorsion pour arriver à ce résultat !
Je m’apprête donc à voter l’article 2, si la gauche veut bien m’écouter. Elle doit comprendre qu’il serait préférable de mettre en application cette mesure à compter du dernier trimestre de 2012, de manière à ce que celle-ci ne vienne pas perturber la comptabilité des entrepreneurs. L’adoption de cet amendement, qui n’entraînerait pas une perte financière très lourde, permettrait d’apporter une certaine souplesse.
Comment donner souplesse et réactivité à notre société ? Pour nous tous, le chantier reste ouvert ! (M. Jean-François Husson applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, sur l'article.
M. Jean-Pierre Caffet. Pour juger du contenu de cet article, il faut revenir à l’origine de la loi TEPA. Vous avez dit qu’il s’agissait, en 2007, d’augmenter le pouvoir d’achat et de donner de la flexibilité aux entreprises. En réalité, il n’en est rien.
M. Roger Karoutchi. Mais si !
M. Jean-Pierre Caffet. Non ! L’objectif affiché par le gouvernement de l’époque était de créer des emplois et, ainsi, de doper la croissance. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
J’ai retrouvé l’intervention prononcée par Mme Lagarde au cours de la discussion de l’article 1er du projet de loi TEPA : « L’augmentation de la durée moyenne du travail est une condition essentielle à la baisse durable du chômage et à l’augmentation de notre rythme de croissance. Cette corrélation est mise en évidence par les comparaisons internationales qui montrent que les pays européens qui connaissent le plein emploi sont souvent ceux dans lesquels le nombre moyen d’heures ouvrées par salarié est élevé. »
Tout est dit ! On retrouve là la croyance selon laquelle plus la durée du travail est longue, plus on crée d’emplois et plus c’est favorable à la croissance. Tel était donc l’objectif de la loi TEPA, comme l’avait souligné Mme Lagarde ici même.
C’est à l’aune de cet objectif qu’il faut juger de l’efficacité de cette mesure, d’autant que, après cinq années d’application, nous avons aujourd’hui le recul nécessaire. Un certain nombre d’études et de rapports ont été faits.
Je n’en citerai que trois : le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, le rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, et le rapport de nos collègues députés Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot, rapport bipartisan dont il a beaucoup été question et qui a été abondamment cité.
Tous ces rapports soulignent que non seulement l'emploi n'a pas progressé,…
M. Rémy Pointereau. C'est mieux que les 35 heures !
M. Jean-Pierre Caffet. Ne vous inquiétez pas, je reviendrai sur les 35 heures !
Tous ces rapports soulignent que non seulement l’emploi n’a pas progressé, mais encore que cette mesure a conduit à des destructions d'emplois.
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Pierre Caffet. Voulez-vous que je vous lise le dernier rapport que j’ai cité ? Voici ce qui y est écrit : « en cas de récession, il – ce dispositif – conduit à une réduction plus forte du nombre d'emplois par un recours accru ou maintenu aux heures supplémentaires subventionnées ».
Autrement dit, vous avez emprunté, parce que cette mesure n'était pas financée en 2007, pas plus qu'elle ne l'était en 2008, en 2009, en 2010, en 2011 et en 2012, pour détruire des emplois ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quelle caricature !
M. Jean-Pierre Caffet. Subventionner des heures supplémentaires quand on est en période de sous-emploi, voire de récession, comme en 2009, est une aberration totale !
Autant je peux comprendre qu'on subventionne des heures supplémentaires en phase de forte croissance et de plein emploi, autant les subventionner en phase de récession et en période de chômage massif est une absurdité.
Pour terminer, j’évoquerai le paradoxe que vous devez gérer. Certains d'entre vous l’ont reconnu, les 35 heures vous posaient problème. Vous avez donc eu l’idée d’allonger la durée du travail en subventionnant les heures supplémentaires. Simplement, en 2007, pour atteindre cet objectif, vous avez généralisé les 35 heures en les étendant aux entreprises de moins de vingt salariés alors que celles-ci n’y étaient pas soumises.
À vous qui êtes les pourfendeurs au quotidien des 35 heures, pardonnez-moi de dire que généraliser celles-ci et emprunter pour détruire de l'emploi, c'est se prendre deux fois les pieds dans le tapis ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame vivement.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut distinguer la macroéconomie, c'est-à-dire les études dans lesquelles nous nous efforçons de puiser des éléments d'appréciation,…
M. Jean-Pierre Caffet. Comme M. Baroin, M. Copé, etc.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Comme M. Caffet, comme chacun d'entre nous ! (Sourires.)
Il faut distinguer, d’un côté, la macroéconomie et, de l’autre, la microéconomie, c'est-à-dire la réalité concrète des entreprises. D’un côté, il y a les doctrines qui nous inspirent ; de l’autre, pardonnez-moi de le dire, il y a les gens que l'on rencontre.
Je voudrais simplement mettre l'accent sur deux situations concrètes. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) J’évoquerai non des situations individuelles – Fabienne Keller s’y est fort bien employée tout à l’heure –, mais la situation de deux secteurs d'activité : le bâtiment et le transport routier.
S'agissant du bâtiment et des travaux publics, qui comptent 1,5 million de salariés, l'on me dit que près de 130 millions d'heures supplémentaires auraient été effectuées en 2011, soit 85 heures en moyenne par salarié.
M. Henri de Raincourt. Ce n'est pas mal !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La majorité des salariés seraient touchés par les mesures envisagées. L'impact serait d'autant plus important que 85 % des entreprises du bâtiment ont recours aux heures supplémentaires structurelles, lesquelles sont une nécessité incontestable dans ce secteur.
Je comprends bien les arguments selon lesquels il pourrait y avoir, dans des proportions variables, un effet de substitution entre les heures supplémentaires et les créations d'emploi. Néanmoins, s'agissant du bâtiment et des travaux publics, il faut raisonner en tenant compte des conditions concrètes auxquelles sont confrontées les entreprises du secteur, à savoir des plans de charge soumis à des aléas importants, voire à des phénomènes de saisonnalité. Le recours aux heures supplémentaires, qui sont ici structurelles, est assez naturel.
M. Jean-Pierre Caffet. Sont-elles supprimées ?
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Certes non ! Simplement, il est brutal de supprimer quasiment instantanément un régime de détaxation et d’exonération de charges sociales.
S'agissant du transport routier de marchandises, on me dit que ce secteur compterait un peu plus de 400 000 salariés au 31 décembre 2011, dont 75 % de conducteurs routiers.
Selon un scénario bas, le temps de service hebdomadaire d'un conducteur en transport routier de marchandises est égal à celui d'un conducteur courte distance, soit 42,35 heures.
Selon le scénario central, le temps de service hebdomadaire est égal à celui de l'ensemble des conducteurs, soit 46 heures, c’est-à-dire 199 heures par mois.
Selon le scénario haut, le temps de service hebdomadaire est égal à celui d'un conducteur longue distance, soit 47,4 heures, c’est-à-dire 205,2 heures par mois.
Ces chiffres sont tirés du bilan social annuel du transport routier de marchandises, établi par le service de l'observation et des statistiques du ministère de l'écologie, qui était auparavant également chargé des transports.
En considérant que le temps de service hebdomadaire moyen dans ce secteur est de 41 heures, les hypothèses prévues pour les différents types de services montrent incontestablement que la suppression de la loi TEPA aurait un impact important sur le salaire net des conducteurs.
Selon le scénario dans lequel on se place, la perte est soit de 213 euros par an, soit de 790 euros par an ; pour le conducteur longue distance, la perte est de 1 016 euros par an.
Ces effets sont brutaux. Et je ne parle, ici, que des effets sur les salariés et non de ceux sur les entreprises, lesquels seraient également à prendre en compte, d’autant que la conjoncture n'est pas nécessairement facile.
Vous le savez, les secteurs du transport routier de marchandises et du bâtiment, que j’ai pris comme exemples, sont assez représentatifs de la conjoncture générale de l'économie. La mesure prise sera brutale pour les salariés. Par ailleurs, dans la conjoncture actuelle, elle ne pourra sans doute qu’aggraver les difficultés d’une proportion significative d'entreprises.
À mon sens, il eût été préférable de limiter le coût budgétaire de la loi TEPA et de procéder par étapes, ainsi que je l’avais proposé ces dernières années.