Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Cohen, j’aimerais vous répondre concernant l’état de grossesse. Il s’avère que nous avons repris en bloc l’énumération. Mais, dans la mesure où de plus en plus de femmes contribuent à l’écriture de la loi, les choses évolueront progressivement jusqu’à reprendre une place un peu plus normale dans notre code. Dorénavant, nous serons plus facilement alertés sur un certain nombre de points, malgré le scepticisme de sénateurs ou de ministres chevronnés.
C’est vrai que, ainsi placée, la grossesse peut apparaître comme une pathologie ; nous avons le bonheur de savoir qu’il n’en est rien.
Mme Annie David. Exact !
M. Jean-Jacques Hyest. Violer une femme enceinte, c’est quand même une circonstance aggravante !
Mme Christiane Taubira, ministre. Bien entendu, monsieur le sénateur, mais nous parlons ici de l’énumération, qui doit conserver une certaine logique et ne pas devenir un inventaire à la Prévert.
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. La grossesse n’est ni une pathologie ni une maladie !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En tout cas, nous n’engagerons pas un débat philosophique sur ce sujet cette nuit, je vous le promets.
Concernant la question de la vulnérabilité, j’entends vos arguments, monsieur Hyest. Je souligne simplement que, dans le cas du harcèlement sexuel, la vulnérabilité économique ou sociale est un état particulier qui peut donc devenir un élément incitatif pour les harceleurs. Voilà pourquoi elle constitue un facteur aggravant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite que nous soyons réunis dans cet hémicycle pour écrire ce texte de loi, en nous efforçant de bien définir l’incrimination et de sanctionner le délit le plus justement possible, avec toute la sévérité nécessaire mais pas plus que la sévérité nécessaire. Toutefois, force est de constater que nous sommes objectivement un peu moins exposés au harcèlement que la plupart des Français. Certes, on a constaté que ce phénomène s’observait dans toutes les catégories sociales, mais, je le répète, ce sont les personnes vulnérables et fragiles qui, dans notre société, sont le plus massivement touchées par le harcèlement sexuel.
Pour le viol, la condition de vulnérabilité économique ou sociale pourrait parfaitement constituer un facteur aggravant. Pour ma part, je ne serais pas choquée par cette contagion. Autant je suis attentive à la cohérence du code pénal, en veillant à ce que l’on ne désarticule pas toutes les normes en vigueur lorsque l’on introduit des éléments nouveaux, autant je considère que, dans des cas bien précis, certaines dispositions peuvent prendre du sens ailleurs.
Cela étant, telle n’est pas la situation face à laquelle nous nous trouvons : aucun amendement n’a été déposé en vue d’introduire le critère de la vulnérabilité économique ou sociale en cas de viol. Convenons tout au moins que, concernant le harcèlement sexuel, la vulnérabilité économique ou sociale présente, comme la précarité, un caractère plus largement incitatif que dans le cas du viol. Ce constat n’est pas particulièrement satisfaisant, j’en conviens, mais votre réticence ne me paraît pas justifiée quant à l’introduction de ce facteur aggravant.
M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas dit cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans ce cas, il n’y a pas lieu d’en débattre ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest. Mais si ! C’est la cohérence du code pénal !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. À mon sens, Jean-Jacques Hyest pose une question tout à fait judicieuse, dont il connaît d’ailleurs bien la réponse.
En effet, généralement, lorsque l’on débat de textes de loi en matière pénale, on se penche en fait sur une fraction ou un fragment du code pénal. Ainsi, on peut toujours se heurter à un débat susceptible de donner lieu à une généralisation.
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Alain Richard. Néanmoins, vous le savez mieux que moi, si, alors que nous ne débattons que des infractions de harcèlement sexuel, nous affirmions avec assurance que nous avons trouvé une bonne idée, dans le cas présent la prise en compte de la vulnérabilité économique et sociale, et que nous allions donc l’appliquer à trente délits qui nous paraîtraient justifier l’introduction de la même circonstance aggravante, nous commettrions deux erreurs.
Tout d’abord, sur le plan méthodologique, nous accomplirions un déplorable travail législatif. Tout cela doit en effet s’analyser à tête reposée.
Ensuite, nous nous heurterions à l’objection du Conseil constitutionnel, en vertu de l’application pure et simple de la Constitution et du règlement du Sénat : il nous rappelle régulièrement qu’il n’est pas permis de délibérer sur un objet ne figurant pas dans le champ du débat législatif considéré.
Certes, à travers les propos de Jean-Jacques Hyest, je devine une certaine nostalgie de la construction du grand code pénal,…
M. Jean-Jacques Hyest. Évidemment !
M. Alain Richard. … qui a naturellement été un moment assez exceptionnel pour le législateur qu’il est. Malheureusement, des événements de cette ampleur ne se produisent que rarement. Il faut accomplir une très longue carrière parlementaire pour avoir une chance de vivre deux réécritures complètes du code pénal.
À ce titre, je souhaite appeler votre attention sur le fait que la Chancellerie sait très bien conduire de semblables chantiers. Quand on a eu le privilège d’observer comment travaille la direction compétente de la place Vendôme, on peut affirmer que, s’il y a matière à une mise en cohérence du code pénal à la suite d’une initiative judicieuse comme celle dont nous débattons ce soir, l’occasion se présentera, mais dans le bon ordre du travail législatif, de l’appliquer en temps opportun à d’autres délits.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Avec trois abstentions seulement !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 13, présenté par Mme Benbassa, M. Placé, Mmes Bouchoux, Lipietz et Archimbaud, M. Desessard, Mmes Aïchi et Blandin et MM. Dantec, Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
«…° À raison de l’origine d’une personne, de son sexe, de son apparence physique, de ses mœurs, de son orientation ou son identité sexuelle, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement a pour objet les agissements de harcèlement sexuel à visée discriminatoire et tend à ériger ces types de comportements en circonstances aggravantes. En l’état, cette disposition n’est pas prévue par le projet de loi, qui vise uniquement à réprimer, par son article 2, les discriminations résultant du harcèlement sexuel.
Le présent amendement tend également à inscrire l’identité sexuelle sur la liste des discriminations motivant le harcèlement sexuel.
Lors des auditions de notre groupe de travail sur le harcèlement sexuel, il nous a été indiqué que près de la moitié des personnes transsexuelles ou transgenres sont victimes de harcèlement durant leur transition. Cette précision apporte également une réponse aux interventions de nos collègues du groupe CRC.
Mme la présidente. L’amendement n° 58, présenté par Mmes Assassi et Borvo Cohen-Seat, M. Favier, Mmes Cohen, David, Gonthier-Maurin et Beaufils, MM. Bocquet et Billout, Mmes Cukierman, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Hue, Le Cam et Le Scouarnec, Mmes Pasquet et Schurch et MM. Vergès et Watrin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
«…° En raison du changement de sexe ou de l’orientation sexuelle de la personne. »
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Les auditions menées par le groupe de travail sur le harcèlement sexuel révèlent que les personnes transsexuelles ou transgenres sont particulièrement exposées au harcèlement. En conséquence, notre amendement a pour objet de créer une circonstance aggravante lorsque le harcèlement sexuel est effectué dans l’intention de nuire particulièrement à ces personnes.
Au début de l’examen de cet article, notre collègue Éliane Assassi a développé toutes les raisons de cette prise en compte. Je ne reviendrai donc pas en détail sur le sujet.
Par ailleurs, nous avons déposé un amendement dont nous discuterons par la suite, qui tend à garantir la prise en compte explicite du « changement de sexe » – ce sont les termes figurant dans la directive européenne – comme motif de discrimination. Il importe que ces amendements soient adoptés, afin de briser l’omerta législative qui règne sur ce sujet.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 66, présenté par M. Anziani, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Amendement n° 58, alinéa 2
Supprimer les mots :
du changement de sexe ou
La parole est à M. le rapporteur pour présenter ce sous-amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements nos 13 et 58.
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les amendements nos 13 et 58, après avoir donné un avis favorable sur le sous-amendement que je présentais, qui ne vise, au titre des circonstances aggravantes, que l’orientation sexuelle de la victime.
Je sais qu’il y a débat sur le sujet, mais, selon la Chancellerie, la notion d’orientation sexuelle englobe bel et bien les cas des transsexuels et des transgenres. Mme Alliot-Marie, qui était alors garde des sceaux, avait clairement indiqué qu’il n’était donc pas nécessaire d’apporter d’autres précisions.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce débat est tout à fait central. En effet, il soulève les enjeux de l’identité et de l’orientation sexuelles, qui, comme le soulignait Mme Pasquet il y a quelques instants, recoupent la question des transgenres. En fait, ces questions relèvent de la discrimination. Pour cette raison, le Gouvernement est plutôt réservé : il n’entend pas pour l’instant en faire des facteurs aggravants.
Madame Benbassa, votre amendement se réfère à une série d’éléments qui figurent déjà dans le code pénal. Vous ne les avez donc pas inventés. (Mme Esther Benbassa acquiesce.) Il s’agit de l’origine d’une personne, de son sexe, de son apparence physique, de ses mœurs, de son orientation ou de son identité sexuelle, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Une « race » ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Hélas !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais il est préférable que nous ne le laissions pas prospérer.
Mme Laurence Cohen. Exactement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. À mon sens, l’incrimination de discrimination devrait répondre à votre préoccupation.
M. Alain Richard. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Sans doute M. Richard pourra-t-il nous éclairer sur cette question…
M. Alain Richard. Je vous appuierai, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le répète, le motif de discrimination répond à cette préoccupation. Il me semble constituer une réponse juridique crédible et recevable. C’est pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 13 et 58 ainsi que sur le sous-amendement n° 66.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je souhaite appeler l’attention du Sénat sur les incidences de principe qu’emporterait l’adoption de ces amendements.
Il existe plusieurs facteurs d’aggravation éprouvés qui tiennent à la faiblesse ou à la vulnérabilité de la victime, en droit pénal. On comprend bien la cohérence de semblables dispositions : la culpabilité de l’auteur est aggravée par le fait qu’il a accompli un acte ou une série d’agissements condamnables à l’encontre d’une personne plus faible.
En revanche, lorsqu’il s’agit de catégories de victimes qui sont toutes protégées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sont des êtres humains dont nous entendons proclamer l’égalité, je ne peux pas concevoir la possibilité d’affirmer le principe que le harcèlement sexuel à l’encontre d’une personne homosexuelle est plus grave que le harcèlement sexuel à l’encontre d’une personne hétérosexuelle.
Pour ce qui concerne la définition de la gravité d’une infraction, un tel raisonnement me paraît dépourvu de sens. À mes yeux, madame la garde des sceaux, cette logique procède d’une tendance que l’on observe dans d’autres domaines, et qui a malheureusement été introduite dans le code pénal d’une manière tout à fait regrettable, à propos de l’incrimination de viol. Il est en effet profondément illogique, voire choquant de considérer que le viol d’une personne homosexuelle est plus grave que le viol d’une personne hétérosexuelle, ou l’inverse.
Je souhaite vraiment que nos collègues qui ont déposé ces amendements s’interrogent pour savoir si de telles gradations ne sont pas en réalité l’ébauche d’un système forcément illusoire de contre-discrimination.
Pour moi, les personnes victimes d’agressions de ce type sont d’égale dignité. Elles ne sont pas affectées d’une faiblesse personnelle spécifique. Il n’est donc pas conforme aux principes de la République de frapper plus lourdement le coupable suivant que la victime appartient à une catégorie ou à une autre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je trouve vraiment dommage que l’amendement n° 58 ait reçu deux avis défavorables. En outre, je suis en total désaccord avec le sous-amendement n° 66 présenté par la commission.
Il faut savoir de quoi l’on parle : le changement de sexe et l’orientation sexuelle relèvent de deux situations complètement différentes. Je peux prendre l’exemple d’amis hommes qui sont devenus femmes, mais qui ont pourtant une orientation sexuelle lesbienne.
Monsieur Richard, la question n’est pas de considérer que c’est plus grave.
M. Alain Richard. Si, vous en faites une circonstance aggravante !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mais, du fait de la transsexualité, du transgenre ou de l’homosexualité, il faut savoir que ces personnes subissent plus que d’autres des situations de discrimination ou de harcèlement.
Les représentantes du LGBT, ou lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, nous ont dit que, dès lors qu’elles déclinent leur identité, dans 70 % des cas, elles sont victimes de harcèlement sexuel.
M. Alain Richard. Les agresseurs sont condamnés !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je le répète, je ne prétends pas que c’est plus grave, je dis qu’elles subissent plus souvent ces situations !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. M. Richard semble ne pas savoir que la République discrimine certains groupes et que la discrimination existe.
M. Alain Richard. La loi ne discrimine pas !
Mme Esther Benbassa. Monsieur Richard, sortez un peu du Sénat !
Vous invoquez chaque fois le principe républicain selon lequel il n’y aurait pas de discrimination parce que tout le monde est égal dans la République. Dans cette enceinte, nous sommes tous égaux, mais vous verrez que, à l’extérieur, les noirs, les descendants d’immigrés, les homosexuels, les transsexuels sont plus discriminés que d’autres ! Ainsi vont les choses.
M. Alain Richard. Est-ce que la loi les discrimine ?
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas parce que les codes de loi sont des bibles qu’il ne faut pas être en contact avec la réalité.
Je vous respecte beaucoup, mais vous ne suivez pas, me semble-t-il, l’évolution de la société.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. J’aurais pu reprendre l’intervention de Mme Éliane Assassi dans la discussion générale tant je fais miens ses propos.
Quand on parle de transgenre, il ne faut pas tout mélanger. On peut se sentir homme ou femme, indépendamment de la réalité biologique mâle ou femelle ou de son orientation sexuelle, hétérosexuelle ou bisexuelle. L’identité de genre est vraiment quelque chose qui se ressent.
Reste que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, je ne voterai pas les circonstances aggravantes pour les transgenres. En revanche, je proposerai ultérieurement d’inscrire la transphobie dans l’article 225-1, car, à ma connaissance – mais je me trompe peut-être –, ce cas ne figure pas aujourd’hui dans le code pénal.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai écouté ce débat avec beaucoup d’intérêt et il me semble que l’on mélange deux notions : les discriminations, qui sont d’ailleurs réprimées, et les circonstances aggravantes.
Vous voulez créer de nouvelles catégories de circonstances aggravantes, alors que, jusqu’à présent, celles-ci étaient limitées dans le code pénal. Or, intellectuellement, je ne comprends pas très bien pourquoi il y aurait des circonstances aggravantes uniquement en raison de la situation de la personne.
S’agissant des discriminations, vous avez peut-être raison, on n’a pas prévu tous les cas, mais il s’agit d’autre chose. Cela n’entre pas dans le cadre du harcèlement sexuel, c’est plus général. C’est la raison pour laquelle je ne comprends pas très bien ces amendements.
Cela étant, il est minuit passé, et je manque peut-être un peu de fraîcheur d’esprit, madame Benbassa. (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Mais non, mais non !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Brigitte Gonthier-Maurin l’a très bien exprimé, les transsexuels et les transgenres sont plus souvent victimes de discrimination. Cela ne veut pas dire que c’est plus grave, mais c’est indéniablement plus fréquent. Peut-être avons-nous mal situé cette notion en la classant dans les circonstances aggravantes.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !
Mme Laurence Cohen. Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, notre groupe de travail a bien vu qu’il existait une vraie souffrance. C’est une réalité, comme l’a également souligné Esther Benbassa. Nous pourrions peut-être nous entendre pour placer cette mention à un autre endroit du texte. J’en appelle donc à la réflexion de chacun.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mme Cohen pose une vraie question, car deux choses sont incontestables.
Premièrement, l’orientation sexuelle est visée dans les articles relatifs au viol et à l’agression sexuelle.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Deuxièmement, dès lors qu’il y a harcèlement sexuel, et je partage ce que dit Alain Richard, que ce soit à l’encontre d’un homosexuel ou d’un hétérosexuel, les faits sont d’égale gravité.
La solution consisterait donc à inscrire l’orientation sexuelle dans une autre partie de notre texte, celle relative aux discriminations. Ainsi, nous pourrions nous mettre d’accord pour ne pas retenir les amendements et le sous-amendement pour l’instant et reprendre le débat demain.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je suis d’accord !
Mme la présidente. Monsieur le président de la commission, si ces amendements étaient rejetés, ils ne pourraient pas être redéposés demain compte tenu du délai limite.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Soyez rassurée, madame la présidente, d’autres amendements qui visent la discrimination ont été déposés, et nous avons le droit de sous-amender à tout moment. Le Gouvernement a également la possibilité de prendre des initiatives, sans compter l’imagination dont chacun sait faire preuve. (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous aussi, en vue d’un déplacement dans une autre partie du texte.
Mme la présidente. Les amendements nos 13 et 58 sont retirés et le sous-amendement n° 66 devient sans objet.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 47, présenté par Mme Klès, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 222-33-2 du code pénal est ainsi rédigé :
« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour effet ou pour objet d’altérer sa santé physique ou mentale, ou ayant pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Je n’ai pas besoin de lire dans une boule de cristal pour savoir que je n’aurai pas beaucoup plus de succès avec cet amendement qu’avec les précédents, car j’entrouvre la boîte de Pandore du harcèlement moral. Sait-on jamais, peut-être y arriverai-je…
Il s’agit non pas de modifier profondément la définition du harcèlement moral qui figure à l’article 222-33-2 du code pénal, mais de prendre en compte une réalité : les plaintes pour harcèlement moral sont très souvent classées sans suite pour inopportunité, tout simplement, madame la garde des sceaux, vous l’avez rappelé, parce que les parquets estiment que celui-ci ne peut avoir lieu que dans le cadre des relations de travail ou, comme le prévoit un autre article du code, entre conjoints.
Pourquoi cette interprétation ? Parce que, selon le code pénal, le harcèlement moral consiste en des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre un avenir professionnel. En situant l’expression « altération de la santé physique ou mentale » entre la dégradation des conditions de travail et le fait de compromettre l’avenir professionnel, on aboutit à cette interprétation, à mon sens, malencontreuse. C’est pourquoi je propose de rédiger cet article en établissant un ordre différent.
Madame la garde des sceaux, si vous pouvez m’assurer que la définition du harcèlement moral sera réexaminée, je suis prête à retirer mon amendement. En tout cas, je pense qu’il est important de se pencher sur ce sujet très rapidement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable, car elle estime que le moment n’est pas venu d’ouvrir le chantier, très important, du harcèlement moral.
Cela dit, j’entends très nettement les propos de Mme Klès qui interpellent le Gouvernement. Nous serons également attentifs à la réponse du Gouvernement sur la question globale du harcèlement moral.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame Klès, je vous renvoie à ce que disait assez justement Alain Richard, à savoir que le projet de loi dont nous discutons traite d’un délit, celui du harcèlement sexuel. Il ne nous paraît donc pas opportun d’ouvrir un autre débat, par ailleurs passionnant, sur le harcèlement moral. Cette discussion aura peut-être lieu un peu plus tard au cours de ce quinquennat, mais, aujourd’hui, je vous suggère que nous en restions là, d’autant que nous avons engagé une procédure accélérée qui doit nous conduire à un examen rapide de ce texte.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Madame Klès, l’amendement n° 47 est-il maintenu ?
Mme Virginie Klès. J’ai bien noté que nous devrions rapidement retravailler sur le sujet… (Sourires.) En conséquence, je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 47 est retiré.
L’amendement n° 33, présenté par Mme Dini, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits ont été commis dans le cadre des relations de travail, le délai de prescription de l’action publique des délits définis aux articles 222-28 et 222-33 du code pénal ne commence à courir qu’à compter du jour où la relation contractuelle qui unissait la victime à la structure au sein de laquelle les faits ont été commis a pris fin. »
La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Par cet amendement, que j’ai déjà défendu lors de la discussion générale, je propose que le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles aggravées et du harcèlement sexuel ne commence à courir qu’à compter du jour où la relation contractuelle qui unissait la victime à la structure – entreprise ou association – au sein de laquelle les faits ont été commis a pris fin.
Madame la garde des sceaux, lors de votre audition du 26 juin dernier, au Sénat, je vous ai interpellée précisément sur ce sujet. En réponse, vous avez indiqué vouloir, plutôt qu’allonger le délai de prescription des violences sexuelles, faire en sorte que la victime de harcèlement puisse saisir la justice le plus rapidement possible. C’est bien entendu notre souhait à tous.
Je ne suis toutefois pas persuadée que les victimes puissent porter plainte avant d’avoir définitivement quitté leur harceleur. Elles se sentent souvent physiquement, psychologiquement ou matériellement insuffisamment fortes pour le faire, et cela même si elles sont aidées par des associations. Mon souhait serait donc que le délai de prescription démarre lorsque le harceleur et sa victime se sont séparés.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Anziani, rapporteur. La prescription est un autre vaste et délicat sujet, qui a déjà été assez largement exploré. Je pense notamment à un rapport d’information de la commission des lois, dont l’une des conclusions était que nous devions toujours être très attentifs aux conséquences des modifications des délais de prescription.
Je comprends bien le sens de votre démarche, madame Dini. Imaginons toutefois le cas de contrats d’intérim qui se succèdent dans le temps : à partir de quand le délai de prescription commencerait-il à courir ? Cet exemple prouve, me semble-t-il, que la question mérite un examen plus approfondi.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Dini, je tiens tout d’abord à vous dire que j’ai beaucoup apprécié votre intervention au cours de la discussion générale, sa vigueur, son niveau d’exigence et les exemples que vous avez cités. Je laisse au Conseil constitutionnel le soin de vous répondre. Pour ma part, vous comprendrez que j’éviterai de me mêler de la querelle… (Sourires.)
Je reprends l’argument que j’ai défendu l’autre jour devant la commission, à savoir que notre souci, dans ce texte, est de créer les conditions pour que la victime soit le plus rapidement possible en capacité de porter plainte, plutôt que de lui octroyer, presque ad vitam aeternam, un délai pour agir en justice. En effet, pour cette infraction en particulier, plus il s’écoule de temps après les faits, plus il sera difficile de rassembler des preuves et de trouver des témoins.
De notre point de vue, la solution réside davantage dans les conditions que nous créons pour que la victime soit en capacité de déposer plainte, en la protégeant contre toute forme de discrimination, c’est-à-dire contre la sanction qu’elle pourrait encourir pour avoir refusé de subir le harcèlement. Tel est l’objet de l’article 2. C’est aussi dans cette perspective que nous proposons de modifier le code du travail et de protéger les témoins.
Notre souci est donc, d’une part, de nous prémunir contre les risques du temps qui passe – je pense à la difficulté grandissante de prouver les faits et de trouver des témoins – et, d’autre part, de protéger immédiatement la victime, ce qui facilite le dépôt de la plainte.
Quoi qu’il en soit, il me serait extrêmement désagréable d’émettre un avis défavorable sur cet amendement. C’est pourquoi je me permets de solliciter son retrait, madame Dini.