M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Alain Anziani, rapporteur. Nous disposons également des travaux du groupe de travail présidé par Annie David, Brigitte Gonthier-Maurin et Jean Pierre Sueur, d’une étude de législation comparée tout à fait intéressante, des recommandations de la délégation aux droits des femmes, enfin, bien évidemment, du présent projet de loi, qui, déjà, tient compte de la réflexion du Sénat.
Quels éléments communs se dégagent de ces différents travaux ?
Il s’agit tout d’abord, bien entendu, de la nécessité d’une nouvelle définition. Pour répondre aux objections du Conseil constitutionnel, celle-ci devra obligatoirement comporter des éléments matériels précis. Si tel n’était pas le cas, – j’attire votre attention sur ce point, mes chers collègues – nous risquerions une nouvelle censure.
Le projet de loi précise ainsi que l’infraction nécessitera des pressions répétées, sous forme de propos, de comportements ou de tout autre acte à connotation sexuelle, qui devront provoquer des conséquences dommageables pour la victime, soit parce qu’elles auront porté atteinte à sa dignité, soit parce qu’elles auront créé à son égard, selon les termes du projet de loi, « un environnement intimidant, hostile ou offensant ».
La commission des lois a accepté ce matin deux modifications dans cette définition. Elle a d’abord donné un avis favorable à un amendement de M. Hyest qui substitue le terme d’« agissement » à celui de « comportement ». En effet, il nous a semblé que le mot « agissement » était plus précis, donc correspondait davantage aux exigences constitutionnelles, et permettrait aux victimes de rapporter plus facilement la preuve de l’infraction.
La seconde modification est d’une autre nature. La commission des lois a accepté de renoncer ce matin à la notion d’« environnement », qui figure dans les directives communautaires, au profit de celle de « situation », si je ne me trompe pas...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je confirme, monsieur le rapporteur.
M. Alain Anziani, rapporteur. En effet, elle a considéré que le mot « environnement », issu du droit communautaire, était en réalité une mauvaise traduction d’un terme anglo-saxon et qu’il était moins intelligible par nos juridictions que le terme « situation ».
Pour ma part, je ne partage pas cet avis et je soutiens la notion d’« environnement », comme je l’ai fait depuis le début de nos travaux.
M. Alain Richard. Nous poursuivrons le débat !
M. Alain Anziani, rapporteur. En effet, la notion d’« environnement » n’est pas étrangère au droit français. Elle se trouve dans l’accord national interprofessionnel conclu le 26 mars 2010 sur le harcèlement au travail. Elle a également été reprise dans cinq des sept propositions de loi. Enfin, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, qui a beaucoup œuvré sur ces questions, l’intègre dans ses réflexions. Cette notion pouvait donc susciter un consensus, me semble-t-il. Quant à savoir si les tribunaux étaient capables, ou non, de l’adapter dans notre droit, j’ai interrogé à ce sujet le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation : pour lui, elle ne poserait pas de difficulté d’interprétation.
Toutefois, évidemment, je me rallie à la position de la commission des lois, que j’ai déjà évoquée.
Une fois cette définition retenue, il reste à l’évidence une difficulté (M. Christian Poncelet opine.) : toute une dimension du harcèlement n’est pas couverte, ce que nous avons appelé, dans notre langage ordinaire, le chantage sexuel. Pour parler simple, il s'agit du cas où une personne dit à une autre : « Si tu ne couches pas avec moi, tu perds ton emploi » ou « Si tu ne fais pas ce que je veux, tu n’auras pas ce logement ».
Il fallait nécessairement viser aussi cette situation. Nous pensions utiliser l’expression de chantage sexuel, qui avait d'ailleurs été employée lors des débats parlementaires, en 1992, quand fut créée l’infraction de harcèlement. Le législateur avait alors réfléchi à la question de l’acte unique, qui, selon le ministre délégué à la justice de l’époque, Michel Sapin, devait être réprimé par la loi. Toutefois, après en avoir longuement débattu, le législateur avait estimé inutile de préciser ce point dans la loi.
Nous en avons à l’évidence payé le prix : voilà vingt ans que la discussion se poursuit devant les tribunaux pour savoir si un acte unique relève, ou non, du harcèlement sexuel. Comme vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, si l’on ouvre le dictionnaire, la réponse à cette question est évidemment négative, mais si l’on considère la notion elle-même, elle est positive. Voilà vingt ans que le débat se poursuit !
Madame la garde des sceaux, vous avez employé dans votre texte une formulation très intelligente : « Est assimilé au harcèlement sexuel », qui permet de ne pas brutaliser le dictionnaire tout en reprenant la notion de harcèlement. Tel est l’état du texte. Catherine Tasca, Virginie Klès et d’autres ont souhaité aller plus loin et inscrire dans la loi le terme de chantage sexuel. Toutefois, la commission des lois a considéré ce matin que cette notion n’éclaircissait pas le texte, et cet amendement auquel j’étais pour ma part favorable n’a donc pas été adopté.
Je voudrais évoquer à présent un point très précis. En effet, nous sommes toujours très attentifs aux observations formulées par les uns et les autres. Le II de l’article 1er du texte exposera-t-il les victimes à des risques de requalification de tentatives de viol ou d’agression sexuelle en harcèlement sexuel ? La discussion est ouverte, et je comprends les arguments invoqués, qui tiennent, par exemple, à l’utilisation du mot « contraintes » dans cette disposition.
Il est toujours difficile de répondre à une telle question, mais je ne crois pas que ce risque soit fondé. En effet, la tentative est parfaitement définie dans le droit français. Elle suppose un début d’exécution. Une tentative de viol, par exemple, nécessite un commencement d’exécution, qui n’a été arrêté par son auteur qu’indépendamment de sa volonté propre, selon la jurisprudence. Cela implique un contact ou une pression physique, un acte matériel et, dès lors, nous sortons du harcèlement tel que nous l’entendons.
Madame la garde des sceaux, vous avez ajouté tout à l'heure, et je vous en remercie, que, pour dissiper toute confusion, vous entendiez insister, au travers d’une circulaire ou d’une instruction aux parquets, sur la nécessité de donner aux faits leur exacte qualification pénale. Du reste, la requalification est un mal judiciaire assez répandu, concernant les infractions sexuelles, mais aussi au-delà, et il faudra un jour, si vous en êtes d'accord, que nous nous penchions sur cette question. (M. Roland Courteau approuve.)
Quelles peines fixer ? L’ancien texte punissait le harcèlement sexuel d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Le projet de loi prévoyait de conserver la même sanction pour le délit de base, mais de la porter à deux ans et 30 000 euros en cas de chantage sexuel.
Il nous a semblé que nous n’avions pas à hiérarchiser la souffrance des victimes en distinguant entre le harcèlement par répétition et le harcèlement par acte unique. La commission des lois a donc retenu la même peine dans les deux cas. Quelle sera-t-elle ? Comme l’a rappelé Mme la ministre des droits des femmes, il y a débat. Il n’est pas normal – disons-le franchement – que le vol d’un portable soit plus sévèrement puni qu’une infraction à la personne. Toutefois, le problème est plus général : il n’est pas admissible que l’échelle des peines prévue par notre code pénal soit devenue aussi incohérente et que les infractions à la personne puissent être moins punies que les atteintes aux biens ! La question se pose de façon globale.
Allons-nous saisir cette occasion pour mettre à jour l’échelle des peines ? Il s'agirait d’un travail considérable et qui mériterait beaucoup d’attention. Aujourd'hui, nous en restons donc à la proposition d’une peine de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende pour toutes les formes de harcèlement sexuel.
Quelles circonstances aggravantes retenir ? Le texte en prévoit quatre, punies de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende : si les faits sont commis par une personne qui abuse de son autorité, sur un mineur de quinze ans, en cas de particulière vulnérabilité, ou, enfin, par plusieurs personnes. Lors de la discussion du texte, nous examinerons des amendements tendant à modifier ces circonstances aggravantes.
Mes chers collègues j’attire votre attention sur un point : il faut veiller à la cohérence du code pénal. Évitons de modifier seulement quelques lignes de ce dernier, sans nous poser la question du droit pénal dans son ensemble.
La limite d’âge de quinze ans, par exemple, a un sens profond. Elle correspond à la majorité sexuelle retenue depuis 1945. Je le répète, un adulte qui a une relation sexuelle avec un mineur ou une mineure de moins de quinze ans peut faire l’objet de poursuites sans que l’on se pose la question du consentement de ce dernier. En revanche, un adulte qui a des relations sexuelles avec une mineure de plus de quinze ans ne pourra être poursuivi que s’il y a absence de consentement du mineur.
Telle est la démarcation. Si, à l'occasion du vote d’un amendement, nous remettions en question cette limite d’âge, cette décision entraînerait des conséquences sur l’ensemble du code pénal. Surtout, nous aboutirions à une situation extrêmement choquante : le viol sur une mineure de 16 ans ne serait pas une circonstance aggravante, alors que le harcèlement sexuel sur une mineure de 16 ans le deviendrait ! Là encore, il faut rester fidèle à un principe de cohérence.
Au titre des circonstances aggravantes, se pose aussi la question de la vulnérabilité économique et sociale, qui a été écartée ce matin par la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est l’amendement qui a été écarté, la commission y étant défavorable.
M. Alain Anziani, rapporteur. En effet, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement qui tendait à ajouter cette condition de vulnérabilité économique et sociale dans le code pénal.
On voit bien quels arguments ont prévalu : la cohérence globale, le fait que, en l’état du droit, la vulnérabilité ne soit pas de nature économique et sociale, l’arbitrage final des juridictions qui fixera la notion de « vulnérabilité économique et sociale ». On comprend bien quelles sont toutes les contraintes, toutes les difficultés. D’ailleurs, moi-même je m’étais exprimé défavorablement sur ce point.
Cependant, je crois que nous devons rester ouverts. Ce matin, quelqu’un a dit avec beaucoup de justesse que, aujourd’hui, une personne qui se trouve en situation de vulnérabilité économique et sociale – intuitivement, nous voyons bien de quoi il s’agit – est une victime toute désignée de harcèlement sexuel. Il faudra donc en tenir compte.
Je veux maintenant aborder la question de l’orientation sexuelle et des transsexuels.
L’atteinte à une personne en raison de son orientation sexuelle constitue une circonstance aggravante du viol, des agressions sexuelles en général. Je trouverais cohérent qu’elle puisse également devenir une circonstance aggravante en cas de harcèlement. Toutefois, ce matin, tel n’a pas été l’avis de la commission des lois.
Je souhaite maintenant dire quelques mots sur les autres articles du projet de loi.
L’article 2, extrêmement important, traite des discriminations. L’article 1er punit le harcèlement sexuel. L’article 2 tend à punir les conséquences de ce dernier. Ainsi, une femme harcelée sexuellement va pouvoir agir contre ce harcèlement. Si, de surcroît, elle a perdu son emploi, elle pourra également agir du fait de la discrimination qu’elle aura subie.
L’article 2 est, je le répète, très important, car il permet de viser non seulement l’auteur de harcèlement sexuel, mais également l’employeur. Par exemple, dans une entreprise, si l’employeur couvre une personne qui se livre à du harcèlement sexuel et met à la porte la salariée harcelée, la considérant embêtante, il pourra être puni pour faits de discrimination.
De surcroît, l’article 2 permet de protéger le témoin de faits de harcèlement qui les aurait dénoncés et qui se verrait exposé à une sanction disciplinaire.
L’article 3, quant à lui, est un texte de coordination avec le code du travail. Nous examinerons tout à l’heure un amendement proposant la reproduction intégrale du texte figurant dans le code pénal, à l’instar de ce que prévoit l’article 3 bis pour le statut de la fonction publique.
Mesdames les ministres, mes chers collègues, grâce à notre travail collectif, je crois que nous allons aboutir à combler vite et bien le vide juridique existant, qui avait suscité la stupeur des victimes. Nous proposons, me semble-t-il, une loi plus claire et plus précise, comportant un champ élargi de l’infraction.
Comme toute loi, elle demeurera tributaire de l’interprétation de nos juridictions ; cela a été dit tout à l’heure. Et comme toute loi, elle ne nous dispensera pas de mesures de prévention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – MM. Christian Poncelet et François Trucy applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.) Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, si le rétablissement du délit de harcèlement sexuel concerne, au premier chef, la commission des lois du Sénat, compétente en matière pénale, la commission des affaires sociales ne pouvait bien entendu pas se tenir à l’écart de ce débat.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Évidemment !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. Le harcèlement sexuel peut se produire, nous le savons, dans les circonstances les plus variées : engagement associatif, activités sportives, parcours scolaire ou universitaire, relations de voisinage, recherche d’un logement... Cependant, il faut bien admettre qu’il se déroule souvent dans un cadre professionnel, que ce soit dans les entreprises privées ou dans les administrations. C’est ce qui justifie que l’interdiction du harcèlement sexuel figure aussi dans le code du travail et dans le statut de la fonction publique.
Par conséquent, la question du harcèlement sexuel entretient des liens étroits avec des sujets qui sont au cœur des préoccupations de la commission des affaires sociales. Je pense à la qualité de la vie au travail, à la prévention des risques psychosociaux et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
La décision rendue par le Conseil constitutionnel, le 4 mai dernier, a conduit à l’abrogation de l’article du code pénal qui définissait, de manière trop imprécise, le délit de harcèlement sexuel. Il en résulte un vide juridique qui, comme vous l’avez dit, mesdames les ministres, laisse sans protection les victimes, parmi lesquelles figure une grande majorité de femmes. Il nous appartient, en tant que législateur, de remédier au plus vite à cette situation.
Le Sénat a apporté rapidement la preuve de sa détermination à agir.
Dès l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel, un groupe de travail a été mis en place. Il a auditionné toutes les parties intéressées et les discussions menées en son sein ont permis de faire émerger de nombreux points d’accord concernant la nouvelle définition du harcèlement sexuel.
Dans le même temps, sept propositions de loi ont été déposées par des sénateurs et sénatrices siégeant sur différentes travées de notre assemblée, ce qui démontre, s’il en était besoin, que la lutte contre le harcèlement sexuel est un objectif qui transcende les clivages politiques.
Certains ont regretté que le Gouvernement n’ait pas laissé prospérer ces initiatives parlementaires et qu’il ait préféré déposer un projet de loi. Pour ma part, je vois surtout dans ce choix un signe de la volonté du Gouvernement de se mobiliser contre le harcèlement sexuel et je me réjouis, à cet égard, que deux ministres soient présentes aujourd’hui pour en soutenir la discussion.
Dès l’origine, le texte du Gouvernement tenait compte des réflexions qui ont été menées au Sénat ; il a été encore amélioré par les amendements adoptés par la commission des lois, de sorte que nous examinons aujourd’hui le fruit d’un véritable travail conjoint qui répond à nos préoccupations.
Le texte qui nous est soumis nous donne satisfaction pour plusieurs raisons.
Premier motif de satisfaction : comme cela a déjà été indiqué, le présent projet de loi parvient à concilier deux impératifs qui pouvaient paraître contradictoires au premier abord, non seulement une exigence de précision dans la définition des éléments constitutifs du délit, afin de satisfaire au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines, mais aussi l’obligation de retenir une incrimination suffisamment large pour couvrir tous les cas de harcèlement sexuel.
Le harcèlement consiste, généralement, en une succession de gestes, de propos, de comportements, qui ne sont pas nécessairement très graves pris isolément, mais qui peuvent entraîner, du fait de leur répétition, des conséquences dramatiques sur la santé psychique de la victime ; parfois, il s’apparente davantage à un « chantage sexuel », par exemple quand un employeur menace une salariée de la licencier si elle refuse de céder à ses pressions.
Le projet de loi – c’est l’un de ses principaux mérites – permettra de réprimer ces deux types de harcèlement, puisqu’il retient une double définition du délit, comme Mme la garde des sceaux a déjà eu l’occasion de le rappeler.
Deuxième motif de satisfaction : le texte ne fait plus de la recherche de « faveurs » sexuelles l’objectif exclusif du harcèlement. Les auditions du groupe de travail ont montré que les victimes avaient souvent du mal à prouver que le harceleur poursuivait cette fin, ce qui explique que de nombreuses plaintes aient été classées sans suite ou aient abouti à une relaxe. L’abandon de cette condition devrait permettre aux victimes d’obtenir plus facilement justice. Il leur « suffira » de montrer que le harcèlement a porté atteinte à leur dignité ou a créé pour elles un environnement hostile, intimidant ou offensant pour que le délit soit constitué.
Troisième motif de satisfaction : le texte alourdit les peines encourues en cas de harcèlement sexuel. Jusqu’à ce jour, la sanction prévue était d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Il est proposé de la porter à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende, et même à trois ans de prison et à 45 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes. Cette mesure, qui a une vertu pédagogique évidente, devrait exercer un effet dissuasif.
Quatrième motif de satisfaction : le projet de loi introduit dans le code pénal une disposition qui permettra désormais de réprimer les mesures discriminatoires dont peuvent faire l’objet les victimes de harcèlement sexuel. Ainsi, un employeur qui licencie une salariée ou qui refuse d’embaucher une candidate lors d’un recrutement parce qu’elle aurait résisté à ses avances pourra être sanctionné.
Permettez-moi, mesdames les ministres, mes chers collègues, de m’attarder un instant sur les articles qui portent sur le code du travail, sur le code du travail applicable à Mayotte et sur le statut de la fonction publique.
Je voudrais d’abord rappeler qu’il est indispensable de modifier le code du travail dans la mesure où, actuellement, il définit le harcèlement sexuel dans les mêmes termes que ceux qui ont été censurés par le Conseil constitutionnel.
M. Christian Poncelet. Très juste !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. Le code du travail renverra désormais à la définition et aux sanctions prévues par le code pénal, ce qui évitera, à l’avenir, tout risque de discordance.
M. Christian Poncelet. Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. Le projet de loi prévoit également de corriger une erreur intervenue lors de la recodification en 2008. Le code du travail prévoit qu’aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.
Lors de la recodification, la sanction prévue pour réprimer ces faits discriminatoires a malencontreusement disparu. Il est proposé de la rétablir.
Il est également préconisé de compléter la liste des infractions que l’inspecteur du travail peut constater en y ajoutant le harcèlement sexuel et moral.
Je voudrais maintenant dire quelques mots à propos de Mayotte. Vous le savez, cette île est engagée dans un processus de départementalisation qui conduit à aligner progressivement les règles de droit social qui y sont applicables sur celles qui sont en vigueur en France métropolitaine. Le projet de loi s’inscrit dans cette perspective, puisqu’il propose que les articles relatifs au harcèlement sexuel qui figurent dans le code du travail soient insérés, à l’identique, dans le code du travail applicable à Mayotte.
Enfin, pour ce qui concerne la fonction publique, initialement, le texte du Gouvernement ne prévoyait pas d’adapter les dispositions relatives au harcèlement sexuel qui s’y appliquent. Les deux commissions saisies du présent projet de loi ont eu à cœur de corriger cette lacune en modifiant la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, afin d’y intégrer la nouvelle définition du harcèlement sexuel. Nous visons naturellement les trois fonctions publiques, la fonction publique d’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.
Comme je le disais tout à l’heure, la commission des lois a sensiblement amélioré le texte du Gouvernement. Elle a adopté plusieurs amendements présentés par son rapporteur, Alain Anziani, dont je veux, en cet instant, saluer le travail, et retenu la quasi-totalité des amendements proposés par la commission des affaires sociales saisie pour avis.
Outre des mesures de coordination, nous avons voulu insister sur l’importance de la prévention et de la détection du harcèlement sexuel.
La loi reconnaît aux délégués du personnel le pouvoir de saisir immédiatement l’employeur lorsqu’ils constatent une atteinte aux droits ou à la santé des salariés pouvant résulter de faits de discrimination. Nous avons souhaité indiquer explicitement que les délégués du personnel peuvent aussi saisir l’employeur en cas d’atteinte résultant de faits de harcèlement.
Dans le même esprit, nous avons voulu souligner que les services de santé au travail peuvent conseiller l’employeur en matière de prévention du harcèlement. Cette précision est cohérente avec les dispositions de l’accord interprofessionnel conclu par les partenaires sociaux en 2010, lequel a reconnu que les services de santé au travail sont des « acteurs privilégiés de la prévention du harcèlement et de la violence au travail », du fait de leur rôle d’information et de sensibilisation des salariés et des employeurs.
En revanche, il demeure un point sur lequel la commission des affaires sociales n’a pas été suivie par la commission des lois ; il concerne les circonstances aggravantes du harcèlement sexuel.
Les membres de la commission des affaires sociales auraient souhaité introduire la notion de vulnérabilité économique et sociale dans le code pénal, notion qui figure dans plusieurs propositions de loi sénatoriales.
La commission des lois n’a pas retenu notre proposition au motif que la notion de vulnérabilité économique et sociale serait trop subjective. Je comprends bien les objections qui ont été soulevées et je suis sensible à la nécessité que la loi pénale, qui est d’interprétation stricte, soit aussi précise que possible.
Néanmoins, la commission des affaires sociales a souhaité présenter un amendement en séance publique, afin que nous puissions en débattre et connaître la position du Gouvernement. Il nous semble en effet que la prise en compte des inégalités sociales dans le droit pénal est une question de fond qui mérite une discussion approfondie.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. Enfin, je voudrais souligner que la lutte contre le harcèlement sexuel et, plus largement, contre les violences faites aux femmes appelle la mise en œuvre d’une politique globale, dont les mesures pénales que nous examinons aujourd'hui, certes importantes, ne sont que l’un des aspects.
L’une des premières mesures qui doivent être prises pourrait être la création d’un observatoire (Mmes Mireille Schurch et Brigitte Gonthier-Maurin opinent.), qui nous permettrait de disposer enfin de données fiables et actualisées.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. C’est d’ailleurs l’une des propositions que formule la délégation aux droits des femmes, proposition dont parlera certainement Mme Gonthier-Maurin et que notre commission soutient totalement.
Mme Claire-Lise Campion. Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. Dès l’école, les jeunes devraient être davantage sensibilisés à la question de l’égalité entre les hommes et les femmes, ce qui suppose de mener un travail patient de déconstruction des stéréotypes afin que garçons et filles ne se voient plus attribuer à l’avance des rôles déterminés. (Mme Claire-Lise Campion opine.)
Dans le monde du travail, un effort de formation et de sensibilisation doit être engagé de manière que les représentants du personnel, les délégués syndicaux, les médecins du travail, les personnels d’encadrement deviennent tous acteurs de la prévention et de la détection du harcèlement.
Enfin, cette politique globale doit comporter un volet consacré à l’accompagnement des victimes : accompagnement dans les procédures judiciaires, et il faut saluer ici le travail formidable accompli par les associations ; accompagnement psychologique également, ce qui suppose qu’un suivi soit assuré par des professionnels formés présents sur l’ensemble du territoire. Plusieurs membres de notre commission se sont notamment émus du sort réservé aux victimes qui se trouvent dépourvues de tout recours du fait de l’abrogation de la loi au moment où elles étaient engagées dans des procédures judiciaires.
Dans l’attente de la mise en œuvre de cette politique globale, l’urgence reste, bien sûr, mesdames les ministres – et je m’adresse particulièrement à Mme la ministre des droits des femmes –, de combler le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales invite le Sénat à approuver le projet de loi relatif au harcèlement sexuel,…
M. Jacky Le Menn. Très bien !
Mme Christiane Demontès, rapporteur pour avis. … qui permettra de réprimer efficacement ce délit, d’aider les victimes à faire valoir leurs droits et de dissuader, je l’espère, des harceleurs potentiels de passer à l’acte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Muguette Dini ainsi que MM. Jean-Paul Emorine et Christian Poncelet applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits de femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’abrogation par le Conseil constitutionnel de la disposition pénale relative au délit de harcèlement sexuel a créé dans notre droit pénal un vide juridique choquant.
Ce vide, nous devons le combler au plus vite pour ne pas laisser sans protection des victimes de telles violences et pour ne pas envoyer un message d’impunité aux harceleurs.
La constitution d’un groupe de travail commun nous a permis, à travers un large programme d’auditions, de mieux prendre la mesure de la réalité du harcèlement sexuel comme des difficultés que pose sa répression et de dresser le cahier des charges d’une nouvelle définition du délit qui soit à la fois conforme aux exigences constitutionnelles de clarté de la loi et plus protectrice pour les victimes.
Nous pouvons en attendre une amélioration de la réponse pénale, mais la lutte contre le fléau social que constitue le harcèlement sexuel ne peut se limiter à son volet répressif. Aussi notre délégation insiste-t-elle également sur la nécessité d’une politique d’information et de prévention.
Parce que l’on a longtemps sous-estimé son impact sur les victimes, le harcèlement sexuel reste un phénomène peu étudié et sous-évalué. L’enquête nationale sur les violences envers les femmes réalisée en 2000 nous en a donné un premier aperçu, mais cette étude a maintenant plus de dix ans et des enquêtes ponctuelles, comme celle qui a été réalisée en 2007 en Seine-Saint-Denis, ont montré que les violences sexuelles étaient sans doute plus fréquentes encore qu’alors, en particulier dans le monde du travail.
Il est nécessaire de mieux appréhender la réalité de ce phénomène pour guider les actions de prévention et pour évaluer les politiques publiques.
C’est pourquoi nos deux premières recommandations portent respectivement sur la réalisation d’une nouvelle enquête sur les violences faites aux femmes en France et sur la création d’un observatoire national des violences envers les femmes.
Cet observatoire n’aurait pas seulement pour vocation de réaliser des études, mais pourrait également, à l’image de l’observatoire des violences de Seine-Saint-Denis, constituer une plateforme de collaboration entre les acteurs engagés dans la lutte contre les violences.
Il serait également le correspondant naturel des observatoires locaux.
Madame la ministre des droits des femmes, au cours de votre audition, le 26 juin dernier, vous nous avez fait part de l’accueil favorable que vous réserviez à titre personnel à ces deux recommandations. Peut-être pourrez-vous nous indiquer les engagements que le Gouvernement peut aujourd’hui prendre et à quelle échéance. C’est d’ailleurs l’objet de l’amendement que j’ai déposé.
Les comportements de harcèlement sexuel ne donnent lieu qu’à un faible nombre – de l’ordre du millier par an – de poursuites devant les tribunaux et à un nombre plus réduit encore – entre soixante-dix et quatre-vingts par an – de condamnations pénales.
En outre, le délit de harcèlement sexuel est souvent utilisé pour déqualifier, dès qu’elles surviennent dans la sphère professionnelle, des atteintes sexuelles plus graves.
Aussi, nous vous demandons, madame la garde des sceaux, et c’est notre troisième recommandation, de veiller à ce que le nouveau délit de harcèlement sexuel ne soit plus utilisé pour sanctionner des agissements qui relèvent, en réalité, d’incriminations pénales plus lourdes.